Entre Roi et Dame, entre blanc et noir [Prez']

Le conseil des élèves. Tant de gens prennent ça tellement au sérieux, à croire qu'il s'agit de vraie politique. Adossé au mur près de la porte de cette fameuse salle à laquelle il n'a pas accès, Damen regarde distraitement à l'intérieur par les vitres qui la séparent du couloir. Evan est le seul membre de ce conseil dont il a retenu le nom. Telle que cette école fonctionne, ils sont probablement en train de préparer cette histoire de cadeaux distribués en classe, une tradition qu'ils semblent à tout prix vouloir garder d'une année sur l'autre. L'aurait-il fait l'année dernière s'il avait été à la place de ce roi trop sage ? Probablement pas. Ou il aurait trouvé une variante plus amusante.

Il faut vraiment qu'il s'ennuie pour en arriver à espionner les réunions du conseil des élèves. Avec un petit soupir, il s'éloigne de la porte les mains dans les poches. Il n'a même pas voulu essayer, cette année ; gagner après la victoire de son père lui donnait beaucoup trop la nausée. Ils n'auraient pas été si différents. Plutôt crever. Au fond, ça l'enrage de voir ce petit groupe décider de ce qui se passera dans l'école, quand bien même son ami en fait parti. Leurs idées sont trop sages, trop conformes, trop… trop ce qu'on attend d'eux. Déjà parfaitement adaptés au petit monde forgé par les gens puissants. Ce monde qui le fatigue de plus en plus.

Damen quitte le bâtiment d'un pas las avant de se percher sur le rebord d'une fenêtre malgré les remarques d'un surveillant qui passait par là. Il s'ennuie. Il a besoin d'une dose d'adrénaline, mais il est encore dans une de ces stupides périodes où son père a décidé de couper l'accès à son compte en banque, et il doit attendre de récupérer sa nouvelle carte. En attendant, le monde a le goût de corn flakes sans sucre : fade et banal au possible. Il tourne les yeux en voyant une silhouette sortir du bâtiment.

» Eh, Prez' !

Il a envie de se battre. Il n'a probablement pas choisi la bonne personne pour ça, mais ça ne coûte rien de tenter. Après tout, il paraît que la tension est montée entre lui et un autre garçon dans les dortoirs, peut-être qu'il réussira à obtenir un résultat similaire. Et dans le pire des cas, ça l'occupera un moment.

» Quel petit événement ennuyeux tu nous prépares cette fois, dis-moi ?

À quoi ressemble l'ego d'un type comme lui ? Il l'a déjà vu vaguement énervé, mais jamais tant blessé que ça dans sa fierté. La plupart du temps, comme les gens sains d''esprit, il se contente d'ignorer le blondinet agaçant et de continuer son chemin, même si Damen voit bien qu'il se crispe un peu. Il a ce talent pour énerver les autres, autant en profiter aujourd'hui.

» À moins que tu aies enfin décider de jouer dans la cour des grands ?

Petit sourire provocateur tandis qu'il balance ses jambes au-dessus du sol. Ça lui rappelle un peu sa première rencontre avec la petite princesse pureté. Sauf qu'il n'avait pas eu besoin de faire grand-chose pour finir avec un coup à l'estomac. Alors qu'avec ce cher président, ça risque d'être un peu plus compliqué.

C'est plus facile que prévu. Allons bon, ça ne lui ressemble pas de répondre sur ce ton. Finalement, il a peut-être bien choisi son jour pour aller le provoquer. D'ordinaire, le prez' se contente de l'ignorer ou de lever les yeux au ciel quand il lui parle.

» C'est qu'il mordrait.

Avec un petit sourire sarcastique, Damen s'appuie sur ses bras pour sauter de son rebord et poser pied à terre, puis marche d'un pas un peu trop sensuel et provocateur vers son interlocuteur. Oh, oui, il a l'air de très mauvaise humeur. Ce genre de pique est un peu trop violent pour son état habituel. "Tu manquerais pas à grand monde", hein ? Il n'a sûrement pas tort. Mais s'il pense le blesser avec si peu, il est encore loin du compte. Sans perdre son expression, il s'avance assez pour attraper la cravate de son camarade entre ses doigts et l'attirer un peu vers lui.

