Rencontre du destin [Pv Tess Drake]

Il commençait à se faire tard, au moins pour manger, et je venais de sortir de la résidence de Ellia. Celle-ci m’avait demandé de passer l’après-midi avec elle après une semaine sans nous voir. Il était évident qu’elle s’inquiétait énormément pour moi et je ne savais plus si c’était son instinct protecteur qui parlait pour elle. Etrangement, nous étions devenus très proches. Aux Etats-Unis, on m’avait appris que la raison à cela était que nous étions amis. Une autre personne avant les Ballentine avait usé de ce mot. Je savais donc ce qu’il devait signifier. Mais pouvais-je réellement prétendre savoir ce que c’était au niveau du ressenti ? A mes yeux, ce serait jouer au charlatan. Je préférais donc voir ce qui en était avec le temps.

Cette notion revenait un peu trop souvent à mon goût. Autant pour l’amitié c’était une question de choix de laisser les choses ainsi, mais pour le reste… J’avais plutôt l’impression qu’on m’imposait d’attendre quelque chose qui pourrait très bien prendre des années. L’adaptation, trouver un moyen de me guérir, faire fi de mon passé… Ce dernier était bien trop lourd pour que cela puisse prendre que quelques mois. C’était évident ! Si ce n’était pas le cas, je ne ferais sans aucun doute pas partie du groupe de soutien. Et je n’irais sans doute pas voir un psy non plus.

Soupirant doucement par lassitude, comme je l’avais fait avant qu’Ellia me fasse entrer dans la résidence, je marchai dans la cours dans l’idée de rentrer. Je ne voulais pas être en retard pour le couvre-feu. Il devait bien me rester quelques heures, mais je ne voulais clairement pas prendre de risque. Qui sait ce qui pouvait se passer en chemin ?

Le ciel était encore clair Le soir avait beau tomber lentement, on pouvait encore voir où on mettait les pieds sans avoir besoin de lumière artificielle. Un petit coup d’oeil au-dessus de ma tête me permit de voir qu’aucun nuage n’était présent. Peut-être pourrait-on admirer les étoiles. A moins que les lumières de la ville soient trop présentes pour ça ? A vrai dire, je n’avais jamais pris le temps de me poser ce genre de question. Trop préoccupé par le fait de devoir faire attention à chacun de mes faits et gestes, cette idée n’avait réellement traversé mon esprit. Peut-être avant la disparition de ma mère, mais cette époque avait été trop douloureuse pour que je veuille m’en rappeler. Et maintenant ? L’idée même m’effrayait. Je préférai donc prendre le temps de savourer un peu de cette sensation de liberté. Elle aussi me faisait peur, mais c’était tout de même bien moindre à côté de la tension perpétuelle que la mafia avait pu me faire subir. Cette fois, la seule chose qu’on pourrait me reprocher, ce serait de ne pas respecter le règlement… et perdre le contrôle, bien sûr. Et d’après ce que j’avais compris, les punitions n’auraient rien à voir avec ce que j’avais pu subir.

- Finalement, le dépaysement peut avoir du bon… marmonnais-je dans ma langue natale sans y faire attention.

A peine quelques secondes plus tard, ne serait-ce parce que j’avais toujours le nez levé vers le ciel, je sentis mon épaule buter dans quelque chose. C’était dur et mou à la fois. Inquiet et à nouveau nerveux, je me retournai pour regarder ce qu’il s’était passé. Je venais de percuter une personne qui, sans doute, passait près de moi. Peut-être avais-je dévié de ma trajectoire brusquement. Ou bien personne ne faisait attention. En tous les cas, je me sentis assez fautif pour tenter de m’excuser dans la langue commune des lieux :

- Pardon, je ne faisais pas attention à où j’allais… Je vous ai fait mal ?

J’espérais réellement que cette personne ne m’en tiendrait pas rigueur. Mais, d’un autre côté, je n’avais pas d’excuse : je venais de la bousculer, peut-être que je lui avais fait mal. Pourtant, tout ce que j’avais à lui offrir étaient des excuses et possiblement mon aide pour la relever si le choc avait été assez fort pour la faire tomber.

