2020 - 2021] Cette voix que j'ai tant attisée

Cette voix que j'ai tant attisée

Le monde. Le stress. La montée de l'adrénaline. Le bruit. Une horde de personnes qui s'affèrent autour de moi et me cachent presque si on réussit à prendre l'angle de vue depuis l'extérieur. Coiffure, maquillage, vêtements, tout est géré par des petites mains professionnelles qui savent exactement ce qu'elles font et qui se doivent de le faire en un temps record avant qu'il ne soit trop tard, avant que vienne le moment crucial du tapis rouge à l'entrée de cette salle au sein de laquelle aura lieu la cérémonie la plus importante de ma carrière. Tout doit être parfait, de mon teint à mes cils, de ma coiffure à ma couleur, de mes vêtements à leur agencement sur mon corps. Mon manager est présent, passant le plus clair de son temps au téléphone, mais tout en gardant son regard pointé vers moi alors qu'il se trouve en arrière-plan, s'assurant de mon bien-être ainsi que de la précision du travail qui est effectué sur moi. Parfois, il donne son avis. Parfois, il l'impose carrément.

Les assistants et assistantes en tous genres s'activent soudainement tandis que certaines retouchent les ondulations déployées sur ma crinière blonde, d'autres font quelques retouches au niveau de mes extensions de cils afin que l'effet naturel soit garanti ou encore vérifient que mon teint, dans sa globalité, reste frais tout en apportant cette petite touche de glamour qui fera toute la différence. Les battements de mon cœur s'accélèrent sans pour autant laisser place à la peur. Si je la laisse prendre possession de mon corps, alors tout est fichu. C'est la première fois, et ce depuis très longtemps, que je n'ai pas été apprêté de la sorte. Je dirais même que c'est étrange de me voir ainsi, le teint laiteux recouvrant toute imperfection pigmentaire, les joues délicatement rosées, la bouche taillée en cœur et le regard charbonneux.

Le signal est donné, il est temps d'enfiler la tenue qui a été sélectionnée pour mon arrivée sur les lieux. Là encore, on fait appel à des personnes expérimentées dans le domaine, à des marques de renom et à des pièces qui défient l'entendement. Le luxe dans son état le plus pur et qui aurait autant de quoi faire rêver certaines personnes ou d'en faire verdir d'autres, que ce soit de jalousie ou de dégoût pour cette industrie qui est moulée dans la superficialité, ne vivant qu'à travers le paraître et le "m'as-tu vu ?". Je jette un regard assez furtif sur mon manager, élégamment vêtu d'un costard-cravate pour l'occasion, ne pouvant m'empêcher de me dire que toute cette mise en scène n'est présente que pour s'assurer une aisance financière future. Il dépense des sommes folles pour ses artistes, pour moi, dans l'unique espoir et but que nous nous accrochions à sa maison de disque, à ce que nous soyons traités dans les meilleures conditions qui soient afin que nos représentations et nos apparitions publiques n'essuient que des bonnes critiques. La rentabilité avant tout, j'imagine.

J'inspire et expire longuement tandis que je me dénude totalement, entouré des personnes qui vont à présent m'aider à m'habiller, cherchant à me vider la tête en dirigeant mon esprit vers d'autres sujets que celui de mon passage devant la horde de photographes et de fans ainsi que sur scène, plus tard dans la soirée. Alors, je fouille quelque peu dans mon esprit durant l'installation des bouts de tissus noirs qui recouvreront une partie de mon torse et l'une de mes jambes dans un esprit assez androgyne et aérien. Petit à petit, mes pensées parviennent à se focaliser sur autre chose, mais pas réellement un sujet auquel je m'attendais. Soudainement, les images d'une rencontre inattendue dans un parc que je connais trop bien refont surface et je vois clairement sa chevelure, son visage attristé, les larmes perlant le long de ses joues, la sensation de sa main se saisissant de la mienne ainsi que celle de ses lèvres se posant dans le creux de la captive. Le regard perdu, perplexe, je revis de manière assez succincte les derniers moments passés avec Nick. Ces tristes retrouvailles... Ça n'était pas vraiment le genre de changement d'idées auquel je faisais initialement référence, mais bon... on va dire que ça fera l'affaire ?

D'ailleurs, je me suis tellement éparpillé psychologiquement parlant qu'une voix s'adressant à moi et des mains m'attrapant par les bras pour me faire avancer me sortent subitement de cet état d'absence totale de la réalité. La machine est en marche, direction le lieu de la réception.

Après m'être chaussé, nous prenons la voiture, une longue voiture dont les vitres sont teintées jusqu'à arriver à notre destination. La première épreuve qu'il me faut affronter, est celle du tapis m'amenant jusqu'à l'entrée du complexe où défilent nombre de célébrités plus ou moins influentes et issues d'à peu près tous domaines confondus, en comptant tout de même énormément de stars de la chanson dans le lot. Certains noms ressortent plus que d'autres, certaines personnes deviennent plus aisément la cible des photographes alors qu'il y en a qui sont carrément invités à participer à une rapide interview à même la foule.

C'est un petit peu le sas de l'angoisse où l'on peut trop facilement savoir si l'on est aimé ou non par des personnes que l'on n'a, pour la plupart, jamais rencontré de toute notre vie. C'est aussi ici qu'auront lieu les pires railleries tout comme les plus beaux éloges à propos des tenues portées par les artistes et qui feront, pour certains, les premières pages les plaçant sur un piédestal et pour les plus malchanceux, celles dédiées au fashion faux-pas.

Chacun à notre tour, nous sommes presque jetés dans cette cage aux lions et de laquelle on ne ressort pas toujours vivant. Il faut s'armer de plomb pour supporter les critiques qui pourraient suivre, mais surtout d'un sourire perpétuel si l'on ne veut pas attiser de scandales inutiles qui nuiraient aussitôt à notre réputation qui, je le rappelle, est aussi fragile que de la porcelaine.

