Ici c'est moi qui mène la danse [Ouvert à tous]

Aussitôt réclamé, aussitôt obtenu ; le rappel d'un son qui avait brisé la voix pourtant si assurée du petit brun face à lui et qui, maintenant, forme un écho délicieux aux mots provocateurs soufflés à son oreille. Damen aurait pu trouver ça facile, trop facile peut-être, mais il balance dans une agréable incertitude, à se demander s'il a vraiment eu cet effet avec de simples mots ou si ce n'est qu'un jeu de plus venant de la proie qui joue au chasseur. Une hésitation entre la petite victoire et la sensation de lui avoir donné une arme pour jouer plus longtemps. Quelle que soit la raison du petit gémissement qui vient de faire écho au premier, le sourire du blondinet s'élargit de la même façon, avec un éclat de satisfaction qui vient briller jusque dans son regard. Il n'a que rarement l'occasion de s'amuser autant ; il ne la laissera pas passer.

C'est à lui-même autant qu'à son interlocuteur qu'il impose la petite tentation de cette langue dont il vient effleurer ses lèvres. Collé contre lui, accroché à la bretelle qui réduit au strict minimum l'espace entre eux, il profite de l'adrénaline qui bat à ses tempes, de la tentation presque frustrante. À moins que ce "presque" ne soit en trop. Ce serait si facile de perdre la manche, avec ce souffle qu'ils partagent. Mais jamais il ne perdra un jeu qu'il a initié lui-même. Il reste donc d'un stoïcisme presque agaçant tandis qu'un air chaud vient se glisser entre ses lèvres. Un peu moins en sentant la vengeance humide qui court contre la pulpe de sa lèvre.
Un talent dangereux, oui. Un joueur un peu plus proche de son niveau que ceux qui se jettent à ses pieds.

Lorsqu'il s'écarte, les yeux mi-clos de Damen se rouvre un peu plus pour accompagner l'air carnassier de son sourire. Ce gars semble mettre un point d'honneur à jouer avec ses nerfs et sa patience, comme s'il espérait le faire craquer jusqu'à la dernière seconde. Un rapprochement étape par étape qui répand bien trop d'adrénaline dans son sang. Et son petit commentaire suffit à déclencher un rire en écho au sien, teinté d'amusement et d'une pointe de satisfaction.

» Oh, vraiment ?

Avant qu'il n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit, cependant, il sent ses lèvres se plaquer sur les siennes assez subitement pour lui tirer un petit son surpris et vite étouffé. Une vague de dopamine vient noyer l'adrénaline, la diluer, tandis que sa main remonte derrière la nuque de son partenaire de jeu, que l'autre se détache de sa bretelle pour descendre le long de son flanc jusqu'au bas de son dos. Quelques centimètres de plus, puis ses doigts s'accrochent à la courbe de ses fesses pour l'attirer contre lui, supprimer la distance entre leurs corps comme elle a été effacée entre leurs lèvres. Tout cela sans lâcher ce baiser qui lui a été promis ce qui semble être une éternité plus tôt. Il laisse échapper une partie du désir qu'il tient enchaîné depuis le début de leur jeu, juste assez pour profiter pleinement de la chaleur de son corps et du goût ardent de ses lèvres. Assez pour que l'intensité du contact vienne secouer encore plus le sang à ses tempes.

Une sensation étrange vient couler dans ses veines alors que sa langue s'invite entre les vilaines tentatrices qui se sont plues à se jouer de lui, cherche une partenaire à enflammer. Loin du goût de satisfaction qui aurait pu l'envahir après avoir obtenu ce qu'il demandait, plutôt celui doux-amer d'une victoire qui n'en est qu'à moitié une. Il n'a qu'en partie l'impression de l'avoir fait craquer, comme si l'échange dans lequel il perd plusieurs onces de souffle était trop volontaire pour satisfaire son instinct de prédateur. Allons bon, un joueur qui cède sans vraiment perdre. A-t-il si peu envie que ça de lui accorder sa victoire ?

Pourtant, malgré les pensées qui le traversent, c'est bien un sourire victorieux qui s'affiche sur ses traits lorsqu'il finit par rompre le contact, et il se passe la langue sur les lèvres en laissant sa main glisser de sa nuque à la bretelle que la seconde avait délaissée. Un signe marquant et déterminant qu'il n'a aucun l'intention de se contenter de ça, aussi plaisant que cela ait pu être.

» Ça tombe bien, les gentils garçons sont plutôt ennuyeux.