Je ne le vis qu’après, mais la jeune femme n’avait aucune expression de colère, frustration ou autre sur ses traits. La surprise laissa même place à une petite pointe de culpabilité alors que sa bouche était légèrement entrouverte. Voulait-elle s’excuser elle aussi ? La réponse fut oui. Et elle le fit dès lors que je l’eus devancée. Apparemment elle n’avait pas de mal et elle s’inquiéta également pour moi. Je réfléchis donc un instant à ce que j’allais dire, n’ayant pas l’habitude de l’anglais. Puis, je lui répondis en joignant quelques gestes à la parole pour être sûr qu’elle me comprenne :

- Non, je vais bien.

En même temps, face à ce que j’avais pu vivre, une simple bousculade n’était rien. Même des coupures ne me faisaient pas grand-chose. Je devais d’ailleurs changer mes bandages une fois rentré à la résidence surveillée. A moins que j’aille voir l’infirmière ? Je devais admettre que je n’aimais pas trop ce qui se rapprochait de près ou de loin au corps médical. J’avais rencontré beaucoup trop de médecins et allé bien trop de fois dans des hôpitaux pour ne pas associer ce genre de chose à… Comment le nommer ? Le résultat de tout ce qu’on me faisait subir avant de devenir Yuri Walker. Encore une chose avec laquelle je n’étais pas familiarisé…

La jeune femme me sourit. Je ne compris pas trop pourquoi et, indépendamment de ce fait, je ne pus le lui rendre. Je venais de raconter à Ellia ma vie, mes douleurs et ce qu’on m’avait fait vivre depuis mon plus jeune âge. Je ne pouvais pas sourire. Me forcer n’était pas trop mon truc. Mais pour ne pas paraître triste ou abattu (sans réel succès car c’était vraiment dur), je me mis à l’observer. Les cheveux bleus, sans aucun doute le résultat d’une couleur, et un bonnet sur la tête. Elle semblait assez sûre d’elle et droite. Pourtant, quelque chose me disait qu’elle n’était pas comme Ellia. Bon, je ne la connaissais pas, mais sa posture me disait qu’elle avait quelque chose qui me ressemblait. Mais quoi ?

N’ayant pas grand-chose à rajouter, je tournai les talons en la saluant de la tête, puis je repartis. Je ne voulais pas la mettre mal à l’aise en l’observant plus longtemps. Pourtant, en marchant, je repensai à ses gestes, son visage, sa posture et son sourire. Cela dura le temps de quelques pas avant que je me retourne et, sans plus réfléchir, je la hélai :

- Hey !

Je n’attendis pas qu’elle se retourne avant de reprendre dans un anglais presque hésitant alors que je m’aventurais sur un sujet peut-être glissant :

- Comment fais-tu pour sourire comme ça ? Je veux dire, je n’ai pas l’impression que ce soit vrai.

Après tout, il n’y avait pas ces petits détails sur ses traits alors qu’elle souriait comme le rehaussement de ses pommettes, ni de plis au niveau des  yeux ou autres. Il n’était pas désagréable, mais si elle m’apprenait, peut-être que je ferais moins peur ?

La jeune femme se retourna vers moi quand je l'appelai. Attentive et sans doute curieuse de ce que je lui voulais, elle m'écouta lui donner l'impression que son sourire me donnait. Néanmoins, elle en fut que plus surprise. Je le vis à l'expression de son visage. Et le silence nous engloba une fois qu'elle eut répété mes mots, comme s'ils sonnaient étrangement. Sans doute était-ce le cas. Après tout je n'avais jamais souris depuis la mort de ma mère. Non, depuis sa disparition, même si les deux dates coïncidaient certainement. Depuis des années… et le fait que je me sois fourvoyé me fut clairement donné par mon interlocutrice.

Je ne compris pas pourquoi elle s'excusait de ne pas comprendre mes paroles. Peut-être, après tout, m'étais-je trompé. Que ce soit dans la formulation de ce que je voulais dire ou le fait qu'elle sourit réellement. Pour qui me prenais-je ? Un tout puissant ou la personne qui sait tout ? Je n'étais rien de cela. Rien qu'un ancien mafieux, un assassin… Un repenti, que je le veuille ou non. Mais avant que je puisse m'en excuser pour effacer les siennes qui n'avaient pas lieu d'être, elle me montra un tout autre sourire. Ce fut alors à mon tour de me montrer étonné. J'avais déjà vu cette expression qu'elle m'offrait quelque part, mais je ne parvenais pas à me rappeler où exactement. J'avais beau l'observer, y réfléchir, je ne parvenais pas le remettre… Tout comme je ne compris pas pourquoi elle s'en excusa.

