À droite, l'école et ses élèves normaux, comme tout le monde.À gauche, le centre de redressement pour jeunes dangereux.Maintenant réunis, pour le pire.
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Chelsea ne comprenait pas qu'on pouvait ne plus avoir besoin de certaines choses, c'était plutôt étrange. Elle avait baissé les yeux, elle n'était clairement pas contente. Je n'avais rien faire de mal pourtant... si? Bref, on continua de parler et elle m'avoua qu'elle n'avait pas dit qu'elle n'avait pas envie, et je ne pouvais pas dire le contraire. Il y avait bien des choses dont je ne pourrais jamais ressentir l'absence de besoin, comme la musique, mais par exemple, quand on mange parce qu'on a fait, on a besoin de manger, et puis après, on a plus faim. Il y avait des tas de choses dont on pouvait avoir besoin et plus tard, ne plus le ressentir.
Je lui avais posé une question pour savoir ce qu'elle aimait faire pour s'amuser, mais sa réaction était curieuse, comme si ... elle ne comprenait pas? C'était curieux, très curieux, surtout qu'elle répéta le mot "s'amuser", comme si elle ne le comprenait pas. Je me grattais la tête, c'était trop bizarre, elle ne savait pas s'amuser? Je lui parlais alors un peu, essayant de lui expliquer.
-Bah... tu sais... faire des choses dont tu as envie! Des trucs que tu aimes faire. Tu dois bien aimer des trucs, non? Moi ce que j'aime, c'est la musique! Et quand j'en fais, je suis heureux! Tu connais pas des trucs qui te rendent heureuse?
Je regardais les jouets autour de moi avant de regarder à nouveau Chelsea. Tout ça, ça me rendait heureux, il y a plein de choses qui peuvent m'amuser, elle aussi, je suis sûr qu'elle pouvait s'amuser, ça serait beaucoup trop triste sinon, de ne pas pouvoir s'amuser! Elle était punie? Si ça se trouve, elle a souvent été punie, pour ça qu'elle ne sait pas s'amuser, mais elle est toute gentille! On ne punit pas les gens gentils, si? Soudain, j'entendis maman m'appeler.
-Josh! Le déjeuner est bientôt prêt, tu peux descendre!
-Oh chouette! Oh, ça serait trop bien si on mangeait tous ensemble! Je suis sûr que ça sera bon!
C'est vrai qu'il était bientôt midi, je me demande si Chelsea pourra rester. Me levant, j'ouvris la porte et j'attendais que Chelsea passe pour descendre les escaliers avec elle. Si ça se trouve, son papa voudra bien manger avec nous, ma mère est toujours d'accord pour accueillir des gens! Et puis, je suis sûr qu'ils vont aimer la cuisine de maman, c'est la meilleure du monde!
Des choses dont elle avait envie et qu'elle aimait faire... Elle essaya de réfléchir, ses yeux se déplaçant de droite à gauche comme si elle parcourait les pages d'un livre pour trouver une information essentielle, mais rient ne vint. Non, elle n'avait pas le temps pour ça. La seule chose qu'elle avait le droit de faire, c'était du volley, et elle trouvait ça ennuyeux à mourir. Pas intéressant, et certainement pas... amusant. Ce qu'elle aimait... elle aimait son papa, quand il ne se mettait pas en colère, alors elle faisait tout pour que ça arrive le moins souvent possible. Mais est-ce qu'elle était heureuse quand il était de bonne humeur ? Elle ne savait même pas ce que ça voulait dire. C'était un mot qu'elle n'avait pas encore appris. Dans le doute, elle secoua la tête.
- J'ai pas... le temps, dit-elle finalement, répétant les mots de son père.
