À quoi bon hésiter ? [Jun]

A quoi bon hésiter ?

Que se passe-t-il ? Mon cœur s'emballe. Que m'arrive-t-il ? J'angoisse à l'idée de me retrouver avec lui en-dehors du contexte "entraînement sportif". Ce sont les deux questions qui n'arrêtent pas de me revenir en plein dans la figure tandis que je suis en train de me préparer, le fameux lendemain du tout aussi fameux entraînement à la piscine. Beaucoup d'interrogations demeurent, mais pas uniquement concernant mes propres réactions. Le mutisme et les absences à répétition de Nick datant d'hier ne sont toujours pas résolus et ça ne fait qu'accentuer le stress que j'accumule depuis cet instant où j'ai compris que ses pensées étaient brouillées par ma faute et depuis ce moment où il m'a proposé de nous revoir aujourd'hui, rien qu'à deux, dans un café. Je ne sais pas comment réagir, ni de quelle manière me saisir de toutes ces informations, sachant... sachant ce que j'ai ressenti hier encore.

En sous-vêtements dans ma salle de bain, je doute une énième fois de moi, mais plus de la même façon qu'il y a quelques mois. Non, je doute de ma façon d'être, d'agir, des vêtements que je pourrais porter, des sujets que je pourrais aborder ou de l'attitude que je devrais adopter. Mon corps a minci grâce à lui, c'est indéniable, mais est-ce assez ? Mes cheveux sont-ils trop courts ou trop longs ? Ou peut-être trop blonds ? Mon visage est-il trop anguleux ? Trop enfantin ? Désormais, c'est vers ce genre de détails que je me tourne, trop habitué à être minutieusement traqué. Que ce soit au moindre frisotis qu'on ne saurait dompter au petit pli que l'on aurait oublié de repasser ou à la tâche qu'on aurait oublié d'effacer.

La brosse à dents en bouche lors de mon troisième brossage consécutif afin que chacune d'entre elles soit immaculée et que mon haleine soit la plus irréprochable qui soit, en plus de m'être assuré de ne rien avoir à manger ou boire avant nos retrouvailles, je commence à sérieusement douter de tout ce cinéma que je suis en train de faire pour un simple... rendez-vous... Simple, non. Il compte énormément à mes yeux et j'ai comme sensation que nous en ressortirons tous deux différents.

Je termine donc avec les dents, vérifiant dans le miroir que tout soit absolument parfait. Tout me semble ok, je passe donc à l'habillement. Dans la pièce immensément démesurée qui me sert de dressing, je fouille. Je fouille comme si aucun t-shirt, ni aucun pantalon présenté sur les mannequins ou suspendus aux tringles ne me convenaient, continuellement à la recherche de la pièce rare tandis que bon nombre de vêtements de luxe reposent en tous sens. Je n'ai pas envie de paraître à ses yeux comme étant le garçon matérialiste et superficiel, qui ne cherche qu'à étaler son argent et à frimer avec les marques qui inondent son placard.

Il fut un temps, j'étais comme ça, mais les épreuves de la vie m'ont permis de me rendre compte de la personne odieuse que j'étais, digne des clichés de diva présentées dans les séries télé ou les films pour adolescents. Certes, mon apparence est importante, mais ma voix conserve une place bien plus haute sur l'échelle des priorités, tout comme l'image que je renvois. Quel look adopté ? C'est bien trop compliqué. Je ne suis pas une fashion victime donc les associations de couleurs et de matières, ça n'est vraiment pas mon domaine. Pourtant, je refuse de ressembler à une cloche !

Continuons de chercher. De nombreuses fois, je dévalise les étagères et emporte tout ce qui me semble intéressant pour les passer devant moi face à la glace. Seulement, l'heure tourne et il serait très irrespectueux de le faire poiroter ne serait-ce que cinq minutes avec comme excuse "des essayages". Parfait pour donner l'image totalement inverse de celle que j'aimerais renvoyer. J'essaye, j'essaye et j'ai l'impression que je vais en avoir pour des heures, sauf que ces heures, je ne les ai pas ! Allons, pas la peine de s'énerver et encore moins de paniquer. Misons sur quelque chose de simple, un peu passe-partout.

Tout en vérifiant l'heure sur mon téléphone, je commence presque à courir à travers toute la maison pour remettre mes affaires en place, extirpant des quelques montagnes de vêtements, que je traine de ma chambre à la pièce de rangement, un simple t-shirt blanc sur lequel se dessinent quelques lignes de différentes couleurs ainsi qu'un jean clair. Dernière étape : les chaussures. Étant donné que je n'ai plus le temps, je me saisis des premières baskets basses se mariant bien avec le reste que je trouve ainsi que d'un tote bag un peu sympa dans lequel glisser portefeuille, clés de maison et quelques petites bricoles qui pourraient servir.

Tout en accélérant quelque peu le pas, j'arrive à attraper une paire de lunettes de soleil afin de me faire discret le temps de me retrouver en compagnie de Nick, de lui éviter une horde de paparazzi ou de fans trop curieux et insistants. Une fois à la porte d'entrée, je procède à un rapide check de tout ce que je possède, ce dont j'ai besoin, essayant de mettre le doigt sur ce que j'aurais éventuellement oublié.

- Oh, mon parfum ! Oh et puis, tant pis, il est dans la salle de bain et je n'ai plus le temps. Le savon ainsi que le shampoing feront l'affaire.

