Entre l'idée et l'action, il y a un monde à découvrir - 09/10/2018

Nick n'avait pas vraiment réfléchi avant de se précipiter dans la chambre de sa sœur. La sienne n'était pas très loin, après tout, et son message était trop lourd de sens, de son point de vue. Il avait parler avec Ryuunosuke dans l'après-midi, et ce soir Ellia lui demandait les passeports ? Ça ne pouvait pas être une coïncidence. Son premier réflexe après avoir lu le message avait donc été de longer le couloir et de rejoindre l'aile des filles.
À vrai dire, il ne s'attendait pas vraiment à trouver l'ami de sa sœur directement sur place. Il pensait qu'il aurait contacté Ellia par téléphone, mais il devait avoir ses raisons de ne pas le faire.

Le plan que lui exposa le jeune homme le laissa perplexe, autant que ce "notre mort" qui, après un regard vers Ellia, semblait ne désigner que lui. L'espace d'un instant, il avait pensé qu'il comptait les faire passer pour morts tous les trois, mais sa sœur secoua la tête avec un regard qui disait "je t'expliquerai". Bon, très bien. Nick fouilla dans ses connaissances tirées de films et de séries pour exposer une idée. Un incendie. L'idée de vandaliser un bâtiment de la ville ne lui plaisait pas énormément, mais c'était la solution la plus simple pour qu'il n'y ait pas trop de question. Un faux suicide exposait à trop de risques d'accidents, et un faux meurtre... c'était risquer d'avoir la police sur le dos s'ils tombaient sur des enregistrements de caméras. Les risques pour un incendie comprenaient toujours la police, mais ils étaient moindres.

La suite de la conversation laissa les deux jumeaux dans un silence perplexe. Il savait où trouver un corps. Ça leur fit à tous les deux un effet étrange, de se dire qu'ils connaissaient quelqu'un qui pouvait se procurer un cadavre sans difficulté. Ils échangèrent un regard légèrement incrédule mais prirent, l'un comme l'autre, le parti de le croire et de ne pas poser des questions dont ils n'aimeraient pas la réponse.

Ellia l'oublia bien vite, cela dit, quand le jeune homme mentionna qu'ils étaient "deux". Il s'agissait donc vraiment d'un dédoublement de personnalité, comme elle l'avait un instant supposé. Elle ignorait comment s'y prendre avec ce genre de choses, pour être tout à fait honnête, et le visage en pleine réflexion de son frère ne lui laissait pas beaucoup d'espoir de son côté. Trouver un moyen d'expliquer la situation à Ryuunosuke s'il.... reprenait sa place ? Elle ne pouvait pas décemment lui laisser un mot, les chances qu'il sachent déchiffrer le code ou qu'il y pense étaient faibles, surtout s'il ne se souvenait de rien. Sans compter qu'il fallait organiser tout ce qui se passerait après cet incendie programmé. "Le mieux est que Nick soit sur place avant l'incendie pour lui expliquer s'il revient à ce moment-là, qu'on puisse être sûr qu'il sortira. Mais il faudrait s'assurer qu'il y aille coûte que coûte... Et que tout soit en place... Peut-être qu'on aura le temps de mettre le plan en œuvre avant que tu cèdes la place..." Et il avait bien précisé que ces périodes étaient une amnésie totale. Il ne se souviendrait pas de la moindre once de plan formulée aujourd'hui, et il faudrait tout lui réexpliquer. "Nick, combien de temps pour un passeport ?" Son frère plissa les yeux en observant le garçon, puis il haussa les épaules. "Je peux en avoir un ce soir. J'ai un ami qui lui ressemble, avec les cheveux un peu plus clairs, une autre coupe et... pas de bandeau sur l’œil."

Ellia grimaça. Changer de couleur de cheveux et cacher la cicatrice sur son œil ? C'était techniquement elle la pro du maquillage mais était-elle à la hauteur ? Il faudrait peut-être se pencher sur la question, mais avant... "Ce soir serait le meilleur moment, alors. " Nick secoua la tête. "C'est bien beau tout ça mais... si on le fait passer pour mort et qu'on veut lui changer de tête, il nous faudra un endroit où le cacher. Tu as ça en stock ?" Elle lui lança un regard lourd de sens et il grimaça. "Non, Ellia..." "C'est la solution la plus simple. On se cache pour la nuit et on y va le matin, elle n'en saura rien et ils ne risqueront rien." Son frère ne répondit pas, affichant simplement une expression soucieuse et un brin frustrée. Parce qu'elle avait raison, et qu'il désespérait de ne pas trouver de solution alternative. Elle le savait très bien. Mais se cacher le temps qu'Anko parte au travail et dépose Rihei à l'école, puis utiliser son appartement pour arranger l'apparence générale du garçon semblait la solution la plus simple. "Quelque chose qu'on aurait oublié ?" demanda-t-elle en se tournant vers le lycéen.
Il lui semblait avoir fait le tour, mais elle pouvait être passée à côté de quelque chose.

