Comme une loutre avec des moufles [Nia]

Cela faisait un peu plus d'un mois qu'ils étaient arrivés en Angleterre. Commencer les cours un mois et demi après les autres les avait un peu laissés à la traîne dans les matières théoriques mais ils avaient rattrapé leur retard assez vite en travaillant en duo pour leur cours commun e en s'entraidant de leur mieux pour les autres, même si Ellia n'y connaissait rien en coaching e Nick très peu en travail d'équipe.

Le cours d'organisation de planning de Nick avait été annulé, aujourd'hui, ils se retrouvaient donc avec un vendredi à tuer ; Ryuu avait cours et Jun était occupé pour l'après-midi. Ils avaient mangé ensemble, comme toujours, et les choses auraient pu se passer aussi bien qu'à l'accoutumée si certains sujets ne s'étaient pas retrouvés sur le tapis. Un sujet, en fait, arrivé au moment où ils mangeaient leur dessert. "On m'a dit des choses, sur ton ami..." "Ellia... Commence pas." Nick soupira. Depuis qu'il avait mentionné le nom de Jun dans une conversation, sa soeur avait fait ce qu'elle faisait le mieux : elle s'était renseignée. Il ne supportait pas quand elle faisait ça, c'était sa manie la plus exaspérante. A chaque fois, elle se fiait aux réputations pour juger qui était un potentiel "danger" pour lui et à chaque fois, elle lui tapait sur les nerfs. "Tu as vu tout ce qu'il a fait ? Tu n'as pas peur qu'il se serve de toi ? Tu..." "Non." Il reposa sa cuillère et s'adossa à sa chaise en croisant les bras. Combien de temps allait-elle le soûler avec ce comportement ? Il pensait que son amitié avec Ryuu - qui n'avait ni la meilleure réputation, ni le meilleur passif possible - aurait calmé cette habitude, mais non.

"Est-ce que tu peux arrêter d'enquêter sur mon entourage ? Je traîne avec qui je veux." Ellia grimaça légèrement. "Je ne veux juste pas que tu sois manipulé. Tu es tellement..." Nick lui retourna un regard noir. "Tellement quoi ? Naïf ? Parce que je ne me méfie pas de tous ceux qui m'approchent ?" Elle secoua la tête, vivement, comme si elle regrettait déjà les mots qu'elle avait prononcé. Mais il savait que ce n'était pas le cas. Elle était probablement juste gênée qu'il ait compris ce qu'elle s'apprêtait à dire. "Non, c'est pas ce que je voulais dire. C'est juste que tu as déjà souffert, et tu as tendance à t'entourer des mauvaises personnes..." Il se leva brusquement en claquant ses mains sur la table, une lueur menaçante dans les prunelles. "Des mauvaises personnes ? Parce qu'ils ne correspondent pas à tes valeurs ? Hayley n'a rien d'une mauvaise personne, et elle ne s'est pas servie de moi. Anko non plus. Est-ce que tu peux arrêter de te fier à des rumeurs ? Tu es bien placée pour savoir que c'est facile à manipuler ! J'ai les amis que je veux, je fais ce que je veux ! T...T...Tu es ma soeur, pas ma m... ma ...mère et pas ma gardienne ! Combien de temps tu vas m...m... ... me mettre sur le dos la naissance de Rihei ? Ma ble...ssure au coude ? M...a relation avec Anko ? Une erreur, Ellia, une. Pe... Personne ne me brisera, je ne ...re...plongerai pas et ...personne ne se ser...vira de moi. Personne ! Et c...certainement pas Jun." Il saisit son sac tandis que sa soeur le fixait toujours, bouché bée, et prit un instant pour reprendre son souffle, retrouver son calme, organiser son débit de parole. Arrêter de bégayer. Il détestait ça, surtout quand il était sérieux, surtout quand il était énervé, il aurait voulu pouvoir lâcher une tirade d'un bon coup comme tout le monde. "Jun est quelqu'un de bien. Et je ne laisserai ni toi, ni des stupides pa... paparazzi essayer de me faire croire le contraire. Vous avez tort." Il avait prononcé la dernière phrase sur le ton d'une affirmation sans contradiction, d'une certitude absolue. Pas d'hésitation, juste trois mots tranchants. Puis il quitta la cafétéria à pas rageurs, la plantant là.