Direction le lieu du rendez-vous, conduit par mon chauffeur. Ce dernier me dépose plusieurs mètres avant la devanture du café afin de minimiser l'intérêt que des clients pourraient porter à mon arrivée dans cette voiture aux vitres teintées. J'avance à mon rythme, voyant au loin celui que je suis censé rejoindre. Comme à son habitude, il passe sa main dans ses cheveux, une manie qui me fait sourire et qui a tendance à me faire craquer. Les joues légèrement empourprées, j'arrive à ces côtés, relevant mes lunettes de mon nez à mon front, m'assurant qu'il puisse me reconnaître tout en le saluant timidement.

- Salut, Nick... Je... Je suis là...

Effectivement Jun, tu es bel et bien là. C'est quoi cette précision complètement ridicule ? Je pense que Nick te voit, il n'est ni aveugle, ni drogué, donc bon. Mon cœur, quant à lui, bat déjà la chamade alors qu'une ribambelle de questions revient à la charge. Il faut dire que nous nous retrouvons dans une situation plus ou moins inédite. Je veux dire entre nous. Enfin, vous comprenez quoi. Nous allons simplement passer un peu de temps ensemble. Il n'y a pas de raisons de paniquer, n'est-ce-pas ? Ce n'est qu'une sortie entre amis. Entre amis, oui...

A quoi bon hésiter ?

Lorsque je me retrouve au même niveau que lui, après l'avoir salué, je me rends compte que la réponse qu'il me donne en retour se trouve être aussi fébrile que mon introduction à la conversation. Même si je ne suis pas forcément fort quant à dénicher les pensées des autres ou bien leurs états, il n'est pas vraiment difficile de comprendre qu'actuellement, que ce soit Nick ou moi, nous sommes en proie à une certaine tension, à de la gêne. D'où provient-elle ? De mon côté, je ne le sais que trop bien, mais du sien, est-ce la même chose ? De mes yeux couverts de verres teintés, j'arrive à détailler la totalité de son visage sans que cela puisse paraître étrange ou sans que je me fasse prendre la main dans le sac. Et puis, de toute façon, le grand sportif détourne la tête après m'avoir rendu mon bonjour.

Plus je le regarde et plus je le trouve beau. Est-ce normal ? Je suppose que oui... c'est ce qu'on appelle "l'amour". Seulement, cet amour qui est ressenti tient-il du réciproque ou d'un pur fantasme que je ne saurai accomplir ? C'est un très bel homme, c'est indéniable. Et le voir ainsi faire revenir en arrière, de sa grande main, ses mèches rebelles tombant sur son visage, me tire un léger pincement des lèvres ainsi qu'une légère coloration des joues. Cette manie qu'il a de jouer avec ses cheveux, je trouve ça terriblement séduisant. Je dirais même plus, ça le rend incroyablement sexy. Là où d'autres y verraient un toc plus qu'agaçant, moi je pourrais me délecter de cette petite action qu'il met souvent à l'œuvre durant des heures sans jamais m'en lasser.

Alors que je n'arrive plus à décrocher mon regard de lui, de son visage ou de son corps si bien entretenus, mes yeux étant cachés par ces lunettes m'en donnant l'occasion, la voix de Nick, elle, me tire quelque peu de cette phase d'admiration en brisant le silence qui régnait lourdement depuis déjà quelques minutes, mais dont je ne me suis pas directement rendu compte tant mon attention était aspiré par celui qui se trouve encore devant moi. Il me demande si je préfère m'asseoir dehors ou à l'intérieur du café, chose à laquelle je ne sais pas directement quoi répondre. Pourtant, après une brève réflexion et vu le temps étonnement de notre côté en ce jour, il me semble évident de choisir la terrasse plutôt que l'intérieur du café en question.

Une fois ma réponse donnée, Nick se donne comme mission de dénicher une sympathique petite table pour deux personnes en extérieur, dans un coin tranquille où nous pouvons nous couper du reste du monde. Enfin... ça c'est mon imagination qui me joue des tours et qui espère, mais soit ! Nous nous installons tranquillement, lui le premier tandis mon attention est légèrement retenue par le cadre plus qu'adorable dans lequel nous nous trouvons. Sans m'en rendre compte, je souris de manière attendrie, puis me reconcentre sur la situation présente, m'installent à mon tour face à celui qui m'a hier invité pour aujourd'hui. Son bras est posé en travers de la table tandis que les miens se reposent sur le semblant d'accoudoirs présents de chaque côté du fauteuil en lui-même. Je suis un peu tendu, je le sais, je le sens et peut-être bien que ça se voit du point de vue de Nick. Cependant, je n'ai pas envie que la journée soit plus délicate qu'elle ne l'est déjà, je n'ai pas envie qu'il garde un mauvais souvenir de ce rendez-vous dont il a eu le courage de me proposer et m'efforce alors de tenter de mettre de côté toute cette gêne.

- Ce... C'est gentil de m'avoir proposé cette petite sortie. Ça me fait très plaisir.

Le sourire attendri autrefois apparu sur mon visage peine à se retirer, demeurant ainsi alors que j'essaye, à mon tour, de briser la glace et de faire perdurer cette bonne ambiance avant que nous ne basculions tous les deux dans un mutisme dérangeant qui conclurait peut-être prématurément ce moment que j'attends finalement depuis hier. Parce que je parle, je parle, mais j'en oublie l'une des raisons principales de notre venue ici, non ? Le fait qu'il devait me parler de quelque chose depuis hier, depuis que j'ai mis le doigt sur une chose qui, lors de notre entrainement à la piscine, le barbouillait et le rendait de temps à autre, assez absent. Néanmoins, je n'aime pas vraiment forcer les choses ou me montrer insistant. On a bien vu ce que ça donnait, il a fini par se refermer sur lui-même telle une coquille et a préféré repousser la chose plutôt que de se livrer. Et puis, si ça se trouve, c'est bien trop personnel et ça ne me regarde tout simplement pas.