Un petit sourire attendri flotta l'espace d'une seconde sur les lèvres d'Ellia quand elle vit la moue qu'il faisait en regardant ses cheveux. Alors aussi froid qu'il paraisse, il était capable de bouder comme un enfant ? Nick perçut l'expression sur le visage de sa sœur mais ne fit aucun commentaire, en dehors de son propre sourire ironique. C'est qu'elle s'attachait, la frangine. Ça faisait plaisir de la voir avoir ses propres amis plutôt que de toujours dépendre des siens. Puis la conversation reprit, dessinant finalement les traits d'un plan étonnamment solide pour quelque chose d'organisé à la dernière minute. Le jeune homme finit par partir sur une dernière indication, et un message codé qu'il leur laissa en mains propres.

Une fois qu'il eut quitté la pièce, les jumeaux se regardèrent, puis Ellia se pencha sur le code avec sa feuille de décryptage pour connaître l'adresse à laquelle il lui avait donné rendez-vous. Nick s'adossa à un mur en glissant les mains dans ses poches. "Certaine que ça va marcher ?" "Pas comme si on avait le choix. Il faut que je contacte papa. Pour les billets de train, d'avion, de bus, et pour que, s'il y a une caméra dans les rues près du bâtiment, elle ne filme pas votre fuite." Nick hocha la tête en regardant sa sœur s'affairer puis sortir son ordinateur. Il poussa un soupir de soulagement en la voyant se connecter à l'adresse crypté que leur père utilisait autrefois, lors de ses activités illégales. Il se redressa. "Je m'occupe de cette histoire de passeport. Je sais où il le range, mais reste à le lui piquer sans éveiller les soupçons." Sa sœur lui répondit par un hochement de tête sans prononcer un mot de plus, trop prise dans l'écriture de son mail, alors il s'éclipsa en silence, prenant son téléphone pour proposer un café à son ami. Il en profiterait pour lui dire qu'il partait en vacances, le mensonge de base, histoire que sa disparition ne soit pas remarquée trop vite.

Ellia expliqua en détail son plan à son père. Une fois son mail entièrement écrit, elle l'envoya à la même adresse depuis laquelle il avait été écrit, puis elle sortit son téléphone. "Papa, je t'ai envoyé un mail. … Non, sur ta deuxième adresse. … Je sais. C'est important, c'est pour ça que je t'appelle au lieu d'attendre que tu l'aies vu. Je vais partir en vacances un moment avec Nick. … C'est ça. Ne t'en fais pas, je t'explique tout dans mon mail. Je dois te laisser, j'ai reçu un sms, c'est peut-être important." Elle raccrocha sans explication supplémentaire, espérant que sa conversation était assez neutre pour qu'une éventuelle écoute n'en révèle rien. Son père avait eu la présence d'esprit de ne mentionner ni la mafia, ni le fait que sa seconde adresse était prévue pour être intraçable, se contentant de dire qu'il ne l'utilisait plus. Il comprendrait tout une fois qu'il aurait lu le mail.
En guise de sms, c'était le message prévu qui apparut sur son téléphone. Un rendez-vous ans un bâtiment abandonné, interprétable comme un piège... mais pas à l'intention de celle qu'on croit. Elle rangea son téléphone dans sa poche et prépara ses affaires pour le voyage. Elle quittait le pays définitivement, mais ça ne pouvait pas se voir. Cela devait ressembler à des vacances. Elle grimaça en jetant un œil à son vivarium. Il faudrait qu'elle pense à dire à Anko de l'emmener avec elle quand elle partirait, histoire de pouvoir le retrouver à sa destination finale. Pour le reste, elle empaqueta le nécessaire pour deux semaines prétendues de vacances. Heureusement qu'elle avait laissé pas mal d'affaires chez ses parents. Elle prit aussi un sac pour la soirée où elle glissa tout son maquillage.

De son côté, Nick avait fait un crochet par sa chambre en attendant l'heure de son rendez-vous, puis il était allé prendre son café, profitant d'une absence temporaire de son ami, parti régler l'addition et passer aux toilettes, pour ouvrir son sac et en tirer un passeport. Il expirait dans quatre mois. Bon, au moins, il ne lui manquerait pas trop longtemps. Le jeune homme rangea le produit de son larcin dans son propre sac et entreprit de passer un après-midi normal et banal, abandonnant son ami vers 17h30. Il profita du temps qui lui restait pour préparer sa valise, lui aussi, et acheter une teinture de bonne couleur.

