Détente aprés le Bal d'Indare [Mathieu]

Pendant quelques secondes, l’ascenseur resta immobile, dans un silence absolu. Puis une petite vibration se fit ressentir, accompagnée d’un bruit métallique étouffé, signe que la machine se mettait en mouvement. Cassy vint alors se plaquer contre lui, et lui voler un long baiser. Mathieu profita de la situation pour enfin l’enlacer comme il se devait, et profita de cet instant coupé de toute  possible interruption. Pourtant, même si ce moment était romantique au possible, il ne pouvait s’enlever de la tête cette promesse à peine voilée de Cassy quant à la nuit qu’ils allaient passer. Lorsque l’ascenseur s’arrêta et que la jeune femme libéra sa bouche, Mathieu tenta de calmer ses hormones.

Puis il entra à la suite de sa petite amie dans le grand loft, et il fut quasiment aussi impressionné que la première fois, à cela près qu’il connaissait une partie des lieux. Tout ce luxe moderne lui faisaient grandement relativiser son dortoir d’Indarë. Il alla payer son droit d’entrée auprès de Freddy en lui accordant quelques papouilles bien méritées pour une telle boule de poils remplie d’affection. Puis, une fois Cassy de retour, il lui répondit :

« Rien, merci, j’ai plus vraiment soif après tous les cocktails que j’ai bu là-bas… J’sais pas ce qu’ils ont mis dedans pour que ça ait cette couleur, mais ça m’a coupé l’appétit et la soif… »

Il se garda bien de proposer une activité, de peur de passer au choix pour un gros lourd, ou bien pour quelqu’un de peu original. En soit, la simple idée de passer une soirée devant une série avec Cassy lui paraissait être une perspective plus qu’agréable, étant donné qu’ils n’avaient que peu d’occasions de se voir. Mais celle-ci le devança et lui proposa une visite. La seule chose que Mathieu put répondre avant d’être entraîné fut :

« Attends quoi, ton appartement a un étage ?!! »

Puis il grimpa les escaliers et accéda au Saint Graal, la pièce que des milliers de jeunes gens auraient bien voulu explorer, la chambre de Cassy.

« Ou plutôt la suite impériale de Sa Majesté La Duchesse Cassy Andrews » rétorqua Mathieu, mi-époustouflé mi-ricaneur.

Puis Cassy prit une posture qu’il trouva parfaitement sexy, assise sur son lit avec les jambes croisées. Il alla s’asseoir face à elle, par terre. Il était encore trop pudique pour s’approprier cette pièce qui rassemblait toute l’intimité de la jeune femme. Il se positionna en tailleur, et tourna la tête pour analyser rapidement la pièce avant de se focaliser à nouveau sur l’actrice :

« Ça reste un million de fois plus luxueux que ma chambre tu sais… Mais bon, je vais sûrement avoir un appart l’année prochaine, donc je vais pouvoir quitter ces espèces de dortoirs… »

Perdu dans ses pensées, il laissa planer un silence un peu inquiétant, le regard fixé vers les deux émeraudes de Cassy, mais en même temps perdu dans le vide, en pleine réflexion. Au bout d’une vingtaine de secondes, Mathieu se ressaisit :

« Tu sais, c’est pas encore sûr mais… Je devrais rester à Londres l’année prochaine. J’ai postulé dans des écoles de commerce ici. C’est cher mais mes parents croient en moi. Je croise les doigts parce que sinon je devrais rentrer en France pour aller poster mes fesses à la fac, et là… »

Nouveau silence, comme s’il voulait éviter de dire que tout serait plus compliqué s’il devait rentrer au pays. Déjà que leur situation était complexe, la frontière pourrait aggraver tout cela. Il ne voulait pas faire de faux espoirs à Cassy, mais il se voulait rassurant. Et un peu malgré lui, il se confia sur son incertitude quant à son avenir :

« Mais faut pas s’en faire, j’ai un bon doss’. Indarë est une école réputée, et si on allonge l’argent, ils devraient me prendre. Même si j’sais pas vraiment encore vers quoi ça va me mener… J’ai aucune idée de ce que je veux faire plus tard. Mais au moins, je veux m’ouvrir des portes, avoir le choix… »

Il secoua la tête, comme s’il venait de se prendre de l’eau sur les cheveux, puis pouffa un peu nerveusement en se grattant la nuque, l’air désorienté :

