Evaluons son jugement - 09/10/2018

Environ une semaine était passée depuis ma mise en garde auprès de Ellia. J'avais toujours aussi mal et mes patrons me pressaient de plus en plus pour que je mette le plan à exécution. Arrivé un moment, je ne pourrais plus rien pour elle. Et ça me tuait. Je me tuais en n'acceptant pas simplement sa condition, en imaginant tout ce qui pourrait arriver si je le faisais et en sachant pertinemment que si je ne le faisais pas elle mourrait. Étais-je cruel de ne pas prendre le risque de partir ? Non… Oui !... J'avais seulement peur. Peur de tout, mais surtout de souffrir à nouveau sous les mains de mon bourreau qui connaissait maintenant tous mes points faibles. Comment aller à son encontre dans ces conditions ?

Regardant à l'extérieur en omettant totalement d’écouter ce que me disait le professeur, je repensais à tout cela pour la énième fois. Je ne comptais plus le nombre de fois que je le faisais depuis ma dernière discussion avec la jeune femme. De toute façon, je ne faisais que tourner en rond à chaque fois, donc mes calculs étaient faussés dès le départ. Quant aux professeurs, ils avaient abandonnés l'idée de me faire écouter quoi que ce soit en cours. Peu importe les remontrances, punitions et on ne savait quoi d'autre, je n'ecoutais pas. Soit ça, soit je ne venais pas en cours. Le corps enseignant me désignait comme un élève désespérant qui aurait dû être renvoyé depuis belle lurette. Peu importe. Ce n'était pas leurs dires qui allaient me faire changer de comportement. Je n'en avais plus rien à faire. Ma vie n'était pas faite pour que j'étudie comme tout le monde. Je n'étais après tout qu'un assassin

La seule chose qui pouvait encore me faire du mal en cours était le harcèlement de mes camarades de classes. Les moqueries me passaient par-dessus la tête tout en me fendant le cœur. Mais ce qui me faisait le plus mal étaient les mots qui faisaient le tour de tous les élèves avant de me parvenir. Des mots aussi doux que toutes les paroles que je m'affligeais moi-même chaque jour passant. Et ce jour ne fit pas exception : vers la fin du cours, alors qu'on corrigeait un exercice à faire pendant vingt minutes, une boule de papier atterrit sur mon bureau. Par automatisme, je l'ouvrir et découvris au moins une vingtaine de mots et écritures différentes qui me faisaient savoir que j'étais détesté. Je le savais. Jamais je ne pourrais être aimé… Je le savais. Pourtant cela me faisait énormément souffrir. Tout ce que j'avais osé souhaité m'était impossible et j'en souffrais bien plus que si on m'avait refusé de l'essayer.

À la sonnerie, je rangeai tranquillement le peu d'affaires que j'avais sorties et mis la boulette de papier dans ma poche. Puis, suivant le troupeau plus ou moins pressé d'aller en sport, je sortis de la salle de classe. La déléguée tenta, devant la porte, de me convaincre à venir en sport. Mon refus fut catégorique et j'allai dans la direction opposée. C'est là que j'entendis mon nom être nommé.

En relevant les yeux qui étaient alors rivés sur le sol, je vis un gars. Sa dégaine et son visage me dirent quelque chose, mais impossible de le remettre. Comme j'avais étudié la liste des mafieux au Japon, je sus assez rapidement qu'il n'en faisait pas partie. Il n'était pas dans ma classe non plus, c'était une certitude. Il ne restait donc plus que des options qui ne me plaisaient pas des masses et que je ne pouvais pas départager. Je lui demandai donc sans me défiler sur le ton le plus neutre qu'il m'était possible de faire :

-À qui ai-je affaire ?

Et non pas “honneur” étant donné que je n'étais pas sûr d'être heureux de cette rencontre. Je ne le connaissais pas et le peu de contact que j'avais ne me rendait clairement pas heureux. Je pouvais me casser tout seul en me rappelant que je ne savais même pas ce que c'était, mais ce n'était pas le plus important. Mais ce n'était pas le moment de me blesser plus. Il fallait que je reste lucide, sur mes gardes et prêt à réagir à tous moments.