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A minuit dix, volontairement un peu en retard, Ellia arriva à quelques mètres de l'adresse donnée pour trouver des gens paniqués courant dans tous les sens, fuyant des flammes qui léchaient déjà la ciel. Des pompiers venant d'arriver sur place la retinrent alors qu'elle se précipitait dans cette direction en courant, sous l'effet d'une fausse panique qu'elle imita au mieux. "Reculez madame, c'est dangereux." "Non ! Il y a un ami à moi à l'intérieur ! Laissez-moi passer !" L'homme la retint fortement et elle fit mine de se débattre, de façon suffisamment convaincante pour attirer un deuxième homme. "Qu'est-ce qui se passe ?" "Elle dit qu'un ami à elle était à l'intérieur." "C'est impossible, madame. Ça fait un moment que plus personne ne vient ici." "C'est ici ! Il m'a donné rendez-vous à minuit et je suis en retard, je..." Ses forces semblèrent soudainement la quitter et ses yeux se remplirent de larmes alors qu'elle cessait progressivement de se débattre. La souffrance remplaça la peur sur son visage. "Si je n'étais pas arrivée en retard, il..." Les deux hommes échangèrent un regard désemparé en la lâchant, avant que l'un d'eux ne pose une main maladroite sur son épaule. "Il n'était peut-être pas encore arrivé. Essayez de le contacter, il a pu réussir à fuir avant que l'incendie ne prenne trop d'ampleur, il y a une sortie de secours." Ellia hocha la tête faiblement, le visage inondé de larmes, puis sortit son téléphone. L'appel ne donna rien, évidemment, pas plus que la dizaine de messages qui suivirent. Elle se recroquevilla sur elle-même et fondit en larmes. "Occupe-toi d'elle. Les autres ont l'air d'avoir besoin d'aide pour réguler l'incendie." Son collègue hocha la tête et entraîna Ellia à l'écart des flammes, la poussant à s'asseoir en essayant vainement de calmer ses larmes. Nick devait sûrement déjà être avec Ryuunosuke, mais elle devait tenir son rôle. Elle serait en retard. Après un moment, ses larmes semblèrent se tarir toutes seules, comme si elle avait épuisé son corps. Elle se leva du bord du camion, abattue. "Je vais... rentrer..." dit-elle d'une voix atone. Son visage affichait une résignation désespérée. L'homme, inquiet, réussit à la convaincre de donner son numéro pour la prévenir s'ils trouvaient quelque chose, un indice que son ami s'en était sorti, mais elle savait déjà ce qui se passerait quand ils entreraient dans le bâtiment. Ils l'appelleraient pour lui dire que son ami était mort. D'un pas lent et morbide, elle s'éloigna de l'incendie, jusqu'à ce qu'elle soit hors de vue, dans le secteur de caméras que son père avait désactivé. Là, elle essuya les larmes qui lui restaient, puis elle rejoignit les deux garçons.

Pendant ce temps, Nick s'était chargé de retrouver Ryuunosuke et ils s'étaient cachés tous les deux, en attendant qu'Ellia arrive. Il savait que cela prendrait un certain temps et ne doutait pas des talents d'actrice de sa sœur, mais ça ne l'empêcha pas de se triturer nerveusement les mains quand le temps lui sembla trop long. Il poussa un soupir de soulagement en la voyant arriver, le visage visiblement creusé par les larmes.  Elle avait l'air d'avoir joué son rôle à fond, et elle les regarda un instant avec un regard vide avant de se reprendre. "On reste là toute la nuit ?" demanda-t-elle en regardant autour d'elle. "Anko part à 6h, le matin. D'ici-là, on ne peut aller nulle part. Mais toi... tu devrais peut-être retourner dans ta chambre. Ça serait suspect que tu disparaisses, non ?" Ellia soupira. Il marquait un point, elle avait dit qu'elle rentrait chez elle, même si ça restait vraisemblable qu'elle ait erré dans les rues toute la nuit sous le poids de la peine.

Les deux garçons semblaient d'accord sur le fait qu'elle devait retourner à sa chambre, et elle ne pouvait pas les contredire. Rester ici aurait gâché tous leurs efforts pour rendre cette mort crédible. Avec un soupir, elle hocha la tête. "Vous avez raison... Soyez prudents..." L'idée de laisse seules deux personnes auxquelles elle tenait lui comprimait la poitrine, mais ça aurait au moins le mérite de rendre son état plus réaliste. Elle leur lança un dernier regard avant de se détourner, recomposer son visage triste et quitter l'endroit pour retourner à sa chambre, reprenant sa démarche plus ou moins fantomatique. Rien de très difficile en soi, elle n'avait plus trop d'énergie ; la journée avait été riche en émotions et elle se sentait épuisée, maintenant que l'adrénaline de la planification était passée. Elle ne prêta pas vraiment attention à ce qui se passait autour d'elle et, quand elle arriva finalement à l'académie, croisant quelques couche-tard dans les couloirs, personne n'osa lui adresser la parole. Malgré sa fatigue, l'idée de dormir lui semblait aberrante.

