[2019] Tentative de lecture

Une nouvelle journée de cours se terminait enfin. Pour Heinrich, c'était une journée type: se réveiller, aller en cours, rester assis, ne pas parler et écouter. Il ne parlait presque jamais et se contentait de rester dans son coin comme il le faisait déjà si bien avant d'être envoyé dans cet Institution. Cela ne le dérangeait pas plus que ça même si les journées pouvaient parfois être longues. Il croisait souvent du monde dans les dortoirs, surtout dans la salle commune où les autres pensionnaire semblaient plus ouverts, plus décontractés. Mais ce soir là, l'Allemand n'avait aucune envie de se retrouver dans un endroit aussi animé. Il pensa rejoindre sa chambre mais quelque chose lui disait qu'il n'allait pas avoir la tranquillité escomptée. Il choisit alors un endroit réputé pour son silence absolu: la bibliothèque.

Si Heinrich était un musicien avant tout, la lecture faisait aussi partie de ses passe-temps. Il aimait toute sorte d'ouvrages: romans, recueils de poèmes, sources historiques, etc... C'était une occupation qui demandait peu d’interaction avec les autres puisque cela demandait du calme et de la concentration.

Le souci pour le jeune Allemand, était l'emplacement de la bibliothèque. Il n'aimait pas parcourir le chemin qui le menait là-bas. En effet, le jeune homme devait entrer dans un des bâtiments de l'ISS, et cela ne le mettait pas du tout à l'aise. À chaque fois qu'il passait dans les couloirs, il sentait les regards peser sur lui. Il fallait dire que l'Institution avait eu la bonne idée de donner des uniformes de couleurs différentes selon des établissements. Ainsi, les élève qui comme lui étaient de l'IRS étaient reconnaissables par le bleu de leur veste. Cette couleur était un panneau indiquant qu'il n'était pas un élève considéré comme normal. Chaque regard d'une veste rouge était une interrogation: "Qu'est-ce qu'il a fait comme bêtise?"; "C'est quoi son problème?"; "Encore un taré?". Bref, un moment compliqué pour Heinrich. Ce n'était pas sa faute s'il ne se sentait plus vivant. Il n'avait pas voulu ça, mais après tout la Mort n'avait pas voulu de lui également.

Il arriva enfin devant le porte de la bibliothèque. Il rentra le plus discrètement possible et se glissa dans les rayons. Il ne recherchait rien de particulier, alors il regardait un peu partout pour voir si un titre attirait son attention. Rien dans les livres d'histoire, rien dans les romans policiers. Il fit un tour parmi les classiques de la littérature. Son anglais n'était pas parfait mais il lui permettait tout de même de comprendre ce qui était écrit. Plusieurs nom lui firent de l’œil: Frankenstein, Le Seigneur des Anneaux ou encore 20 000 lieues sous les mers.Ayant déjà lu le deuxième et étant plus attiré par le dernier, Heinrich prit le livre de Jules Verne avec lui et partit s'installer dans un des sièges disposés un peu partout entre les rayons. L'Allemand posa son sac à ses pieds, en sortit un casque et y mit un peu de musique, à faible volume afin de ne pas déranger ceux qui avaient vraiment besoin de silence.

Le livre venait à peine de débuter que le jeune homme éprouvait des difficultés à lire l'anglais. Il semblait avoir surestimé ses capacités. Il voulu refermer le bouquin mais se ravisa. Essayer de comprendre ce qui était écrit l'empêchait de penser à autre chose qu'à la mort et à son corps en putréfaction. Ces pensées l'empêchaient de dormir, à tel point qu'il présentait presque toujours de magnifiques cernes sous ses yeux bleus. La nuit dernière n'avait pas dérogé à la règle et le voici donc, fatigué et avec un livre dont il ne semblait comprendre un traître mot.

Heinrich pouvait y mettre toute sa bonne volonté, rien n'y faisait. Comprendre un phrase de ce fichu bouquin lui demandait de fournir des efforts presque surhumains, à tel point qu'un mal de crâne fit très rapidement son apparition. Il ne lisait plus, son regard vide fixait simplement la page noircie de lettres. Il n'émit presque aucune réaction lorsqu'on tapota sur le dessus de l'ouvrage. Il se contenta de lever les yeux pour voir une IRS. Instinctivement il effectua un mouvement de recul dans son fauteuil tout en retirant son casque pour mieux entendre ce qu'elle lui voulait.  