Il savait, au fond, que ce n'étaient ni sa dépression, ni sa relation avec Anko qui étaient responsables du comportement d'Ellia, elle avait toujours été comme ça, mais il était trop énervé et vexé pour y penser. Avant, elle ne s'inquiétait que des personnes qui cherchaient à le draguer, c'était la première fois qu'elle enquêtait au sujet d'un de ses amis. A moins que ce ne soit parce que Jun était sorti avec un homme avant de rompre avec lui de façon médiatiquement désastreuse ? Juste parce que sa rupture avait fait les gros titres, ça ne voulait pas dire qu'il le côtoyait pour ça, ni qu'il lui ferait du mal. Même si elle avait peur que Jun essaye de se servir de lui dans ce sens, ça ne justifiait ri... en...
Hein ?

Nick baissa la tête pour voir dans quoi ses pieds s'étaient emmêlés, une fois qu'il eut retrouvé l'équilibre. Des pinceux ? Il fronça les sourcils, remarqua qu'il avait glissé principalement sur un tube de peinture avant de repérer une chevelure aussi rouge que la sienne à côté desdits pinceaux et tubes de peinture. Il grimaça, se pencha pour récupérer les outils de dessin qu'il avait un peu éparpillés. "Je suis... d...désolé, vraiment, vraiment désolé euh... je... te rachèterai ta p...einture ? Si tu veux..." Il ne savait pas trop quoi dire ou quoi faire. Il n'avait pas du tout envie d'avoir abîmé les affaires de cette fille, mais il était très vite maladroit quand il était sur les nerfs. Il espérait au moins que ce n'était pas quelque chose de trop cher, qu'il n'avait pas balancé l'argent d'une inconnue par les fenêtres sous le coup de la colère...

Avait-il vraiment marché sur des outils de peinture ? À quel point pouvait-il être maladroit ? Mal à l'aise, il s'excusa plusieurs fois, cherchant un moyen de réparer ses torts sans trop savoir comment. D'autant qu'elle semblait quand même agacée – ce qui était compréhensible vu la situation – et que ça ne faisait que le mettre davantage mal à l'aise. Il entreprit de rassembler ce qu'il n'avait pas abîmé, ou pas trop, et elle se mit à l'aider, jusqu'à ce qu'ils aient regroupé tout ce qui était récupérable et qu'elle décide de le ranger. Rien de surprenant, elle n'avait probablement pas envie que quelqu'un marche à nouveau sur ses affaires. "Quand …même, j'ai gâché tes tubes..." Bon, ça aurait effectivement pu être pire, il aurait pu briser des outils plus importants que des tubes de peinture, et elle n'avait pas l'air de lui en vouloir, mais il s'en voulait un peu malgré tout.

La jeune fille rangea son carnet à dessin en plus du reste et se redressa ; Nick suivit le mouvement en essayant de faire passer son malaise. Au moins, ça avait eu le mérite de chasser sa mauvaise humeur. Elle était plus grande qu'il ne se l'était imaginée en la voyant assise – plus grande qu'Ellia et donc, par extension, plus grande que Jun – et elle lui ressemblait un peu, même si c'était principalement au niveau des cheveux que se trouvait la similitude. En tout cas, elle ne semblait pas en colère et il n'avait pas l'air d'avoir fait tant de mal que ça ; tant mieux, il aurait détesté être responsable de la perte de quelque chose de valeur juste parce que la colère avait tendance à le rendre maladroit. Enfin, quand elle n'était pas canalisée dans une vengeance – là, il devenait nettement plus habile.