Nick, lui, jeta un œil à l'heure au moment où sa sœur s'en alla. 00:45. Moins de six heures avant qu'ils puissent se réfugier dans l'appartement de son ex-copine et de son fils. L'idée d'apporter un semblant d'exposition à sa famille lui déplaisait, mais ils n'avaient pas vraiment d'autre choix. Ramener Ryuunosuke au dortoir aurait réduit leurs efforts à néant. "Je suis presque sûr qu'elle va passer la nuit à angoisser", soupira-t-il il était même prêt à parier que sa sœur ne fermerait pas l'oeil de la nuit, et qu'il devrait veiller sur une Ellia fatiguée pendant la majorité du voyage, si elle ne s'endormait pas directement sur son épaule. Quant à lui... il se voyait mal dormir dans cet endroit, mais il pouvait somnoler un peu dans un coin. Aucun d'eux trois n'aurait de véritable sommeil cette nuit, de toute manière. Nick s'assit par terre et laissa sa tête reposer en arrière contre un mur. La nuit serait longue, mais les journées qui suivraient d'autant plus. Il avait hâte d'arriver aux Etats-Unis.


Les heures défilèrent, et Nick entrouvrit des yeux fatigués aux premiers sons de la ville et aux lumières très légères de la fin de la nuit. Il tourna la tête vers le lycéen. Avait-il dormi ? Ou plutôt, avaient-ils dormi ? Il n'en savait rien. Somnolé, peut-être. Nick jeta un œil à son téléphone. Presque six heures, et un message d'Ellia. Il l'écouta juste pour l'entendre annoncer qu'on l'avait appelée pour lui dire qu'un de ses amis étaient mort et qu'elle avait besoin de lui. Sa voix était brisée. Il coupa le message avec un sourire soulagé. Bonne actrice, comme toujours. Si quelqu'un écoutait leur téléphone, impossible de considérer qu'elle mentait. Le jeune homme se leva en s'étirant. "C'est l'heure. Plus vite on y sera, plus vite tu seras en sécurité."

L'appartement d'Anko n'était pas très loin, mais Nick s'assura quand même que le garçon disposait d'une capuche pour cacher son visage. Il aurait été dommage de gâcher tous leurs efforts. Il conduisit Ryuunosuke à travers les rues de la ville jusqu'à l'immeuble où vivait son ex-copine, vérifia l'heure une dernière fois pour être certain qu'elle ne serait pas là, puis il ouvrit la porte principale et monta jusqu'à l'appartement. "Ellia ne devrait pas tarder", dit-il au jeune homme tandis qu'il envoyait un message à sa sœur pour lui dire qu'il s'était levé tôt et qu'elle pouvait le rejoindre en ville si elle avait besoin de parler et de soutien. Il afficha un air un peu désolé avant d'ajouter : "Ensuite il faudra qu'on s'occupe de ton apparence. Tes cheveux, ton œil et tes fringues. Tu ne peux pas garder ceux d'hier, ils sont censés avoir brûlé avec toi." Et ensuite, il faudrait s'arranger pour emporter leurs valises et prendre le prochain train qui les mènerait à leur aéroport. Deux avions décollaient à très peu d'intervalle. Le leur, le vrai, celui qu'ils prendraient tous les trois vers New York, et un autre, avec deux places au nom des Ballentine, qui décollait vers le Mexique. Au cas où il viendrait à quelqu'un l'idée de fouiller les derniers vols pour voir où ils étaient allés.

Ellia arriva peu de temps après, un sac sur l'épaule qu'elle posa sur le canapé avant de s'y asseoir. Comme il s'y attendait, elle avait l'air épuisé. Elle passa une main sur son visage pour en chasser la fatigue. "J'ai du maquillage pour la cicatrice. On commence par quoi ?" Épuisée ou non, elle n'avait rien perdu de sa détermination. Nick préféra ne pas répondre, laissant à Ryuunosuke le soin de décider quelle partie de son apparence il préférait modifier en premier. Le résultat final serait le même, de toute façon.