A nouveau complètement obnubilé, soit par mes innombrables pensées, soit par sa présence, je penche presque machinalement ma tête sur le côté, le sourire toujours accroché à mes lèvres. C'est plus fort que moi. Je n'arrive tout bonnement plus à décrocher mon regard de ce garçon qui réussit à refaire naître des sentiments que je n'avais plus ressentis depuis l'époque d'Austin, c'est-à-dire un peu plus d'un an. Voilà que je me retrouve à nouveau plongé dans un état que je n'ai pas eu le temps d'apprivoiser lorsqu'il m'était tombé dessus, que je ne maîtrise pas et qui, l'air de rien, m'effraie un peu. Plusieurs questions se bousculent dans ma tête. Et si certaines s'envolent dans des "si", d'autres plus terre à terre, arrivent à introduire au sein de mon esprit des doutes m'arrachant progressivement mon euphorie du moment. Des doutes me concernant. Mon grand sourire cède donc sa place à un léger rehaussement des commissures tandis que je commence à jouer avec les branches de mes lunettes que je décide de retirer, laissant au grand Ballentine l'occasion de revoir ce regard que désormais des milliers de personnes ont connu.

Un peu comme mis à nu, je souris à nouveau, mal à l'aise lorsque je retire cette paire de lunettes de soleil, toujours conservée dans une de mes mains, m'obligeant à légèrement détourner le regard, mes joues intensifiant naturellement la teinte rosée les ayant déjà saupoudrées auparavant. Je sais ou je sens qu'il me regarde. Forcément, puisque je viens de retirer le seul et dernier élément qui l'empêchait jusqu'alors de lire à travers mes yeux. Je ris timidement et nerveusement en posant, cette fois-ci, mes yeux sur les siens, triturant de mes fins petits doigts l'objet que je tiens toujours entre mes mains.

- C'est mieux comme ça, non ? Ça fait moins... froid...

Allez savoir pourquoi je lui pose la question. Peut-être pour m'assurer que ça lui plaît ?  

A quoi bon hésiter ?

Plus je lui dévoile mon regard et plus mon cœur s'emballe, plus mon esprit se pose des questions comme m'assurer que ce que je lui présente, que ce que je lui offre, ne le laisse pas indifférent. Pour beaucoup, ce geste ne se résumerait qu'à une envie anodine de retirer sa paire de lunettes de soleil. Seulement, dans mon cas, c'est bien plus que ça. Etant un peu trop souvent traqué par les paparazzis, le fait de totalement me désarmer face à lui, en particulier, est une preuve de confiance, mais aussi une volonté de faire plaisir au garçon qui m'a si gentiment proposé de le voir aujourd'hui, en dehors de nos séances de sport habituelles, totalement à l'écart de ce qu'un coach sportif et son client pourraient faire. Vous me diriez qu'il est plus que normal que deux personnes s'étant côtoyées durant assez de temps puissent s'adonner à quelques plaisirs en s'invitant mutuellement à boire un verre, en proposant un cinéma ou en allant manger une glace. Pourtant, dans la situation actuelle, les choses semblent entièrement différentes. Des jeux de regards s'installent aisément, des rougeurs apparaissent progressivement sur les joues de l'un et de l'autre et des gestes, parfois retenus à mi-chemin, dictent bien d'autres choses qu'une simple sortie entre amis.

Mes pupilles noisette, d'abord écartées de son visage, reviennent se poser dans les siennes, mais ne s'attardant pas uniquement à la teinte grisâtre de ses yeux. Non, elles se perdent dans la continuité de son visage, de sa mâchoire masculine, remontant dans ses cheveux flamboyants qu'il adore ramener en arrière avec sa main. D'ailleurs, c'est ce qu'il fait à nouveau, intensifiant quelque peu la teinte rosée présente sur mes pommettes. Parlons d'ailleurs de ses mains. Grandes, très grandes même, on peut y sentir la force de sa poigne qui entre en totale contradiction avec l'aspect extrêmement soigné de celles-ci. Certainement dû à son côté sportif, ne lui permettant ainsi pas de négliger ces dernières afin d'éviter de potentielles blessures en gardant, par exemple, des ongles trop longs ou d'éviter tout empêchement de ses utilisations pour donner suite à mauvaises conditions de celles-ci.

A l'entente de ses inquiétudes liées à son invitation, je souris, attendri par sa façon de s'exprimer ainsi que par le fait qu'il se mette dans de tels états, uniquement à cause de la "soudaineté" de sa demande. Un fin rire m'échappe, ne pouvant réagir autrement qu'en le trouvant incroyablement mignon. Adorable, même. Certes, il est vrai qu'hier, je ne m'attendais pas à ça et que sa proposition semblait un peu sortie de nulle part, mais elle fut très plaisante.

- Mais non, voyons ! Je suis vraiment très content d'être ici, avec toi.

Avec toi, oui... Bravo la discrétion, Jun. Non, mais tant que tu y es, sors la flèche rouge faite de néons, en la pointant vers toi, ainsi qu'une pancarte où il est écrit "embrasse-moi", ça sera du même effet ! Avec ça, rendez-vous foireux et Nick qui part en courant garantis ! Je vous assure... quelquefois, j'ai vraiment envie de me mettre des baffes. Ça fait peut-être plus d'un an que je n'ai plus eu pareille attirance pour un garçon et que donc, par extension, je ne sais plus réellement comment m'y prendre, mais de là à devenir complètement ridicule, faut y aller...  Enfin bref, j'essaye de rester le plus naturel possible, fuyant de temps à autre le contact direct avec celui qui me fait face, mais conservant tout de même un sourire plein de bonnes volontés.

