Enfin, un moment de détente... ? [PV Cassy Andrews]

Assis sur un banc près de l’entrée du parc, Mathieu attendait un peu anxieux l’arrivée de Cassy. Il était venu en avance, ce qui était rare venant de lui. Les nuages cachaient un peu le soleil, mais le temps restait doux en ce début d’après-midi, sans réellement de vent pour venir le décoiffer. Il regardait les groupes de personnes, souvent des jeunes de son âge, vagabonder dans le grand parc d’attraction, l’air excité par ce qu’ils avaient prévu de faire. Il observait d’un œil las la grande roue qui s’élevait, avec les cabines qui montaient puis descendaient lentement dans un mouvement hypnotisant.

Cependant, Mathieu n’était pas venu en simple touriste. Cassy et lui avaient rendez-vous ici pour qu’il lui fasse oublier ses soucis. Et puis, elle voulait découvrir son monde à lui, un monde loin des paillettes, loin des caméras, un monde où l’on n’est qu’une personne de plus dans la masse des gens et où l’anonymat est roi. FantasyLand, c’était exactement l’endroit idéal pour ça.

Pourtant, le jeune homme restait légèrement angoissé. A tout moment, lorsque Cassy arrivera, quelqu’un pourra la reconnaître dans la foule. Elle devait savoir gérer ce genre de situations, mais Mathieu appréhendait. Il s’imaginait des mouvements de foule de fans hystériques, qui voudraient approcher la star pour la voir, la toucher, lui demander un autographe ou une photo, tels des zombies qui…

« Arrête Math, tu regardes trop de séries... » pensa-t-il en secouant la tête. « Ça va bien se passer. »

Du moins, il s’en persuadait. Il avait préparé ce rendez-vous en étudiant le parc, sans pour autant en faire un circuit touristique. Il voulait garder son côté naturel, mais il avait besoin de savoir où il mettait les pieds. Il avait donc repéré les principales attractions, en s’aidant de ses souvenirs de la semaine d’intégration. Il savait aussi quelles grandes artères passantes il leur valait mieux éviter pour rester discrets. Mais si Cassy voulait se lancer sur ces allées, il ne s’y opposerait pas, puisqu’elles contenaient certaines des meilleures attractions à ses yeux.

Et puis, il y avait la grande roue, celle qu’il observait tout à l’heure. Avec un sourire en coin, il repensa à ce qu’il avait pu lire sur internet :

Citation :

« Une légende dit que quiconque monte à bord viendra à embrasser son ou sa partenaire de cabine »

Il n’était pas spécialement superstitieux, mais cette légende urbaine lui avait donné du baume au cœur. Il avait rapidement imaginé la scène dans son esprit avant de se séparer de cette idée. C’était tellement cliché…

Néanmoins, il n’était pas venu les mains vides. Les billets d’entrée étaient dans l’une de ses poches, afin qu’ils n’aient pas à faire la queue pendant de longues minutes. De plus, il avait pris des billets « premiums », afin de pouvoir couper les files d’attente aux différents manèges. Il n’avait rien dit à son amie, pour lui faire une petite surprise. Il espérait juste qu’elle n’avait pas eu la même idée que lui…

Finalement, après un petit quart d’heure d’attente, Mathieu aperçut enfin la silhouette qu’il attendait, mais il ne lui fit pas signe qu’il était là. Ça aurait été le meilleur moyen de se faire remarquer… Il se leva donc, sourire aux lèvres, pour aller à la rencontre de l’actrice :

« Hey ! J’espère que tu n’as pas trop mangé, parce que j’ai repéré des attractions sympas, mais j’aimerais bien ne pas avoir à nettoyer un autre pot de fleur... »

Sur ces mots, il lui fit un clin d’œil et lui tendit son ticket d’entrée. L’après-midi détente pouvait donc commencer.

Mine de rien, à Mathieu reconnaissait un talent certain aux personnes qui étaient chargées de s’occuper de Cassy. La perruque faisait quasiment naturelle pour un œil non-averti, et les vêtements permettraient certainement à la jeune femme de se fondre dans la masse. Il était impressionné par leur créativité, tant dans la série que pour camoufler leur starlette.

Il ricana à la blague de Cassy. Mouais. Pour Mathieu, elle avait surtout achevé une pauvre plante déjà assez mal en point. Mais passons. Alors qu’ils se dirigeaient tous les deux vers  le contrôle des tickets, il dévisagea l’actrice d’un air beaucoup trop sérieux pour être crédible :

« Mmmmh… Non, le crâne rasé ne serait pas allé à ton teint. »

En réalité, il n’en avait aucune idée. Et puis il n’arrivait même pas à l’imaginer chauve, alors… Tout en arrivant à l’entrée, Cassy lui prit la main et lui posa une question qui l’interpella. Elle était venue à la semaine d’intégration, elle l’avait vu, et elle ne lui avait rien dit ? Il se rappelait la difficulté de sa situation de l’époque, mais il trouvait quand même cela dommage.