« Haha mais je t’embête avec mes histoires, le principal c’est que je reste pas trop loin de toi. Désolé, c’est juste qu’avec la fin de l’année ça bouillonne un peu dans ma tête, j’me sens perdu… (Il posa son index sur sa lèvre inférieure) Dis, tu as une idée de ce que toi tu aurais voulu faire ou être si tu n’avais pas eu cette carrière ? »

Le garçon haussa un sourcil lorsque Cassy lui expliqua que Hans connaissait quelqu’un susceptible de lui faire intégrer une grande école de commerce. Il réfléchit quelques instants à cette offre de piston à peine voilée. Si elle était alléchante potentiellement, il savait qu’il ne la garderait qu’en dernier ressort. La vie indépendante qui l’attendait lui semblait intéressante, et il n’avait pas envie de rentrer vivre chez ses parents. Et puis, avec la bonne réputation d’Indarë, il pourrait y arriver tout seul, même si ses notes étaient relativement peu élevées. Et puis, vu comment Hans l’avait accueilli les deux dernières fois, il préférait éviter de lui demander un service…

Mathieu accepta alors avec joie le baiser de Cassy, puis il pouffa en entendant sa réponse. Elle ne s’était même jamais posé la question ? Il trouva cette réponse amusante. Non pas qu’il se moquait d’elle, mais plutôt que ses angoisses quant à son avenir devaient lui paraître bien étranges. Mais il aurait sûrement fait la même chose à sa place. Puis, alors qu’il souhaitait insister, lui demander ce qu’elle aimerait faire si elle voulait mettre fin à sa carrière, l’adolescent la vit se lever et se dévêtir devant lui, sans aucune gêne. Dans un premier temps, il détourna le regard, timide. Puis, il se souvint qu’il était peut-être la seule personne à être autorisé à apprécier le spectacle hors du cadre des tournages. Un sourire niais barra son visage, tandis qu’il admirait les courbes et le corps de l’actrice. Comme à chaque fois, il imagina la tête de ses camarades d’Indarë s’ils savaient. Quant à Justine, eh bien… Il secoua la tête pour se sortir cette idée de la tête. Peut-être qu’elle se remettra rapidement de cette déception, après tout.

Puis Cassy lui annonça alors d’un ton tout à coup très enjoué qu’elle avait quelque chose à lui dire. Mathieu sortit de sa rêverie contemplatrice et regarda la jeune femme dans les yeux, intrigué.

« Tu peux me le dire, je serais muet comme une tombe. Mais tu sais bien que je ne dévoile jamais rien de toute façon ! »

Puis l’annonce arriva. Dans une joie communicative, Cassy se mit à taper dans ses mains, et Mathieu se leva pour aller l’enlacer avec fierté :

« C’est beaucoup trop cool Cassy ! La vache, j’adorais y jouer quand j’étais en France ! Faudra que je m’achète une console pour pouvoir jouer avec… Bah toi, haha ! »

Mathieu se souvenait de ses escapades dans la France révolutionnaire, dans l’Italie de la Renaissance,… L’idée de pouvoir contrôler Cassy dans ce genre d’univers lui paraissait très plaisante. Il prit sa respiration pour demander plus d’informations, puis se ravisa et se leva :

« Mais me dis pas dans quel univers ça va être, j’veux avoir la surprise… Mais waow, c’est fou ça ! Ça va booster ta carrière encore plus ! Par contre, ça doit être physique, non ? »

Il attendit la réponse, puis prit un air sérieux. Le jeune homme se dirigea alors vers la porte de la chambre, puis se tourna pour regarder Cassy, en se grattant le menton et en la jaugeant des pieds à la tête. Puis, avec un sourire satisfait, il se rapprocha à nouveau de Cassy :

« J’essayais de t’imaginer en assassine… Et tu devrais être BEAUCOUP TROP CLASSE ! J’suis trop content pour toi ! »

Il l’enlaça à nouveau, l’image d’une Cassy encore plus badass que dans la série en tête. Puis, d’une voix teintée de malice, il lui susurra à l’oreille :

« J’espère juste que rien ne m’arrivera pendant la nuit… »

Cette proximité tranchait avec les cafouillages du bal de promotion, mais ce n’était pas pour déplaire à Mathieu. De plus, il n’avait pas vraiment eu le temps de se poser réellement avec Cassy, du fait de son emploi du temps et de ses examens finaux. Les mains de l’actrice dans son dos étaient encore fraîches, mais il réprima le léger frisson qui l’avait gagné. Enfin, il pouvait se laisser aller. L’Institution était derrière lui, avec ses contraintes mais aussi ses bons moments, mais il avait l’impression de respirer à nouveau, même s'il sentait les cheveux de Cassy lui chatouiller les narines.