Plusieurs fois, ma curiosité est attisée par son bras qui semble décidé à se mouvoir, quittant alors lentement la table et donnant même cette impression de se tendre vers moi pour aussitôt refermer ses doigts. Que cherche-t-il à faire ? Est-ce une façon pour lui de détendre ses muscles ou bien est-ce... Non, il n'est pas du genre à se laisser tenter par quelque pulsion que ce soit, si ? Et puis, quoi qu'il en soit, je suis certain de me faire des films, d'espérer des choses qui ne sont que le fruit de mon imagination. Pourtant, l'étrange pause qu'il marque en répondant à la question que je lui ai précédemment posée provoque en ma poitrine un véritable séisme. J'ai... ? Qu'ai-je, exactement ? C'est ce que je me demande tandis que mon cœur accélère subitement ses battements et que le rose qui colore mes pommettes intensifie sa teinte. Cependant, cela ne s'arrête pas là, sinon ça serait trop simple. Sa main, qui autrefois paraissait hésitante, finit par venir à moi et à se refermer sur les verres de mes lunettes, ses doigts bien trop proches des miens. Je perds la notion de temps et d'espace, baissant le menton sur cette proximité à laquelle je ne m'attendais pas et qui me chamboule complètement. Chaque battement de mon cœur est puissamment ressenti dans la totalité de mon corps, me provoquant quelques frissons que je tente d'ignorer et de camoufler du mieux que je peux.

Par chance -ou par malchance-, une serveuse arrive, dissuadant peut-être l'approche qui a été tentée ou que je m'invente de toute pièce, mon regard se perdant à nouveau sur mes propres mains qui continuent de tripoter les branches de mes fameuses lunettes de soleil. J'essaye de faire passer ce geste pour une volonté de dissimuler mon visage découvert de la femme qui prend notre commande, par pure crainte qu'elle me reconnaisse et tape un scandale devant nous. J'ai envie de tout sauf de ça. Que ma notoriété puisse empiéter sur ce rendez-vous demeure ma plus grande hantise. Mon seul désir est que tout se passe sans encombre, sans que paparazzis et fans en furie capables de nuire à l'ambiance ou à la complicité qui est déjà bien installée entre nous. C'est un peu comme notre petit cocon, notre sphère privée et je n'aimerais que l'on vienne briser l'harmonie, la douceur et la délicatesse qui y règnent. Et puis d'ailleurs, je n'ai pas non plus envie d'imposer ma vie médiatique en y mêlant malencontreusement la sienne sans qu'il n'ait demandé quoi que ce soit.

Nick passe donc sa commande en premier et choisit un café crème ainsi qu'un sorbet au citron tandis que lorsque vient mon tour, je réfléchis un instant avant de jeter mon dévolu sur un café viennois. Moi qui ne suis pourtant pas un grand fan de café, peut-être que la crème chantilly qui y est déposée, et sur laquelle y sont saupoudrés des copeaux de chocolats, a retenu mon attention. Au moment où la serveuse quitte les lieux pour soit faire part de notre commande, soit la préparer, je relève le regard sur celui qui me fait face, souriant timidement en accompagnement avec mes rougeurs. Je n'arrête pas de jouer avec les branches de mes lunettes, dans le fond rongé par le stress et ça commence à m'agacer. Alors, je me penche sur mon sac, décidé à éloigner cet accessoire qui va finir par casser sous mes doigts si je ne m'arrête pas de les malmener, me redressant par la suite, toujours un tantinet intimidé par la masse plutôt musclée assise devant moi. Il n'est pas dans mes habitudes d'être aussi nerveux, surtout en présence d'une seule personne. Et le calme qui règne désormais ne fait qu'amplifier la pression que je me mets. Du coup, je commence à cogiter, à chercher un sujet sur lequel on pourrait potentiellement se pencher afin que la discussion ne se limite pas qu'à des regards ou à des gestes qui me donnent des idées toutes plus farfelues les unes que les autres.

- Et bien... euh... Quoi de neuf ?

Quoi de neuf ? QUOI DE NEUF ? C'est tout ce que je trouve à dire ?! Oh mon dieu... Mais on enchaîne catastrophe sur catastrophe... A peine installés et confrontés au premier blanc de la conversation et la seule chose que je demande c'est "Quoi de neuf ?" ? La honte... mais quelle honte ! Si ça se trouve, Nick va croire que je n'ai pas envie de parler avec lui alors que c'est complètement faux ! Je ne cherche qu'à entendre le doux son de sa voix grave et rassurante, qu'à ressentir ses mains sur les mi... ah... non, non, non, ne pas penser à ça, ne pas penser à ça ! Que m'arrive-t-il, au juste ? Même avec Austin je n'étais pas aussi... gaga lors de nos rendez-vous ! J'étais d'ailleurs plutôt calme. Après, il faut dire qu'entre-temps, j'ai un peu changé et que dorénavant je me prends bien plus la tête avec le social. Là où mon ancien moi prenait tout pour acquis, celui que je suis désormais doute d'à peu près tout et n'importe quoi. En même temps, cette dernière année de torture m'a un peu secoué ainsi que remis les pendules à l'heure en me faisant bel et bien comprendre que non, tout n'est pas systématiquement gagné d'avance.  