Ellia était épuisée. Elle avait eu un mal fou à se reposer cette nuit. Entre le stress par rapport à la journée qui devait suivre et les réflexions constantes qu'elle se faisait sur les choses à planifier, les possibles failles qui pourraient tout faire échouer et la peur qu'il leur arrive quelque chose entre le moment où elle les avait laissés et le moment où elle les retrouverait dans l'appartement d'Anko, elle n'était même pas sûre d'avoir dormi. Elle s'était rendu là-bas dès qu'elle avait reçu le message de son frère, et elle s'était sentie largement soulagée en voyant qu'ils étaient tous les deux sains et saufs, et dans un état qui témoignait d'une nuit relativement calme.
Nick le conduisit jusqu'à la salle de bain histoire de ne pas détruire le sol de l'appartement avec des cheveux éparpillés et de la teinture, et Ellia les suivit en s'installant dans un coin et en préparant son maquillage. Avec la photo du passeport sous les yeux, il prit soin de faire une coiffure la plus ressemblante possible avant d'appliquer la teinture. Une fois le produit retiré, Ellia haussa un sourcil. C'était... clairement différent. Ça lui faisait un drôle d'effet de le voir comme ça, elle s'était déjà habituée à son apparence habituelle. Mais sa grimace la fit quand même sourire et elle lui ébouriffa les cheveux. "Allez, c'est pas si terrible. On te rendra ta couleur en arrivant"

L'étape suivante était celle du maquillage. Autant la coupe de cheveux n'était pas son fort, et Nick avait beaucoup plus l'expérience des teintures vu qu'il en faisait régulièrement, mais le maquillage était son domaine à elle. Elle laissa son frère s'écarter avant de prendre sa place et d'appliquer délicatement un fond de teint proche de sa couleur de peau pour essayer de masquer complètement sa cicatrice sans que le maquillage soit trop visible. Elle avait toujours été douée pour ça, faire passer un maquillage totalement inaperçu. Un instant, elle se pencha pour vérifier la différence de couleur, s'assurer que la transition entre sa peau et le maquillage était très difficilement visible, avant de réaliser qu'elle était vraiment, vraiment très proche. Elle recula presque précipitamment, puis elle se reprit. Il y avait besoin de lentilles. Ellia lança un regard à son frère, qui fouilla un instant dans les placards d'Anko jusqu'à en sortir une boîte de lentilles. Heureusement, il y en avait des marrons classiques. Ça impliquait de cacher la couleur naturelle de ses yeux, mais le garçon sur le passeport avait de toute façon des yeux plus sombres. À la question de Ryuunosuke, elle se tourna vers son frère. "Nick ?" Le jeune homme plissa les yeux une seconde, puis il sembla se souvenir de quelque chose. "J'ai pris des affaires. Et j'ai dû en laisser ici la dernière fois que je suis venu." Ellia haussa un sourcil. À quel moment son frère venait-il assez souvent pour laisser des vêtements ?

Elle ne posa pas de question tandis que lui se rendait dans la salle principale pour ouvrir un placard et y récupérer un jean, puis son sac d'où il tira un tee-shirt, avant de revenir. "Ça devrait être à ta taille." Ils lui laissèrent un moment pour se changer puis Ellia vérifia que le maquillage n'avait pas bougé, mais la cicatrice n'était pas du tout visible. Elle compara rapidement son apparence à celle du garçon sur le passeport. Les différences étaient minimes, mais elle prit quand même le temps d'ajouter quelques traits un peu plus sombres pour corriger un peu certaines ombres, histoire de donner une expression légèrement différente à son visage. Là, il ressemblait trait pour trait à la photo. Puis elle jeta un œil à sa montre. "Le train part dans deux heures. Ça nous laisse le temps de récupérer nos valises et de t'en faire une. Même s'il n'y a pas tes affaires dedans, il faut que tu passes pour un voyageur lambda. Nick te prêtera des fringues." Son frère était légèrement plus grand, mais la différence était assez minime pour que la taille des vêtements n'ait pas l'air trop grande. "On peut te laisser là un moment ? Juste le temps d'aller chercher nos valises, puis on reviendra te chercher pour prendre le train. Il ne faudrait pas que tu croises le type dont tu as emprunté l'apparence du côté de l'école."

Ça ne serait pas bien long, de faire l'aller-retour et de récupérer leurs valises, peut-être un peu plus d'en faire une pour Ryuunosuke si Nick n'en avait pas déjà préparé une, mais ils ne pouvaient pas vraisemblablement l'emmener avec eux jusqu'à leurs chambres, et les ramener pour venir ce matin aurait été suspect. Ils partirent donc en laissant une clef au jeune homme le temps de retourner aux dortoirs, récupérer leurs valises tout en ayant une conversation réaliste à propos des événements dès qu'ils se trouvaient en public – Nick s'évertuant à réconforter Ellia et lui demandant plusieurs fois si elle ne voulait pas annuler leur voyage au Mexique – puis ils reprirent le chemin de l'appartement. Le train partait dans peu de temps, même s'ils arriveraient sûrement en avance à la gare.
Une fois qu'ils auraient quitté la ville, la situation serait moins risquée. Ils commençaient une fuite qui ne les ramènerait jamais ici.

