De retour... Et soyons d'accord, ni vous, ni moi n'en sommes satisfaits.

La vie n'est pas toujours clémente avec nous. Je dirais même qu'elle est vicieuse puisque c'est lors de l'atteinte de l'apogée du bonheur qu'elle se donne le malin plaisir d'absolument tout détruire.

Je suis né à Vancouver, au Canada et ce dont je peux vous faire part sans crainte, c'est que c'était le plus beau chapitre de ma vie. La population se faisait chaleureuse, s'exprimant sans filtre, agissant sans la moindre peur d'être pointée du doigt, moquée ou pire... violentée pour sa différence, pour ses excès ou pour sa simple volonté d'être ce qu'elle a toujours été. Le climat jouant sur ses extrêmes, nous offrant, cependant, toujours le beau temps lors de l'été et une quantité impressionnante de neige à l'approche de Noël. Tout était magique et fait pour que tout le monde y trouve son compte, soit heureux et vive avec passion, sans se soucier des choses futiles qui prennent tant d'ampleurs et d'importances au sein des autres régions du monde.

Il y avait aussi une famille... la mienne... soudée et attentionnée. D'ailleurs, tant que j'y suis, faisons les présentations. Je suis né d'un père Canadien et d'une mère Française. Tous deux ayant deux fils, l'aîné et moi. A quatre, nous formions le plus beau des cocons encore jamais tissés. La joie, l'amusement, l'ouverture d'esprit, la compréhension, l'humour, et j'en passe, étaient les maîtres mots au sein du domicile, transformant des soirées de jeux de société en véritable carnage (dans le bon sens du terme). Tandis que lors des visionnages de films, séries et documentaires, notre salon se transformait en véritable salle de cinéma, nous réfugiant parfois sous des couvertures lors des vagues de froids se déroulant à l'extérieur ou lorsqu'un film d'horreur avait été choisi à la majorité. Bref, le paradis.

Tout était bon pour se marrer et croquer la vie à pleine dent. Bien que je sois le dernier et que je passais le plus clair de mon temps à partager la passion pour la couture et la mode avec ma maman, jamais il n'a été question de jalousie entre frères ou de sensation de favoritisme. Tous indispensables les uns aux autres, mais surtout présents à n’importe quelle situation, la sécurité était certainement ce qui primait sur tout le reste.

Chacun pratiquait, exerçait le domaine qui lui plaisait le plus. Alors que mon père était un homme d'affaire assez reconnu et que mon frère avait trouvé chaussure à son pied en dirigeant ses études vers le sport, moi, bien que contraire à mon caractère, ce fut au milieu des montagnes de tissus arborant de nombreuses teintes et du bruit des machines à coudre que mon bonheur fut comblé. Désormais guidé par ma mère, mais surtout encouragé par mon entourage, plus qu'une passion avait été descellée, il s'agissait même d'un talent.

Vint ensuite le moment le plus douloureux. Le déménagement. Il n'avait pourtant jamais été question de partir, mais il le fallait bien. Papa avait trouvé une opportunité en matière de travail en Angleterre et il était bien évidemment inconcevable pour notre famille de se séparer sur de trop longues périodes. L'annonce tomba alors dans la précipitation, ne nous donnant pas vraiment la chance d'exposer notre propre avis sur le sujet. En quelques mois, à peine, la maison s'était vidée de ses meubles et nous étions "prêts" à changer d'habitation, à prendre un nouveau départ. Dès l'instant où nous étions dans la voiture, quittant la terre qui nous avait bercée depuis toujours ainsi que l'endroit qui nous avait protégé, une fissure se fit... en moi, mais aussi entre nous...
Alors que les parents, eux, en tant qu'adultes, arrivaient à tenir le coup et à se soutenir mutuellement, mon grand-frère et moi-même avions été peinés de l'intérieur par cette séparation jugée trop douloureuse. Nous le savions, nous en étions persuadés que la destination vers laquelle nous nous dirigions n'allait apporter que malheurs et tragédies.

Une fois arrivés sur place, le mobilier avait beau être le même, cela ne ressemblait plus à notre chez-nous... Le quartier était trop différent, les voisins aussi avaient été remplacés et ce fut bien l'une des premières fois où une diversité me posa un problème.

Très vite, les tensions se mirent à s'installer. Toute la complicité qui avait été méticuleusement cousue sur le cocon partait en lambeau dans des claquements de portes, des regards de haines et des haussements de voix. Lucas, mon grand-frère, du haut de ses 21 ans, décida de rapidement prendre son indépendance, me confiant qu'en cas de besoins, il serait toujours là, à mes côtés.