De s'amuser, d'aimer quelque chose, d'être heureuse ? Peut-être un peu les trois. Jouer n'était pas une option. Et bientôt, elle aurait l'école en plus et elle savait que ça prenait longtemps, qu'elle devait apprendre beaucoup de choses importantes. Son père lui avait expliqué qu'elle devrait travailler à l'école et chez elle, et s'entraîner au volley de la même manière. Elle ne comprenait pas comment elle aurait le temps de faire autre chose alors qu'elle ne l'avait déjà pas. C'était peut-être pour ça qu'elle n'avait pas de jouets : il aurait dû tout lui enlever pour l'école et elle aurait été triste, alors qu'en n'en ayant jamais eus...
Chelsea resserra sa veste autour d'elle. Elle n'aimait pas trop qu'on lui pose des questions. Quand son papa le faisait, c'était souvent qu'il était fâché ou qu'il voulait être sûr qu'elle avait tout compris à ce qu'il expliquait. Elle devait toujours réfléchir beaucoup à chaque question pour ne pas dire de bêtise et se faire gronder. Elle sursauta en entendant la maman de Josh l'appeler pour manger. Elle ne venait pas directement le chercher ? Ah... ça faisait au moins une chose qui ressemblait à chez elle, ici. Pour le reste, elle avait l'impression d'être dans un autre monde. C'était peut-être parce qu'elle avait déménagé : les gens d'ici n'avaient pas les mêmes habitudes que les gens de chez elle avant. Après tout, certaines règles de sport changeaient d'un pays à l'autre.
Elle n'était pas trop sûre, par contre, que manger tous ensembles serait faisable. Son papa surveillait beaucoup ce qu'elle mangeait pour qu'elle soit en pleine forme, et la maman de Josh ne connaissait pas ses derniers repas, elle ne pouvait pas savoir ce dont elle avait besoin aujourd'hui. Mais peut-être qu'il lui avait dit ? Dans le doute, elle se leva et marcha doucement jusqu'à la porte, avant de le suivre dans le couloir. C'est là qu'elle trébucha, sans trop savoir pourquoi. Sans doute une partie glissante du plancher.
Elle regardait partout autour d'elle, avant de dire qu'elle n'avait pas le temps. Mais ... pas le temps de quoi? De jouer, d'être heureuse? C'était n'importe quoi de dire qu'on avait pas le temps d'être heureux. Peut-être qu'elle ne savait pas ce que c'était, mais sa réaction était bizarre. Quelque chose n'allait pas, c'était évident, mais quoi? C'est quand même triste de ne pas avoir le temps d'être heureux! La pauvre! Je la regardais, curieux, ne sachant pas quoi dire face à cette phrase désarmante.
Le fait que maman m'appelle pour aller manger me donna une bonne excuse pour couper court à la conversation. Elle est bizarre, mais elle est gentille, du coup, j'ai encore envie de lui parler, surtout que j'aime bien jouer avec elle, ça change d'être seul dans sa chambre avec juste mes instruments de musique. Je descendis alors les escaliers, espérant que Chelsea restera avec nous le temps du repas. Lorsque la jeune fille descendit à son tour, elle trébucha, mais j'eus le temps de la rattraper, en tirant un peu sur sa veste qu'elle avait gardé sur elle. Le plancher est plutôt glissant, surtout quand on y fait pas attention ou qu'on y est pas habitué. Bon, au moins, elle n'est pas tombée par terre, c'est déjà ça, sinon, elle se serait probablement fait mal et maman m'aurait disputé. La tenant un peu, je lui parlais.
-Ça va? Tu t'es pas fait bobo au moins? Désolé, j'ai dû tirer un peu sur ta veste.
Bon, maintenant qu'il n'y avait plus aucun risque, je continuais à marcher, plus prudemment cette fois-ci, afin de descendre les derniers escaliers et d'arriver devant ma mère et son père. En face de ma mère, les yeux plein d'espoir, je lui fis un petit caprice.
-Maman, Chelsea, elle peut rester à la maison? Elle est gentille!