» Oh arrête, tu adorerais être comme moi, susurre-t-il près de ses lèvres.

Ensuite de quoi, il le relâche avec un lueur amusée dans le regard et croise ses mains derrière sa nuque, aplatissant ses mèches blondes contre sa peau. Il reste persuadé qu'il y a de la jalousie quelque part dans le garçon qui lui fait face, quelque chose qu'il envie chez lui, sans trop savoir quoi. Sa liberté ? Sa popularité ? Son argent ? Il parierait bien sur le premier choix. Jamais il n'a vu ce mec boire d'alcool, ou aller véritablement loin avec qui que ce soit, ou tenter ne serait-ce qu'une des choses qui font que Damen se sent vivant. Il est enfermé dans son rôle de garçon populaire respectable, trop sérieux et trop raisonnable.

» Alors, qu'est-ce qui s'est passé pour que tu sois d'aussi mauvaise humeur ? Tu t'es encore pris un râteau ?

Il teste, il tente, cherche à trouver le sujet qui le mettra sur les nerfs. l'avantage, c'est qu'il part avec une base plutôt solide, et pas sur un mec respirant le bonheur et la détente. C'est plus facile de faire craquer quelqu'un qui est déjà énervé. Relâchant sa nuque pour mettre ses mains dans ses poches, Damen l'observe allègrement, un air entre le sensuel et le lubrique peint sur son visage.

» Tu sais, si ce n'est que ça, on peut s'arranger.

Est-ce qu'il en a vraiment envie ? Bah, ça ne serait qu'un mec comme un autre. Ce serait hypocrite de prétendre qu'il n'est pas agréable à regarder mais bon, de toute manière, la question ne se posera jamais. Il connaît trop les mecs comme lui : jamais il ne mettrait sa fierté de côté. Même si Damen était absolument son type - ce qui est peut-être le cas, à bien y réfléchir - jamais un gars pareil ne l'admettrait.

Oooh, un petit point sensible. Pas celui qu'il cherchait, mais cette petite réaction quand il l'a tiré par cette cravate est déjà un petit quelque chose d'amusant. Sensible à la provocation ? Il n'arrive pas à savoir si c'est un réflexe de dégoût ou non. Il sait que tirer quelqu'un de cette façon est considéré sexy par beaucoup de monde – lui le premier, même si ça dépend grandement du contexte et qu'il a tendance à l'utiliser pour tout et n'importe quoi – mais est-ce que le prez' fait partie de ces gens ? De ceux qui aiment qu'on prenne les devants et qu'on leur retire le contrôle des mains ? Damen ricane. Oh, c'est le voir qui le met de mauvaise humeur ? Il est presque flatté d'avoir un tel effet. Et ce petit regard noir en rajustant sa cravate est une bonne première dose de dopamine. Ou d'adrénaline. Un truc chimique qui réveille son cerveau.

» Je vais prendre ça comme un compliment.

Comme pour tout. Le mépris des gens autour de lui lui donne la sensation d'exister, et surtout l'impression qu'on le regarde vraiment. Bien évidemment, étant ce qu'il est, Damen s'empresse d'enchaîner avec un suggestion lubrique, et le sourire empli de moquerie qu'il reçoit en guise de réponse ne fait qu'élargir le sien. En manque ? Toujours. Autant qu'on peut manquer de sommeil, ou peut-être parce que c'est l'une des rares choses qui lui permet d'en trouver.

» Oh, Prez', tu sais très bien que je peux avoir qui je veux…

Il penche un peu la tête avec un air empreint de prétention.

» … moi.

De quoi l'agacer un peu plus ? Peut-être. En tout cas, il a un peu de répartie, pour un enfant sage. Attraper des maladies ? C'est vrai que le risque aurait pu être non-négligeable, s'il n'accordait pas autant de soin à se tuer autrement qu'avec une maladie. Il tient à partir rapidement, ou à ne pas partir du tout, pas à dépérir ou pourrir de l'extérieur autant qu'il l'a fait à l'intérieur.

» Des gens que je n'intéresse pas, hm ? relève-t-il sans perdre son expression hautaine.

À quoi bon relever la question des maladies ? Souligner qu'il se protège est trop sérieux, trop ennuyeux, et surtout hors de propos. Il aura juste l'air de se justifier face à ce qui n'était qu'une pique, le genre qui ne s'embarrasse pas de faits. Il le trouve presque mignon, avec ses petites attaques.