La belle famille s'était dissoute... En réalité, elle n'avait jamais touché le sol Anglais. C'est comme si une part de chacun s'était détachée et attendait au Canada, ne désirant qu'à être récupérée. C'est ainsi qu'un sentiment d'insécurité naquit en moi... tout comme une sensation de manque, influençant ma manière d'agir et de penser.
Pourtant inscrit dans un établissement scolaire fait sur mesure afin d'y pratiquer ma passion, il n'y avait qu'une seule et unique chose qui détenait de l'importance pour moi... rentrer à la maison... me poussant à me rebeller... ne cherchant finalement, qu'à récupérer ce qui m'était dû et qu'on m'avait injustement arraché des mains.

Fin de l'année scolaire 2018-2019 à Indarë.

Je n'ai pas attendu de connaître les résultats de fin d'année pour quitter cette école de merde. Après tout, pour quoi faire, sachant que je savais éperdument que j'avais raté ? Entre mon comportement déplorable, mes nombreuses heures de colle, le nombre incalculable de fois où je ne me suis pas présenté aux cours et le fait que je ne me sois pas du tout cassé le cul à étudier pour leurs examens minables, c'était perdu d'avance. En plus de ça, la plupart des professeurs me détestaient, alors je n'allais certainement pas leur donner l'occasion de se venger en annonçant ouvertement, ainsi qu'avec le plus grand sourire de satisfaits, -mais surtout de mal baisés- mon redoublement.

Non, j'ai été plus intelligent que ça. Après leur en avoir fait baver toute l'année, je me suis éclipsé sans rien dire à personne, même pas à Dan. Du jour au lendemain, étant donné que je préparais cette fugue depuis des mois, j'ai totalement disparu d'Indarë et de ses environs. Je n'avais embarqué avec moi que le nécessaire de survie des premiers jours, sachant pertinemment que ce qui m'attendait n'allait pas être une mince à faire ou à subir.

Dès mon départ, j'ai été mis à rude épreuve. Pour éviter que mon séjour ne s'écourte avec l'arrivée de la police, j'ai banni de ma routine tout contact téléphonique en omettant volontairement de prendre mon téléphone portable avec moi, ce qui excluait donc toute conversation et prise de contact avec Dan Maxwell.

Avec le temps, j'ai fini par tomber sur quelques personnes qui avaient, elles aussi, décider de prendre la fuite et de se forger une nouvelle vie, certains allant même jusqu'à vouloir changer d'identité. Une sorte de remise à zéro au complet. De mon côté, mon cas n'était pas si extrême. J'avais simplement besoin de retrouver mon ancienne vie, celle que j'avais quittée à contre-cœur en venant ici par obligation. Mon but premier étant de retrouver la liberté que j'avais à l'époque et donc de retourner au Canada. Et vu que personne ne semblait me comprendre, prenait mes paroles à la légère ou comme étant des divagations d'adolescent en pleine crise de rébellion, j'allais devoir me débrouiller seul.

Bien que les débuts aient été compliqués avec une absence totale de vivres constants, d'hygiène irréprochable et de sécurité garantie, la suite, elle, n'a été qu'une transformation pure et dure en un véritable cauchemar. La faim se faisait de plus en plus ressentir, nous obligeant plus qu'un certain nombre de fois de jouer aux voleurs pour survivre. Le manque d'hygiène nous dégradait. Et la faible sécurité nous donnait comme fâcheuse impression qu'à tout moment nous pouvions ressortir de cette aventure avec plus que des égratignures ou des petits bobos soignés en un pansement.

Après plusieurs mois de cavale, j'ai fini par rentrer à la maison. Les raisons sont personnelles, mais c'est tout sauf un pur abandon, vous me pouvez me croire. Sans grandes surprises, je me suis fait défoncer par ma famille (en particulier mes parents) et j'ai repris en pleine face les conséquences d'une mise en retrait de mon ancienne vie active. L'une d'elles se prénommait Dan... Comme toujours, nous nous sommes disputés et toute cette histoire s'est conclue par une rupture. Ma première... et la vache, ça fait mal.

Depuis le temps, je ne me suis pas calmé. Je dirais même que je suis pire qu'avant. Entre le fait de devoir refaire ma quatrième année, d'avoir perdu le seul à qui j'avais donné mon cœur et de n'être toujours pas retourné au Canada, un amer mélange entre tristesse et colère a ressurgi avec violence. Pour le plus grand déplaisir de mes futurs professeurs.