Ne jamais perdre le fil pour continuer de dominer la conversation, une règle de base si l'on veut se jouer plus facilement d'un adversaire. Avec la provocation et l'assurance de celle qui fait ça depuis une éternité, sa langue revient taquiner le cou qu'il a gardé à portée, jusqu'à ce qu'il revienne susurrer à son oreille.

» C'était un indéniable privilège, en effet.

Un baiser suffisamment refusé pour devenir obsédant, ou la meilleure manière d'attiser son intérêt. Les dents qu'il referme sur le lobe de son oreille ont gagné en intensité. Pas assez pour risquer de lui faire mal, mais assez pour exprimer le désir caché derrière le retour de son calme apparent.

» Je t'avais promis quelque chose en échange, il me semble…

La réponse à une question posée bien plus tôt. Et qu'il ait ou non l'intention d'échapper aux regards, Damen ne laisse rien paraître, même lorsque ses doigts défont l'attache de la bretelle qu'ils enserrent. Une provocation de plus, un sous-entendu de plus, tout pour essayer d'obtenir une victoire complète maintenant que la première ne lui a été qu'à moitié accordée.

C'est un jeu dangereux, mais un jeu ardent, de ceux qui donnent l'impression fugace d'être en vie et de pouvoir faire battre son cœur sur un autre rythme que celui des fantômes. Le goût de la langue qui se mêle à la sienne, le poids du désir qui s'accentue bien plus qu'il ne se calme, les bras qui viennent se placer sur ses épaules, comme un premier pas en avant que Damen n'a pas l'intention de laisser être le dernier, les courbes qui s'invitent sous ses doigts, le corps collé contre le sien, le goût doux-amer de cette demi-victoire qui lui échappe en même temps que le contact se brise.

Il les voit, ces yeux clos par un plaisir mal dissimulé qui se rouvrent sur son propre air satisfait et le mouvement provocateur de sa langue, comme une invitation à réitérer l'expérience, ou bien un avertissement pour la suite et le parcours qu'elle vient effectuer dans son cou juste après que ce son si délicieux se soit à nouveau invité à ses oreilles. Il pourrait trouver ça banal, tant il a l'habitude d'en entre, de ceux-là et de bien plus forts, mais il ne peut se lasser de cette petite pointe d'orgueil qui coule dans ses veines à l'idée d'avoir su fragiliser le self-control de l'autre. Et plus ce self-control a l'air solide, plus il est plaisant d'y laisser des fissures.

Mordiller son oreille, jouer avec sa bretelle, susurrer des mots qui n'ont pour vocation que de continuer de faire chanceler son imagination... La force de l'habitude s'invite entre ses mains et ses lèvres maîtresses de la situation. Il sait ce qu'il fait, tout autant qu'il profite des petits instants d'imprévus qui viennent se mêler d'un engrenage qui, sans ça, l'aurait déjà comblé d'ennui. Les gens prévisibles sont comme les gentils garçons : facilement ennuyeux. Heureusement pour lui, pour eux deux, la petite souris qui lui fait face ne fait pour l'instant partie d'aucune de ces deux catégories.

En sentant ses mains, mais surtout ses pouces, qui effleurent son torse et semblent chercher la meilleure cible possible, comme une vengeance, Damen s'autorise une inspiration un peu moins maîtrisée que les autres. On ne stimule pas l'imagination de quelqu'un en restant bien top impassible, il faut céder du terrain pour pouvoir en gagner davantage au prochain mouvement. Il regrette presque de ne pas avoir gardé sa tenue trempée par la piscine, au tissu suffisamment affiné par l'eau pour pouvoir ressentir tout comme s'il était absent. Il regrette aussi que ce tissu ne soit pas tout simplement absent. Mais chaque chose en son temps.

Il faut savoir choisir son moment, et c'est exactement ce qu'il fait en revenant rappeler sa promesse à son oreille, en faisant sauter cette première attache malgré quelques regards qui se tournent vers eux et cherchent bien vite une nouvelle activité. Les gens se méfient de ce qu'ils voient, comme s'ils craignaient de découvrir jusqu'où il est capable d'aller. C'est amusant. Ce qui l'est encore plus, c'est que le garçon collé contre lui a l'air de suivre la logique inverse. Aucun mouvement de recul, ni d'éloignement. Aucune tentative de s'écarter ou de lui dire de ne pas faire ce genre de choses en public. Est-ce parce que ce n'est qu'une bretelle, parce qu'il se fiche du regard des autres, ou parce qu'il est trop obnubilé par ses paroles et les sensations qu'elles accompagnent pour réaliser qu'ils ne sont pas seuls ? Peut-être un subtil mélange des trois. Sa question fait resurgir son sourire originel alors qu'il revient poser ses lèvres contre son cou, dans un baiser bref, trop calme par rapport à celui qu'ils ont échangé quelques secondes plus tôt.