Pourtant, il ne savait pas véritablement de qui elle parlait. A vrai dire, Mathieu avait sympathisé avec pas mal de filles, mais peu de garçons. L’avait-elle vu en compagnie d’Ailis ? Il ne se souvenait pas l’avoir croisée ce jour là… Alors ça devait être… Il était partagé entre la tristesse du départ de Holly et son envie de faire une petite blague à Cassy. Ayant plus ou moins accepté le départ de son ancienne correspondante, il opta pour la deuxième solution :

« Ça devait être Holly. Une amie d’Indarë. Enfin, amie… Disons qu’on est plus ou moins ensemble actuellement... » annonça-t-il avec un sourire malicieux qu’il ne parvenait guère à cacher. « Enfin, disons qu’on est très, très proches. »

Il observa la réaction de Cassy afin de déterminer si son stratagème faisait effet. Qu’il fonctionne ou non, Mathieu savait qu’il s’était fait la promesse d’arrêter les (gros) mensonges quand il avait posé le pied sur le sol anglais. Il rectifia ensuite le tir, en accentuant un peu la pression sur la main de la jeune femme :

« Non, je plaisante. C’est mon ancienne correspondante anglaise du collège. On s’est croisé par hasard à l’Institution, et on est redevenus hyper potes. Mais sans plus, hein ! Et puis, il y a quelques mois, elle est partie. J’ai plus eu de nouvelles, et je sais pas pourquoi... »

Il se garda bien de préciser les circonstances de leur rencontre, et le fait qu’il avait été à ÇA de lui révéler leur aventure française, emporté par l’enthousiasme de revoir son amie. Néanmoins, il voulait être transparent avec Cassy, comme elle l’avait été l’autre fois. Et puis, elle ne le connaissait pas tant que ça, comparé à lui qui suivait tous les membres de l’équipe sur les réseaux sociaux.

Puis, Cassy entra la première, laissant le jeune français fermer la marche. Après un « Bonne journée Monsieur » d’un vigile apparemment de bonne humeur, il rejoint la star qui reprit sa main. Mathieu resta étonné par la taille des allées du parc et par le monde. Il était encore assez tôt dans l’après-midi, mais les visiteurs étaient déjà assez nombreux. Et la situation n’allait pas aller en s’améliorant.

Il porta l’index de sa main libre sur ses lèvres. Son regard balaya l’entrée du parc, cherchant une attraction relativement calme pour commencer. Après tout, il avait mangé il y a seulement quelques heures. Finalement, son instinct le guida vers une sorte de petite montagne russe sur le thème du far-west, apparemment. Pas de looping ni de spirales, mais des descentes assez hautes et raides pour avoir quelques sensations.

« Celle-là te convient ? On commence soft, si tu veux faire des trucs plus extrêmes, on verra après ! »

Puis, il se dirigea vers l’attraction, ne lâchant pas la main de Cassy. La file d’attente était longue pour pouvoir avoir une place, mais Mathieu présenta ses billets premiums à la personne qui gérait le manège. D’un hochement de tête, il leur fit signe de passer devant tous les autres visiteurs. Il leur adressa un sourire moqueur. Il leur aurait même tiré la langue s’il avait pu, mais il se dit que cela ferait mauvais genre à côté de son amie.

Il s’installa sur un des premiers wagons lorsque ceux-ci arrivèrent et firent descendre leurs passagers. Le freinage avant l’arrivée semblait plus brutal que prévu. L’attraction n’était peut-être pas aussi « soft » qu’il le pensait finalement, mais ils pouvaient difficilement marche arrière.

Mathieu s’installa ensuite, tandis que le technicien vérifiait que la barre de sécurité était bien enclenché, puis il attendit le départ, un peu anxieux. Un petit décompte s’afficha sur la droite des wagons, tandis que le technicien se faisait aussi animateur. Dans un jeu d’acteur très exagéré, il sortit une visse et un boulon de sa poche et fit mine de paniquer, pour tenter d’effrayer les passagers.

Mathieu étudia la réaction de Cassy, puis posa sa tête dans le fond de son siège. Il se rendit compte qu’il tenait toujours la main de la jeune femme, comme pour la rassurer. Ou pour se rassurer lui-même. Certainement les deux, d’ailleurs.

Puis le décompte toucha à sa fin, et l’accélération comprima légèrement la cage thoracique de Mathieu, tandis qu’ils prenaient subitement de la vitesse...

Mathieu ne comprit pas tout de suite qu’il avait merdé dès le début. Pris dans l’excitation de ces petites montagnes russes, il n’avait jeté que quelques coups d’œil à sa voisine entre deux cris lors des descentes. Lorsque le train s’arrêta enfin, Mathieu attendit que la barre se relève et en profita pour se recoiffer, tandis que Cassy sortait de son côté. Il se décida à s’extirper du wagon étroit, quand il aperçut le technicien faire des signes à la jeune femme. Il fronça les sourcils, en pensant qu’elle avait été repérée. Mais finalement, c’était une fausse alerte. Ouf.

Il sortit alors de l’attraction, bien décidé à en enchaîner une autre, et ils avaient plus que l’embarras du choix, dans ce temple du divertissement. Pourtant, alors qu’ils se remettaient en route dans l’allée et que Mathieu tournait la tête à la recherche d’un manège qui lui conviendrait, il entendit Cassy l’appeler d’une voix qui n’annonçait rien de bon, avant de se poster devant lui. Pendant un instant, il crut qu’elle se sentait mal après l’attraction, et allait lui proposer de s’asseoir un moment. Mais elle le prit de vitesse et enchaîna.

Il fut à la fois surpris et compréhensif vis-à-vis des déclaration de la jeune femme. Il ne pensait pas à mal en lui faisant cette plaisanterie, et il pensait qu’elle allait la prendre à la légère. Mais les mots qu’il avait utilisé semblaient l’avoir profondément troublée. Son visage paraissait en effet plus fermé que lorsqu’il l’avait saluée tout à l’heure. Mais elle avait quand même choisi d’être transparente avec lui, et de rester, ce qui était tout à son honneur.