» Pourtant je suis ton style, non ? Plus petit, cheveux clairs, rebelle et anticonformiste. Comme le mec que tu t'es tapé au bal.

Son sourire s'élargit encore, prenant l'allure presque diabolique qu'il lui arrive parfois d'arborer. Il est là pour s'amuser, il est là pour créer le chaos et la discorde et obtenir une dose d'adrénaline intégrée à coups de poings. Ou de pieds, il n'est pas difficile, tant que ça secoue un peu son quotidien vide.

» Enfin, si tu es allé jusqu'au bout sans te dégonfler.

Il ricane en s'approchant à nouveau, refermant ses doigts sur les bords de sa veste pour l'empêcher de trop reculer.

» Mais c'est si cliché de perdre sa virginité au bal de fin d'année, Prez'. C'est tout à fait ton genre.

Est-ce qu'il présume que ce soir-là, s'il y a vraiment eu quelque chose, était sa première fois ? Totalement. Ce n'est pas un pari spécialement risqué. Déjà, vu comme il était énervé quand il avait cru avoir couché avec cette fille lors de leur première altercation, il n'avait clairement rien fait à cette époque-là. Et les personnes qui se plaignent de lui n'ont pas le refrain "il voulait juste coucher avec moi".
Rien de surprenant venant du roi des enfants sages. Sa parfaite antithèse.

Il n'y a rien de plus simple pour énerver les gens que d'être simplement lui-même. Des petites piques, un peu de vantardises, des remarques salaces et des sourires en coin : généralement, ça suffit pour lui mettre beaucoup de montre à dos, et c'est exactement comme ça qu'il veut que les choses soient. Et malgré tout ce qu'il voudrait faire croire, le prez' n'est pas si différent des autres. Il tique quand on souligne les râteaux qu'il a pu se prendre, il fronce les sourcils, et il finit par s'énerver quand on appuie sur les bons boutons. En l'occurrence, il semble avoir trouvé un point sensible particulièrement intéressant.
"Ne te compare pas à lui", hein ?

» Oh, j'ai touché une corde sensible ? Il me ressemble tant que ça pour que ça te crispe autant ?

Il ricane un peu, reprenant ensuite sa tirade sur les clichés, les mains accrochées aux bords de sa veste. Il doit bien admettre, cependant, que sa remarque aurait pu le faire tressaillir s'il avait un peu moins de self-control. Lui, cliché ? Peut-être bien. C'est un peu ce qu'il a dit à l'alien. C'est fou, d'ailleurs, comme la petite pique presque trop bien visée de ce roi sans saveur ressemble à celle d'une autre...

» Tu serais pas ami avec princesse pureté, par hasard ? Vous avez le même discours.

"Papa ne prête pas assez attention à toi". Oui, c'est ce que lui a dit la rouquine à grosse poitrine la première fois qu'il l'a vue, et, à l'époque, il n'avait pas pu s'empêcher de se crisper. Cette fois, c'est différent. Déjà parce qu'il ne s'est pas fait tabasser cinq minutes plus tôt, et parce qu'il s'amuse. Avec l'autre, il était en colère, donc rien à voir.

» Mon père prête un peu trop attention à moi à mon goût, si tu veux mon avis. Enfin, peu importe.

Jouant un peu avec la veste qu'il n'a pas lâchée, il finit par revenir triturer sa cravate, hésitant à jouer encore plus avec le feu. Certaines personnes sont plus difficile à énerver que d'autres, mais il a trouvé un de ses points faibles, il suffit de continuer de jouer dessus assez longtemps pour qu'il se décide à lui coller son poing dans la mâchoire.

» Mais pourquoi ce soudain intérêt pour ma vie privée ? Ton cavalier du bal ne te satisfait plus ?

Qu'est-ce qui marcherait le mieux ? Appuyer sur le fait qu'il n'est probablement qu'un mec parmi d'autre ? Ou l'inverse ? Après tout, ce type a la réputation de prendre les gens pour les jeter ensuite, peut-être que jouer de ça serait suffisant pour le mettre hors de lui ?
Chaque chose en son temps. Déjà, parler de ça semble être la bonne voie pour l'énerver, c'est un début raisonnable.