Lorsque le jeune homme face à moi me fit part qu’il était le frère d’Ellia, je compris immédiatement pourquoi il me disait quelque chose. Ces deux-là se ressemblaient beaucoup. Etait-ce ce qu’on appelait un air de famille ? N’ayant plus de famille depuis bien longtemps, je n’en savais trop rien. Et pour ce que cela m’apportait de le savoir, j’abandonnai l’idée de comprendre cette ressemblance plus que ce que j’en avais déjà fait. Après tout, ma question était désormais : que me voulait-il ? Je me doutais que ce devait avoir un lien avec elle. Mais, dans ce cas, j’avais plusieurs choix qui s’offraient à moi. Des choix qui n’étaient parfois que très peu plausibles étant donné que j’avais une mission mortelle la concernant. Et, si cela continuait, le concernant également, même s’il n’était pas hors sujet. On parlait de sa soeur tout de même !

*Ouais… Il doit vouloir me mettre en garde de ne pas toucher à un seul cheveux de Ellia, ne pas l’approcher ou une autre connerie du genre.*

Mais pour quelqu’un qui pouvait nourrir des ressentiments envers moi, je le trouvais étrangement calme. Son visage était assez neutre et il me semblait qu’il  était plus curieux qu’autre chose. Je ne comprenais pas trop, je devais bien l’avouer.

Bon ! Résumons ! Nous avions une fille voulant me “sauver” en ne fuyant le pays qu’une fois que j’aurais accepté de la suivre sans prendre en compte le fait que j’étais dangereux, un homme qui n’était autre que mon chef et qui voulait que je tue ladite fille le plus rapidement possible. Puis, pour terminer en beauté, j’avais le frère de la fille en question qui voulait me parler, que ce soit pour me menacer, par curiosité ou même… J’en savais rien en fait.

Doucement, je sortis une de mes mains de mes poches pour me gratter la tête sur un air pensif, dirigeant mon regard vers les alentours sans pour autant avoir l’air de chercher quelque chose. Puis, soupirant, je le regardai à nouveau pour lui répondre sur un air presque blasé malgré que je sois toujours sur mes gardes :

- Allons sur le toit, nous serons tranquilles.

Au moins je serais sûr que Mao ne nous espionnerait pas si l’envie lui prenait et je pourrais l’entendre arriver. Lui ou un autre. Puis, d’un autre côté, j’étais bien mieux là-bas. Bien mieux qu’en sport. Ma déléguée avait voulu me convaincre d’essayer de participer et d’aller dans un groupe avec des personnes que j’appréciais un peu. Déjà, le basket n’était pas vraiment ma tasse de thé depuis que mon oeil me donnait des problèmes de perception de la profondeur. Mais en plus de ça… qui m’aimait bien dans cette fichue classe ? Dans cette école ? … Dans cette ville ou ce pays même ? A moins qu’on ne veuille m’engager comme un tueur attitré. …

*Comment ne pas être déprimé à force ?* pensai-je alors que je montais les escaliers sans vraiment me presser.

Devant “le frère de Ellia”, je lui offrais mon dos sans chercher à me protéger. S’il voulait me tuer, j’étais prêt à le laisser faire. Mourir, comme la jeune femme me l’avait dit, était une solution à tous mes problèmes même si elle voulait me sauver avant tout. Enfin, c’était l’impression qu’elle m’avait donné, ce qu’elle m’avait dit… Malgré tout, je ne parvenais pas à voir comment je pouvais la suivre pour essayer d’avoir une vie “normale”. Impossible. Impensable. Irréalisable.

Même si j’étais prêt à le laisser faire, je guettais un geste qui soit fait pour me faire du mal. Je surveillais malgré moi. Peut-être autant par habitude que par crainte. Mais rien. Pas de douleur. Pas de choc. Pas de bruit étrange. Absolument rien. Je ne savais pas trop quoi en penser, si ce n’est qu’il ne m’avait pas menti en prétendant vouloir me parler. Bonne chose ? Peut-être pas non plus sachant que je voulais mourir, peu importe la façon.