Mathieu se mordit la lèvre inférieure, sachant qu’il avait fait une bêtise. Par le passé, ses mensonges lui avaient déjà attiré des problèmes. Ici, même camouflée sous les traits d’une blague, il réalisa qu’il avait surtout exprimé sa jalousie. Inconsciemment, il avait aussi voulu rendre Cassy jalouse. C’était bas, c’était mesquin. Mais il n’avait jamais réellement ressenti ce tiraillement auparavant, et il n’avait pas su le gérer. Après tout, la pauvre actrice n’avait pas besoin de subir ce que lui ressentait, avec les problèmes qu’elle se traînait déjà.

Suite à cette réflexion, il posa doucement ses mains sur les épaules de la jeune femme, un peu incertain. Il espérait qu’elle ne le repousserait pas. Si c’était le cas, il allait quand même tenter de lui parler les yeux dans les yeux. Même si le monde grouillait autour d’eux, entre musique, appels des forains au micro et cris d’enfants, il se sentait seul face à Cassy.

« Écoute… C’est pas ta réaction qui est débile, c’est moi… C’est vrai que c’était de mauvais goût et je sais maintenant à quel point tu n’as pas besoin que j’en rajoute, surtout en ce moment. Je suis désolé Cassy... »

Il n’avait pas l’habitude de s’excuser, mais il s’exécutait franchement pour une fois. La jeune femme faisait partie des personnes qu’il ne souhaitait pas perdre, alors il força son caractère et sa nature introvertie, et continua :

« C’est la première fois que je ressens ça, mais… J’étais jaloux, j’ai mal réagi, très mal même. Je te fais la promesse que je ne referais plus cette erreur. J’ai pas envie… pas envie de gâcher notre après-midi. Surtout pas celui-là... »

Sur ces mots, Mathieu esquissa un début de sourire, pour essayer de faire comprendre à son amie qu’il était sincère. Il entrouvrit à peine la bouche, puis il se ravisa. Il aurait aimé lui embrasser la joue ou le front, comme pour témoigner de sa promesse, mais il appréhendait sa réaction. Finalement, il tenta timidement, un peu à la manière d’un enfant, de lui reprendre la main, pour reprendre leur chemin vers de nouvelles sensations, tout en lui laissant le temps de répondre auparavant. Au fond de lui, il s’insultait, lui et ses idées débiles. Ce n’était pas la première fois qu’il se mettait dans des situations désagréables aux conséquences parfois lourdes, mais il prenait celle-ci particulièrement à cœur.

Mathieu se décontracta, soulagé de la réaction de Cassy. Il savait déjà que l’humour n’était pas son principal atout en tant qu’être humain, mais la prochaine fois il tournerait sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir sur un coup de tête. Enfin, s’il y pensait…

Les deux jeunes gens reprirent alors leur route, tandis que les appréhensions de Mathieu se dissipaient progressivement. Il n’était certainement pas guéri de sa jalousie, mais il savait désormais qu’il ne fallait pas trop titiller son idole. Pourtant, alors qu’il continuait de lever les yeux pour tenter d’apercevoir une attraction qui lui plaisait, il fut arrêté par Cassy, ce qui le fit chanceler un peu. Même si elle n’avait pas des bras très puissants, le jeune homme n’était pas bien lourd.

« A moi de choisir. On va là. »

Avant même qu’il ait pu retrouver l’équilibre, Cassy le traîna d’un pas assuré à l’intérieur d’un labyrinthe. Peu rassuré, Mathieu suivit tout de même la jeune femme. La dernière fois qu’il s’était engouffré dans une sorte de labyrinthe, c’était de façon tout à fait illégale dans les coulisse d’un concert de rock, avec une de ses amies. Il tenta de se donner du baume au cœur en se disant qu’au moins cette fois, il ne risquait pas de se faire arrêter au détour d’un couloir.

Cassy semblait s’amuser avec les miroirs, mais ceux-ci laissèrent le jeune homme dubitatif. Étant dans la fin de son adolescence, il avait toujours certains complexes, et le fait de s’imaginer obèse lui parut peu enviable. Mais étant donné son régime alimentaire, il ne risquait pas de prendre du poids. Il ricana néanmoins lorsqu’il aperçut sa tête disproportionnée, avec l’énorme tâche violette en désordre qui trônait au dessus de son crâne.

Puis, tout en avançant, Cassy continua de le questionner et d’essayer de soigner sa jalousie. Il ne demandait pas tant d’explications, puisqu’il ne pouvait s’empêcher d’imaginer les scènes dans sa tête, mais il fut tout de même touché par son honnêteté. Encore une fois, la jeune femme prit les devant et l’embrassa doucement, l’empêchant de répondre. Et une nouvelle fois, le même sentiment que quelques mois auparavant envahit son corps. Une sorte de chaleur agréable, accompagnée d’un arrêt temporaire de son cerveau, bloqué sur le sentiment de joie.

Ils ne furent séparés que par un bruit sourd qui arracha un petit cri aigu au jeune homme, qui sursauta en arrière. Autant pour la virilité… Il regarda ensuite Cassy, puis sourit en la voyant éclater de rire. Il ne savait pas si c’était nerveux suite à leur sursaut, ou si elle avait entendu son cri. Dans tous les cas, après ce qu’elle lui avait raconté, il était heureux de la voir rire. Elle reprit ensuite sa main et il la suivit dans le dédale de chemins.