Tout ça lui donne presque envie de rencontrer ce fameux gars dont la simple mention semble être la meilleure manière de titiller les nerfs de ce cher petit président du conseil. Susceptible sur ses fréquentations ? Ça expliquerait pourquoi il semble voir d'un mauvais oeil sa proximité avec Evan. Pas très partageur, donc, à moins que ça ne soit simplement la possibilité que les gens ressemblent à Damen qui l'agace autant. Quelle que soit la raison, Damen ne peut qu'en sourire. C'est la meilleure corde sur laquelle tirer pour obtenir ce qu'il est venu chercher, alors.

Le sujet du père chassé avec désinvolture, Damen remodèle la conversation pour lui convenir. Il n'a pas envie de parler des choses qui font remonter ses propres comportements négatifs ; ce sont ceux du roi trop raisonnable face à lui qu'il cherche à réveiller. Et c'est si facile. Cette façon de se dégager brusquement et de croiser les bras pour le toiser de haut... ça démontre tellement de colère contenue. Et même si le fait qu'il puisse le regarder de cette manière a un côté désagréable qui titille un peu trop ses complexes sur sa taille, la satisfaction de l'avoir agacé le surpasse de très loin.

» Peut-être qu'elle m'intéresse, qui sait...

Sans aucun respect pour son espace vital, comme une marque de fabrique qu'il n'a jamais caché, Damen se rapproche à nouveau, ignorant la volonté évidente qu'a son interlocuteur de s'éloigner de lui. Ses doigts s'emparent de nouveau de sa cravate, l'effleurent doucement. Il sourit toujours. Sourire énerve les gens qui essayent de le blesser.

» Oh, allons, pourquoi ce besoin de garder tout ça secret ? Tu as honte, ou quoi ?

Ce n'est un secret pour personne, de toute façon. Damen a beaucoup joué dans la rumeur qui s'est répandue comme une traînée de poudre après le bal - "l'inconvénient" de la popularité - mais il est loin d'être le seul à parler et à avoir noté le petit favoritisme du président du conseil.

» Ou alors tu as peur que je te le pique ? C'est la jalousie qui te ronge les entrailles ? Tu es déjà assez jaloux de moi comme ça, n'en rajoute pas trop...

Il tient à l'éloigner d'Evan, sans doute tient-il aussi à l'éloigner de son cavalier aux cheveux blancs... à supposer que celui des loges et celui du buffet étaient la même personne, il n'était pas sur le devant de la scène pour vérifier. Raffermissant un peu sa prise, Damen tire la cravate de sa cible du jour pour l'attirer vers lui.

» Toi qui aime tant tester la jalousie des autres, peut-être que je devrais tester celle de ton petit ami ?

Il s'approche un peu, assez pour que leurs lèvres se touchent, sans décrocher son regard du sien. Ça, c'est pour l'avoir regardé de haut.

» À moins que tu ne préfères que je parte pour tester la tienne, souffle-t-il tout contre ses lèvres.

Il lui suffirait d'une impulsion pour lui voler un baiser, qui le mettrait probablement bien plus en rogne que n'importe lequel de ses mots. Mais jouer sur sa possible possessivité est bien plus amusant, alors il ne bouge pas plus, restant à courte distance de son ultime possibilité de provocation.

Il réagit, bien malgré lui, sans doute. Il tique, tressaille, semble se perdre dans ses pensées pour s'en tirer de force quelques secondes plus tard. Et tout ça amuse fortement Damen, toujours aussi calme, toujours aussi déterminé à trouver le petit truc qui fera craquer pour de bon le modèle de calme qui se tient face à lui. Il a trouvé une petite plaie par laquelle s'infiltrer et, telle l'infection qu'il est, il a bien l'intention d'aller jusqu'au bout et de répandre son poison. C'est ce qu'il fait de mieux.

