[2020] Derrière strass et paillettes

Derrière strass et paillettes

Il doit être 8h15 lorsque mon équipe et moi arrivons sur place, lieu servant de rendez-vous, de répétition, mais aussi future salle de l’immense show télévisé qui aura lieu dans quelques semaines. Afin de ne plus répéter les mêmes erreurs du passé, je me montre assidu dans mon travail et ne passe plus mes journées à roucouler en pensant que tout est acquis et gagné. On a bien vu ce que ça donnait...

Contrairement aux artifices de la scène qui seront demandés le jour J, ici, je ne porte que des vêtements basiques : un t-shirt rose saumon à courtes manches ainsi qu’un jeans taille haute avec comme chaussures, des espadrilles blanches issues de chez Kenzo. Mes cheveux ne sont pas coiffés, mais attachés avec une pince alors que de grandes lunettes de soleil cachent mes yeux.

Mes assistantes me suivent comme des petits chiens alors que, muni de mon tote bag, je me dirige vers les premiers rangs de la salle encore en travaux afin de saluer l’organisateur de l’événement ainsi que les différents membres du personnel importants se trouvant non loin de lui. Avec cette même hypocrisie typique du monde du show-biz, tous sortent les dents pour sourire et m’inondent de compliments en exprimant à quel point ils sont heureux de me voir, qu’ils m’adorent et qu’ils ont toujours cru en moi alors que je sais très bien, dans le au fond, qu’ils ne se sont jamais souciés du bien-être des artistes qui vont et viennent ici.

Ne prenant pas la peine de relever la fausseté de leurs paroles, je me concentre sur ce qu’ils m’expliquent afin que le show se déroule sans encombre. Eux s’inquiètent pour leurs carrières tandis que moi je m’en fais pour la mienne, bien que nous prétendons mutuellement nous préoccuper des autres.

Lorsque cette « visite » des lieux touche à sa fin, nous revenons vers la scène principale, là où va se dérouler la répétition prévue. Dès lors, un tas de réglages se jouent entre l’ingé son, le producteur et moi-même au niveau du volume de la musique, mais aussi de mon micro. Ça me fait tout drôle de revenir là où j’étais autrefois, à m’occuper de ma carrière, de ma voix, de mon style et de mes chansons. Et dire que tout ceci aurait pu ne plus faire partie de mon quotidien, vu l’état dans lequel je me trouvais entre ma rupture avec Austin et ma rencontre avec Nick.

On peut dire que je peux encore m’estimer heureux d’être là, d’avoir eu cette chance qu’une maison de disque veuille bien signer avec moi et que je ne sois plus la cible de moqueries concernant mon poids ou mon penchant pour l’alcool un peu trop néfaste pour ma santé.

La répétition se poursuit et aller savoir quelle lubie me prend, mais je décide de jouer ma diva capricieuse afin d’en faire baver à tous ceux qui sont dans la salle. Température ambiante ne me convenant pas, bouteille d’eau pas assez fraiche, trop glacée, lumière aveuglante, toutes les excuses sont bonnes à être employées pour leur en faire voir de toutes les couleurs.

Tel un enfant pourri gâté qui ne se satisfaisant jamais de rien, je jubile rien qu’à l’idée de ce qu’ils peuvent penser de moi. Et le plus ironique là-dedans, c’est que mes assistants sont épargnés de ma crise de starlette, prouvant contre qui cet acte est tourné.

Après m’être quelque peu amusé et surtout entraîné, je m’octroie une pause en faisant un signe de la main. Je descends de la scène tout en remontant mes lunettes de soleil de mon nez à ma tête et profite de ce petit break pour méditer sur tout ce qu’il s’est produit ces derniers mois. Quand on y pense, c’est assez fou de se dire que je suis passé d’une pareille dégringolade à une remontée de pente plutôt fulgurante !

Derrière strass et paillettes

Jouer un rôle et se cacher derrière un masque créé de toute pièce, voilà en quelques sortes le quotidien des célébrités, si celles-ci désirent ne serait-ce que sauver leur peau dans ce monde impitoyable et sans répit. Voilà ce qui attend les jeunes qui n'ont qu'à la bouche des paroles faites de rêves d'une gloire infinie, d'argent qui coule à flot ou encore d'une carrière bâtie sur du succès ou des tubes, cherchant désespérément à imprimer leurs empreintes dans l'histoire, quel que soit le domaine.

Choisi ou non, il est d'autant plus tragique de voir des gosses de stars se vautrer alors qu'ils tentaient de suivre les pas de leurs ainés en pensant qu'être issu d'un père ou d'une mère doué(e) en une matière leur donnerait un passe-droit vers une quelconque qualité d'exercice. Ou pire, admirer, parfois impuissant, la progéniture des anciens monstres de la scène forcés à reproduire à la lettre, avec le talent en moins, ce que leurs pères ont accompli.

Si je parle de ça, c'est pour expliquer à quel point le fossé est énorme entre ce que l'on voit, ce que l'on croit voir, ce que l'on veut nous faire voir et la réalité. Certes, de base, j'ai un caractère très précieux et trop princesse, mais il y a des comportements venant de ma part qui sont parfois caricaturaux, pour lesquels je grossis volontairement le trait. Et ce que ça soit par envie ou non.