-Non, surtout ne t'excuse pas. C'est moi qui dit des conneries. Pardon.

Cette histoire de sourire, me turlupinait tout de même. Et pas qu'un peu. En regardant en direction de la résidence d'Ellia, je me dis que je souhaitais lui sourire, lui montrer la reconnaissance que j'avais pour elle. Ma vie changeait grâce à cette personne à qui je venais d'ouvrir totalement mon cœur. Je savais pertinemment que je l'avais blessée en le faisant, même si elle l'avait voulu. Mais… je ne voyais pas d'autres moyens de me faire pardonner qu'en souriant un peu.

Dans cet état d'esprit, je tentai de sourire comme elle me l'avait montré. Mais monter les coins de la bouche n’était pas si simple que ça. Je fis quelques essaies avant de soupirer, abandonnant le fait de pouvoir y arriver. De ce fait, je regardai à nouveau la jeune femme aux cheveux bleus et lui dis avec mon accent japonais, penaud :

-Désolé de t'avoir de t'avoir dérangé et d'avoir dit des trucs étranges.

Néanmoins, malgré ces paroles, je ne partis pas. Pas tout de suite. Je voulais, avant ça, savoir si elle allait me pardonner. Il ne fallait pas que je fuis l'humeur des autres, leurs états d'âme. Surtout quand j'étais en tort. Et c'était totalement le cas dans cette situation. Qu'est-ce que je pouvais être con… Comment pouvais-je être autant à côté de la plaque ?

Durant tous mes essais, la jeune femme ne rit, pas, ni ne fis de commentaires ou autre chose qui aurait pu attirer mon attention. Sans cela, sans doute n'en aurais-je pas fait autant, ce qu'elle avait sans doute observé avec plus ou moins d'attention. Je n'avais pas cherché à le vérifier et, à vrai dire, qui aurais-je pu y faire ? Ce n'est pas comme si j'avais cherché à m'en cacher. Au contraire, si j'avais pu lui montrer un sourire pour, au moins la remercier de sa compréhension, j'en aurais été content. Je serais alors sans doute même retourné voir Ellia pour le lui montrer… même si faire cela n'avait peut-être aucun intérêt. Dans tous les cas, je n'y arrivais pas et je m'en sentais tellement ridicule et honteux de l'avoir ainsi fait attendre. Tout le monde avait une limite à sa patience. Je ne savais pas encore quelle était la mienne, tout comme j'ignorais celle de mon interlocutrice. Je n'avais aucune volonté d'en abuser, d'où mes salutations sans que je m'en aille, en plus de subir le courroux qu'elle voudrait me faire tomber dessus si elle le jugeait nécessaire.

Mais il n'en fut rien. Je ne compris pas vraiment pourquoi elle mit une main sur sa hanche et pencha légèrement la tête sur le côté. Pour changer d'angle de vue ? Non. Ce devait être de l'incompréhension. Pourtant, ce n'était pas comme s'il y avait quelque chose de spécial à comprendre. Rien en fait… Elle dû d'ailleurs s'en rendre compte puisqu'elle balaya une nouvelle fois mes excuses par quelques mots que j'avais souvent prononcés. Parce que j'avais aidé des personnes pour me racheter sans le pouvoir puisque ce n'était pas auprès de ces personnes que je devais le faire. Parce que j'avais cru pouvoir sauver mon âme en allant un peu vers les autres, ce qui n'avait nullement été le cas.
Puis, sans transition, la jeune femme me demanda si j'allais bien avant de me proposer d'aller m'asseoir avec elle sur un banc non loin de là. Je ne répondis rien, perdu. Comment ça je n'allais pas bien ? Enfin… non. Ça n'allait pas et je me doutais que, comme au Japon, cela devait se voir à des kilomètres. Mais pourquoi s'en souciait-elle ? Pour les mêmes raisons que moi auparavant ? Voire même maintenant si j'en avais l'occasion d'ailleurs. Je n'en savais rien et je n'aimais pas me retrouver dans de telles situations. Peut-être quand je me serais rassuré concernant ma nouvelle condition, mais pas dans l'immédiat.

Doucement, quelque peu hésitant, je la suivis mais ne m’assis pas à ses côtés. D'ailleurs, elle était installée d'une façon assez spéciale : se servant du dossier comme assise, elle avait posé ses pieds à la place qu'elle aurait dû prendre. Silencieuse, elle attendit sans doute que je la rejoigne et/ou lui réponde. Méfiant, à raison ou à tort, j'attends un peu avant de lui demander la question qui me brûlait fortement les lèvres :

-C'est le fait que je n'arrive pas à sourire que tu penses que je vais mal ?