En arrivant sur le toit, je posai mon sac contre le mur en attendant que le frère de Ellia arrive à son tour. Le voir s’appuyer sur la porte préalablement fermée provoqua en moi énormément de soulagement. Je m’assis donc simplement contre le mur, les genoux repliés pour poser mes bras dessus. A moitié détendu et en cocon, j’attendis très silencieusement qu’il entame la conversation qu’il avait voulue avec moi. Patiemment. Sans chercher à compter le temps que nous étions là. A quoi bon ? Ce n’était pas comme si j’avais envie d’aller en cours pour ce que j’y faisais. Et encore moins pour de la torture sportive…

Les remerciements qui me furent adressés me laissèrent pantois. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il voulait dire malgré ses explications. Malgré la possible descente aux enfers que je ne connaissais que trop bien, même si ce n’était sans doute pas pour les mêmes raisons. Je vis donc ça que comme une façon de me faire part d’une menace discrète : ne pas s’en prendre à sa famille. Aux Ballentine. Une raison de plus pour que je meurs ou que ces deux-là s’enfuient loin de cette ville. De ce pays. Les deux ? Après tout, l’un n’empêchait pas l’autre. Puis, comme si de rien n’était, il me fit part de l’envie irraisonnable de Ellia de me faire partir. Une discussion qui était remise sur le tapis…

- Me remercie pas. Je n’étais pas lucide quand j’ai arrêté ces mecs. Je me rappelle juste l’avoir vue en mauvaise posture avant le trou noir. Je n’y suis pas pour grand-chose…

Je ne comprenais même pas pourquoi je l’avais épargnée. Pourquoi il n’y avait eu aucun mort. Incompréhensible… Je n’avais pas osé y repenser, surtout que j’essayais de mettre en accord deux parties de moi-même, ce qui n’était déjà pas vraiment une partie de plaisir.  Et encore, ce n’était pas assez fort. La violence qui se déchaînait dans chacune de ces pensées me faisaient froid dans le dos…

- Concernant ta soeur, elle devrait penser à sa sécurité avant tout. Bientôt je vais devoir la tuer… ou avoir droit à d’autres tortures si je ne choisis pas la mort. Bordel…

Je portai une main à mon visage tout en gardant le coude sur mon genoux. J’en avais assez. Vraiment marre. Tout ce qui m’arrivait n’avait clairement rien de plaisant et j’avais l’impression de vivre une torture permanente. Et maintenant, j’avais l’impression que cette torture avait prit un niveau supplémentaire en ayant cette obligation de tuer une personne qui m’avait aidé et qui voulait encore mon bien malgré ce que je lui avais dit. Je ne souhaitais pas tuer. Que ce soit elle ou un autre. J’avais horreur de mon rôle. Mais je ne pouvais pas y échapper...

Juste avant que je ne parle de ce que pensais de sa soeur, il me fit part que pour lui mon action revenait au même. Que j’en ai le souvenir ou non. Que j’eus été maître de mes actions ou pas. Pour lui, le principal était vraiment que j’avais aidé sa soeur. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il parlait de descente aux enfers si je ne l’avais pas fait, mais à quoi bon chercher ? Il y avait plus urgent. Plus grave. Et je doutais que le fait que je puisse faire du positif même dans cet état d’inconscience puisse y changer quoi que ce soit. Les personnes qui avaient commandité ce meurtre feraient tout pour qu’elle disparaisse, voire que son entourage souffre en plus. Je n’y pouvais rien…

J’en vins d’ailleurs à aborder le sujet pour le prévenir et lui répondre. Je ne savais vraiment pas comment il allait réagir. Après tout, même s’il avait prit assez calmement mes première révélations, on parlait tout de même de la vie de sa soeur. J’imaginais que s’il me remerciait de l’avoir aidée, même involontairement, il ne me laisserait pas lui faire du mal. Au point de prévenir le danger ? Ou en me menaçant plus qu’il ne l’avait déjà fait ? … Tant qu’il n’était pas aussi pervers et sadique que Mao, tout m’allait. Avec un peu de chance, il l’éloignerait de moi de façon permanente.