» Évidemment... Surtout quand elles sont aussi tentantes.

Dans un geste lent calculé pour lui permettre de subir toute la durée de son expiration sur la peau encore humide de son cou, Damen finit par relever son visage pour refaire face au sien, se délecter un instant de tout ce qu'il lit dans ces yeux bruns déjà embués de désir. Sa main délaisse l'attache qu'elle vient de libérer pour remonter jusqu'à son menton, le saisir entre ses doigts avec une douceur presque incongrue considérant le reste de leur échange. Il s'approche comme pour l'embrasser mais, imitant les multiples provocations dont il a lui-même été victime, s'arrête à quelques millimètres de ses récentes partenaires.

» Je connais un endroit qui pourrait te plaire... enfin, si tu es prêt à voir aux premières loges tout semblant de contrôle déserter ton visage...

Son pouce remonte de sa prise initiale pour pouvoir effleurer sa lèvre inférieure, glisser très légèrement entre les courbes roses pour survoler la ligne de ses dents.

» À moins, bien sûr, que tu ne préfères rester ici...

Mais il en doute. Même lui n'en est pas à ce niveau d'absence de gêne.

Crier victoire trop vite est un piège dangereux dans lequel il évite, d'ordinaire, de tomber. Bien que la plupart de ses victoires soient faciles, face à des personnes qui se jettent souvent littéralement dans ses bras, il faut savoir garder un coup d'avance avec une vie comme la sienne. Mais même le plus calculateur des adolescents ne reste, justement, qu'un adolescent. Qui ne relève pas ses barrière assez vite après avoir volontairement cédé un peu de terrain, et qui entend sa respiration lui échapper bien moins volontairement, cette fois, après un cocktail un peu trop incertain - une taquinerie du bout des doigts, une voix qui se brise près de son oreille. Trop près.
Merde.

Reprendre le contrôle et reprendre sa place. Ce n'est pas si difficile, malgré la note de frustration qui vient s'inviter dans sa main alors qu'elle se referme sur le menton de cet adversaire trop imprévisible pour son propre bien. Ne pas cesser de jouer, garder l'ascendant. Il prétend l'embrasser, s'arrête à proximité de ses lèvres autant par vengeance que par volonté de retrouver sa maîtrise de lui-même, murmure quelques paroles, taquine sa lèvre jusqu'à s'inviter entre elles. Il n'a pas l'intention de perdre le jeu, quel qu'il soit, qu'il a dominé d'une main de maître depuis qu'il a commencé. Il est, par contre, d'importance capitale qu'il fasse oublier cette petite seconde d'égarement. Alors il sourit, retrouve son expression imperturbable.

» Une menace ? Serais-tu de ceux qui ont peur de perdre le contrôle ?

Un murmure, alors que son pouce continue d'explorer le nouveau territoire qui lui est offert. Pas longtemps, pas assez longtemps, même, alors que des doigts se referment sur son poignet pour lui ôter l'accès à son terrain de jeu. C'est bref, certains diraient imperceptible, mais il suffit de la bonne fraction de seconde d'attention pour voir le tic qui agite le coin de ses lèvres et celui de ses paupières. Crispation de frustration ou d'agacement, aussi succincte qu'un clin d'œil, aussi visible que le sourire qui reprend sa place comme s'il ne l'avait jamais quitté. Ce n'est qu'un jeu... pourquoi donc a-t-il autant à cœur de remporter une véritable victoire ?

» Ni une menace, ni une promesse : c'est une invitation. Si tu veux vraiment en savoir plus, petite souris, tu n'as qu'à me suivre.

Sa main libre de toute étreinte vient se placer entre eux, paume vers le haut, doigts prêts à se refermer sur toute main qui oserait s'y poser. C'est à lui de venir, lui de réclamer. Damen lui a déjà concédé bien trop de petites victoires dans les dernières minutes pour lui accorder ne serait-ce qu'une chance d'en obtenir une nouvelle. Son orgueil est entré dans une lutte contre l'instinct qui lui demande, pour une simple petite fois, de revenir plonger ses lèvres dans son cou. Et sa fierté gagne toujours. C'est ainsi que l'on devient Damen Irridval : en prétendant céder à des pulsions qui ne sont que les atours d'un orgueil plus fort encore.