Je laissai un silence planer à nouveau. Je n'attendais pas forcément sa réponse dans l'immédiat. E voulais-je réellement une de toute façon ? J'étais à peu près sûr de la réponse : il n'y avait pas que ça. Tout mon corps montrait, même inconsciemment, que j'étais comme assommé sous le poids de la culpabilité, du chagrin, de la rage et de la peur. C'était si lourd que j'avais l'impression que je pouvais tomber à tout instant. Pourtant, je me trouvais bien solidement debout à côté du banc en la regardant. Puis, détournant le regard pour poser ce dernier en direction de la résidence de mon amie, je repris doucement, comme pour moi-même sans lui cacher :

-Je ne dis pas que tu as tort. Seulement, je ne voudrais pas que ce genre de constat se fasse à chacune de mes rencontres…

Si tout le monde venait à vouloir m'aider, un peu comme elle ou en pire, mes secrets ne pourraient pas rester en l'état très longtemps. J'en avais parlé à Ellia peu de temps avant d'être là, mais ça ne suffisait pas et le fait de devoir le cacher au monde me blessait. C'était comme si je n'avais pas le droit d'avoir ce vécu. J'en connaissais les raisons. Je le savais que trop bien. Mais cette connaissance ne rendait pas les faits moins compliqués…

La jeune femme, face à ma question et les raisons qui me poussait à la poser, secoua doucement la tête. Non. Ce n’était pas le fait que je n'arrivais pas à sourire qui l'avait amenée à croire que je n'allais pas bien. Dans ce cas, qu'est-ce que cela pouvait bien être ? À moins que cela n'ait rien à voir ? Si elle souhaitait seulement discuter, elle aurait également été amenée à me proposer qu'on aille s’asseoir. Non. Ce n’était pas logique étant donné qu’elle m'avait demandé plus tôt si j'allais bien. C’était vraiment bizarre. Je ne comprenais rien et j’étais à peu près sûr de ne pas être à ce point à côté de la plaque pour ne pas comprendre le sens de ses paroles. A moins qu’il ne me manque certaines valeurs à cause de mon vécu de mafieu ? Ou des connaissances concernant les habitudes ou coutumes du pays ? Je n’en savais rien et j’avais l’impression que tout m’échappait.

Sans réellement m’expliquer, elle me fit part que c’était quelque chose de plus profond qui l'avait amenée à penser que j'allais mal. Mais elle ne me révéla pas de quoi il pouvait bien s’agir. D’une certaine façon, il me sembla comprendre sans pouvoir mettre le doigt sur ce que c’était exactement. Peut-être même que cela n'était pas nommable. Personne, à part elle et les jumeaux, depuis que j’étais arrivé en Angleterre, n'avait jamais décelé que j’avais terriblement mal. Aucun de mes camarades de classe ou autres n'avaient rien vu et semblaient avoir vu mon comportement que comme étant de la timidité ou de la simple insociabilité. Pas cette fille. Elle avait vu… autre chose.

-Saurais-tu me dire ce que c’est, ou c’est indéfinissable ? Non… Plus qu’indéfinissable, ce serait plutôt un tout, n'est-ce pas ?

Je ne savais pas trop comment formuler ma pensée. Alors, je n’insistai pas, portant ma main à l'arrière de ma tête pour frotter un peu mes cheveux. Gêné, j’avais l’impression de tourner en rond. Savoir ce que c’était ne me disait pas comment elle avait pu le percevoir. De même que… même si elle l'avait perçu, je ne savais pas trop comment dire les choses sans mettre sur table ce que je devais à tout prix cacher pour rester sous couverture. Cela, jusqu'à ce que cela soit naturel. Un exercice pour le moment impossible à mes yeux, fallait être réaliste.

-Tu as raison, je ne vais pas très bien, lui dis-je finalement en la regardant de nouveau, lâchant ma tête pour mettre mes mains dans les poches de ma veste. Mais je n'arrive pas à saisir comment tu t’en es aperçu.