Ce n'est pas son petit ami, dit-il en s'éloignant. Amusant, pourtant, comme le concept a l'air de le déranger. Son langage corporel est facile à lire. Toutes ces réactions infimes qui signalent comme des panneaux lumineux que quelque chose le gêne dans cette conversation. Et la gêne n'est, après tout, qu'un marchepied comme un autre vers la colère. La gêne, la jalousie, la peur : il est si facile de trouver quelque chose pour faire sortir quelqu'un de ses gonds. Même le dégoût perceptible initié par leur presque contact est une arme potentielle de plus. S'il l'embrasse maintenant, risque-t-il de se faire projeter brusquement à terre ? De se prendre un coup de poing, de pied ? À quel point le déteste-t-il, alors ?

Damen sent les deux mains sur ses épaules qui le repoussent en arrière et il ne résiste pas, fourrant ses mains dans ses poches en penchant la tête comme un enfant en plein jeu, apparemment indifférent à l'état dans lequel il semble mettre son interlocuteur.

» Ah mais c'est là le problème, la troisième option est beaucoup moins intéressante.

Et à quoi s'amusera-t-il, s'il le laisse tranquille ? À errer dans la cour ? Non, c'est bien plus amusant de s'amuser à tester les limites d'un type prétendument calme et détaché. Tout le monde a une faiblesse, une cible, un point de rupture. Il veut le trouver.

» Mais si ce n'est pas ton petit ami, tu ne verras aucun inconvénient à ce que j'aille lui rendre une petite visite ? Après tout, s'il a réussi à te décoincer, toi, c'est qu'il doit valoir le coup.

Parce que quelle que soit la réputation que peut avoir le petit président du conseil, Damen se souvient bien de sa colère après avoir simplement cru qu'il avait passé le cap avec une de ses amis. Beaucoup trop intense pour qu'il soit réellement le coureur de jupons que tout le monde prétend qu'il est. Un dragueur, peut-être, indubitablement instable, mais si loin de lui ressembler.

» Je n'ai pas vu son visage, mais il avait une jolie silhouette. Du genre sur laquelle j'aimerais bien poser les mains.

Allez, montre donc ce qui se cache derrière ce sourire de garçon populaire. Montre donc les crocs émoussés avec lesquels tu essayes d'éloigner Evan de moi.

Qui aurait pu croire qu'il suffisait de si peu ? Taper dans la jalousie et la possessivité, le plus vieux jeu du monde. Ça aurait presque été décevant si voir son visage perdre enfin son calme factice n'avait pas eu un côté aussi agréable et satisfaisant. Il le voit venir une petite fraction de seconde avant de se sentir tirer en avant, et le sol échapper à ses semelles. Vraiment, il est si énervé que ça pour une petite blague, un sous-entendu ? Et il prétend ne pas être jaloux, hein... Mauvais menteur. Damen sourit. Il en faudra bien plus que ça pour lui faire perdre son air hautain. Surtout quand il gagne au jeu qu'il a lancé. La fermer ? Non, il n'en a pas l'intention, et c'est demandé si gentiment.

» Faut pas s'énerver comme ça, Prez'.

Ou comment le mettre encore plus en colère. C'est le but, après tout, voir s'il sera véritablement capable de laisser de côté son image de pseudo-perfection. Voir jusqu'où il est capable d'aller avant de reprendre le contrôle. Sentir une nouvelle vague d'adrénaline dans ses veines envahies par l'ennui. Frappe-moi, j'ai besoin de me sentir vivant même quelques minutes. Après l'ordre, les questions. Le sourire de Damen s'élargit. L'animosité envers lui est bien plus grande que ce qu'il croyait, ça n'en est que plus amusant.

» M'approprier les gens qui t'entourent ? Tu es sûr que t'es pas un peu amoureux, hm ?

Il y a Evan, aussi, probablement d'autres personnes dont il n'a pas retenu le nom et qui, par le plus grand des hasards, se trouvent avoir des contacts autant avec l'un qu'avec l'autre. Peut-être connaît-il vraiment la princesse pureté, peut-être sait-il que certains de ses exs vont se réconforter dans les bras de Damen. Mais il ne pensait pas pouvoir l'énerver autant avec quelques petites suggestions. Ça donne presque vraiment envie de rencontrer ce fameux cavalier aux cheveux blancs.

» Allons, allons, tu penses être le seul ? C'est toi qui a un problème avec moi. Toi qui ne me supporte pas. Alors vas-y, frappe-moi. Si tu me détestes tant que ça, fais-le.