Un petit sourire gêné s'afficha sur son visage à sa remarque. Si elle arrivait à en rire, c'est que ça n'était effectivement pas si grave. "Oui, je suis en études de sport," répondit-il à sa première question, avant qu'elle ne se mette à sourire et enchaîne avec un nouveau commentaire. Par habitude, il étira légèrement les lèvres, réalisant sans trop de mal qu'il s'agissait d'une plaisanterie même s'il avait un mal fou avec le concept (il faisait des progrès, cela dit). Il secoua doucement la tête. "Non, la plupart du temps j'évite, quand même. J'étais juste... un peu énervé." "Un peu", bien sûr. Il était surtout totalement sur les nerfs. D'ailleurs, il espérait qu'Ellia avait compris le message, parce qu'il n'appréciait pas spécialement de se disputer avec sa sœur. S'il pouvait éviter de réitérer, ça l'arrangerait bien.

"Je regardais pas vraiment où j'allais." L'inconvénient de la colère, c'était qu'on avait tendance à foncer tout droit sans réfléchir, et ça menait souvent à ce genre de situations. Enfin pas toujours au fait de marcher sur des tubes de peinture et de shooter dans le matériel d'une artiste, mais au moins de faire n'importe quoi. "Tu étudies ici, toi aussi ? C'est l'uniforme du lycée, non ?" Du peu qu'il connaissait d'Indarë, ça y ressemblait un peu, même s'il avait plus vu l'uniforme masculin que le féminin. Dommage, d'ailleurs, il était plutôt pas mal et ça lui allait bien. Même si uniforme rouge avec cheveux rouges, ça devenait vite redondant. Manque de bol sur les couleurs.

La situation qui lui avait paru mal partie au premier abord semblait finalement résolue, ou en bonne voie. La jeune fille ne lui en voulait visiblement pas pour avoir abîmé ses affaires, elle en plaisantait même, et il avait réussi à s'excuser sans trop perdre le contrôle de sa voix. Son bégaiement s'amenuisait à mesure que sa gêne et sa colère s'évaporaient et il se sentait un peu plus à l'aise. Ça lui permit de garder son sourire à sa remarque. Oui, il avait bien minimisé les choses en prétendant être "un peu" en colère. Ce qui se serait passé s'il avait été très énervé, hm ? "Ce n'est jamais bon signe, quand je suis très énervé." C'était le genre de moment où il devenait dangereux, où il passait de sa colère de base au côté vengeur de sa famille. Heureusement, Ellia ne l'énervait jamais assez pour ça, et il tenait trop à elle de toute manière. Il l'interrogea ensuite sur ses études pour garder la conversation en vie sur une autre base que son tempérament.

Alors elle ne savait pas quoi faire quand elle aurait fini le lycée. Nick aurait aimé pouvoir dire que ça n'avait jamais été son cas, avec l'avenir qu'il s'était tracé depuis son enfance, mais la vie en avait décidé autrement et il avait, lui aussi, eu une longue période où son avenir semblait un gros point d'interrogation planté devant son visage. Même si son questionnement était sans doute venu pour d'autres raisons que celui de la lycéenne en face de lui. A sa question, il prit un moment pour réfléchir. Il ne connaissait pas grand chose de l'université, parce qu'il n'était là que depuis deux semaines à peine, mais de ce qu'il se rappelait de son inscription... "Il me semble qu'ils proposent énormément de domaines, ça serait quand même pas de chance qu'ils n'aient pas le tiens." Ils avaient tellement de matières dans la liste qu'il n'avait pas attention, mais ça aurait été surprenant qu'ils n'aient pas la mécanique. De ce qu'il avait compris en aidant Ryuu pour son inscription, ils avaient un cours de mécanique au lycée, ils devaient bien avoir un professeur pour le poursuivre à l'université.