Mathieu resta d’abord perplexe devant une telle déclaration de Cassy.

« Attends attends attends… Elle est VRAIMENT en train de me dire de jouer aux jeux vidéos devant elle là ? » pensa-t-il.

A vrai dire, il avait grandi avec l’impression, souvent vérifiée, que le fait d’évoquer le jeu vidéo comme loisir représentait l’inverse d’un aimant auprès de la gente féminine. Aussi, cette proposition le surprit. Il ne sut si Cassy plaisantait ou non, mais ses baisers dans le cou paraissaient sincères, au moins. Alors il la laissa faire et réfléchit :

« Je risque d’avoir perdu en niveau, j’y ai pas beaucoup joué à Indarë… Mais j’pourrais tenter si vraiment ça te dit ! »

Puis, il sentit ses joues rosir à une vitesse folle lorsqu’elle fit allusion à leur nuit mouvementée en France, la seule qu’ils aient réellement passée ensemble. Mathieu détestait avec amour lorsqu’elle faisait ça, il avait l’impression à la fois gênante et très plaisante d’être sa chose. Les hormones et la fougue de l’amour, cela faisait griller quelques fils dans son cerveau et l’empêchait d’avoir des idées vraiment claires. Il bredouilla quelques syllabes inintelligibles, puis succomba à la tentation des lèvres et de la langue de l’actrice. Rien pour arranger l’état de ses pommettes, en somme.

Lorsque le besoin de respirer mit fin à leur étreinte, Mathieu, l’air peut-être un peu enfantin, baissa timidement ses mains jusqu’à la taille de la jeune femme, et tenta une réponse plus articulée, même s’il n’était pas habitué à ce genre d’allusions de la part de Cassy :

« J’essaie toujours de faire de mon mieux, disons… Et j’aime bien ne pas décevoir mes… partenaires de jeu... »

Il lui embrassa ensuite tendrement le front en pouffant un peu et s’éloigna un peu pour respirer plus facilement. Avoir vu Cassy nue, s’être collé contre elle, puis maintenant ces allusions… Cela lui avait donné assez chaud. Il fit quelques pas en arrière et tenta de porter son regard sur autre chose. L’énorme lit de la pièce fit alors son effet sur lui, puisqu’il le faisait presque fantasmer. Non pas pour les raisons que l’on croirait, mais parce qu’il avait vu de nombreux films où les stars dormaient dans des lits au confort hors de portée de l’être humain moyen.

« Dis, je peux ? » (Il pointa le lit du doigt)

Mais l’envie était trop forte. Après un pas d’élan, il sauta, bras en croix sur le lit, d’un moelleux parfait qui l’absorba de façon naturelle, comme si le matelas avait été fait pour lui, avec l’odeur de Cassy imprimée dans les draps. Il se retourna et se re-retourna, pour tester chaque centimètres du lit, avant de lâcher :

« T’en as de la chance de dormir là… J’ai jamais rien vu de plus confortable ! »

Puis il posa ses coudes derrière lui, en position semi-allongée, et lança un sourire enfantin à sa petite amie.

Rapidement, le sourire innocent et sincère de Mathieu se décomposa, au fur et à mesure que Cassy prononçait ces mots, qui vinrent le heurter en plein visage. Il sentait bien que l’actrice n’était pas à l’aise, et son regard fuyant en disait déjà plus que ses mots. Il se contenta de hocher la tête après sa première tirade, cherchant à choisir ses mots pour lui faire comprendre une bonne fois pour toute que…

« QUOI?! IL T’A DIT QUOI CE CONNARD?! »

Comme à chaque fois que ses émotions parlaient avant son cerveau, il avait craché ces mots en français. Craché était d’ailleurs le terme juste. Non pas qu’il ait réellement postillonné sur Cassy, mais il s’était soudainement relevé, et arborait un air furieux, limite agressif. Il ne se l’était jamais avoué, mais il vouait depuis quelques temps déjà une haine intérieure contre Hans. Il ne le critiquait pas frontalement devant Cassy, puisqu’il était l’une des personnes les plus proches d’elle et accessoirement son partenaire à l’écran. Cela le faisait le haïr encore plus. Mais savoir qu’il se permettait de mettre des accusations de cet ordre sur son dos… Il trouvait ce comportement ignoble.

