[2020] Une soirée détente

Parfois quand on n'arrive pas à oublier un truc, il faut se changer les idées de la manière la plus simple. Pour aujourd'hui, c'est le cinéma qui me permet d'avoir l'esprit occupé sur autre chose. Il faut vraiment que je passe à autre chose. Ca fait déjà trois mois. Enfin en soi, j'ai pu tourner un peu la page mais il y a des jours comme aujourd'hui où le moral est en chute libre. Une rechute dans la déprime « aidée » par des géniteurs sans pitié. Alors un bon film n'est pas de refus. Ca permet de s'imaginer dans l'action et de faire passer ses frustrations.

Mon choix s'est porté sur un film d'horreur. C'est généralement mon choix habituel avec les thriller, les films policiers ou les films d'action. Tant que ce n'est pas romantique ou de la comédie, presque tout peut passer. Assise sur un siège plus ou moins proche de la sortie, je suis finalement rejointe par un homme. Décidément j'ai le chic pour être rejointe par des hommes quand je suis seule depuis ma rupture... C'est une façon de me torturer, c'est ça ? De me rappeler ce que j'ai perdu ? Ou plutôt de me remettre dans la gueule ce que je suis incapable d'avoir ?

- Oui, vous pouvez la prendre.

De toute façon il n'y a pas beaucoup plus de places dans la salle. Elles sont presque toutes occupées déjà. Je me concentre alors sur l'écran pour voir si le film commence. Mais non. Rien. Encore éteint. Remarque, les lumières auraient été éteintes si quelque chose devait se passer à l'écran. Même pour de simples pubs à la con. Et puis ce n'est pas l'heure non plus.

L'homme m'adresse à nouveau la parole mais cette fois, c'est pour prendre de mes nouvelles. Gné ? Je fais donc si pitié que ça pour que même un inconnu se pose des questions sur mon état ? Ou alors il s'inquiète juste pour la forme... Ce ne serait ni le premier, ni le dernier à le faire. De toute façon je pense que j'aurai droit qu'à ça. Des faux-semblant, de la fausse pitié, de la fausse appréciation. Bref que des illusions.

- C'est rien, je n'ai juste pas le moral très haut mais ça passera.

Mon moral n'est pas au top mais je ne pensais pas que ça se verrait autant. Habituellement j'arrive à donner le change mais apparemment aujourd'hui, non. Ce n'est pas dramatique. Le film me permettra de changer ça. Depuis le temps que la rupture est faite, je commence enfin à tourner la page mais il y a des jours où je fais une rechute. Aujourd'hui en fait partie et je découvre en même temps que ce genre de déception est plus compliquée à gérer qu'un simple rejet familial qui dure depuis des années. C'est donc si dur de se remettre d'une histoire de couple ? En tout cas une chose est sûre, on ne m'y reprendra plus à tomber dans ce piège qu'est censé être l'amour. C'est une belle connerie. L'homme à mes côtés me demande alors des renseignements sur un bon bar.

- Il y a un pub irlandais dont j'ai entendu dire qu'il est sympa et que les boissons sont bonnes. Je n'y suis encore jamais allée mais je connais son adresse.

Je lui donne alors l'adresse du pub irlandais puis les lumières s'éteignent pour laisser l'écran prendre le relais. Le film commence. D'après ce que j'ai entendu dire, il a été tiré d'un jeu vidéo. Il y avait une première version mais apparemment elle a fait l'unanimité dans le mauvais sens. Beaucoup ont critiqué et attendent de cette seconde version un meilleur résultat. N'ayant ni joué au jeu, ni vu la première version, je n'ai aucun moyen de comparaison. De toute façon je ne suis pas difficile en terme de film d'horreur. Du moment qu'il y a des morts, de l'action, des scènes sanglantes et que tout est cohérent, en principe j'apprécie.

Après quelques minutes de film, je sens une pression sur l'une de mes mains. Ca ne dure que quelques secondes heureusement. Je ne sais pas comment j'aurais pris si ça avait duré plus longtemps et si ça n'avait pas été un geste involontaire. Enfin si, je sais comment j'aurais réagi. J'aurais libéré ma main.