C'est d'ailleurs ce que je fais lorsque vient mon tour et que je m'avance sur cette marche de la superficialité et du matérialisme, m'étonnant presque du nombre de flashs à la seconde qui pulsent dans ma direction. Moi qui, pourtant, avait fait très mauvaise impression dû à mon déclin médiatiquement publié de l'époque, beaucoup semblent avoir passé l'éponge sur cette triste affaire en les entendant presque hurler mon prénom afin que je regarde dans leur direction. Une main sur la hanche, le sourire en improvisation de mannequin et voilà que les commentaires fusent sur ce qu'ils attendent de moi en termes de postures. Parfois, je ramène quelques mèches sur mes épaules. Parfois, j'incline légèrement la tête tout en leur jetant mon regard le plus envoutant, de quoi provoquer une véritable hystérie de leur côté.

Durant plusieurs longues minutes, c'est le même spectacle jusqu'à ce que je parvienne à m'extirper de là entre plusieurs petites interpellations de la part de journalistes ou autres personnalités cherchant à m'extirper quelques mots de la bouche.

De manière globale, je pense m'en être sorti, même s'il est toujours difficile de clairement se prononcer avant que le verdict du lendemain de soirée ne soit tombé. Je rejoins donc assez rapidement mon manager qui m'attendait à l'intérieur et s'en suivent plusieurs discussions de tout et de rien, que ce soit avec lui ou avec d'autres personnes qu'il me présente gracieusement ou qui viennent de leur plein gré, soit pour discuter affaire avec lui, soit pour me rencontrer. Je commence déjà à avoir la tête qui tourne avec toutes ces lumières, ce bruit et cette horde de personnes en tous genres qui m'appellent, me saluent, demandent des photos ou des autographes. Et dire que la soirée ne fait que commencer... on sent que la vie de star n'a plus réellement fait partie de mon quotidien depuis belle lurette.

Les heures défilent et le show commence. Heureusement pour moi, je n'ouvre pas le bal tout de suite vu que comme toute cérémonie attendue et projetée à la télévision débute sa soirée par la présentation de certaines catégories dans lesquelles des artistes figurent. Je profite des quelques instants de répit qui me sont si sympathiquement offerts avant qu'il ne soit temps pour moi de quitter la salle principale pour me retrouver en coulisses. Mon manager ne me suit pas, mais mon maquilleur et mon coiffeur ainsi que quelques assistantes oui. Les derniers check se font jusqu'à ce que le présentateur présent sur scène ne finisse par annoncer mon arrivée. Je me sens trembler en attrapant le micro entre mes petites mains, mais il est trop tard pour reculer. Il est de toute façon hors de question pour moi de me ridiculiser une seconde fois alors qu'on me donne une chance d'enfin afficher au grand jour de quoi je suis capable.

La musique s'élance, c'est la ballade figurant sur mon nouvel album. Au rythme des instruments, je m'avance sur scène, lentement, ma silhouette ne se remarquant que très brièvement tandis que je débute la chanson par quelques flexions vocales s'harmonisant presque trop parfaitement à la mélodie. Ma voix n'est plus celle d'il y a quelques années. Elle a gagné en maturité et en chaleur, baignée dans du miel et amenée sur un tapis de fleurs. Arrivé au centre de la scène, seul un projecteur assez doux illumine ma silhouette jusqu'alors plongée dans le noir. Une dernière inspiration... je souris suite aux cris des fans qui retentissent dans la salle, visiblement heureux de me voir ou de me retrouver, pour les plus anciens, s'étonnant peut-être de mon look ou de mes courbes violemment amincies.

Je pose un instant de silence dramatique pour échauffer la foule avant que la mélodie ne reprenne ses droits, ma voix retentissant à nouveau dans toute la salle. Elle est un peu rauque, bien plus que d'habitude, cicatrice des précédents excès mélangés au stress actuel tout en ajoutant néanmoins une touche d'émotion et de profondeur à la chanson que je suis en train de chanter.

Certaines hautes notes sont à la limite de craquer, mais je réussis à garder une voix plus ou moins stable durant la totalité de ma représentation, utilisant mon prétexte l'émotion d'à nouveau me retrouver sur scène, qui plus est lors d'une cérémonie officielle plus qu'importante. La chanson se termine par des notes plus basses, plus graves alors que j'hoche la tête en guise de remerciement et de respect sous les applaudissements, les sifflements et toutes sortes d'exclamations de la part de mon public. Le sourire aux lèvres, ému, je salue mon audience, les spectateurs, de quelques agitations de doigts avant de me retirer de la scène pour à nouveau laisser place au présentateur. De retour dans les coulisses, les quelques artistes avec qui je travaille sautille un peu partout et me félicite, ne sachant plus vraiment où me mettre sous cette tonne de compliments qui arrivent jusqu'à mes oreilles.

Peu de temps après, mon manager me rejoint, me félicitant par la même occasion ainsi que toute l'équipe, mais ne faisant office de présence que durant quelques brèves minutes, après quoi son téléphone retentit de manière incessante, l'obligeant à nous quitter aussitôt qu'il est apparu.

Je ferme les yeux et penche légèrement la tête en arrière tout en me dirigeant vers la salle principale, soupirant lourdement en ayant et en pouvant enfin relâcher la pression m'ayant alors suivi jusqu'à présent. Je me retrouve dans un coin un peu reculé de la foule, admirant la scène de là où je me trouve, ne pouvant tout simplement pas croire que je viens de mondialement chanter en direct depuis cet endroit. La sensation provoquée par cette prestation est inexplicable.