L’air toujours furieux, Mathieu baissa les yeux sur le bras de la jeune femme. Il écarta d’un geste vif mais sans violence sa main de son avant bras rougi. Il planta ses yeux sévères dans ceux de Cassy, mais décida de ne pas la prendre dans ses bras. Ses mains étaient occupées à serrer les doigts pour tenter de contenir son emportement. Il expira un bon coup pour redescendre un peu en pression, et pour remettre la machine de l’anglais en marche. Son ton était sec, même s’il tentait de son mieux de l’adoucir et d’utiliser des mots appropriés :

« Alors. Déjà, je sais que tu tiens beaucoup à… Hans. (Ce nom lui arracha une grimace) Mais personnellement, j’en ai rien à foutre de ce qu’il pense. Je sais ce que JE pense, ce que JE ressens, ce que JE te dis. »

Il passa la main droite sur son visage, après avoir réussi à la dé-crisper. Il resta quelques longues secondes le visage enfoui, avant de la faire remonter jusqu’à sa tignasse violette, qu’il secoua d’un mouvement de paume. Il réfléchissait, et il ne voyait toujours pas comment Cassy pouvait penser cela…

« Tu t’souviens de ce que je t’avais dit au parc d’attractions ? Parce que j’ai pas l’impression, là, tout de suite. Je t’avais dit que tu étais la première personne envers qui je me dévoilais. La seule personne avec qui je me sentais bien. La seule personne qui me faisait sourire le matin. La seule personne qui… (Sa voix tremblait à nouveau comme à l’époque de ces souvenirs qui revenaient en son esprit) T’étais la seule personne à qui j’avais dit ces mots là. Et tu veux savoir ce qui est le plus dingue ? C’est que t’es toujours cette personne. »

Perdu entre sa colère et ses souvenirs, il tituba lorsqu’il voulut un peu s’éloigner, gagné par le contrecoup de la colère, une tête qui s’échauffe. D’autant plus qu’il n’avait pas pour habitude d’être sanguin. Il fit quelques pas et posa sa main sur un meuble pour reprendre ses esprits, en biais par rapport à l’actrice, à qui il ne laissait pas beaucoup le temps de parler. Puis, avec des yeux toujours sévères, même si légèrement rougis, il reprit :

« Et tu me… Tu oses me demander ça ? J’sais bien que dans ta situation c’est compliqué… Mais bordel quoi, il faut que j’fasse quoi pour que tu comprennes que j’suis sincère ? J’ai jamais été aussi sincère que ce jour là dans toute ma vie ! Que tu sois actrice, étudiante, caissière ou prof je m’en contrefous… Si j’voulais sortir avec l’actrice, je ferais pas tout mon possible pour essayer de garder Cassy auprès de moi. Je ferais pas tout ce que je peux pour essayer de rester anonyme. Je ferais pas tout ce que je peux pour essayer de te faire te regarder comme personne ne te regarde. »

Il renifla et essuya du bout d’une phalange le début de larme qui pointait le bout de son nez. A vrai dire, pour quelqu’un de réservé comme lui qui avait enfin réussi à s’ouvrir, il avait très mal vécu ces mots. C’était comme si elle venait de balayer cet effort sincère qui avait été le sien. Ses dents étaient serrées. Il releva les épaules, se racla la gorge et reprit d’un ton calme, à la fois cassant et triste :

« Tu m’as demandé de tout faire pour que tu puisses te sentir normale, pour que tu puisses te fondre dans mon monde. Si tu le veux vraiment, alors arrête d’essayer de tout faire pour te raccrocher au tiens. »

Il n’aimait pas donner des ordres. D’ailleurs, ce n’en était même pas un. Dans la forme, si, mais il savait bien que Cassy en ferait ce qu’elle voulait. Il décontracta lentement ses muscles, maintenant que ce qu’il avait dans le cœur était ressorti.