J'avais envie de jouer avec elle, et puis, elle ne savait même pas ce que c'est, d'être heureuse, alors j'avais envie de lui montrer! Elle va sûrement aimer ça, être heureuse! Je vais lui jouer plein de musiques, on fera plein de jeux et tout et tout, ça va être trop bien!
Elle avait glissé... Failli tomber. Au début, sa seule réaction fut d'être soulagée quand elle vit que le sol n'avait pas percuté ses genoux, ni son visage. Et puis elle s'aperçut qu'il avait tiré sur sa veste, elle vit du coin de l’œil son bras dénudé qui laissait apparaître le bleu que son père lui avait dit de cacher, d'oublier. Alors elle paniqua. Réajusta sa veste le plus vite possible pour qu'il n'ait pas le temps de voir, fit disparaître en un soupir les doigts violacés marqués sur sa peau. Il lui avait dit. Si elle en parlait, si quelqu'un le voyait, elle serait toute seule dans la rue parce que les gens penseraient qu'ils lui faisaient du mal et ils l'enlèveraient. Elle ne voulait pas qu'on lui enlève son papa, parce qu'elle ne savait pas comment on vivait sans. Et Josh avait déjà demandé à son père s'il pouvait lui prêter un doudou, alors il en parlerait peut-être s'il le voyait. Il n'avait pas le droit d'en parler...
- Merci, dit-elle en se forçant à sourire plus que d'habitude pour détourner son attention de son bras.
S'il pensait à autre chose, il oublierait. D'ailleurs, il se dirigea vers les escaliers et elle retint un petit soupir. On ne soupirait pas, c'était malpoli. Mais elle était rassurée. Elle le suivit dans les marches, à pas très lents pour éviter une nouvelle chute, et elle finit par arriver en bas. Là, à nouveau, son voisin s'adressa à sa mère avec ce ton que Chelsea n'aurait jamais osé employer chez elle tant elle aurait craint la réaction de son père. Quémander, demander quelque chose de cette façon... Non, certainement pas.
- Rester à la maison ?
Le regard de son père se posa sur elle et elle se redressa, pas crispée mais presque, serrant sa manche dans sa main. Son bleu n'était pas visible, pas vrai ? Et il ne pensait pas que c'était elle qui avait demandé ? Non, il savait qu'elle ne demanderait pas ça. Il la regarda un moment et elle finit par baisser les yeux pour ne pas laisser de possible larmes de stress s'inviter dans ses yeux. Le regard de son père passa d'elle au petit garçon qui attendait une réponse de sa mère, puis il secoue doucement la tête.
- Je suis désolé, Josh, mais on vient d'emménager. On a encore beaucoup de choses à ranger et à faire. Et puis on ne va pas s'imposer à votre table.
Ne pas soupirer. Chelsea se mordilla la lèvre pour ne pas afficher sa déception. Jusqu'à ce que son père prononce une phrase, une chose qu'elle n'avait pas réalisé plus tôt.
- Mais vous allez être dans la même école. Vous aurez tout le temps de vous voir.
Elle sentit que ça le dérangeait, elle vit une petite crispation dans sa mâchoire. Sans doute aurait-il préféré que ça ne soit pas le cas, mais pourquoi ? Elle ne comprenait pas.
Lors de mon sauvetage, je vis un bref instant une tâche bleue sur son bras. Bizarre, les gens n'ont pas des tâches de cette couleur d'habitude sur leur corps. Peut-être qu'elle s'est fait mal aussi, mais c'est pas si grave, j'espère du moins. J'ai pas eu le temps de regarder la forme du bleu, j'ai juste vu la couleur, rien de plus. En tout cas, elle m'a remercié de l'avoir retenu pour ne pas qu'elle tombe par terre, sachant qu'une chute, qu'elle soit dans les escaliers ou au sol, ça faisait mal! Nous étions descendus jusqu'au rez-de-chaussée, et j'avais demandé à maman si Chelsea pouvait rester à la maison, et si ça ne dérangeait personne. Contre toute attente, c'est son père qui répondit à la place de ma mère. Mon regard se tournait alors vers lui et il l'écoutait. Bon, visiblement, il ne voulait pas, parce qu'il y avait beaucoup de choses à faire. J'affichais une mine un peu triste, avant qu'il me fasse réaliser qu'on allait être dans la même école, ce qui me fit sourire.