Par exemple, actuellement, je pousse à son apogée ma caractéristique de diva. Celle qui pousse aux scandales, mais qui attise aussi la curiosité et l'envie des internautes. Qu'on ne se cache plus rien et que personne ne soit dupe, nous savons tous que malgré les critiques des magasines people et le pointage du doigt des ratés, jaloux et frustrés, tous attendent et jubilent rien qu'à l'idée de poser leurs yeux, d'assister à une petite scénette de ma part. Je cultive cette image qui visiblement me sied à merveille, de laquelle on demande toujours plus et je nourris ces assoiffés de buzz qui ne cherchent qu'à assouvir leurs petits plaisirs inavoués.

C'est d'ailleurs ce que je me dis lorsque cette jeune femme, qui fait partie du groupe de danseurs, m'accoste sans la moindre politesse et en me qualifiant uniquement de l'étiquette qu'on m'a sauvagement collé sur le dos.

Micro à la main, je souris d'avance face à ses provocations en me répétant à moi-même que les médias demeurent une belle source de lobotomie envers ceux qui n'ont pas la force mentale de voir au-delà de ce qu'on veut leur faire croire.

Je l'ignore un moment, le temps de remettre le micro à sa place, puis reviens vers elle en abaissant mes lunettes de soleil afin qu'elle recouvre à nouveaux mes yeux, me servant désormais de cet accessoire de mode comme accessoire de scène.

- Et bien, je suppose que c'est ce que tout le monde attend ? Que je joue à la diva, n'est-ce-pas ? Tu aurais espéré que je me mette en colère en poussant des cris aigus semblables à des orgasmes mal joués tout en faisant de grands gestes dramatiques représentant le stéréotype même de la Paris Hilton ?

Mon sourire s'élargit et finit par se transformer en un petit rire assez subtil, histoire de, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ne pas trop attirer l'attention.

- Mais... Ma chérie, je suis au regret de t'annoncer que cela n'arrivera pas.

Tout en faisant une moue exagérée, presque moqueuse, je lui touche le bras, imitant un geste semblable à celui du réconfort. Cette pauvre fille n'a rien demandé et s'est sans douté trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, mais pour une fois que je m’octroie une petite "partie de plaisir", histoire de pouvoir prouver à certains privilégiés que je ne me résume pas qu'à un jeu de cheveux ou à des crises inutiles.

- Sinon. Sans plaisanteries, auquel cas tu risques de mal le prendre... Enchanté, chère amie, je suis Jun de Sèze. Ravi de faire ta connaissance.

Je me décale sur le côté, allant chercher dans mon sac une petite bouteille d'eau avant de revenir vers cette jeune demoiselle. A nouveau face à elle, je relève ma paire de lunettes et la replace dans mes cheveux, plus précisément sur le haut de ma tête.

- Vois-tu... Il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre ce que l'on nous raconte ou l'on risque, comme ici, de sévèrement se brûler les ailes. Loin de là l'idée de te faire la morale, mais avoue tout de même qu'il est fort fâcheux qu'on en vienne à devoir mettre les points sur les i avant de véritablement démarrer notre discussion, tout ça parce que tu t'es basée sur des "on dit".

Il est possible que je sois légèrement cassant -ou casse-pieds- mais je commence sérieusement à en avoir ras-le-bol de toujours devoir me justifier sur mes actions et réactions, tout ça parce que je suis sous le feu des projecteurs et que j'ai une personnalité assez extravagante. On peut être exigeant sans être insupportable tout comme l'on peut être direct sans pour autant être violent. Les amalgames se font vites et persistent lorsque personne n'est présent pour les dissoudre. C'est pourquoi, en ce jour basé sous de bons hospices, je m'octroie un petit entretien en tête-à-tête avec cette fille et avec qui je compte bien faire tomber les masques.

- Mais pour finalement répondre à ta question grossièrement posée ; Oui, les deux peuvent s'avérer vrais. J'aime de temps en temps me retrouver avec mes pensées et rien d'autre, bien que certaines puissent ne pas être de toute gaieté et il est vrai que mes "collègues" ne me racontent rien d'intéressant. Disons que ces organisateurs prétentieux et hypocrites me sortent par les trous de nez.

Derrière strass et paillettes

La jeune femme située face à moi, qui s'appelle donc Jenifer Morrow, semble avoir compris la leçon en affirmant que la pique n'était pas précisément lancée à mon encontre, mais qu'elle a aussi conscience qu'un travail sur elle-même et sur la façon dont elle introduit les conversations est à faire.

A cela, je ne réponds rien puisqu'il en va de soi qu'elle est loin d'avoir tort. Si elle agit de la sorte avec quiconque, cela risque de fortement lui porter préjudice. Et encore, elle peut s'estimer heureuse qu'actuellement je suis de bonne humeur ou que je n'en ai, au fond, pas grand-chose à faire de ce qu'elle peut penser de moi ou faire à mon égard. Cependant, pour son bien personnel, il serait plus judicieux qu'elle y prête d'avantage attention.