Je me sentais totalement idiot. Peut-être moins hypocrite que ce que j'aurais pu être. Moins menteur de ce que je devais être, ce qui n’enlevait rien à la culpabilité qui me pesait et qui venait s'ajouter à celle que je ressentais de base. Je me détestais autant que Ellia tenait à moi. C’était douloureux, mais je ne devais pas me laisser aller à ce sentiment pour ne pas l'inquiéter et ne pas faire peser les soupçons sur moi. … Surtout pour elle en fait. Je tenais beaucoup trop à ce petit bout de femme pour lui faire du mal à travers ma personne ou autrement.

Sans que je comprenne vraiment la raison, la jeune femme me donna une réponse à mes interrogation. Sur la façon dont elle avait vu mon mal être. Malheureusement, cette réponse ne me permit pas de comprendre. Une vision générale de ma personne lui avait permit de le détecter. De même qu’elle ne savait pas nommer ce qu’elle avait vu. Ce n’était pas décevant puisqu'elle avait au moins eu la franchise de le dire. Mais je n’étais pas aidé par ce manque de détails involontaire. Si tout le monde pouvait apercevoir mon mal être, il me serait difficile de changer ou même cacher la raison principale de mes maux. Je ne voulais pas qu'on puisse retrouver ma piste, de même qu’il m’était difficile d’y penser. Pourtant, avec une telle attitude involontaire qui montrait que j’en avais assez, comment rester dans le secret ? Après tout, même cette personne que je venais de rencontrer avait deviné juste en prétendant que je n’avais pas toujours baigné dans la légalité. L’avais-je d’ailleurs un jour été ? Même à ce jour je possédais une fausse identité et de faux papiers pour me cacher aux yeux du monde. N’était-ce pas illégal ? Si ! Bien sûr que si ! Même si cela était pour sauver d'innombrables vies.

Je ne savais pas quoi changer dans mes faits et gestes pour cacher ce que j’étais réellement. Je ne connaissais aucun moyen rapide de guérir mes blessures, si cela était possible. De même que ma haine envers moi-même ne disparaîtrait pas de sitôt. Je le savais. Je n’avais pas besoin d’une introspection très profond pour en être conscient. Après tout, cette haine était si forte qu’elle m'aidait à me voir comme mon pire ennemi. Pouvait-on appeler cela une “aversion pour sa propre personne” ? Cela y ressemblait-il ?

Depuis le départ, je ne faisais que peu attention à ce que faisait la jeune femme. Elle avait beau être assez proche pour me mettre en danger, je ne voulais plus être sur mes gardes pour ma propre vie. Ellia et sa famille seraient sans doute malheureux de me voir disparaître, mais n’était-ce pas dans l'ordre des choses de me voir rendre mon dernier souffle rapidement, sans avoir trouvé le bonheur ? Même si c’était parce que j’étais rongé par la culpabilité que je pensais de cette façon, malgré les solutions mises en place pour moi, je pensais encore qu’il était mieux si je ne faisais plus partie du monde des vivants. Cela me faisait mal parce que je savais parfaitement que j’avais fait toutes ces horreurs sans ce soit mon choix. Mais cette douleur était aussi moindre que celles qu'on m'avait infligées par rapport à la souffrance de la perte d’un être cher. Combien avaient maudit mon existence qui avait coûté la vie de leurs proches ?

Face à ma dernière remarque qui sonnait plus comme un fait ou une question, elle me répéta que je dégageais simplement quelque chose de différent. Était-ce parce que j’étais un assassin ? A moins que ce soit à cause de la culpabilité ? Elle ne le savait pas et, je n’avais pas moi-même de réponse crédible à cela. C’est pourquoi je restai silencieux et me contentai de regarder ailleurs. Mon expression restait neutre et j’avais enfoui mes mains dans mes poches comme pour m'empêcher de faire un geste qui pourrait nuir à ma couverture. Je n’étais pas autre que moi-même quel que soit mon nom, mais je ne me faisais toujours pas à cette idée malgré tout. A mes yeux, après coup, c’était comme si on avait différencié mes différentes personnalités. Je n'aimais pas vraiment cette pensée, qu’elle soit juste ou emplie de mensonges.