Mathieu observa d’un regard toujours froid les réactions de sa petite amie. Il avait certainement été cassant, plus que ce qu’il ne l’aurait voulu, lui qui ne dévoilait guère ses émotions. Les événements qui l’avaient amené à quitter son lycée en France lui avaient bien fait comprendre cela, même si la situation était radicalement différente. Mais il s’était exprimé sans réel filtre, bien qu’il ait fait attention à ne pas s’attarder sur le cas de Hans. Il se promit d’aller lui toucher deux mots quand l’occasion se présenterait. Cela ne changerait certainement rien. Mais il souhaitait dorénavant le confronter, pour lui dire ses quatre vérités. Mais aussi pour voir la jalousie jaillir de ses yeux de beau gosse trop sûr de son charme. Il en était persuadé, Hans était jaloux de lui. Peut-être pas, il ne le saurait certainement jamais. Mais cette simple perspective lui permettait déjà de ressentir une certaine satisfaction de vengeance.

Il laissa Cassy s’approcher de lui, et la laissa l’enlacer. Il la voyait si rarement, encore moins dans ce cadre là, chez elle. Comment la repousser ? Il ne l’aurait de toute façon pas pu. Bien qu’irrité, il ne parvenait pas à lui en vouloir bien longtemps. Et la simple chaleur de ses mains sur sa peau participait à le ramener à son état normal, celui d’un adolescent bien moins sanguin que ce qu’il avait pu paraître pendant un instant. Il soupira lorsque l’actrice se dévalorisa, comme pour le flatter. Il eut voulu lui répondre, lui dire que le simple fait de s’introduire à ce bal était déjà une preuve incroyable de son affection pour lui. Mais il se contenta de fermer les yeux. Il aurait l’occasion de le lui dire bien assez souvent.

Puis la chaleur disparut de son corps, ce qui lui fit tourner la tête et lâcher un :

« Huh ? Bah... »

Puis Cassy exposa son plan. Cette aisance avec laquelle elle parvenait à déjouer ce qui lui était interdit l’impressionnait. Lui-même avait dû inventer de nombreuses excuses au cours de sa vie, ne serai-ce que pour couvrir ses virées nocturnes à Indarë. Il entrevit alors l’image de son manager, sautant frénétiquement sur place, se demandant pourquoi c’était à lui de gérer la carrière et d’assurer la sécurité d’une jeune femme comme elle. Il l’écouta, dubitatif. Tout parait si simple quand on a des gens pour s’occuper de soi… Mais l’idée ne lui déplût pas, au contraire. Pour la première fois depuis quelques minutes, un petit sourire apparut sur son visage auparavant crispé. Il s’agrandit lorsqu’elle vint se blottir contre lui. Respirant une fois de plus l’odeur si particulière et si rassurante de Cassy, il fit durer cette étreinte en posant doucement sa joue contre son cuir chevelu. Puis, il posa ses lèvres sur les longs cheveux de l’actrice et déclara, en reposant sa joue à son emplacement initial :

« J’aurais une école, j’aurais un appart’… C’est hors de question que je retourne en France… Déjà que c’est galère de se voir à Londres, j’imagine même pas… »

Il répéta l’opération bisous-joue-sur-la-tête, puis reprit, comme apaisé par la force des bras de Cassy :

« Je t’en veux pas, tu sais. Même si je le voulais, j’y arriverais pas… T’as rien à me prouver non plus, je veux juste que tu restes Cassy. J’adore l’actrice, mais j’aime Cassy. J’ai appris à distinguer les deux, et même si l’actrice déboîte des zombies et s’habille en assassin, Cassy, elle, je peux la prendre dans mes bras. »

Rebelote, mais avec un baiser sur le front cette fois, et plus prononcé :

« Et pour ton plan, je suis carrément pour. Tu vas voir, ma vie ne se résume pas qu’aux parcs d’attractions et aux bals de fin d’année. Il y a des moments chiants aussi, des moments où je rêverais d’être comme toi, connu, riche. Mais toi aussi, il y a des moments où tu voudrais avoir ces moments chiants, où il n’y a pas de pression. J’trouve qu’on a beaucoup de choses à s’apporter. Je vais te faire voir comment ça marche, de mon côté. Qui sait, je pourrais peut-être t’incruster dans mes cours. Tu verras comment se passent des relations de gens lambdas, et tout... »

Puis il marque une pause et décolla sa joue en se baissant pour être au niveau du visage de Cassy :

« Et tu vas voir ce que ça fait d’être regardée pour ce que tu es vraiment. Et crois mois, tout le monde va t’adorer ! »

Il l’embrassa avec engouement après ces mots, comme pour sceller cette promesse. Il n’en savait rien, mais il était persuadé qu’une personne qui avait pu nouer des liens avec lui, qui n’était pourtant pas le plus sociable des êtres humains, arriverait sans mal à se débrouiller dans son monde à lui.