La marche jusqu'à la gare se fit plus ou moins dans le silence. Nick semblait songeur, regardant son téléphone à répétition comme s'il attendait un message, mais il ne semblait en envoyer aucun. Sans doute avait-il envie de prévenir Anko, de lui expliquer pourquoi elle allait retrouver un mot dans son appartement en  rentrant chez elle le soir, un simple "je suis parti avec Ellia, est-ce que tu peux nourrir son lézard et l'emmener avec toi quand tu partiras ?" Pas de détails, pas d'autres informations. Il ne voulait pas l'impliquer, d'autant plus qu'il lui avait déjà dit qu'il la suivrait quand elle quitterait le Japon. Elle le comprendrait sûrement en lisant le message, qu'il ne reviendrait pas dans le pays et la rejoindrait directement en Angleterre. Ellia espérait juste qu'elle ne poserait pas trop de questions.
Une fois arrivés à la gare, ils se retrouvèrent soudain accostés par un homme vaguement étrange. Ellia fronça les sourcils, contint le réflexe qui la poussait à se mettre entre l'homme et Ryuunosuke comme si elle avait peur qu'il soit reconnu. Au lieu de cela, elle afficha le masque le plus serein qu'elle put.

Jusqu'à ce qu'il mentionne le nom et qu'elle hoche la tête en détournant le regard, l'air triste. Elle ignorait qui était cet homme, mais elle devait tenir son rôle. Qu'il soit dans leur camp ou non, ce sur quoi elle n'avait aucun semblant d'indication, elle ne pouvait pas avoir l'air neutre à la mention du nom d'un ami censé être mort la veille. Elle prit la clef et la fit tourner un moment entre ses doigts, l'air perplexe, attendant que l'homme soit parti pour poser un regard interrogateur sur son ami. Un héritage ? De quoi parlait-il ? Comme Ryuunosuke leur proposait d'aller récupérer le contenu du casier, elle ne posa pas de question et s'y rendit, prenant le sac sans oser l'ouvrir. Elle avait une petite idée de ce qu'elle allait y trouver, mais elle ne considérait pas que ça lui appartenait. Pour autant, elle le garda sur elle – impossible de le donner à son propriétaire légitime sans attirer les soupçons.

Ils s'installèrent dans le train, trouvant une place pour quatre personnes ; Nick s'assit en face de sa sœur et de son ami, somnolant rapidement contre la fenêtre. Ellia, elle, pencha sa tête en arrière contre le dossier du siège, laissant la fenêtre au garçon. Il semblait perdu dans l'observation du paysage, à moins que ce ne soit de son reflet. Il lui faudrait du temps pour s'adapter à cette nouvelle image mais, heureusement, il pourrait la quitter dès qu'ils arriveraient en Amérique. Récupérer au moins une partie de son vrai visage, même s'il devrait attendre que ses cheveux repoussent malgré tout.

Elle ne capta le changement d'attitude que quand il se tourna vers eux avec un air paniqué. Comprit sans trop de difficulté ce qui venait de se passer. Son premier réflexe fut de poser sa main sur les siennes et d'essayer de croiser son regard pour le rassurer. "Eh, tout va bien. Ne panique pas." Facile à dire, ce n'était pas elle qui se réveillait avec une apparence différente, dans un train, en ayant perdu une journée de sa vie. La panique était compréhensible. "On est sorti d'Hoshi, et on va vers Tokyo. Prendre l'avion. Je t'expliquerais tout en détails, mais pas ici. Il y a trop de monde qui pourrait venir et nous entendre. Mais les choses sont en train de s'arranger. Tu me fais confiance ?" Elle lui en demandait beaucoup, de la croire sur parole et de rester dans le flou un moment, mais même si leur partie du train était vide pour le moment, n'importe qui pouvait venir pendant qu'ils parlaient et entendre un bout de leur conversation. Entendre trop de choses. Elle devait quand même lui expliquer quelques détails, non ? Elle regarda autour d'elle pour voir si quelqu'un pouvait les entendre, mais le wagon semblait désert. "Je sais que tu ne te rappelles de rien, que tu as sûrement tout un tas de questions, à commencer par ton apparence." Elle avait envie de tout lui expliquer en détails : la raison de ses "absences", pourquoi il se retrouvait avec une nouvelle coiffure, une nouvelle couleur de cheveux et un œil qui semblait totalement valide de l'extérieur, pourquoi il était soudainement dans un train, mais elle ne savait pas ce qu'elle pouvait lui révéler sans qu'il ne panique davantage, ou pire.