- Pas grave...

Pendant environ une heure et demi...ou peut-être plutôt presque deux heures, mon attention n'a pas quitté l'écran. J'aurais dû prendre du popcorn. Plusieurs scènes méritaient que je les regarde en grignotant. Tant pis. Le film se termine, l'écran s'éteint et laisse place à la lumière qui éclaire à nouveau la salle. Il est temps de quitter les lieux. Je me lève, prenant mon petit sac en même temps puis sors de la pièce à la file indienne. Une fois hors du cinéma, je m'approche de l'inconnu qui était assis à mes côté un peu plus tôt.

- Vous savez où se trouve l'adresse que je vous ai donné au fait ? Si vous le souhaitez, je peux vous y amener.

Ce sera peut-être plus simple pour lui puisqu'il vient d'arriver dans la ville. C'est vrai qu'en y réfléchissant bien, une personne qui est ici depuis peu, elle ne connaît pas forcément les adresses. Et cet homme, je ne sais pas s'il vient d'arriver à Londres en tant que simple retour ou si c'est la première fois qu'il pose les pieds dans cette ville.

Regarder un film d'horreur m'a fait beaucoup de bien. Etonnamment, voir des gens se faire bouffer et des zombies se faire zigouiller, ça m'a remontée le moral. À la fin du film, tout le monde est sorti à la file indienne. Et moi j'ai rejoint mon voisin dehors pour m'assurer qui puisse retrouver son chemin. Même si le GPS peut l'aider, je reste incapable de laisser une personne partir sans m'assurer qu'elle sache où aller. Et puisque je n'ai rien d'autre de prévu, je peux bien me permettre de jouer la guide touristique ce soir. C'est d'ailleurs ce que je vais faire avec l'homme.

Je me mets donc en route avec lui et le guide vers le bar tout en discutant avec l'inconnu. Plus si inconnu que ça en fait maintenant qu'il s'est présenté.

- Toi. Vous pouvez me tutoyer. En fait j'ai même une préférence pour ça. Je m'appelle Nia Alaput...

Vivement que je puisse changer de nom. Ca m'énerve de plus en plus de devoir me présenter avec celui de mes géniteurs. Je veux pouvoir me détacher de leur popularité et de leur réputation. En général quand je me présente, les gens ont tendance à croire que je veux devenir mannequin comme ma génitrice ou à me faire tout un discours à la con sur elle et mon géniteur. Il n'y en a pas beaucoup qui ne font aucun commentaire en rapport avec eux. M'enfin d'après ce que j'ai compris, il reste juste deux ou trois petits trucs à régler durant les vacances et j'aurai ma nouvelle identité.

Il vient donc de Californie ? Avec un peu de chance...ouais non j'oublie vite mon espoir. Ma génitrice est connue à l'international. Zut.

- J'y ai un peu songé, oui. Certains GPS ne sont pas très fiables parce qu'ils indiquent un lieu alors que la destination est à côté. Et puis avoir un guide rend la route plus sympa en principe.

Pendant notre marche, les sujets de discussion sont divers. En vérité, je ne peux pas dire avec précision de quoi on a parlé. Je n'ai pas tout écouté, au point que parfois Ryan s'est vu obligé de répéter. Mon esprit est trop souvent aux abonnés absents. Je reviens toutefois à la réalité lorsque je vois une main s'agiter devant mes yeux durant le trajet. Oups. J'ai encore été dans la lune au point de ne pas écouter ce qu'il m'a raconté.

- Euh...oui, oui.

Non, non. Je n'ai pas suivi. De quoi il me parlait ? Comment on en est arrivés à ce qu'il veuille me payer un verre ? Pendant le reste du chemin, je me torture l'esprit à essayer de comprendre comment on en est arrivés là. Le temps que je trouve une réponse inexistante, nous voilà déjà au bar irlandais. J'entre dans le bâtiment et je suis d'accord avec Ryan, le lieu a l'air vraiment sympa.