Profitant sans doute de mon silence, elle reprit la parole. Je me tournai alors vers elle pour mieux la comprendre. Ses premiers dires me firent penser que, comme je venais d'arriver là, il ne m’était pas tant possible que cela de différencier les autres, de voir comme elle le faisait. Puis, j’étais également du genre à éviter les regards ou de fixer les autres. Alors voir n’était pas dans mes cordes. Mais pouvais-je parler ? La jeune femme aux cheveux bleus semblait très sérieuse en me proposant d’écouter ce qui n'allait pas. Je venais de le faire avec la personne en qui j’avais le plus confiance en ce monde. Comme elle venait de le déclarer, elle n’était qu'une inconnue que je venais de rencontrer. Pouvais-je vraiment la croire sur parole dans ces conditions ? Non, sans doute que non. Alors, très calmement, je lui répondis :

-Je viens de raconter tout ce qui me pèse à une personne importante à mes yeux. Pourtant, je n’en ressors pas mieux puisque tu as pu voir le contraire…

J’hésitai un instant en cherchant mes mots comme je le pouvais. Puis, doucement, détournant la tête comme si j'aurais préféré qu’elle ne puisse pas m’entendre, j’ajoutai :

-Mais tu as raison : je n'ai dû faire que très peu de choses légales dans ma vie. Je ne mérite pas ma seconde chance à mes yeux même si on ne cesse de me répéter le contraire.

A nouveau, je regardai devant moi au niveau du sol. Il n’avait rien de bien intéressant, contrairement à la conversation que nous avions, même si elle semblait arriver à sa fin. J’appréciais grandement le fait que cette jeune femme ait bien voulu m’écouter malgré qu’on ne se connaisse pas du tout, tout ça parce que je lui avais demandé si son sourire était forcé. Mais c’était d’autant plus gentil de sa part qu’elle acceptait facilement que je ne veuille pas lui parler de ce qui me tracassait sans pour autant me priver de conseils qui n’avaient rien de frustrants. En fait, Ellia m’avait sans doute dit quelque chose de similaire, mais le fait qu’une simple connaissance déclare la même chose mettait un poids supplémentaires à ces paroles. Il me fallait être patient, laisser le temps de me permettre d’avoir une vie totalement normale, sans que mon passé ne me pèse sur mes épaules. Mais contrairement à mon amie, elle semblait savoir de quoi elle parlait. Elle me laissait fortement entendre qu’elle avait vécu une situation comme la mienne puisqu’elle m’avoua, si cela était possible, que l’attente allait sans doute me paraître longue. Néanmoins, j’étais certain que jamais je n’allais pouvoir accepter le sang que j’avais sur les mains. Comment allais-je le pouvoir ? C’était pour cela que je ne méritais pas ma seconde chance.

A peine eus-je déclaré ce fait, cette sensation que j’avais, elle m’en demanda la raison. Sans doute que même si nous avions possiblement vécu une vie ou situation similaire, elle n’avait apparemment pas cette impression d’être la pire des raclures, même en ayant fait les pires conneries qu’il était possible de faire. C’était ce que j’avais pensé avant qu’elle ne me déclare que si j’étais là c’était que je méritais ma seconde chance avant de me demander en quoi j’étais différents des Forges comme moi qui avaient l’avaient eu. Je souris sans la regarder tant pour moi la réponse était évidente. Mais j’en étais triste en pensant que je ne devrais vraiment pas être là. Je ne pouvais pas en parler. Pourtant, je lui répondis sans cacher le poids qui me pesait :

- Contrairement à la plupart des Forges ayant eu le droit à une seconde chance aux yeux de tous. Pour le monde, je devrais être mort sans avoir été jugé pour mes crimes. Cette école m’a mit en forge parce que je suis malade et que cette maladie me rend dangereux, pas pour ce que j’ai fait avant mon arrivée.

Je n’avais pas parlé de mon passé, donc rien n’allait se passer. C’était ce que je voulais croire alors que, dans mes poches, mes poings se serraient sous la pression du stress qui tendait mes muscles. Je n’en étais même pas sûr, même si j’avais quitté mon pays natal. Enfin… l’ancien. Il fallait que je vois mon passé comme un mauvais rêve pour jouer le rôle que je m’étais créé : Yuri Walker. Pourtant, je continuai sur le même ton toujours sans la regarder :

- En sachant que je n’ai pas été jugé, que je n’ai pas payé aux yeux des victimes, me penses-tu toujours digne de profiter d’une seconde chance ?