Ça ne lui plaisait pas du tout de laisser planer autant de mystère sur la situation, c'est pourquoi elle se sentit obligée de lui répondre quand il lui posa une question. Ça n'impliquait rien de trop secret, rien qui pourrait être entendu et rapporté. "Il est à peu près onze heures du matin," répondit-elle après avoir jeté un œil à sa montre, "depuis hier soir, quand tu es venu me voir." Cela faisait quinze ou seize heures d'absence, ou plutôt quinze ou seize heures durant lesquelles ils avaient maintenu la présence de ce qui était très certainement une seconde personnalité. Plus calme et plus prompt à suivre un plan à la limite de la moralité, sûrement. S'il avait relâché le contrôle, c'est qu'il estimait que les choses s'étaient arrangées.
Comment pourrait-elle lui expliquer ça, une fois qu'ils auraient un moment pour en discuter ? Qui était prêt à accepter qu'il partageait sa tête avec une personne froide et pragmatique qui avait commis des crimes en son nom ? Ou avec qui que ce soit ?

"Tu ne t'en es pris à personne. Ni à moi, ni à mon frère, ni à qui que ce soit. On a quitté la ville sans que personne ne soit blessé" Nick haussa un sourcil mais il ne fit aucun commentaire, se contentant d'un hochement de tête. Bien sûr, à un moment ou un autre, il faudrait lui expliquer que quelqu'un était "mort" dans cette journée : lui. Un soit-disant décès qui n'avait, en soit, blessé personne, puisqu'a priori l'incendie ne s'était pas répandu au-delà du bâtiment vide. Cela sembla suffire à le rassurer l'espace d'un instant. Bien sûr, ça ne répondrait pas à toutes ses questions et il leur faudrait un moment seuls tous les trois pour tout mettre au clair.

Cela se voyait, d'ailleurs. Il sursautait au moindre bruit, au point qu'elle préféra ne pas lâcher sa main, essayant de rester près de lui pour le rassurer même si elle somnolait légèrement. La nuit presque blanche commençait à se faire sentir, pesait sur ses muscles. Elle laissa sa tête reposer contre le dossier du siège jusqu'à ce que son frère la secoue, après ce qui lui semblait être une petite seconde. "On arrive bientôt" souffla-t-il. "Prenez vos affaires, on a pas mal d'avance sur l'heure de rendez-vous à l'aéroport mais il ne faudrait pas louper la gare." Ellia se leva avec un bâillement tout en récupérant sa valise, s'assurant que son ami faisait de même avant de vérifier que personne ne les écoutait et de se tourner vers lui. "Ton passeport pour l'avion. Contente-toi de retenir le nom et de faire comme nous. Ils ne te poseront pas de questions." A vrai dire, il y avait possibilité qu'ils fouillent le sac qu'ils avaient récupéré à la gare. Après un instant d'hésitation quand ils furent sortis du train, Ellia l'entrouvrit pour jeter un œil à l'intérieur et grimaça. S'ils ouvraient ce sac, les questions risquaient d'être compliquées. Elle prit donc la décision de le ranger dans sa valise. Elle n'y avait rien mis de potentiellement compromettant alors, à part le scan, il ne devrait pas y avoir de gros examens. Ils ne vérifieraient pas à l'intérieur.

Étant donné qu'ils avaient de petites valises, ils n'eurent pas besoin de passer par l'enregistrement des bagages. Ils se retrouvèrent de l'autre côté des douanes sans problème particulier et Ellia poussa un soupir de soulagement. L'avion décollerait dans peu de temps, et il était déjà midi. Elle se frotta les yeux avant de se tourner vers les deux garçons. "Vous avez faim ? On peut grignoter quelque chose en attendant que l'avion parte." En tout cas, elle était rassurée que les passeports soient passés sans accrocs et que leurs valises n'aient pas été contrôlées davantage. Elle ne se sentait pas capable de répondre aux questions sur le contenu du sac, même si en soit elle pouvait toujours dire la vérité, à savoir qu'on le lui avait laissé en héritage, elle doutait que ce soit crédible.