Rien de tout ce que je pouvais imaginer ne se passa. Très calmement, me faisant ouvrir de grands yeux de surprise, il me fit simplement part qu’il était normal qu’elle se mette à protéger quelqu’un jusqu’au bout. Genre… C’était simplement sur moi qu’était tombé son dévolu et je ne pouvais plus m’en défaire ? Il ne pouvait pas m’aider d’une façon ou d’une autre ? Peu importe le moyen !

Doucement, j’émis un soupir sans savoir qu’elle serai la réaction qu’il aurait à ma requête. Mais peu importe, il fallait qu’on fasse quelque chose rapidement, avant qu’on ne nous oblige à faire pire. Je lui demandai donc avant tout :

- Tu n’as pas peur pour la vie de ta soeur ?

Il me répondit, en gros, que oui mais qu’il ne pouvait rien contre elle. Donc que quand elle me disait quelques temps plus tôt qu’elle ne partirait pas sans moi, ce n’était vraiment pas une blague et personne ne pouvait rien faire contre ça. Cela ne me plaisait pas. Non… Cela me faisait extrêmement peur. Me mettre mon chef à dos n’était vraiment pas un plan envisageable. Je tentai cependant de ne pas trop y penser pour éviter de me mettre à paniquer. Ce n’était pas le moment.

Prenant une grande inspiration, je réfléchis rapidement aux possibilités qu’il me restait pour lui sauver la vie. Puis, avec énormément de peur et de résignation, je demandai :

- Si je viens à menacer la vie de quelqu’un, penses-tu qu’il y aura quelqu’un capable pour m’arrêter. Peu importe la façon. Je veux juste que si je suis Ellia vers ce lieu où elle veut me cacher ce ne soit pas pour faire des carnages…

Je n’acceptais pas la proposition qui m’avait été faite. Pas encore. Mais le temps pressait. … Je voulais juste que changer le fait que les rêves dans lesquels je meurs soient les meilleurs rêves de ma vie.

Encore une fois, mon interlocuteur me prit de court. Comment ça me parler de la famille Ballentine ? Quel était le rapport ? De toute façon, je n’avais pas demandé ce “service” à Ellia, donc à la principale intéressée de cette conversation à la base. Alors, non, nous n’avions pas parlé de cette famille. Certes, j’avais eu le droit à quelques infos à cause de mon travail la concernant, mais c’est tout. Notre conversation avait essentiellement tourné autour de ma personne et ma condition qui l’amenait à être en danger. Pas plus. Plus moins que plus d’ailleurs…

Je ne répondis donc pas vraiment à la question tout de suite, le temps de la comprendre et me reprendre. Puis, seulement à ce moment-là, j’émis un seul “non” bref sans me douter que j’allais avoir le droit à des explications complètes. Pour faire court, il me fit part qu’il n’y avait aucun réel problème pour m’arrêter si je venais à perdre le contrôle. Une grimace naquit sur mes lèvres. Lui ne m’avait pas vu à l’oeuvre. J’avais tout de même mis trois mecs à terre ! Je n’arrivais d’ailleurs toujours pas à comprendre comment je m’y étais pris pour m’en sortir sans la moindre égratignure que je me sois infligée moi-même en frappant ce gars. Incompréhensible…

Après avoir essayé de me rassurer quant au fait qu’on puisse m’arrêter, le frère d’Ellia me fit part que cette dernière avait une imagination productive et qu’elle pouvait se montrer insistante. Je ne pus d’ailleurs m’empêcher de répondre en maugréant :

- Jamais vu une tête de mule pareille.

En réalité, si. Mao. Mais je ne pensais pas me tromper en pensant qu’il était à un tout autre niveau. Ils n’étaient pas comparable. Pas réellement. Je n’avais pas envie de comparer. Je ne voulais pas penser à ce qu’il me faisait vivre. Et pourtant, rien que son nom suffisait à me tendre au maximum. J’émis alors un soupir. Pas de résignation. Plus de désespoir. Je ne parvenais à concevoir que ma fuite soit possible.