Pour celle-ci, je devais tant remercier la famille de Nick et Ellia… Comment les remercier autrement qu’en en profitant ? Mais… Holly avait-elle raison en prétendant que la torture que j’avais subie toutes ces années en refusant de faire ce qui m’était demandé était la punition que je voulais absolument subir ? J’avais tant de mal à y croire que je ne pouvais le voir de cette façon, peut importe la façon dont je le tournais. D’ailleurs, comment Ellia pouvait-elle me pardonner ? Parce que j’avais tout fait pour ne pas lui faire de mal ? Parce que je n’avais pas participé à la tuerie de Hoshi ? … Si elle était venue à me détester, comment aurait été ma vie ?

La jeune femme ne prit aucun temps de réflexion avant de me faire part de sa pensée. Elle semblait avoir déjà un avis bien arrêté sur la question, un peu comme si elle avait déjà dû y réfléchir depuis un moment. Pour quelqu’un ou pour elle-même. En tous les cas, ce n’était pas pour me dire que j’aurais dû faire comme tout le monde et me faire arrêter. Au contraire, elle m’annonça que, parce que j’étais un être humain, j’avais le droit à cette seconde chance. Cela également parce que je n’étais pas fier de ce que j’avais fait, parce que je me sentais extrêmement mal par rapport à tout ce qui s’était passé. Etait-ce de ce genre de “punition” dont me parlait la mère d’Ellia lorsque nous avions parlé de mon passé ? A moins qu’elle n’ait parlé des tortures ? Je ne saurais le dire, mais ces deux réponses me paraissaient aussi plausibles l’une que l’autre.

Un léger amusement naquit en moi quand elle affirma qu’elle n’avait pas mes ressentis et que c’était tant mieux. Oui, heureusement qu’elle n’était pas à l’intérieur de ma tête, sans quoi elle courait sans doute à sa perte. Mais cette émotion ne fut pas assez forte pour me faire sourire ou rire même en un soufflement de nez. Je ne me rendis qu’à peine compte de tout cela en vérité, bien trop occupé à penser à tout ce qu’elle me disait. Notamment que ses raisons ne me paraissaient pas assez pour me laisser une seconde chance. Enfin, moi peut-être. Mais était-ce également le cas de ma double personnalité qui pouvait tuer n’importe qui sans le moindre remord ? Je cherchais peut-être la petite bête, mais je me sentais responsable de tout ce que j’avais fait. Et, au final, même si je ne m’en vantais pas, j’avais fait un meurtre sans le moindre remord. Celui de mon père. Rien que pour cela, j’aurais dû être jugé, sans aucun doute. Et ce, depuis des années.

Finalement, je ne répondis pas comme je le voulus au départ à la jeune femme. Je n’avais aucun argument qui ne soit pas subjectif. Je savais parfaitement que cela ne me mènerait plus nulle part et qu’il me fallait simplement plus de temps. Du temps pour apprendre à vivre sans être la marionnette de quelqu’un, accepter d’être là, en vie, loin de tout ce que j’avais connu depuis tout petit, dans un monde qui n’était pas le mien, et prendre une bonne fois pour toute le pas sur ma seconde personnalité. Ainsi, je lui dis simplement :

- Tes paroles me touchent, mais je ne sais pas trop comment. Je pense que je vais avoir besoin de temps pour y réfléchir. Mais merci.

Sans geste brusque, je me levai en regardant un peu autour de moi. Il commençait à se faire tard et j’allais devoir m’en aller avant qu’on se mette à ma recherche. Je me tournai alors vers la jeune femme et lui annonçait simplement :

- Je vais devoir y aller si je ne veux pas d'ennuis. Merci encore d'avoir essayé de m'aider.

Je ne me rappelai pas qu'on ait échangé nos noms, mais je ne savais pas trop comment m'y prendre. D'un certain côté, cela me semblait un peu brutal de lui donner comme ça. Mon faux nom. Mais la politesse voulait que ce soit moi qui me présente en premier pour pouvoir lui demander en retour. Alors, passant une main à l’arrière de ma tête par gêne, je lui dis :

- Je m’appelle Yuri Walker. Quel est ton nom, si tu veux bien me le donner ?

Je ne m’attendais pas vraiment à ce qu’elle me le donne. A vrai dire, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Alors, j’attendis qu’elle me réponde, en refusant de me dire son identité ou en faisant ce simple échange. Puis, la saluant un peu maladroitement, je pris congé en lui souhaitant une bonne soirée. Cette rencontre était une bonne chose, bien que j’eus l’impression que rien ne serait simple, relationnellement parlant. J’allais devoir redoubler d’efforts si je voulais paraître plus normal que je ne l’étais réellement.