Cependant, Mathieu avait étudié le parc d’attraction avant de venir. S’il n’avait bien sûr pas appris par cœur le parcours du labyrinthe, il avait trouvé une technique simple pour sortir à coup sûr. Il suffisait de suivre un mur avec sa main, et de ne jamais en démordre. Cela pouvait être long et fastidieux, mais au moins ils trouveraient la sortie. Pourtant, cet endroit  agissait comme une sorte de bulle qui les coupait provisoirement du reste du parc, et ce calme relatif lui était agréable. Il la garda en réserve, et se contenta d’errer un peu au hasard avec Cassy, tentant de se souvenir des endroits où ils auraient déjà pu passer.

Après un embranchement, ils se retrouvèrent face à un cul de sac et durent faire demi-tour. Sur le chemin, Mathieu se décida à évoquer ce qu’il n’avait pas eu le temps de dire avant qu’elle l’embrasse :

« Je sais pas de quoi je suis jaloux, je sais juste que je le suis, et que c’est oppressant comme sensation. Maintenant au moins je sais que je ne réagirais plus pareil. Mais je sais que j’ai de la chance, il y a des millions de mecs qui voudraient être à ma place en ce moment. (Il tira la langue et fit une grimace à un interlocuteur imaginaire en face de lui) Dommage les gars, c’est Mathieu qu’elle a choisi ! »

Il savourait cette victoire fantaisiste en repensant à tous les messages qu’il avait vu sur les réseaux sociaux à chaque nouveau post de l’actrice. S’ils savaient…

Pendant ce temps, ils arrivèrent dans une autre salle, ce qui fit penser à Mathieu qu’ils s’approchaient, lentement mais sûrement, vers la sortie. Tout à coup, des sortes de rideaux se fermèrent derrière eux, tandis que les lumières s’éteignaient, les plongeant dans l’obscurité alors même qu’il faisait grand jour quelques secondes plus tard.

Instinctivement, Mathieu attrapa l’épaule de Cassy et la colla contre lui, aussi bien pour la rassurer elle que pour lui-même. Les lumières se mirent alors à clignoter, tandis qu’un bruit soudain se fit entendre et que de la fumée sortait de plusieurs endroits de la pièce, venant de trous dans les murs. Une porte cachée s’ouvrit alors dans leur dos, et un acteur déguisé et armé d’une fausse tronçonneuse s’avança alors vers eux, et faisant vrombir cette dernière et en poussant un cri dégénéré.

Mathieu sursauta encore une fois en se retournant, et cria :

« PUTAIN C’EST QUOI ÇA ?! »

Il fit alors quelques pas en arrière, emportant la starlette avec lui dans un mouvement instinctif. Un peu perdu, même s’il était conscient que la personne en face de lui était un acteur, il scruta la pièce en plissant les yeux, à la recherche d’une sortie, ou d’un indice quelconque…

Mathieu sortit à son tour précipitamment de la pièce et manqua de trébucher. Il fut tout d’abord aveuglé par le retour à la lumière, puis se mit à rougir devant les moqueries de Cassy. Il préférait lui-même prendre ça à la légère, étant donné qu’il était peu courageux et qu’il le savait. Il avait été plus surpris qu’apeuré, mais sa crédibilité venait d’en prendre un coup.

« Ça va, t’inquiète… Je ne m’y attendais pas, j’ai paniqué, j’avoue. Mais en même temps, quelle idée de faire un labyrinthe sur le thème de l’horreur... »

Il prit quelques secondes pour respirer un peu et pour reprendre ses esprits. La sortie n’était qu’à quelques dizaines de mètres, et le dédale semblait finalement relativement simple et court. Cela rassura le lycéen, qui n’avait pas envie de retomber sur un piège comme celui-là.

Mathieu remarqua alors que Cassy s’appuyait contre lui et qu’elle triturait son portable, comme si cette position était parfaitement naturelle. Il la vit lever son téléphone, et il tenta d’afficher sa tête par réflexe, en arborant un grand sourire. Mais Cassy changea l’angle de son téléphone afin de ne pas l’afficher à l’écran.

« Ah oui, c’est vrai… » pensa-t-il.

Même s’il n’aimait pas le faire, il regarda par dessus l’épaule de la jeune femme, pour y lire ce qu’elle écrivait. Il sourit gentiment lorsqu’elle signa « C&M », en imaginant les fans se demander qui pouvait bien être ce « M ». Puis Cassy reprit la parole et lui proposa d’aller manger, ce à quoi Mathieu répondit par l’affirmative. Toutes ces émotions lui avaient donné faim, mine de rien.

A son tour, il devança Cassy en lui tenant la main, tentant de retrouver un peu de dignité en retrouvant la sortie du labyrinthe. Ils n’eurent pas de mal à s’y engouffrer, et ils se retrouvèrent alors dehors. A sa droite, Mathieu aperçut une petite cabane où un écran affichait les photos prises au moment où l’acteur entrait dans la pièce, afin de les vendre à un prix exorbitant en « souvenir ». La tête du jeune homme était affreuse dessus, déformée par la panique, et il accéléra le pas en priant pour que Cassy ne la remarque pas.

Il chercha ensuite à travers la foule un restaurant qui leur conviendrait. Du moins, qui lui conviendrait, puisqu’il ne mangeait rien qui provenait des animaux. Or, la plupart des fast foods qu’ils croisaient étaient des vendeurs de burgers, de pizzas, et autres fish&chips. Mathieu entraîna son amie à travers quelques allées, quand enfin il aperçut une sorte de petit restaurant qui avait l’air moins carnivore. Pourtant, les odeurs de grills et de fromage qu’ils avaient traversé donnaient envie au garçon, mais il s’était mordu la lèvre inférieure en tentant de les ignorer.