- J'vais retenir l'adresse aussi. J'étais jamais venue ici, j'en avais juste entendu parler mais j'aime bien l'ambiance qu'il y a.

Il passe ensuite commande et moi...je commande une limonade. J'ai hésité, je l'avoue. Boire une boisson que je n'ai jamais goûtée et risquer de ne pas la finir dans le cas où je ne l'aime pas ou boire un truc que j'aime à coup sûr ? Je prends la seconde option pour assurer le coup mais peut-être que plus tard je testerai autre chose. On verra.

- Euh bah...c'est pas grand-chose. Y a trois mois j'ai été plaquée et parfois ça me travaille un peu. Ce soir est un de ces jours où ça me travaille. J'ai d'ailleurs été regarder le film pour ne plus y penser et ça a fonctionné un moment avant que mon cerveau décide que ce serait plus drôle de me torturer à nouveau. Enfin bref rien de grave, ça me passera. Et vous ? Vous êtes en vacances ou vous venez de déménager ?

Je ne vois que ces deux options pour qu'un type soit présent pour la première fois à Londres. Soit il est en voyage, soit il vient d'emménager.

Rêvasser alors que je suis en pleine conversation...je me désespère. C’est rare que ça m’arrive et en général, c’est quand je pense à de la mécanique ou que je pars dans l’un de mes nombreux délires mentaux. Une fois installés dans le bar, nous avons rapidement commandé chacun une boisson. Puis la conversation reprend, me permettant d’apprendre que l’homme est en fait présent à Londres depuis plus longtemps que je ne l’imaginais. C’est seulement son travail qui l’a empêché de réellement visité la ville. En y réfléchissant bien, c’est vrai qu’être policier – je présume que c’est ça – ça ne laisse pas beaucoup de temps pour soi. Quand ils sont en couples, les conjoints ont souvent du mal à supporter leurs absences d’ailleurs. Pas tous, certes, mais la majorité.

Nos boissons sont ensuite servies, cassant un peu le silence qui s’installait puis lorsque le serveur retourne à ses occupations, notre discussion reprendre. Un chanceux qui me fasse sourire ? Mouais. Me faire sourire ne sera pas le plus difficile. N’importe qui pourra y arriver. Cependant il n’est plus question que je me mette en couple. Plus jamais.

- J’me torture plus. C’est juste que ça me travaille un peu de temps à autre et voilà. De toute façon me faire sourire n’est pas la tâche la plus difficile. Quant au chanceux, si c’est en tant que petit-ami, y en aura plus. Si c’est en tant que simple amitié, y en aura sûrement oui.

Je sirote légèrement ma limonade tout en écoutant les paroles de Ryan qui m’interroge sur un sujet personnel. Pourquoi j’ai été plaquée ? Qu’il me juge ou non, c’est le cadet de mes soucis. Je ne serais plus à ça de près.

- Il avait juste des sentiments pour un autre et maintenant ils sortent ensemble. Rien de très spécial.

Je suis de bonne compagnie ? Mouais. Je commence à croire que les gens ne me voient que pour ça. Enfin peu importe, je suis habituée à ce genre de truc. Et puis il est plutôt sympa et de bonne compagnie aussi. Quelque part on est quittes. Je laisse un petit sourire apparaître alors que je bois encore un peu de limonade.

- Vos potes devaient sûrement essayer de vous filer un coup d’une nuit. Ou vous rendre ivre pour faire des bêtises. Pourquoi vous n’avez pas voulu avec eux au fait ?

Je suis réellement curieuse. Dans mon cas, ça aurait été une simple préférence pour la solitude si j’avais été à sa place. C’est pareil pour lui ? Il voulait juste être un peu seul ? Dans ce cas, c’est loupé pour tous les deux. Notre solitude a été transformée en duo. C’est bien, hein ! Ce serait juste drôle comme situation. Deux couillons qui veulent être seuls et qui se loupent pour ça.

- D’ailleurs, vous êtes policier ? Vous m’avez parlé du commissariat mais c’est vague. Vous pourriez très bien être secrétaire, comptable ou je ne sais quoi là-dedans.