A sa question suivante, il haussa doucement les épaules en passant un main dans ses cheveux. "C'est plus petit que les universités que j'ai visitées quand j'étais aux Etats-Unis. Et j'ai assez l'habitude des grands espace pour me repérer." Entre la taille de son ancien lycée, les fameuses université, la grande ville où il avait passé une grande partie de sa vie et les championnats sportifs où il avait dû retrouver son chemin plus ou moins seul pour ne pas rater son épreuve, il avait fini par développer un bon sens de l'orientation. Sans compter la fois où il s'était perdu dans un campus universitaire de la taille d'une ville en cherchant la bibliothèque universitaire... qu'il n'avait même pas trouvée, au final. "Et quand on sait repérer les bâtiments c'est un peu plus simple. Ils ont tous un logo, regarde." Il lui montra d'un geste les symboles au-dessus des portes des bâtiments : une couronne de laurier pour le bâtiment des sports, une main survolée d'engrenages pour celui des technologies, et un mélange de symboles artistiques pour celui des arts. Ils étaient assez petits mais, une fois qu'on les avait repérés, ils facilitaient franchement la vie.

La jeune fille ramassa ses affaires au sol avant de se lever et de se présenter. Nia, donc. L'espace d'un instant, Nick se demanda si sa sœur s'amuserait aussi à juger le fait qu'il lui parle. Physiquement, elle ressemblait indéniablement à Hayley - et à lui aussi - et Ellia ne l'avait jamais portée dans son cœur. Mais bon... si elle faisait ça, ça voudrait dire qu'elle n'avait absolument rien retenu de ce qu'il lui avait dit. "Nick Ballentine," répondit-il naturellement même si elle ne lui avait donné que son prénom. Puis il sembla soudain réaliser qu'elle était en train de peindre quand il l'avait interrompue en une partie de lui, celle qu'il avait abandonné en voyant son absence totale de talent, se réveilla légèrement. "Tu dessinais quoi, au fait ?" Il était curieux de voir ce qu'elle faisait - il y avait bien longtemps que toute notion de jalousie s'était évaporée à ce sujet.

Nick sourit doucement. Il était content d'avoir pu un minimum l'aider en lui signalant la présence de ces logos. Au moins, si elle allait vraiment à l'université après le lycée, elle serait moins perdue que certains autres nouveaux élèves. Ils se présentèrent ensuite, lui permettant enfin de mettre un nom sur cette jeune fille plutôt que juste "la lycéenne aux cheveux rouges qui faisait de la peinture dans la cour de l'université". Parlant de ça... Intrigué par ce qu'elle était en train de faire, il l'interrogea sur la peinture qu'elle avait décidé de laisser en noir et blanc à cause de lui... ou grâce ? Il aurait du mal à dire "grâce à lui", cela dit, vu qu'il avait shooté dans son matériel. Elle ne se fit pas prier, comme si elle n'attendait que l'intérêt de quelqu'un pour ses créations. En voyant l'image qu'elle lui montra, Nick resta bouche bée une petite seconde. "Wow..." Il était toujours impressionné par les gens doués, mais il devait admettre qu'elle avait du talent.

"Tu es vraiment douée... Tu as dit que tu voulais étudier la mécanique plus tard, non ? Pourquoi pas la peinture ?" Peut-être que l'un la passionnait plus que l'autre. Sans mentir, s'il avait eu un semblant de talent en dessin, il se serait peut-être orienté vers son rêve de gamin, de créer des mangas, plutôt que de se professionnaliser dans le sport, aussi doué soit-il dans le domaine. C'était sans doute la même chose pour elle ; quand on aime plusieurs choses, rien n'empêche d'en garder une comme hobby en faisant une carrière de l'autre.