"Euh excuse moi de te déranger. Tu...tu le lis ? J'ai une fiche de lecture à faire dessus. Ça t'ennuie si je me mets à coté de toi pour la faire et...que je te gêne de temps en temps pour quelque détail dedans ?"

Evidemment, il lui fallut un moment avant de vraiment tout saisir, d'autant plus qu'elle parlait vite. Avant même qu'il n'ait pu formuler sa réponse elle continua. Elle semblait vouloir lui montrer qu'ils étaient dans le camp. Ou alors elle lui montrait qu'elle était dangereuse et que s'il ne lui donnait pas ce qu'elle voulait elle allait lui dévisser la tête, ce qui ne serait pas plus mal avec un peu de recul. Néanmoins Heinrich allait se contenter de coopérer et lui donner ce livre que, de toute façon, il n'arrivait pas à lire. Il se leva, referma le livre et lui tendit alors qu'elle s'était assise sur le fauteuil à côté du sien.
"Tu peux prendre. Je ne le comprends pas."
Formuler cette phrase fut laborieux, il n'était même pas sûr que la syntaxe était correcte, qui plus est, le tout fut servit avec son accent rocailleux d'Allemagne de l'Est ce qui ne devait pas vraiment aider à la compréhension.

Une fois le livre donné il fit un mouvement pour partir chercher un autre livre quand une nouvelle fois, l'IRS lui adressa la parole. Cette fois-ci pas de soucis de compréhension, elle avait tout simplement donné son nom, alors Heinrich lui répondit de manière simple et concise:
"Heinrich"

Il partit prendre Frankenstein puis retourna s'asseoir là où il avait laissé son sac, ce qui, il fallait reconnaître, était un poil risqué. N'importe qui pouvait prendre quelque chose dedans et partir avec. Même s'il n'avait rien de très coûteux à l'intérieur, il ne tenait absolument pas à ce qu'on lui vole son CD qu'il gardait comme un précieux talisman.

L'utilisation du téléphone comme moyen de communication était une bonne idée de la part de la dénommée Brook. Avec ça il n'avait pas besoin de se casser la tête pour sortir une phrase compréhensible. Il avait juste à parler en allemand et la machine ressortait une version traduite de son texte. Quel outil formidable, et dire qu'il n'avait pas le droit de l'utiliser en cours...

Il se lança dans la lecture de Frankenstein. Beaucoup plus simple à comprendre que le livre précédent, l'ambiance du livre y étant pour beaucoup. L'histoire se passait dans un château sombre, datant du Moyen-Âge. Et dans ce château vivait un savant fou qui essayait de créer une créature à partir de restes de cadavres. Heinrich se sentait si proche de cette créature, morte et pourtant bien vivante. C'était lui, tout simplement. Il continua sa lecture jusqu'à ce qu'il soit interrompu par sa voisine qui contemplait sa fiche fraîchement rédigée. Il prit le téléphone.

Téléphone a écrit:

Les profs demandent souvent des fiches de ce genre?

Cela l'inquiétait un peu. Étant donné son niveau en anglais, qui était plus que pathétique, il s'imaginait déjà passer des heures entières à faire une fiche sur un livre dont il n'a même pas compris la moitié des mots.

Puis lui vit une question plus indiscrète, mais qui pouvait se comprendre étant donné le lieu, leur uniforme et sa propre condition.

Téléphone a écrit:

T'es là pour quoi toi?

Il voulait savoir s'il avait affaire à une personne avec de graves problèmes ou si tout simplement, elle avait quelques petits troubles qui nécessitaient une attention particulière. Ici il se savait entouré de gens plus ou moins dérangés, certains ayant commis des actions irréparables. Il ne savait pas vraiment se placer au milieu de tout ça. Il ne voyait pas vraiment ce qui clochait chez lui hormis le fait d'être une sorte de mort-vivant.

Alors qu'il attendait une réponse, son casque, retiré à moitié pour pouvoir entendre Brook, se mit à émettre un son particulier. Son portable, laissé en lecture d'album obligatoire avait décidé de lui faire une petite surprise, et pas des plus agréables. Un son de percussion s'accélérant résonna en lui comme un lointain écho. Pourtant, les souvenirs qu'évoquaient ces sons n'étaient pas si lointains étant donné que ils remontaient à quelques mois en arrière. Il ne savait pas trop pourquoi ce morceau en particulier lui faisait cet effet là, mais une chose était sûre, c'était qu'il commençait à être pris de sueurs froides. La peur envahissait petit à petit son corps tandis que ses yeux s'écarquillaient laissant apparaître la terreur sur son visage.