Les jumeaux n'avait pas mesuré le poids de la nouveauté sur leur protégé. Ils s'en aperçurent à peu près en même temps, quand il demanda à aller dans un coin un peu plus isolé. Ils échangèrent un court regard, acceptèrent sans hésiter, et Ellia se traita mentalement d'idiote. Évidemment, qu'il n'avait jamais eu l'occasion d'aller dans une capitale ou dans un aéroport : la mafia ne l'aurait pas laissé quitter la ville. C'était si naturel pour elle qu'elle n'y avait pas réfléchi, ne pensant qu'à l'angoisse qu'il devait ressentir par rapport à la journée qui s'était effacée de sa mémoire, et pas à celle que lui projetait l'avenir. Elle trouva donc une partie de l'aéroport extrêmement peu fréquentée pour qu'ils s'installent tous les trois avec leur repas, et elle laissa échapper un discret soupir de soulagement en le voyant se détendre un peu.
Ce fut elle qui prit la parole pour répondre à sa question, jugeant sur ce sujet peu nécessaire de laisser planer du mystère. Un itinéraire de voyage n'attirerait l'oreille de personne, pas assez pour qu'on les écoute. Pas comme parler d'un incendie criminel ou d'une mort fictive organisée.

"On a un vol réservé jusqu'à New York, puis on descendra en train et en bus jusqu'au Connecticut, là où habitent nos parents." Un cours de géographie semblait très peu approprié en ce moment, mais elle était consciente que tout le monde ne connaissait pas les Etats des Etats-Unis – elle-même avait eu un mal fou à retenir et placer les cinquante alors qu'elle étudiait ça depuis la primaire, alors quelqu'un qui ne les avait jamais étudiés ? Impossible. "Ca prend à peu près trois heures", précisa-t-elle donc, "ensuite on restera un moment aux États-Unis, le temps de laisser la situation se calmer." Et de lui faire des faux papiers, une nouvelle identité pour qu'il puisse commencer une nouvelle vie. Cette part-là du plan était difficile à exprimer en public, même avec si peu de fréquentation.

Le plan qu'ils avaient mis en place était en soi assez brouillon et compliqué, mais leurs parents avaient tout arrangé. Les bus, les trains, les avions, un trajet assez flou et avec des identités assez différentes pour que les suivre devienne difficile. Le nom sur leur billet de train était le même que sur leur passeport, contrôle d'identité oblige, mais le bus qui leur ferait faire la majorité du trajet était enregistré sous une identité différente, sans compter les billets d'avion vers le Mexique qui étaient au vrai nom des Ballentine. "Le départ a été un peu précipité, je suis désolée. Tu dois être perdu... Mais tu m'as dit qu'on avait peu de temps, alors..." Moins d'une semaine, quelques jours tout au plus, c'étaient les derniers mots qu'il avait prononcés avant de... changer. Cela justifiait-il un départ aussi précipité ? Non. Non, ce qui l'avait justifié, c'était l'affirmation de l'autre Ryuunosuke comme quoi il ne pourrait pas rester éternellement, et le vrai aurait eu plus de mal à mettre en place toute cette histoire de se faire passer pour mort. Vu l'état émotionnel brisé dans lequel elle l'avait trouvé quand il avait frappé à sa porte, elle avait préféré le croire sur parole.

Nick jeta un œil à sa montre tandis que sa sœur exposait la suite du programme. Leur avion décollait dans une heure et, enfin, ils quitteraient le sol japonais. Anko n'était probablement pas encore rentrée. Que penserait-elle en trouvant le mot ? Croirait-elle qu'il l'avait abandonnée ? Non.. Non, il lui avait affirmé qu'il la suivrait quand elle déménagerait et, sur le message, qu'il la rejoindrait dès la fin de ses vacances. Le jeune homme secoua la tête pour se remettre les idées en place avant de se tourner vers ses compagnons de voyage. Il était à peu près sûr que le garçon n'avait jamais mis les pieds dans un aéroport, encore moins dans un avion. Peut-être commencer par là, avant de lui exposer tout le plan une fois de l'autre côté de l'océan ? "Avant tout ça, il va surtout falloir prendre l'avion.  On va nous afficher une porte d'embarquement, il faudra qu'on retourne sur place rejoindre la file. Tu n'auras rien de spécial à dire ou à faire, contente-toi de leur donner ton passeport et ton ticket, puis de les suivre jusqu'à ton siège. On sera avec toi. Le vol va être assez long, tu devrais en profiter pour te reposer." Puis il sentit le tiraillement de la fatigue sur sa nuque, vit les yeux cernés de sa sœur malgré le maquillage qu'elle y avait appliqué, et corrigea : "On devrait tous en profiter pour se reposer." De toute façon, une fois dans l'avion, ils ne pourraient rien faire d'autre qu'attendre l’atterrissage. Enfin rien qui vaille la peine de rester éveillé. Planifier la suite des événements dans un espace clos où tout le monde pouvait les entendre était hors de question, et lui raconter ce qui venait de se passer aussi. Il faudrait prendre son mal en patience encore un moment.