Alors il reste là, aussi serein que possible et sans laisser son regard s'attarder plus d'un millième de seconde sur cette bretelle défaite, ces lèvres qui se sont tant amusées à le narguer, cette peau encore humide, ce corps qui le nargue de façon aussi ostentatoire que naturelle. Des yeux baladeurs pour ne pas trop avoir l'air d'essayer d'éviter de le détailler, des mains immobiles qui n'attendent que la réponse à leur invitation. Non, il ne fera rien de plus. Il a volontairement laissé la balle dans le camp adverse et il n'a pas l'intention de la récupérer sans entraîner l'autre joueur avec.

Certaines personnes ont le don de ne jamais s'avouer vaincues. Que ce soit ou non un défaut n'entre pas en ligne de compte à cet instant. Une petite remarque, une petite pique en protestation et un éclat amusé passe dans les yeux verts de l'adolescent. Parler de lui, hm ? A-t-il peur de perdre le contrôle ? Qui sait. Pour l'instant, il sait simplement que le sourire de son interlocuteur, son clin d'œil, ses petites actions provocatrices entrent dans un jeu dangereux qui risquent de lui fournir une réponse à un moment ou un autre. Mais il ne perd que brièvement son sourire, alors que la lèvre qu'il s'amusait à taquiner échappe à la caresse intrusive de son pouce.

» C'est toi qui devrait avoir peur que je perde le contrôle.

C'est à peine chuchoté, suffisamment articulé pour être lisible même sans être entendu. Une fausse menace suivi d'un rictus très vite élargi par le murmure qui vient caresser ses oreilles. Dans un petit soupir, il se passe lentement la langue sur la lèvre supérieure, moitié consciemment, moitié par réflexe tant ses paroles parviennent à s'infiltrer dans ses veines. Il semble que son partenaire de jeu ait repris de l'assurance face à son petit instant de faiblesse. Va-t-il s'en plaindre ? Pas pour l'instant. Ses commentaires, ses provocations et ses effleurements ne sont pas moins plaisants que les petits gémissements de ses pertes de contrôle. S'amuser, c'est aussi savoir varier les plaisirs.
Et il reste une petite souris avec laquelle Damen a l'intention de jouer jusqu'à gagner indubitablement la partie.

Quelques petits pas imités du bout des doigts, comme une ultime manière d'essayer de jouer avec sa patience, et il finit par avoir cette main trop joueuse au creux de sa paume, entièrement à la merci de la sienne qui se referme autour sans se faire prier. Il voit quelques frissons, une petite morsure, un brin d'excitation qui remplace le sourire jusque là opposé au sien. Même Damen doit bien admettre que ce simple contact a une symbolique d'anticipation suffisante pour faire un peu trembler les grains de sa peau. Quant à cette petite réplique...

» Ne dis rien que tu pourrais regretter...

Tenter de lui voler son rôle, surtout avec ses propres surnoms, peut rapidement s'avérer être un jeu dangereux.

Avec une lenteur qu'il s'efforce d'imprimer dans ses mouvements malgré l'envie presque irrépressible de lui faire ravaler ses paroles, il l'entraîne avec lui, glissant à travers la foule jusqu'à l'escalier qui borde le mur extérieur. Une forme de précipitation bouillonne dans ses veines, invisibles dans le rythme de ses pas, perceptible dans la tension de sa main. Les marches lui semblent trop nombreuses, trop envahies de monde également. C'est mettre le jeu en pause et il n'a qu'une envie : le reprendre. Chercher de nouvelles limites, de nouveaux points de ruptures, de nouvelles victoires.

Il le guide jusqu'à l'étage, le large couloir qui borde le bureau de son père et le salon principal, tant d'endroits, de surfaces qui font palpiter son imagination. Il serait si simple de pousser la porte du salon, de le plaquer contre un des canapés que son père tient tant à garder intacts, de lui arracher ce contrôle, ces hoquets et cette perte de souffle qui lui ont si sensuellement été promis, mais ce n'est pas à cela qu'il l'a invité. Il reste un escalier, quelques marches, trop de marches, une porte contre laquelle il le pousse presque trop doucement, les doigts posés sur la poignée sans l'ouvrir, les lèvres à quelques millimètres des siennes, son souffle courant sur la pulpe rose qui lui a si effrontément été refusée un peu plus tôt.

» Il y a une condition préalable à l'ouverture de cette porte...

Il se presse un peu plus contre lui pour venir susurrer à son oreille.

» Prouve-moi que tu en as envie.

Ou comment se jouer de sa propre impatience simplement pour titiller celle de sa proie du soir.