A quoi bon hésiter ?

Suis-je seulement en train de réaliser ce que les mots peuvent avoir comme effets sur les personnes qui m'entourent ou sur ce qu'ils peuvent avoir sur moi ? Visiblement non. Du moins, pas dans l'immédiat, étant donné qu'à peine ces derniers prononcés et voici que le petit rire émis par Nick, certes dépourvu de mauvaises intentions, me fait presque me terrer dans le silence en même temps qu'il m'enterre mentalement. Mais quelle allure je dois avoir, moi ! Et pourquoi je ne suis tout simplement pas capable de reprendre les rennes d'une conversation sans balancer des phrases bateaux comme "quoi de neuf ?" qui n'est que la cerise sur le gâteau de la honte.

Gêné, donc, je baisse un peu les yeux tout en esquissant un fin sourire, servant à camoufler le fait que je me déteste actuellement d'agir de cette manière, me maudissant clairement dans ces moments-là où je perds tout contrôle et que les bourdes s'enchaînent. Durant un court instant, mais qui me paraît une éternité, je regarde mes doigts à moitié liés entre eux tandis que j'écarte mes paumes désormais tournées vers mon regard intérieurement dépité face à tant de bêtises de ma part.

Pourtant, le silence ne perdure pas et la voix masculine du garçon, qui me fait face, retentit à nouveau à mes oreilles, de quoi redonner de plus vives impulsions à mon cœur s'étant relativement endormi des suites de cet instant que je préfère déjà éviter de ressasser. Ça peut sembler stupide, mais le savoir toujours enclin à répondre à mon inutile question me met du baume au cœur et répare quelque peu les fissures s'étant invitées sur la barrière de la confiance. Sans quoi, il aurait été difficile pour moi de me réintégrer dans la conversation sans éviter de sembler désemparer ou continuellement honteux de ce qui pourrait sortir de ma bouche.

Je relève donc légèrement le visage, apercevant le sien reposant sur son poing fermé et rougit instantanément en fixant cette scène pourtant anodine. Mon cœur rate quelques battements qui me fait rapporter ma main sur ma poitrine alors que j'écoute avec attention ce qu'il a à me dire. A sa petite interrogation, je me contente d'un léger hochement de tête, ne voulant surtout pas le couper dans son élan. La vérité étant que je ne me sens plus capable d'émettre le moindre son dans l'immédiat. Il me fait donc part des difficultés qu'il a éprouvé dans la nuit à trouver le sommeil, une explication qui, dans ma tête, fait automatiquement écho à notre entraînement de la journée précédent celle-ci ou à la sortie que nous effectuons actuellement. A moins que cela ne possède aucun lien ? Ma tête se penche donc un peu sur le côté, réfléchissant directement à ce qu'il vient de me partager, cherchant peut-être des solutions ou des conseils à pouvoir lui fournir. Cependant, avec si peu d'informations, il est difficile de savoir vers où se diriger.

Et puis, au moment où l'heure est à la réflexion, sa voix retentit à nouveau au sein de cette nouvelle pause ayant vu le jour. Il ne prononce qu'un mot, un seul... mon prénom. Et ça a le don de me faire vibrer de l'intérieur. C'est marrant, l'effet qu'il a sur moi en ne faisant qu'articuler les lettres formant l'appellation que, pourtant, beaucoup me donnent et à laquelle je suis forcément habitué. Toujours est-il qu'avec lui, c'est différent. Du moins, ça semble différent. Mon cœur se serre, mes mains deviennent moites et ma température corporelle se met à monter en flèche. Mes yeux, quant à eux, hésitent entre fuir ou affronter cet appel contre lequel il est difficile de demeurer indifférent. Je rassemble donc ce qu'il reste encore de mon audace et plante directement mes pupilles dans les siennes, les soutenant comme je peux, déglutissant doucement, alors tourmenté par le stress.

Que dire, que faire ? Suis-je censé répondre de vive voix ou le langage corporel est-il capable de correctement s'exprimer à ma place ? Inéluctablement perdu et tiraillé entre diverses options, c'est finalement la serveuse, en revenant nous apporter une partie de notre commande, qui impose de sa présence, la décision finale, à savoir le mutisme. Même mon remerciement peine à traverser la barrière de mes lèvres, me contentant d'un sourire accompagné d'un hochement de tête timide, fuyant, juste après, du regard l'homme attablé à mes côtés.

Ce n'est que lorsque, du coin de l'œil, je l'aperçois porter son attention sur sa tasse de café, que je me permets de discrètement l'admirer, m'attardant étrangement trop sur ses lèvres, qui s'attèlent à un soufflement servant à quelque peu refroidir le contenu avant sa première gorgée, ou sur ses grandes mains, qui tiennent pourtant délicatement cette petite tasse.

De mon côté, je ne touche pas encore à ma boisson, bien trop occupé à détailler, le plus furtivement possible, mon coach sportif pour lequel je suis désormais certain de développer des sentiments, aussi fou que cela puisse paraître. Mais tout chez lui me plaît, que ce soit physiquement ou en termes de personnalité. Il est... visiblement tout ce qui est capable de me mettre entièrement en émoi.

A quoi bon hésiter ?

Le long silence paraissant éternel s'étant installé entre nous commença à se faire long, voire difficile à vivre. En même temps, j'ai eu toutes les occasions du monde pour apporter un sujet à la table donc je m'estime tout autant responsable de ce moment de blanc. Pourtant, d'habitude, je suis loin de redouter ce genre de choses, mais il faut avouer qu'en présence d'une personne envers qui tu t'attaches et pour qui ton image à une grande importance, c'est parfois plus compliqué qu'on ne le prétend ou qu'on ne le prévoit.