- Maintenant que ma situation semble être une condition de bouclée, j’ai juste une question. Ta soeur et toi n’avez pas peur de vous mettre toute une organisation à dos et de potentiellement mettre votre famille en péril ?

Je me demandais s’ils s’étaient posés la question, réellement. Lui, encore, je pouvais concevoir qu’il ne se soit pas posé la question puisque je ne lui en avais rien dit. Moins il se doutait de qui j’étais, plus il était en sécurité. Mais elle ? Lui en avais-je parlé ? Lui avais-je dis ? Oui. De façon détournée, mais je l’avais fait. J’avais pris le risque. Parce qu’elle était ma future victime et pour tenter de la dissuader de m’aider. Peine perdue…

Un nouveau soupir franchit mes lèvres alors que j’essayais de comprendre les raisons qui auraient pu la pousser à me protéger de cette façon. Mais comme je ne le faisais pas de la même façon, je n’y parvins pas. A quoi cela pourrait-il bien me servir de toute façon ? Ce n’était pas comme si cela allait pouvoir me servir...

Sans vraiment y réfléchir, mon interlocuteur me fit part que j’avais raison : il y avait des personnes auxquelles il tenait en ville. Je lui répondis d’ailleurs que je comprenais qu’il ne m’en parle pas plus. Comment aurait-il pu en être le contraire ? Je n’étais pas là pour glaner des informations dans l’idée de faire du mal. Je n’étais pas aussi sadique que Mao, si tant est que je sois une personne sadique… Il ne me semblait pas l’être. Je n’aimais pas l’idée de faire du mal aux autres, que ce soit d’une façon ou d’une autre. Tout comme je frissonnais en entendant le mot “torture” dans la bouche des autres. Pas de plaisir… mais de dégoût. J’en avais trop vécu et mon corps s’en rappelait que trop bien. J’avais encore mal par moment dans mes membres ou d’autres, sans parler des cauchemars qui m’empêchaient de dormir correctement la nuit. Je ne pouvais vraiment que comprendre qu’il ne veuille pas me donner des informations qui puisse mettre en danger ces personnes auxquelles il tenait.

Apparemment, je n’étais pas le seul à bénéficier de la protection de Ellia. Lui aussi l’avait, mais il ne voulait pas partir. Sans doute ne voulait-il pas laisser sa soeur seule ici, surtout alors qu’elle était en danger. Et comme cette dernière ne voulait pas partir à cause de moi… Quel cercle vicieu ! Nous n’allions pas réussir à nous en sortir. Et cette phrase : “Pour avoir sauvé Ellia du type qui a cru intelligent de s'en prendre à une Ballentine.”... On pouvait en parler que s’il arrivait quelque chose aux enfants il était possible que je me mette les parents à dos ?! Je n’en avais pas vraiment envie alors quels choix me restait-il ? … Non. Je ne voulais même pas y penser.

Un soupir franchit mes lèvres alors que je levai les yeux au ciel pour le regarder. Une impasse. Encore et toujours la même. Et la seule solution était de partir en me laissant potentiellement mettre en danger des inconnus sans que ce soit l’oeuvre d’un contrat ou d’un autre. Ici aussi, je pouvais avoir ce problème, mais en suivant les Ballentine, je m’enlevais toute possibilité de mourir pour ne plus souffrir. Quitter ce cauchemar qui n’était rien d’autre que le seul rêve que je pouvais essayer de vivre. Un véritable fiasco !

- Peux-tu me garantir que si je vous suis, Ellia et toi, vous ne me lâcherez pas d’une semelle ? Que vous m’empêcherez de faire des horreurs ?