Vas-y, frappe-moi. Si tu me hais tant que tu l'affirmes, fais-le. Ça ne serait pas la première fois que tu frappes quelqu'un que tu détestes, pas vrai ? Soudainement, son sourire disparaît. Damen se fige, comme si on venait de le brûler. Il s'est brûlé lui-même, la langue, l'esprit. Ce sont les mots de son père, dans sa bouche. Une nausée soudaine remonte dans sa gorge.

» Lâche-moi.

Sa voix a changé. Perdu en calme, en prétention. Plus sèche. Il n'entend que la voix de son père, la vitrine qui se brise, le claquement de la porte. C'est juste une coïncidence. Il ne lui ressemble pas. Ils n'ont rien en commun. Rien.

Une pause, un changement, un revirement radical dans son esprit. D'un coup, toutes les considérations qui le traversaient disparaissent pour être remplacées par une phrase, une seule, martelée en boucle : je ne lui ressemble pas. Avoir prononcé presque mot pour mot les mêmes paroles que son père lui donne la nausée ; l'idée que celui à qui il les a adressé puisse réussir ce qu'il n'a pas eu le courage de faire ne fait que l'empirer. Mais heureusement, aucun coup ne vient finalement atteindre son visage. Juste un commentaire, empli d'une colère dont il n'arrive plus tant à s'amuser. Peut-être est-ce normal, alors. Peut-être que ne pas frapper son père, ce jour-là, était simplement une manière de ne pas lui donner ce qu'il voulait. Ou peut-être que, comme Charles, il ne vaut même pas la peine que quelqu'un s'y salisse les mains.

Inspire. Expire. Pas ici. Pas maintenant. De tous les endroits auxquels il pourrait perdre le contrôle de ses pensées, celui-ci est le pire. La main sur son col se desserre, mais pas totalement. Il sent le sol sous le bout de ses chaussures. Mais il le tient toujours. Ses doigts sont toujours fermés sur son uniforme et, quand bien même c'était ce qu'il cherchait quelques secondes plus tôt, il se dégage brusquement.

» Je t'ai dit de me lâcher.

Peut-il retourner toute sa colère contre lui ? Pourquoi pas, après tout ? Il a commencé à lui parler pour l'énerver, autant continuer sur cette voie. Ce n'est pas comme s'il avait la moindre empathie pour ce type trop parfait qui croit un instant pouvoir lui ressembler, et qui crève de jalousie à chaque fois qu'il pose les yeux sur lui.

» Oh pitié. Fais pas comme si tu t'inquiétais pour moi alors qu'il y a cinq secondes t'étais prêt à me casser la gueule. Même toi, tu vaux mieux que ce genre d'hypocrisie dégoulinante.

Il a envie de lui faire mal. Vraiment mal. Comme il en est capable. C'est ce qu'il fait de mieux : briser, détruire, corrompre. Surtout les gens comme lui qui se cachent derrière une fausse compassion pour se faire admirer. Le Prez' a décidé avant lui. C'est lui, qui a décidé de voir Damen comme un ennemi, un rival, quelqu'un déterminé à piétiner son existence comme s'il était important, comme s'il était le centre de ses pensées et pas juste une personne comme une autre. Autant lui donner ce qu'il veut.

» Personne ne t'a demandé de te soucier de ma santé. Et certainement pas moi. Continue donc ce que tu étais en train de faire, Prez'. Tu n'oses plus ? Ton courage s'arrête donc à la première émotion différente sur le visage que tu t'apprêtais à éclater à coups de poings ? Tu crois que ça te donne de la valeur, de ne pas l'avoir fait ? Ça ne fait que prouver que tu es un hypocrite, caché derrière ce masque de perfection.

C'est facile, de trouver des mots pour blesser, non ? Il cherchait à l'énerver, les points d'entrées sont les mêmes, seule la méthode diffère.

» Est-ce qu'il y a seulement une part de toi que tu assumes ? Pas tes sentiments, déjà, monsieur "je ne m'attache à personne". Toi qui fuit les relations dès que tu t'en rapproches. Oui, les gens parlent, ceux que tu as jetés finissent souvent dans mon lit. Lequel de ceux-là te fais crever de jalousie au point de me choper à la gorge ?

Je ne suis pas comme mon père, je ne suis pas comme mon père, je ne suis pas comme mon père...