En jetant quelques regards sur l'homme à la chevelure flamboyante qui est assis devant moi, je remarque que l'une des raisons évidentes de son mutisme réside dans le fait qu'il a les lèvres posées sur le bord de sa tasse de café. Ses lèvres... un attribut qui, à la vue de la position, nous permet de facilement apercevoir sa lippe supérieure légèrement remontée à cause de l'objet sur lequel elles sont gracieusement déposées. De quoi faire apparaître une teinte un tantinet rosée sur mes joues, si elle ne s'y trouvait déjà pas, ou intensifier ces dernières dans le cas où elles ne m'auraient pas quitté.

Je pourrais aussi très bien l'imiter en portant aux miennes la boisson qui m'est destinée, mais je n'y parviens tout simplement pas. Comme quasiment paralysé sur place, seuls de légers mouvements, ne dépassant pas le coin de table à côté duquel je suis assis, me sont permis sans espérer une sorte de parenté à un robotisme naissant ou à une surcharge de timidité qui ne sont définitivement pas dans mes habitudes.

Soudainement, sans crier gare, et ce après que nos regards se sont croisés, sa voix retentit à nouveau. Chaleureuse, masculine, grave, un frisson me traverse la nuque à l'instant même où celle-ci se manifeste aux creux de mes oreilles. Un frisson que je m'efforce de cacher, bien que difficile à réaliser. Alors, pour le faire passer sous silence ou le faire passer tout court, je change un peu de position en croisant les jambes et en me replaçant délicatement sur ma chaise. Je tente de garder un sourire naturel histoire de noyer le poisson comme je peux, préférant me concentrer sur ce qu'il a à me dire. Ça serait dommage de réduire à néant les potentiels efforts qu'il fournit en nous sortant ainsi du silence, craignant qu'un retour au calme angoissant se fasse.

"A propos d'hier". En quelques mots, il vient de chasser toute forme de gêne que ce soit de mon corps ou de ma tête, mon esprit se focalisant instantanément sur la signification de ses paroles. Oui, hier... je me souviens très bien de cette journée. Au-delà du fait que seules quelques heures nous en écartent, l'ambiance dans laquelle nous étions plongés, alors que nous nous étions donné rendez-vous pour nager en guise d'entraînement, sortait de l'impensable. Une certaine tension, si pas une étrange distance étaient venues jouer les trouble-fêtes, nuisant un peu à l'objectif initial de notre rencontre en me faisant, plus principalement moi, me perdre dans des idées tordues concernant le pourquoi du comment il agissait aussi étrangement. Je me souviens aussi qu'il s'était perdu dans des excuses, après maintes et maintes reprises à tenter de lui tirer les vers du nez, en prétextant une fatigue ou des difficultés à dormir qui, si mes souvenirs sont bons, se sont répétés cette nuit.

Impatient, mais aussi quelque peu inquiet, je me penche vers l'avant afin d'être sûr à 100% de ne rater aucune syllabe qu'il est susceptible de prononcer. Ce dont il compte me faire part semble très important, raison de plus pour sérieusement ouvrir ses écoutilles. Il ferme les yeux un instant, joue avec sa cuillère, respire plus fortement, puis reprend son discours là où il s'est arrêté. Son élocution est lente, un peu maladroite, du moins elle paraît très incertaine. C'est bien plus sérieux que je ne le pensais. De quoi faire naître une pointe d'appréhension dans mon cœur qui s'emballe, se resserre même de temps en temps alors que je pose mes deux mains liées sur la surface plane se trouvant devant moi.

Le discours visiblement alangui par le stress ou la nervosité en disent long sur ce qu'il peut contenir, craignant désormais le pire de ce qu'il pourrait m'annoncer, sachant qu'il ressasse le passé. Un passé où il m'a pourtant assuré que tout n'était qu'accumulation de la fatigue et trouble du sommeil. Désormais, tout est remis en question. Et si ça me concernait, contrairement à ce qu'il a pu démentir auparavant ? Je déglutis donc une première fois, mes sourcils s'abaissant, la peur et l'empressement de connaître la vérité se lisant sur mon visage.

Tandis que nous touchons au but, le coach sportif se referme presque immédiatement sur lui-même à la venue de la serveuse que je hais dorénavant de toutes mes forces. Elle vient, en quelques sortes, de réduire à néant tout ce qui a été mis en place de la part de Nick désormais silencieux. Une fois cette dernière repartie, je lance un regard attendri, doux et délicat, dans l'espoir que ça puisse lui donner l'impulsion nécessaire à une reprise de parole.

Par miracle, ça paie et le voilà de retour les pieds dans le plat. Plus son monologue avance et plus je me trouve à être aussi confus que lui. Il me parle de... ses amourettes ? Du fait qu'il soit toujours sorti avec des filles ? Non, qu'il lui arrive de, vulgairement dit, mater ses camarades masculins ? Oula, je me perds... Que... Où veut-il en venir, exactement ? L'air dubitatif, j'écoute tout de même jusqu'au bout, ne comprenant toujours pas quel est le but de cette discussion. Essaye-t-il d'avoir des conseils de ma part concernant les relations homosexuelles parce qu'il sait que j'en suis ? C'est assez étrange comme façon d'aborder la chose, non ? En plus de ça, il n'ose même plus me regarder dans les yeux, vraisemblablement extrêmement gêné par la conversation.