Je voulais en avoir la garantie. J’en avais besoin. Sans cela, j’avais un tout autre projet. La solution que Ellia avait évoquée avant de me proposer de la suivre. Ce qu’on ne m’avait pas laissé faire à plusieurs reprises. La mort. Peut-être que cette fois la Grande Faucheuse voudra de moi à ses côtés ? Peut-être comprendrait-elle cette fois que je ne voulais pas lui piquer son job mais bien le quitter pour toujours ? Si seulement c’était possible… Peut-être étais-je la Grande Faucheuse et qu’en voulant changer de vie je m’étais vu rattrapé par un passé dont je n’avais aucun souvenir. Non. C’était un délire. Rien de plus, rien de moins.

J’eus ma garantie. Celle qu’on ne me laisserait pas seul. Qu’on me collerait au baskets au point que je pourrais presque me sentir harcelé ou surveillé. Mais c’était très bien ainsi, même si je grimaçai à l’annonce qu’Ellia avait du mal à me laisser seul ici. Si tel était le cas, je ne savais pas trop qui remercier pour la tempérer. Plus elle m’approcherait, plus nous serions en danger tous les deux. Sans parler de notre entourage, aussi restreint soit-il. A quel point cette fille était-elle inconsciente ? Quoique rien ne me disait qu’elle se tempérait toute seule.

Enfin… Je pouvais plus ou moins revoir la question de mon départ. Je me mis même à penser à tous les petits trucs à faire ou non pour être totalement intraçable. Et je réalisai alors une chose : il n’y avait que très peu d’affaires que je pouvais prendre avec moi. Quelques vêtements à enfourner dans mon sac de sport, et c’est à peu près tout. Laisser mes livres me permettrait de faire croire que j’étais toujours présent à l’académie. Les appareils électroniques étaient trop dangereux. Surtout le téléphone ! La mafia pouvait y avoir glissé des micros et traceurs pour me surveiller. Heureusement, je n’en avais aucun sur moi depuis un moment, omettant de les prendre tant j’en avais assez. Bref… J’allais devoir faire quelques courses pour refaire un stock tout neuf de vêtements. … Avec quel argent ?

Un nouveau soupir franchit mes lèvres avant que le frère d’Ellia ne me pose une question. Est-ce que je considérait la proposition qui m’avait été faite. Mon rire fut extrêmement bref. Autant qu’il fut jaune, dépourvu de toute joie, voire ironique. Et lorsque je répondis, ce fut sur le ton de résignation :

- Tu sais, j’en ai tellement marre d’avoir du sang sur les mains que je n’ai que deux choix qui s’offrent à moi. Suivre Ellia dans sa fuite… ou mourir. Je t’avoue que la seconde option est très tentante. Mais comme on ne m’a jamais laissé faire, je pense que je peux essayer de considérer cette offre. Je pourrais toujours tenter de mettre fin à mes jours si ça ne marche pas.

J’étais si fatigué. Pas seulement à cause de mes mauvaises nuits. Non. J’avais l’impression que le poids de la vie était trop pour mes épaules. Les meurtres, les yeux vitreux de mes victimes, les tortures, les blessures perpétuelles qui lacéraient toujours un peu plus mon corps meurtris… Je ne pouvais tout simplement plus le supporter. Qu’elle veuille bien le comprendre ou non, elle ou même ses proches, c’était réel. Une vérité que je ne pouvais pas changer par la seule force que je possédais. C’est peut-être la raison pour laquelle je lâchai sans vraiment faire attention :

- Je voudrais quitter la mafia… Je n’ai jamais choisi d’en faire partie et pour ce que ça m’a apporté, je peux facilement dire que je ne vivrais réellement sans en faire partie…

Je voulais pleurer. Je voulais changer ma vie. Mais j’étais à cours d’idées pour imaginer ma vie ailleurs. Petit, j’aurais su le faire. C’était même la raison pour laquelle j’avais voulu venir là. J’avais voulu vivre comme une personne “normale”. Cela n’avait pas fonctionné et j’étais en train d’en mourir à petit feu. Peut-être qu’on pouvait le lire dans mon regard vide de tout intérêt. Ellia avait-elle lu en moi comme en un livre ouvert alors même que nous ne nous connaissions pas ?