Arrivé devant la porte, Mathieu l’entrouvrit et regarda Cassy, un peu gêné :

« Désolé, je te laisse pas trop le choix, mais c’est un des seuls endroits où je peux manger… Pour me faire pardonner, je t’invite ! Là non plus, je ne te laisse pas le choix. »

Sur ces mots, il la laissa entrer puis suivit ses pas. Une serveuse les accueillit, tout sourire, et les installa à une table près d’une fenêtre. La salle n’était pas très grande, mais à cette heure il y avait encore peu de clients, et ils seraient certainement relativement tranquilles.

Rapidement, Mathieu étudia la carte, en observant les ingrédients. Ce n’était pas facile de faire attention à absolument tout ce qu’il pouvait consommer, mais il commençait désormais à en avoir l’habitude. Il écarta ainsi tous les plats à base de viande, de fromage, d’œufs et de poisson, puis choisit finalement un risotto aux champignons dont la photo sur la carte donnait déjà l’appétit. Il laissa ensuite Cassy choisir, puis la serveuse vint prendre leur commande et s’éclipsa en cuisines.

Mathieu plongea alors son regard dans celui de l’actrice :

« J’ai pas pu m’empêcher de regarder ton message, sur Instagram. C’était mignon, j’ai bien aimé ! Mais tu penses pas que les gens vont se demander qui je suis ? Enfin… (Il baissa la voix) Qui est la personne sur la photo et ce qu’elle fait avec toi ? »

En attendant sa réponse, il joua avec sa serviette entre ses doigts. Il avait l'impression qu'il pouvait à tout moment être découvert, même si c'était hautement improbable. Mais il n'avait pas l'habitude de vivre caché, à l'inverse de Cassy.

Mathieu écouta sagement les paroles de Cassy, qui se voulait rassurante. Après tout, elle ne serait pas venue avec lui si elle avait le moindre doute sur son anonymat, pensa-t-il. Pourtant, il ne voyait pas véritablement ce que l’actrice trouvait « drôle » dans cette situation. Lui était stressé à l’idée que le moindre signe ne révèle son identité. Heureusement pour lui, hormis ses cheveux mauves, il passait pour un adolescent tout à fait comme les autres.

Néanmoins, Mathieu rougit lorsque son amie aborda le sujet de sa nudité. Il fut surpris, comme si elle avait délibérément mis ce sujet sur la table pour l’embarrasser. Un peu surpris, il bégaya quelque peu avant de répondre :

« Non, ça ne m’embête pas. Enfin, j’veux dire… C’est ton métier, et … Bah disons que je te trouve, comment dire… Plaisante dans ces épisodes, même si c’est du fan service... »

Pourtant, la réponse de Cassy empira son embarras. Qu’est-ce qu’elle tentait de faire ? Il avait déjà les pommettes légèrement cramoisies, et elle lui faisait remonter des souvenirs de leur virée en France. En une fraction de secondes, il avait ressassé les sensations de leur nuit passée ensemble, et il tentait de se souvenir de la corpulence de Cassy à ce moment là. A vrai dire, il était loin d’être physionomiste, et il ne la voyait pas véritablement plus musclée. Du moins, cachée sous son déguisement, il ne pouvait pas déceler un changement.

Mathieu resta quelques secondes silencieux, en tournant nerveusement le regard sur sa gauche, afin de vérifier que personne n’avait entendu la jeune femme. Puis il se décida à répondre :

« Ouais j-je l’ai vue la saison et… Baaah… J’sais pas trop comment te le dire de façon classe mais… Disons que t’es super bien foutue quoi, je comprends pourquoi ils te mettent nue… »

A cet instant, la serveuse revint avec leurs assiettes et les posa silencieusement. Elle les gratifia d’un « Bon appétit » tout en lançant un regard accusateur à Mathieu. Ce dernier rougit encore plus et adressa un sourire gêné à l’employée, comme pour s’excuser de ce qu’il avait dit.

Mathieu se plongea alors dans son assiette et commença à manger pour se changer les idées. Le risotto n’avait rien d’exceptionnel, mais Mathieu se surprit lui-même à aimer son plat. Il n’était pas trop difficile, du moment que la nourriture respectait ses critères alimentaires, mais il s’attendait à un plat fade typique des parcs d’attraction.

Les joues du jeune homme reprenaient progressivement une couleur normale, et il changea de sujet entre deux bouchées pour éviter de replonger dans l’embarras :

« Du coup vous avez tourné la saison 2 ? Tu pourrais me donner des infos sans me spoiler si t’en as ? Enfin, j’veux dire… Si t’as le droit, surtout »

Après tout, Mathieu se disait qu’il ne pouvait pas manquer une occasion d’avoir une exclusivité. Mais en même temps, il se souvenait des mots de Cassy, et se dit que discuter de son travail alors qu’elle lui avait demandé de lui faire découvrir son univers était une mauvaise idée. Il changea alors de nouveau de sujet, tout en terminant son assiette :

« Bon, ça vaut pas un 3 étoiles mais ça me suffit. Tu prendras un dessert ? Ah, et je sais ce qu’on pourra faire après, mais je te garde la surprise… »

Mathieu laissa planer un suspense à peine surjoué. Il avait gardé dans son esprit l’idée de la grande roue, mais souhaitait en faire une sorte de bouquet final. Il avait aussi repéré plusieurs autres attractions à sensations fortes, ainsi que d’autres plus calmes mais enchanteresses. Il ne savait pas vraiment par où commencer, d’autant plus que la taille du parc rendait son orientation difficile. Mais le jeune homme était confiant, et il savait qu’ils n’étaient pas pressés…

Il laissa le choix à Cassy de son dessert lorsque la serveuse revint, toujours sans un mot et en lançant des regards accusateurs en coin à Mathieu. Il commanda une salade de fruits, normalement exclusive au menu enfants, puisqu’il s’interdisait de consommer de la glace. Intérieurement, une petite voix maudissait son choix de devenir végan lorsqu’il posa ses yeux sur les photos d’une coupe de glace qui semblait appétissante. Il soupira à voix basse :

« Wah… Ça a l’air trop bon… Si seulement je... »

Il ne termina pas sa phrase et secoua la tête, comme pour chasser cette pensée de son esprit.