D'après ce que je comprends, hier, il s'est rendu compte de la naissance de sentiments auprès d'un garçon. Hier, donc ? C'était pour ça cette absence plus qu'évidente ? Mais... enfin, je... je ne comprends pas pourquoi ça le mettait tant mal à l'aise en ma présence ? Parce qu'il désirait m'en parler, mais qu'il avait peur de me brusquer ou de me déranger avec ça ?

Tout en me posant mille et unes questions, nos regards se croisent à nouveau, son visage s'étant subitement relevé alors qu'il prononce deux mots, deux petits mots qui changement complètement la situation. Abasourdi par le murmure que je parviens tout de même à pleinement déchiffrer, j'écarquille les yeux et m'arrête de me mouvoir ou de réfléchir au réel sens de ce que je croyais, il y a encore quelques secondes, comme étant une recherche de conseils.

- P-Pour... m-moi... ?

Je souffle cette question qui se trouve être plus stupide que tout au monde, mais j'ai besoin de l'entendre le redire, au moins pour m'assurer que je ne suis pas victime de mon imagination parfois débordante.

Dès lors, tout semble prendre sens, à commencer par l'état dans lequel il s'était retrouvé lors de notre entraînement. S'il s'était rendu compte des sentiments qu'il éprouvait à mon égard, je comprends mieux pourquoi se retrouver en maillot de bain à mes côtés était quelque peu... délicat en termes de réactions ou de sensations.

Mon visage entier se couvre de rouge, une de mes mains venant se placer sur mes lèvres, souriant à la fois de bonheur, d'étonnement, mais aussi de l'ironie de la situation étant donné que le sentiment, aussi fou ou cliché que cela puisse paraître, est pleinement retourné. Je n'en crois pas mes oreilles. Je n'arrive tout bonnement pas à croire que c'est en train d'arriver, que ça s'est produit, à l'instant, laissant reposer ma joue sur mes doigts légèrement recroquevillés sur eux-mêmes, mes yeux allant et revenant entre le côté et l'homme pour qui mon cœur s'emballe déjà.

- Oh, Nick, je... moi aussi...

A quoi bon hésiter ?

Après cet aveu, le silence. Calme, plat, presque insoutenable, laissant pleinement la place aux doutes et aux potentiels regrets. Qu'est-ce que je viens de faire ? Quelles paroles je viens de prononcer ? Les mots étaient-ils justes ? Possédaient-ils entièrement toutes les facettes que j'aurai bien voulu leur insuffler ? Rien n'est sûr, tout est flou. Et alors que je suis en proie à des dizaines et des centaines de questions, l'homme qui me fait face réagit, lentement. Sa main, initialement accrochée à sa cuillère, s'en détache, ses lèvres s'étirent pour afficher un sourire et ses yeux se relèvent pour se nicher dans les miens, au sein desquels il n'est très certainement pas ardu d'y lire toute l'incompréhension et toute la surprise vis-à-vis de mes propres sentiments.

Je le regarde, je le fixe. Je ne sais d'ailleurs même pas comment je trouve toute la force et le courage pour me tenir à ce contact à la fois si lointain et pourtant si pénétrant. C'est un peu comme lui donner la clé servant à ouvrir la serrure de mon cœur, lui offrant ainsi un plein accès à ce que peu de personnes connaissent. Nos regards se croisent et jouent indirectement l'un avec l'autre. Mes rougeurs ne perdent pas en intensité, ça manquerait de cohérence. Au contraire, elles tendent à s'intensifier, à chercher par n'importe quel moyen de se montrer au grand jour, mais surtout à celui qui se trouve être le responsable de leurs apparitions. Elles désirent s'étendre et quitter la couverture représentée par ma main servant de cache-misère.

Il souffle un mot incertain. Je l'entends, mais je ne parviens pas à suffisamment m'y concentrer pour en comprendre le réel sens dissimulé derrière ce dernier. La situation est tendue, mais pourtant aussi déstabilisante qu'agréable à vivre.

Et puis, sa main s'avance dans ma direction, lentement, presque aussi hésitante que moi par rapport à ce geste. Au fur et à mesure qu'elle s'approche, mon cœur s'emballe et s'emporte dans des battements qui défient l'entendement. Son bras s'étend, se réhausse et quelques doigts frôlent les miens, de quoi laisser échapper un petit soupir très certainement rempli de divers sentiments que j'ai du mal à dissocier les uns des autres. Ce premier véritable contact physique recouvre la totalité de mon corps de frissons alors que son index s'accroche au mien. Ne sachant trop s'il s'agit d'une demande ou non, j'y accède tout en marchant vers l'inconnu, séparant doucement ma paume de mes lèvres, la fixant dans sa pente descendante jusqu'à ce qu'elle se repose sur la table en compagnie de celle de Nick.

Un sourire assez niais vient peindre mon visage tandis que, de l'autre main, je me saisis de la boisson que j'ai commandée, apposant mes lèvres sur le bord de mon verre, plus dans un geste maladroitement dicté par l'angoisse que par une réelle soif. Je finis par m'en détacher tout aussi rapidement que je m'y suis lié, mes pupilles évitant un peu l'homme qui me fait face tandis que mes doigts partent, munis d'une curiosité étrangement développée, en quête de la découverte des siens, les caressant très doucement tout en intensifiant un peu plus les couleurs désormais vives sur mes joues.

Je ris doucement, me sentant un peu bête d'agir comme un adolescent de 15 ans qui vit sa première mise en couple, mais surtout un peu naïf de vouloir poser la question qui suit.