Durant son monologue, je me fais silencieux. Je la laisse parler, sans l'interrompre, préférant écouter ce qu'elle a à me dire jusqu'au bout. Certaines choses me font tiquer, notamment lorsqu'elle parle de ce que les médias ont laissé entendre sur moi ou encore le fait qu'elle comprenne ma situation.

Perplexe, j'arque un sourcil avant de l'inviter à s'asseoir quelque part, un peu à l'écart de son groupe de danse ou encore des organisateurs de la salle, sait-on jamais. Et oui, malheureusement les murs ont des oreilles et il serait fâcheux que cette jeune femme soit publiée en première page le lendemain, avec comme gros titre quelque chose qui ruinerait potentiellement sa carrière ou pire, sa vie privée. Personnellement, j'ai l'habitude d'essuyer des critiques qui tentent de me mettre plus bas que terre. Cependant, ce n'est pas à la portée de tout le monde.

En diminuant vachement le son émis par ma voix, je l'attrape tendrement par le bras et l'invite à me suivre, m'asseyant à même le sol dans un coin de la pièce, un peu cachés par les sièges de la salle.

- Je sais, tu dois te dire que ceci est une mise ne scène très bizarre, mais crois-moi, elle en vaut la peine.

Je soupire un peu, puis ris à nouveau doucement, quelque peu hilare face à cette situation plus que spéciale, même pour moi.

- Si je fais ça, c'est pour t'éviter des ennuis plus tard. Vu que tu discutes avec moi, indirectement tu es mise dans le même panier et je n'ai vraiment pas envie que des oreilles mal intentionnées viennent se perdre dans notre discussion... et j'ai l'impression que celle-ci va déboucher sur du personnel, je me trompe ?

Non, je ne joue pas au devin et si ça se trouve, j'ai faux sur toute la ligne et elle me le fera savoir. Cependant, Jenifer m'a dit mot pour mot qu'elle comprenait ma situation, cela signifie donc, par extension, qu'elle a vécu la même chose ou qu'elle est aussi en plein dedans, n'ai-je pas raison ?

- Ne va pas croire par-là que je suis indiscret ou intrusif ! C'est simplement que l'une de tes phrases m'a laissé perplexe. Tu dis me comprendre, donc si je fais preuve d'assez de discernement, tu as connu ou connais quelque chose de similaire à ce que je vis actuellement, c'est ça ?

J'attends un instant sa réponse, ne la quittant pas du regard. Allez savoir pourquoi, mais parler avec une personne extérieure à toutes mes histoires et fraichement rencontrée me procure un bien fou. J'ai cette sensation d'à nouveau pouvoir discuter sans philtres, de pouvoir exposer mes craintes et mes questions sans ressentir le risque qu'elles puissent être exposées ou utilisées à des fins malveillantes. C'est comme si, l'espace d'un moment, je retrouvais un semblant de liberté et de normalité. Les projecteurs sont éteints, la salle est vide, les paillettes ont disparu et les costumes de scène aussi. Désormais, seul l'être humain importe et non plus l'artiste. Voilà ce que je ressens actuellement. Je suis simplement... détendu.

- Parfois... Non, que dis-je... Souvent, je me demande à quoi ressemblerait ma vie si toutes ces fioritures n'existaient pas. Où en serais-je actuellement ? Au niveau des études ? De ma profession ? Sentimentalement parlant ? Qu'y aurait-il de si différent hormis l'absence de notoriété, de concerts, de fans... bref, de toutes ces choses ?

Je ris encore une fois, mais différemment des deux précédemment émis. Celui-ci s'écourte très rapidement. Il démontre une vérité accablante qui est que, oui, la vie de star est loin d'être amusante, que toute la face montrée sur les écrans, dans les journaux ou sur internet, n'est que tromperie et jeu d'acteur. Bien que beaucoup ne soient pas dupes, certains arrivent encore à croire que, malgré les difficultés liées au manque total de sphère entièrement privée, la vie d'une célébrité acclamée par des millions de personnes demeure une vie remplie, amusante, économiquement stable et socialement bondée. Selon certains points, ce n'est pas totalement faux. L'argent n'est effectivement plus un souci et nous n'avons presque plus de temps pour nous tellement l'agenda est plein à craquer. Seulement... à quel prix ? Une vie passée sur le tapis rouge en échange de notre liberté ?

- Dans mon cas, c'est encore plus délicat, puisque ma maman est, elle aussi, une star de la chanson. Alors forcément, je baigne dedans depuis tout petit. Mais quand bien même je resterais le fils de la célèbre Barbara de Sèze, qu'en serait-il si la chanson n'existait plus dans ma vie ? Ne serais-je pas plus... plus léger... plus... plus heureux ? C'est que je n'arrête pas de me poser comme questions...

Mon regard quitte le visage de la danseuse, le temps que celui-ci vérifie que personne ne s'approche de nous ou ne semble nous écouter de loin, avant de revenir dessus.

- Rassure-moi, je ne suis pas le seul à penser ça ?!