Elle lui posa à son tour une question et il passa sa main derrière sa nuque. Les raisons qui l'avaient poussé à venir ici étaient une longue histoire d'événements improbables qui remontaient à ses seize ans, et dont une partie, concernant Ryuu, devaient à tout prix rester secrète. Mais ça ne l'empêchait pas de parler du reste. "J'ai quitté les Etats-Unis pour aller vivre au Japon dès que j'ai pu, il y a deux ans, pour... m'occuper de mon fils." C'était le genre de phrase qui faisait soudainement douter les gens de son âge. Malgré la vingtaine apparente de son visage, beaucoup de gens tiquaient là-dessus et s'imaginaient qu'il faisait juste très jeune, qu'il devait avoir entre vingt-cinq et trente ans. Il s'attendait donc à ce qu'elle lui pose la question, mais il décida de terminer son histoire avant qu'elle ne le fasse. "J'aurais dû rester là-bas mais il y a eu un gros incident dans mon université, quelque chose qui a fait assez peur à mon ex pour qu'elle veuille quitter le pays. Alors je l'ai suivie en Angleterre." Dans le fond, c'était vrai, même s'il avait fait de son mieux pour orienter Anko et la pousser à fuir, en glissant assez de sous-entendus subtils sur le danger qu'ils couraient en restant dans cette ville. D'abord parce qu'il refusait de laisser son fils à proximité de la mafia après la tuerie, et parce qu'il savait qu'Ellia devait quitter le pays, emporter son ami avec elle, et qu'il n'aurait pas supporter de rester aussi longtemps loin de sa sœur. En fin de compte, seule la destination finale avait dépendu d'Anko.

La peinture j'ai juste à réfléchir à ce que je veux faire et hop le reste se fait tout seul. L'âme de l'adolescent qu'il avait été et qui rêvait de dessiner des mangas - avant de renoncer devant les traits brouillons et incohérents qui sortaient de ses crayons - tiqua légèrement. C'était logique, en soit, l'apanage des gens talentueux. Beaucoup de gens auraient pu dire pareil pour lui et le sport. Chacun son domaine de prédilection. Mais tout de même... ça piquait un peu, de se dire que c'était aussi facile pour elle.

La conversation dériva ensuite sur sa vie à lui et il répondit sans trop de problèmes aux questions qu'elle posait, discutant et racontant assez naturellement quelques points de son existence. Quand il parla de son fils, il vit qu'elle semblait vouloir lui poser une question, mais comme il enchaîna avec la suite de son histoire elle n'en fit rien. Elle se contenta de commenter ce qu'il venait de dire et il sourit légèrement. "J'ai raté les deux premières années de sa vie, je n'ai pas l'intention d'en manquer une de plus." Quitte à devoir croiser Anko régulièrement même s'ils ne s'entendaient pas spécialement bien. Le fait qu'elle n'ait eu que peu confiance en lui quand il avait voulu prendre soin de Rihei, leur relation avortée quand ils avaient tenté de se remettre ensemble et la froideur avec laquelle elle le jugeait n'avait pas facilité l'entente. Ça ne l'empêcherait pas de tenir son rôle de père jusqu'au bout. Anko n'était qu'un détail dans sa relation avec son fils.

Ensuite elle lui posa des questions sur le Japon. il ne pouvait pas l'en blâmer : lui aussi avait toujours adoré ce pays, et les voyages constants de ses parents là-bas n'avaient rien fait contre, au contraire. C'était sûrement même eux qui leur avaient transmis ça, à lui et sa sœur. "Le Japon est un pays magnifique. J'y ai passé quasiment tous mes étés. Attends..." Il sortit son téléphone, fouilla ses dossiers facebook jusqu'à trouver des photos de voyages, prises principalement par sa mère. Puis il lui tendit le portable pour la laisser jeter un œil aux paysages. Il y avait sûrement des photos de sa famille dans le lot, des photos de lui quand il avait 14 ans, du coup vu l'année - 2012, avant que sa vie partie en vrille - mais ce ne seraient probablement pas celles qui l'intéresseraient le plus.

"Il s'appelle Rihei. Il vit seul avec sa mère mais je le garde assez souvent. C'est assez... logique, c'est elle qui l'a élevée pendant la moitié de sa vie." Bon il n'avait que quatre ans, la moitié de sa vie n'était pas une période extrêmement longue donc peut-être qu'à un moment ou un autre il finirait par le voir davantage, parce que cette logique finirait par ne plus s'appliquer.