Mathieu avait sourit un peu mécaniquement lorsque Cassy lui avait proposé de venir voir la série chez elle. De nombreux sous-entendus affluaient dans son esprit, mais il se dit qu’il valait mieux les garder pour lui. D’autant plus que la serveuse rappliquait de nouveau pour prendre leurs commandes. Et bingo, Cassy avait pris exactement la glace qu’il avait aperçu sur la carte, avec ses morceaux de cookies par dizaines sur la boule de glace… Il sortit de sa rêverie quand la jeune femme le questionna :

« Tu es végan depuis combien de temps ? »

Il leva les yeux aux ciel, non par exaspération, mais pour tenter de se rappeler. A vrai dire, cela avait commencé relativement récemment, et c’était surtout pour suivre une mode, à l’époque. Il ne s’était pas vraiment renseigné sur le pourquoi du comment, et fantasmait de temps en temps en humant l’odeur exquise qui s’échappait de certains restaurants londoniens. Il se rappela alors :

« Hmmm… Je dirais depuis 1 an et demi, deux ans, quelque chose comme ça. En fait je… (il réfléchit, puis haussa les épaules. Après tout, autant être honnête)… J’ai surtout suivi la « mode » en fait. Mais je me dis que je fais quelque chose de bien pour la planète et pour les animaux. Ça m’empêche pas de rêver d’un bon gros steak parfois, haha... »

Puis il écouta les explications de Cassy. Il trouvait cela mignon qu’elle ressente un besoin de se justifier auprès de lui. Il s’était dit qu’il allait convertir des gens à sa « cause » au début, mais il avait vite abandonné devant le manque d’intérêt que la plupart de ses proches portaient au véganisme. Les habitudes étaient difficiles à changer, surtout lorsqu’elles touchent à l’estomac. Il ne le savait que trop bien. La preuve, il avait totalement ignoré sa salade de fruits et pointait un regard plein d’envie sur la coupe de son amie. Il lui répondit :

« Oui elle me fait envie mais faut pas que je craque. J’ai pris une décision, et je dois la respecter, sinon je sais que je vais m’en vouloir… Mais ne te prive pas de manger ce que tu veux en face de moi hein ! »

La fin de sa phrase coïncida avec la sonnerie du téléphone de Cassy. Elle décrocha sur le champ et gratifia son interlocuteur d’un surnom qui fit hausser un sourcil à Mathieu. « Mon chou » ? Il se mit à jouer avec sa cuillère, en attendant la fin de la conversation. Mathieu se dit que ces britanniques ne connaissaient vraiment rien à la politesse toute française. Décrocher son téléphone en plein repas, on lui avait assez répété qu’il n’en avait pas le droit.

Mathieu relativisa cependant lorsque l’actrice raccrocha et lui expliqua la situation. Les épaules du jeune homme s’affaissèrent un peu. Même lorsqu’il avait l’occasion d’être tranquille avec elle, il fallait que sa vie de star les rattrape. Il maudit intérieurement Netflix et ses cadences de production infernales, mais hocha la tête, sachant qu’il n’avait de toute façon pas vraiment le choix :

« Va pour un dernier manège, j’ai pas l’impression qu’on ait vraiment le choix de toute façon… C’est dingue la pression qu’ils vous mettent n’empêche. »

Il avala quelques cuillerées de sa salade de fruits, finalement assez peu fournie, tout en réfléchissant à ce qu’ils pourraient faire. Enfin, plus exactement, à comment amener son idée sur la table. Il avait pensé à l’idée de lui bander les yeux, mais il se doutait que l’idée allait paraître tout de même très étrange. Enfin, il se souvint qu’il n’était jamais monté dans une grande roue de sa vie. Il trouvait le concept ennuyeux et long. Mais dans cette situation, cela ne le dérangerait sûrement pas. Son visage retrouva un peu de lumière, et, si l’on regardait bien, on pouvait deviner un petit air malicieux au coin de ses lèvres.

« Je sais ! (Il avala d’une traite la fin de son dessert) Vous avez la plus haute grande roue d’Europe, et j’en ai jamais fait. Ça te dit de finir par ça ? On devrait avoir une vue magnifique de Londres tout en haut. Tu sais, comme en haut de la falaise, en France... »

Il se garda bien de la mettre au courant de la « légende » de cette grande roue, mais cette référence à leur voyage en Normandie lui fit esquisser un petit sourire. Il attendit que Cassy réponde ou non, et qu’elle termine sa glace, puis Mathieu se leva et alla payer. La serveuse lui lança un dernier regard glacial, articulant un vague et sec « Bonne après-midi à vous messieurs dames. ». Lorsqu’elle leur tourna le dos, l’adolescent lui tira la langue, puis sortit rapidement du restaurant en attrapant au vol la main de Cassy avec la sienne.