« Et puis, je serais ton guide, comme tu as été le mien en France. Tu vas voir, c’est pas si compliqué que ça ! Faudra juste que t’évites de venir chez moi dans la voiture de ton chauffeur… »

A cette image, il ricana. Puis il reposa ses yeux dans les deux émeraudes de Cassy. Un sourire s’étira lentement sur ses lèvres, alors qu’il se demandait par quelle miracle cette « simple » jeune femme arrivait à lui faire vivre des émotions aussi extrêmes et opposées en quelques instants.

Mathieu était rassuré de cette soudaine détente d’ambiance. Il n’arrivait pas à s’énerver contre elle bien longtemps. Quelques légers relents de frustration restaient néanmoins, et l’image de cet acteur qui faisait le beau à l’écran mais était pour lui une personne détestable flottait toujours dans son esprit. Il était l’inverse de Cassy, qui, elle, semblait beaucoup plus humaine ainsi, sans fioriture. Il leva les yeux au ciel en soupirant lorsqu’elle lui annonça qu’il ne la reconnaîtrait même pas. Il eut envie de lui rétorquer que des filles qui viendraient sonner chez lui n’allaient pas courir les rues, mais étant donné sa sensibilité, il préféra laisser ce trait de mauvais humour là où il était.

Puis, il sentit monter le rose à ses joues. Un seul lit ? Eh bien, il ne comptait de toute façon pas dormir sur le canapé, qui, malgré s taille, devait être monopolisé par la boule de poils préférée de l’actrice. Il se contenta d’un hochement de tête gêné et alla se sagement dans la salle de bain. Une fois la porte verrouillée, il se rendit compte qu’il n’avait pas d’affaires de rechange. D’un haussement d’épaule, il se résolut à garder ses habits. Après tout, il s’était fait beau pour la soirée, autant rester beau devant Cassy. Et puis, il s’aimait bien dans son petit smoking.

Il se lava rapidement, cherchant comment activer le jet d’eau classique sur cette douche dernier cri. Une fois la découverte faite, il commença à se rhabiller avant de poser les yeux sur un peignoir accroché à la porte. Pudique, il l’enfila avec toujours un caleçon en dessous. Il écouta Cassy et tira la langue lorsqu’il l’entendit prononcer le prénom de Hans. Il laissa passer quelques secondes en l’insultant intérieurement, puis répondit en sortant de la salle de bain et en ébouriffant ses cheveux humides :

« Ça lui passera pas. Et honnêtement, j’en ai rien à foutre. Je te demande pas de choisir, parce que j’ai aucun droit sur toi ou ta carrière. Par contre, j’veux plus jamais croiser sa tête de… Enfin bon, t’as compris. On s’aime pas, et je compte pas l’apprécier un jour. »

Une fois ébroué, un sourire apparut sur son visage et Mathieu voulut évacuer rapidement le sujet. Il tendit les bras, en sautant pour faire demi-tour, puis en sautant à nouveau pour refaire demi tour :

« Tadaaaa ! Hey, il me va bien ce peignoir non ? Ça vaut pas le costard, mais quand même… »

Il pouffa tout seul à ses enfantillages, comme souvent. Mais après tout, elle allait devoir le supporter pendant deux semaines. Autant qu’elle soit préparée. Mais Cassy ne semblait pas en reste, et alors que Mathieu s’asseyait au bord du lit, il fit une grimace devant les surnoms proposés. Mais il commençait à la connaître. Quelques instants de silence et ce visage sérieux lui mirent la puce à l’oreille. Il passa doucement la main dans les cheveux de Cassy avant de se pencher vers elle et de murmurer, à quelques centimètres de sa bouche :

« Les deux me vont, mon petit sucre d’orge sucré d’amour de mon cœur... »

Il se mit alors à rire face au ridicule de ce surnom beaucoup trop mielleux. Puis il regarda Cassy avec les mêmes yeux que quelques mois auparavant, et l’embrassa amoureusement et fougueusement…