Pendant qu'ils discutaient tranquillement, Ellia était restée à la cafet, méditant un peu sur les mots de son frère. Il s'énervait rarement, justement à cause de ce bégaiement qu'il détestait, et c'était assez surprenant pour qu'elle prenne un moment pour s'en remettre. Mais elle réfléchissait à ses paroles. Le jugeait-elle vraiment sur des erreurs passées ? Non... Non, elle était comme ça déjà avec Carry, bien avant la blessure au coude, bien avant Anko, bien avant Rihei. Mais peut-être qu'elle le surprotégeait. En avait-elle vraiment le droit, pouvait-elle vraiment continuer de jouer les gardes du corps alors qu'il semblait avoir définitivement remonté la pente ? Et surtout alors qu'elle-même s'était rapprochée d'un garçon à qui elle aurait dû avoir toutes les raisons de ne pas faire confiance ? Sans doute pas. Non, elle devait le laisser respirer. il avait raison, dans le fond : elle n'était que sa sœur. Et elle ne voulait pas risquer de devenir étouffante au point qu'il ait du mal à la supporter. Elle l'avait vécu une fois, pendant sa dépression. Pas deux.

Déterminée à s'excuser et à faire un effort pour ne pas ruiner sa relation avec son frère, elle attrapa son sac, débarrassa les deux plateaux et quitta la cafétéria, débouchant dans la cour. Elle aperçut la silhouette de son frère, debout un peu plus loin, et s'approcha. "Nick ? Je..." Elle s'interrompit dans sa phrase en constatant qu'il n'était pas seul, et observa la jeune fille qui se trouvait avec lui. Uniforme du lycée d'Indarë, le rouge, cheveux de même couleur, du matériel de peinture dans les mains. Elle avait l'air d'avoir interrompu une conversation. Gênée à cette idée, elle recula d'un pas avec une expression un peu désorientée. Elle resta silencieuse. Une forme d'excuse comme une autre, pour les laisser continuer si elle avait coupé une phrase ou une conversation qui ne la regardait pas.
Un premier effort, aussi.

Nick la regarda arriver, ses sourcils se fronçant légèrement. Il n'avait pas spécialement envie de lui parler, à vrai dire, il était encore agacé à cause de leur conversation de tout à l'heure. Quand elle s'adressa à lui avant de reculer, il nota quand même le léger changement. Au moins elle faisait l'effort de constater quand elle l'interrompait, et il n'avait vu aucune méfiance ni animosité dans son regard à Nia. Peut-être que sa tirade avait atteint sa cible, finalement.

D'en train de s'engueuler avec sa sœur dans la cafétéria de l'université, il s'était retrouvé à discuter avec une jeune lycéenne qu'il ne connaissait pas le moins du monde, là, dans la cour de l'école. Une fille qui le surpassait un million de fois en dessin, à qui il montrait actuellement des photos du pays qu'il venait de quitter. Ce n'était pas vraiment quelque chose qu'il s'attendait à faire aujourd'hui. Parler de son fils non plus, à vrai dire. Il finit par récupérer son téléphone et rendit son sourire à la jeune fille. Si elle était aussi douée en mécanique qu'en peinture, elle s'en sortirait parfaitement bien une fois à l'université.

Bref, leur conversation se déroulait parfaitement bien jusqu'à ce qu'il aperçoive sa sœur un peu plus loin. Ellia semblait avoir assimilé ce qu'il lui avait dit, ou en tout cas décidé de ne pas trop se mêler de ses affaires. Pas d'animosité envers Nia, ni même d'envie, visible ou non, de savoir de quoi ils parlaient. Un progrès ? Peut-être. Mais leur conversation était trop récente pour qu'il ne considère pas que c'était juste un contrecoup direct. Si elle gardait ce comportement pendant plusieurs semaines, ou plusieurs mois, il considérerait la possibilité.

Cela dit, il devait au moins lui reconnaître son effort, non ? Alors quand Nia posa la question, il laissa échapper un léger soupir mais finit par hausser les épaules. "Elle peut venir..." Il ne pouvait pas rester éternellement en colère contre sa sœur jumelle, surtout pas pour une raison aussi faible.