Une fois dehors, le soleil au zénith l’obligea à plisser les yeux, le temps de s’habituer à la luminosité. Il aperçut alors à quelques centaines de mètres l’imposante structure de métal qui tournait lentement, gentiment. On pouvait distinguer de petites silhouettes dans les cabines, rarement plus de deux personnes. Apparemment, il n’était pas le seul qui avait prévu de mettre la légende à l’épreuve.

Mathieu serra un peu la main de Cassy afin de ne pas la perdre en chemin, puis s’élança dans la foule, à grands coups de « Pardon, excusez moi… Oups, désolé pour votre pied ». Il regardait derrière lui de temps en temps, pour vérifier que la starlette ne prenne pas un coup de coude malheureux dans la foule, jusqu’à ce qu’ils arrivent quasiment au pied de la grande roue. Mathieu s’arrêta et resta bouche bée devant la hauteur de l’infrastructure. Il ne la pensait pas aussi haute, et il déglutit. « Bon, c’est comme un grand ascenseur tout rond après tout... » pensa-t-il pour se rassurer. Il tourna la tête vers Cassy :

« Euh… Bon, on y va ? »

Il se dirigea alors directement vers la file prioritaire, et attendit qu’une cabine ne s’arrête lentement devant eux. A partir de maintenant, ils étaient seuls pour un certain temps, et Mathieu s’encourageait mentalement.

Cassy semblait enjouée à l’idée de monter dans la grande roue, ce qui fit sourire Mathieu. Il avait un peu peur que cette attraction fasse vieux jeu, ou qu’elle soit trop ennuyante pour une personne qui menait une vie aussi mouvementée qu’elle. Mais après tout, elle lui avait demandé de lui faire découvrir son monde à lui. Un monde où tout ne va pas à la vitesse du son, où le stress ne rythme pas les journées, et où l’on peut simplement s’asseoir et regarder le paysage pendant des heures. Il gardait néanmoins une certaine appréhension devant la hauteur incroyable de la grande roue.

Il n’hésita pourtant pas lorsqu’une cabine s’arrêta devant eux, et qu’ils s’engouffrèrent à l’intérieur. Elle n’était pas extrêmement grande, mais tout de même plus que ce qu’il aurait pensé. Ils pouvaient se déplacer à l’intérieur, et n’étaient pas serrés comme des sardines, ce qui aurait pu être gênant. Rapidement, la cabine s’éleva dans un ciel londonien qui commençait tout doucement à se draper d’une nuance orangée. Depuis bientôt deux ans qu’il avait posé le pied en Angleterre, il n’avait jamais vu de coucher de soleil d’aussi haut. En bas, la foule rapetissait, et il en oublia presque qu’elle grouillait de monde, d’enfants qui crient, de parents qui se plaignent, d’employés du parc aux mines blasées. Il ne voyait plus que les grands immeubles de la City s’élancer fièrement vers la voûte céleste, comme pour tenter de s’arracher du sol et gagner les nuages. A vrai dire, le site internet du parc n’avait pas menti. La vue était magnifique d’ici.

« Ah ouais quand même... » lâcha-t-il en Français, comme par réflexe.

Puis il voulut replacer une mèche de ses cheveux mauves, mais il se rendit compte qu’il tenait toujours la main de Cassy. De plus, son menton était tendrement posé contre l’épaule du lycéen. Il sentit son cœur accélérer et tambouriner plus fort que d’habitude contre sa poitrine, mais il ne bougea pas. Il se contentait de savourer le moment. La voix de Cassy fendit le silence de la cabine :

« On a de la chance, on profite toujours des plus belles vues. »

Mathieu se contenta de hocher la tête, sourire aux lèvres. Une voix grésillante sortit alors d’un haut parleur situé dans un coin de la pièce, annonçant un soucis technique. Effectivement, le jeune homme réalisa qu’ils étaient maintenant immobiles, que le décor ne défilait plus sous ses yeux. Ils étaient quasiment arrivés en haut de l’attraction, à plus de 100 mètres au dessus du vide. Mais étonnamment, il gardait son calme, comme s’il venait de prendre un shoot de paysage qui l’avait anesthésié. Et puis, Cassy en profita pour faire de l’humour :

« Avoue, tu as saboté l’attraction pour pas que j’aille bosser » lança-t-elle en tirant la langue et en s’éloignant un peu.

Mathieu se contenta d’un haussement d’épaules, ne sachant trop quoi dire. Puis, après quelques secondes le regard dans le vague, il ressentit une étrange chaleur l’envahir, ce qui lui provoqua des picotements au niveau des pommettes et jusque dans les doigts. Il sentait une certaine euphorie le gagner lentement, alors que sa respiration se faisait de plus en plus profonde. Pourtant, il ne paniquait pas. Il était plongé dans une réflexion toute personnelle, alors qu’il avait détourné le regard de Cassy.

Le cœur du jeune homme battait fort, il pouvait le sentir. Mais surtout, il ressentait… quelque chose. Une sorte de pression qui pesait sur ses épaules et lui enserrait la cage thoracique. Quelque chose qui ne voulait pas s’en aller, et qui voulait sortir, s’exprimer, crier, exploser.