- Mais donc, nous... nous sommes... ensemble... ?

Un questionnement assez aberrant en sachant pertinemment que nous venons tout bonnement de nous déclarer notre amour mutuel, mais ça en revient presque de la nécessité de s'assurer que nous sommes bel et bien sur la même longueur d'ondes. Il en serait d'autant plus gênant que de se tromper sur toute la ligne ou même sur un détail qui engendrerait une honte sans fin au sein d'une sortie qui contient tout ce qu'il y a de plus idyllique.

Je repose donc mon coude sur la table et mon menton dans le creux de ma main, regardant un peu partout et ailleurs sauf sur la personne que mon esprit, mon cœur et mon corps s'accordent de convoitiser. Lui, ce garçon, cet homme... qui m'a si rapidement fait tourner la tête.

A quoi bon hésiter ?

La question que je viens de lui poser, bien qu'elle puisse sembler idiote, ne détient pas l'effet escompté. M'attendant à une réponse, dans l'espoir qu'elle soit positive et confirme les doutes futiles qui résonnent dans ma tête, je me trouve être d'autant plus anxieux que précédemment en demeurant quelques longues minutes, paraissant une éternité, face à un silence auquel je ne me suis absolument pas préparé.

Dès lors, le doute plane au sein de mes pensées toutes dirigées vers ce garçon, vers cet homme qui vient, pourtant, de m'ouvrir son cœur. Ai-je fait fausse route ? Ou bien, je me suis peut-être un peu trop emporté et ça lui a fait peur ? Oh non, je sais ! Il s'est renseigné sur mon parcours et désire d'abord me faire part de ses craintes ou de ses désirs avant que nous puissions nous lancer dans une relation !

Wo, wo, wo. Du calme. Pas la peine de partir dans des prises de tête plus que nécessaires. A quoi bon imaginer mille et un scénarios lorsqu'il suffit de directement demander à la personne concernée en quoi consiste cette absence de réponse ? Et puis, si ça se trouve, il est en pleine réflexion de comment avancer la chose, non ? Inutile de s'imaginer des choses collant plus à l'impossible et à l'imaginaire qu'au réaliste.

Cependant, tout de même assez inquiet et impatient d'en apprendre plus, je n'arrive pas à me convaincre de le regarder dans les yeux une bonne fois pour toute, me contentant bêtement de surveiller ses réactions du coin de l'œil.

Mais alors que ma tête commence à chauffer en termes d'inventions des scénarios les plus loufoques qui puissent exister, sa voix s'élève à nouveau jusqu'au creux de mes oreilles. Sa voix, une douce mélodie qui m'enivre déjà et qui m'a, en fait, toujours plu. A ses mots, c'est comme si ces derniers avaient eu le pouvoir d'arrêter le temps, de figer les battements de mon cœur quand bien même je parviens à les ressentir à pleine puissance.

Mon visage se détend, un sourire réapparaissant au bout de quelques secondes de réalisation, tandis que les rougeurs ayant déjà pris leurs places respectives auprès de mes pommettes s'intensifient davantage. "Je veux être avec toi." Une phrase, une seule, pourtant suffisante à relancer, et ce en un claquement de doigt, ce qui semblait à l'arrêt. Depuis l'extérieur, je peux paraître stoïque et contrôlé, mais à l'intérieur, c'est une véritable effusion de diverses sensations qui se déroule. Seulement, je n'ai pas le temps de me remettre de cette succession d'émotions, qu'un geste plutôt inattendu en rajoute une couche supplémentaire.

D'une seule main, celle qui n'est pas presque mêlée à la mienne, il prend appui sur la table. Ensuite, il se redresse à moitié et se penche dans ma direction. Dès lors, je tourne le visage dans la sienne, le reste de mon corps se figeant quasiment automatiquement devant cette action qui semble dirigée vers ma propre personne. Ses doigts, alors encore liés aux miens, finissent par s'en détacher, me plongeant à la fois dans un sentiment d'incompréhension et d'apparition prématurée de manque.

Que va-t-il me faire ? Que va-t-il se passer ? Est-ce ce genre de moment qui marque la fin d'un chapitre ainsi que le début d'un autre ?

Encore une fois, je me perds dans mes idées jusqu'à ce que je remarque ses doigts s'approcher de mon visage pour que son puisse effleurer ma lèvre supérieure. Mes yeux jonglent entre loucher sur ce qu'il est en train de faire, aussi déroutant que plaisant et délicatement exécuté, et son visage à l'allure à la fois concentrée et apaisante. Le commentaire s'ajoutant à cette volonté donc de me retirer la mousse s'étant déposée sur ma lèvre après ma première gorgée me fait légèrement souffler du nez, mon regard se baissant un instant avant qu'il ne revienne se perdre dans le sien.

- M-Merci... de... l'avoir retirée...

L'admirant de mes propres yeux, j'en oublie diverses notions, comme celle de garder les pieds sur terre ou de conserver un certain contrôle. Par automatisme ou dicté par un hypnotisme involontaire, ma main ayant perdue sa copine plus virile part à sa recherche, quittant elle aussi la surface de la table sur laquelle elle s'était reposée, remontant dès lors le long de son avant-bras, juste après s'être heurtée à son coude. Délicatement, et du bout des doigts, elle cherche à retrouver sa partenaire tandis qu'il m'est impossible de le quitter des yeux, ébahi par sa beauté, par sa présence et dès lors complètement embrumé par la montagne de sentiments déjà présents et qui se décuplent à la vitesse de la lumière.