Voyant qu'aucun d'eux n'avait l'air de vouloir la chasser, Ellia finit par s'approcher, un peu timidement, un air nerveux sur le visage. C'était quelque chose d'assez paradoxal, chez elle. Elle était affreusement à l'aise devant les foules, ou dès qu'elle avait une position avec un semblant d'autorité ou de protection, mais dès qu'elle devait parler à un inconnu et avoir un semblant de socialisation à niveau égal, elle sortait complètement de son élément.

"Je suis désolée..." murmura-t-elle avant de tourner la tête vers la rouquine. "Je suis Ellia, sa sœur jumelle. Et toi ?" Elle ne souriait pas vraiment, parce que ça n'était pas dans ses habitudes et que ça n'était pas prêt de changer, mais le coin de ses lèvres était légèrement relevé. Le mieux qu'elle puisse faire en terme d'amabilité apparente.

Eh bien, Ellia arrivait à s'inviter dans la conversation sans jugement, elle progressait, c'était bien. Sans doute qu'elle était encore marquée par leur conversation. Nick n'allait pas s'en plaindre. Il garda les bras croisés tandis que sa sœur se présentait, se contentant d'un vague hochement de tête à l'entente de ses excuses. Il ne demandait qu'à la croire, mais il verrait ça si son comportement évoluait avec le temps. Si ça ne durait qu'une journée, ce n'était franchement pas la peine qu'elle s'excuse.

La remarque de la jeune fille sur son matériel de peinture transformé en projectile tira un petit sourire à Ellia. Légèrement amer quand même, parce qu'elle était consciente que cette colère venait d'elle à l'origine, mais imaginer Nick shooter dans un tas de pinceaux et de tubes de peinture était une chose assez amusante pour elle. Elle préféra cependant ne pas souligner la maladresse de son frère. Leur paix actuelle était encore fragile, elle ne voulait pas risquer de le braquer à nouveau. Même si son sourire en disait long, au moins, elle ne mettait pas l'équilibre actuel en danger. "Oui, je suis handballeuse professionnelle. Les études c'est un peu... une pause." Lui avait-il parlé de Rihei ? S'il avait parlé de ses études de sport, est-ce qu'il avait juste mentionné le fait qu'il s'était lancé là-dedans, ou bien avait-il commencé à parler des raisons qui l'y avaient poussé ? Elle doutait qu'il ait évoqué sa blessure au bras mais... sait-on jamais.

"Je ne veux pas vous déranger dans votre conversation. Je voulais juste m'excuser pour tout à l'heure, Nick." Il hocha simplement la tête, et elle sembla hésiter une seconde puis, finalement, elle salua la jeune fille d'un geste et d'une petite parole et s'éloigna. Techniquement, elle n'avait pas cours, elle aurait pu rester, mais il s'agissait d'une nouvelle rencontre de son frère, pas d'elle. De toute façon, elle n'avait jamais été faite pour les relations sociales. C'était le truc de Nick, autant le lui laisser. Elle, elle s'efforçait surtout de de pas essayer de jauger Nia de la tête aux pieds et d'essayer de la comprendre. Elle venait de se promettre de respecter la volonté de son frère et de ne pas juger les gens sans les connaître.

Resté seul avec Nia, Nick continua de discuter tranquillement, maintenant que l'intervention de sa sœur était terminée. Au moins, elle avait fait un effort, il devait le lui reconnaître. Le laisser seul avec une personne inconnue sans émettre le moindre semblant de jugement, c'était un progrès. Et cette fille, Nia, était sympa au premier abord. Leur conversation s'écoulait sans le moindre accro, au point qu'il faillit ne pas remarquer l'heure. "Oh. Il est déjà... Excuse-moi, j'ai un cours qui va commencer bientôt, il va falloir que je te laisse. C'était sympa de discuter avec toi." En vérité, il aimerait bien la recroiser un de ces jours. Certainement pas pour prendre des cours de dessin, par contre. "A la prochaine." Il sourit avant de la saluer et de passer son sac sur son épaule pour rejoindre sa salle de cours.
Eh bien, cette journée qui avait mal commencé avait plutôt bien évolué, finalement.