« Putain Mathieu, tu fous quoi là ? »

« Mais je peux pas, je peux pas... »

« Roh mais si tu peux, on le sait tous les deux »

« Mais ça sert à rien, on va se prendre un vent… Et puis on est coincé, c’est pas le moment... »

« Pas le moment ?! Mais tu l’fais exprès ? s'il doit y avoir un moment, c’est MAINTENANT que tu dois assumer ! »

« ... »

« Le destin t’envoie un signe gros comme une maison et tu vas pas en profiter ? Tu oses pas ? »

« ... »

« Bordel, tu t’es dit quoi en arrivant ici hein ? Tu te souviens de ce qu’on s’était dit dans le train. Qu’on allait être honnête, qu’on allait pas recommencer nos conneries. Maintenant c’est le moment qu’on attendait. Faut qu’on soit honnête avec nous même. »

« Mais je sais même pas si… Enfin, je sais pas ce que je veux, je sais pas ce que je ressens... »

« Alors tu veux laisser passer ta chance de te libérer ? Tu ne veux pas avoir de réponse ? Tu veux aller te coucher ce soir et beaucoup d’autres soirs en culpabilisant ? Tu veux rester seul à l’Institution ? Tu veux continuer à la voir à travers un écran mais pas en vrai ? Tu veux… »

« Okay okay okay, stop. Arrête toi. Je… J’ai compris le message. Mais j’ai jamais fait ça... »

« Et moi, tu crois que je l’ai déjà fait ? Réfléchis deux secondes, je nous croyais plus intelligent que ça… Tu sais quoi, laisse moi faire. Laisse moi parler, laisse moi dire ce qu’on pense. Ou alors, non, tu vas le faire avec moi. On avait dit qu’on assumerait, on va le faire. T’es d’accord ? »

« Oui… O-Oui, on peut le faire… »

« Ah, et arrête de parler à la troisième personne. J’ai bientôt 20 ans bordel, je peux prendre des décisions tout seul. Ouais, allez, ça se représentera pas deux fois. Alors on souffle un grand coup et... »

Lorsque Mathieu rouvrit les yeux, il lui semblait se réveiller d’un cauchemar. Il avait l’œil vif, lorsqu’il scrutait la fenêtre de la cabine. Il avait dû rester à peine quelques secondes silencieux, immobile. Pourtant, cette « discussion » lui avait parue beaucoup plus longue. Mais non, la cabine n’avait pas bougé, et Cassy était toujours adossée à la banquette. Le temps, comme la nacelle, paraissait suspendu dans le vide, comme s’il attendait un signal avant de pouvoir redémarrer.

Mathieu tenta de calmer les picotements dans ses doigts et prit une grande et profonde inspiration. Il ne faisait pas si chaud que ça, mais l’air inspiré traversa son corps avec une chaleur à la fois effrayante et réconfortante. Doucement, sans faire trop de bruit, il expira l’air de ses poumons et se mordit la lèvre. Un dernier regard à l’horizon, puis il se tourna vers Cassy et se rapprocha à petits pas d’elle.

« Cassy... »

Il sentait sa voix se défiler. Il serra la main gauche et enfonça l’ongle de son index dans la chair de son pouce, comme pour évacuer son stress par autre part. Pas de retour en arrière possible, il se le promettait. Le français resta quelques instants à planter son regard dans les yeux émeraudes de la jeune femme. Il ne savait pas comment décrypter son regard, et il ne le voulait pas. Il était concentré sur une seule et unique chose, le reste ne lui importaient guère.

« Faut que je te dise un truc… Erm… Comment te dire, je… (Il avala sa salive avec difficulté) Disons que je pense souvent à toi. J’veux dire, en dehors des épisodes, de la série, du fait que je croyais que tu m’avais rayé de ta vie, de ce que tu m’as appris l’autre soir. Et euh... »

Mathieu sentait son regard fuir celui de Cassy. Chaque mot lui faisait l’effet d’un coup de gong sur le crâne. Il sentait qu’il tournait en rond, qu’il ne disait rien. Il enfonça encore un peu son ongle, jusqu’à commencer à ressentir une douleur. Il se fit violence pour accrocher à nouveau le regard de l’actrice, puis continua, sentant une voix dans sa tête s’énerver et perdre patience :

« Bon… En fait Cassy c’est pas facile à dire, j’ai jamais fait ça, j’ai jamais... ressenti ça. Mais depuis que je t’ai croisée dans le bar, j’arrive pas à me concentrer. Je… Mon cerveau me fait voir des rêves de toi la nuit, et là, depuis ce matin… Je sens mon cœur qui frappe ma poitrine de plus en plus fort, je sais pas… J’sais pas ce que c’est, mais là, tout de suite, je me sens bien avec toi... »

Il reprit une inspiration, sentant sa voix trembler à nouveau, comme pour marquer une pause.

« Et j’ai l’impression qu’il n’y a qu’avec toi que je me sens bien en ce moment… Mais j’ai peur… J’ai peur que tu me repousses, c’que je comprendrais totalement, enfin j’veux dire… Y a plein d’autres mecs célèbres partout, et puis une fille comme toi… »

La voix dans sa tête allait exploser. Il l’entendait crier : « MAIS DIS LE PUTAIN DE MERDE DIS LE !!!! ». Finalement, alors qu’un très mince filet de sang commençait à couler le long de son pouce, Mathieu se jeta à l’eau :

« Cassy, je crois que j’ai des sentiments pour toi… Enfin je crois pas, j’en suis sûr, mais… Je sais pas si toi tu… Enfin quand je te vois, c’est comme si j’avais un sourire qui se dessinait sur mes lèvres, et puis… »

« Oh et puis merde, laisse moi faire ! »

Mathieu posa alors doucement la main intacte sur la joue de Cassy, tandis que l’autre venait épouser sa taille. Il l’attira tout aussi doucement contre lui, et tenta de poser un baiser sur les lèvres de la jeune femme.