-Oh, trop bien, ça veut dire qu'on va pouvoir jouer ensemble plus souvent!
-Vous ne nous dérangez pas, Monsieur Refrain. Mais je comprends que vous n'ayez pas forcément le temps de venir manger avec nous. Le fait de vouloir nous rencontrer fut très agréable pour nous, et je vous remercie de l'intérêt que vous nous portez.
Il en fallait peu pour me redonner le sourire. Suite à ça, nous n'allions pas tarder à passer à table, et vu que le père de Chelsea ne souhaitait pas participer à notre repas, je doute qu'il allait rester très longtemps. Maman semblait pourtant être d'accord pour qu'ils viennent manger, mais malheureusement, si le monsieur ne voulait pas, on ne pouvait rien y faire. Je me tournais alors vers ma future camarade, lui faisant un signe de la main.
-En tout cas, vivement qu'on se revoit à l'école! Et puis, on pourra se parler à la récré, c'est chouette, non?
Sur ce, ils allaient probablement partir, c'était dommage mais toutes les bonnes choses ont une fin. Ma mère avait donc sorti que deux assiettes, mais elle avait posé deux autres assiettes sur le côté, au cas où le père de Chelsea changerait d'avis.
-Si vous changez d'avis, je serais prête à vous accueillir. N'hésitez pas à repasser, vous êtes les bienvenus.
Maman est toujours gentille avec tout le monde, même avec les gens qu'elle vient de rencontrer, ce n'est donc pas étonnant qu'elle soit gentille avec Chelsea et son père. J'aurais voulu qu'elle reste manger avec nous, on aurait pu continuer à jouer, mais il faut que je m montre patient, papa et maman me disent toujours d'être patients.
"Jouer ensemble plus souvent". Chelsea resta perplexe, mais elle perçut que son père se crispait davantage. Jouer ensemble plus souvent... Évidemment, il n'était pas d'accord. Il lui avait dit plusieurs fois qu'elle n'avait pas le temps de jouer, et qu'elle en aurait encore moins à l'école. Mais elle aimait bien Josh. Alors peut-être que l'école lui laisserait des moments où elle pourrait jouer ? Elle ne savait pas du tout comment ça fonctionnait. Mais ils allaient lui apprendre à lire, comme ça elle n'aurait plus besoin d'écouter son père le faire. C'était difficile de l'écouter lire les manuels, parce qu'il avait une voix calme qui avait tendance à l'endormir. Et si elle s'endormait, il s'énervait...
Elle cligna des yeux plusieurs fois quand il reprit la parole. La... récré ? C'était quoi, ça ? Mais devant son père, elle ne posa pas la question. Elle n'osait pas. Si elle posait une question bête, il allait la disputer, ou alors on allait se moquer d'elle. Elle resta donc silencieuse avec le petit sourire qu'elle conservait habituellement. Celui qui empêchait son père de se mettre en colère.
- On va y aller. On a encore du travail.
Il sourit et prit la main de Chelsea. Une main sèche. Chelsea baissa doucement la tête, puis dit au revoir avant de se laisser raccompagner par les voisins jusqu'à la porte. Une dernière fois, elle se tourna vers la garçon et lui offrit un petit sourire timide, un peu moins faux que ceux qu'elle forçait pour son père. Puis la porte se referma derrière eux et la poigne de son père se raffermit légèrement.
Pas un mot avant qu'ils arrivent à la maison. Jusqu'à ce que l lourde porte ne se referme derrière eux. Puis elle ferma les yeux. Et il commença à crier.
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