[2018] Un peu de normalité

C'était une journée comme toutes les autres. Un jour noyé dans mon nouveau quotidien. Un quotidien banal. Certes, ce n'est que de la banalité, que quelques heures sur les bancs des amphithéâtres, de travail au Striped-Cat ou encore auprès de mes quelques "élèves" mais ce quotidien me suffit. Mieux encore, il me rend heureuse en quelque sorte. Au fond, n'avais-je pas aspiré à ça depuis longtemps déjà? La vie de mannequin, aussi merveilleuse puisse t-elle paraître, m'était passé et si j'étais toujours emplie d'une certaine tendresse vis-à-vis de mes anciennes camarades, je ne regagnerais pour rien ce monde qui n'est plus le mien. Le tumulte et le stress de la vie de présidente du conseil était aussi du passé. J'aimais toujours autant soutenir mes camarades et les aider à s'épanouir mais d'une autre manière. Une manière qui me laisse profiter de mon grand amour, de mon existence, de mes projets, de mon mariage à venir..

Un sourire vint à s'afficher à cette simple pensée et mon regard se posa sur la bague qui ornait mon annulaire gauche depuis la remise des diplômes tandis que je descendais l'avenue menant à mon lieu de travail. Une seule pensée traversait alors mon esprit : Je suis si chanceuse..

Quelques instants plus tard, je franchissais la porte d'entrée du Striped-Cat dans lequel j'officiais en tant que serveuse depuis ma rentrée universitaire. Un boulot aux antipodes de ma vocation et moins gratifiant, du moins pour beaucoup, que de défiler devant un parterre de journalistes ou d'être sur toutes les affiches d'un produit de beauté, mais c'était un travail bien suffisant pour celle que j'étais devenue. J'esquissais un petit sourire satisfait alors que le tintement léger et désormais familier de la clochette accueillait mon entrée.

-"Bonjour ! Je suis un peu en avance !"

Enfin si on peut comparer une demi-heure d'avance à une "petite avance"; la vérité étant que j'avais terminé un de mes cours plus tôt que prévu et que j'avais préféré me rendre aussitôt à mon travail que de rester à discuter avec mes amis. Une voix familière et masculine me parvint alors en réponse des cuisines.

-"Ah déjà là? Et bien.. ça te laissera largement le temps de te changer d'autant que c'est désert pour le moment.."

Le jeune homme qui venait de s'adresser à moi n'était autre que Billy Quagmire. Il était environ âgé de 25 ans et il était aussi le propriétaire des lieux depuis près de trois ans malgré son jeune âge. Une entreprise bien risquée à son âge mais dont il était parvenu à pérenniser les fruits. En effet, son café-restaurant figurait parmi les plus populaires des environs, notamment grâce à la saveur incomparable des plats servis, plats qu'il préparait lui-même. Physiquement, Billy était un jeune homme de ma taille aux traits avenants, aux cheveux bruns plutôt courts et aux yeux noisettes. A cela, je ne pouvais qu'ajouter que c'était un patron consciencieux, conciliant et adorable. Il avait, par exemple, proposer de m'augmenter en apprenant mon futur mariage. Je me contentais d'un hochement de la tête en guise de réponse et je filais aussitôt à mon vestiaire pour m’exécuter.

Le vestiaire n'était pas des plus luxueux, il faut le dire : un simple banc en bois dans une petite pièce, un unique casier orné d'un cadenas en laiton pour en garantir la sécurité, quelques affiches de concert roulaient dans un coin ou placardées sur les murs.. Rien à voir avec le prestige des loges que j'avais pu connaître à Tokyo ou à Paris. Billy avait aménagé ce vestiaire, lorsque la fréquentation augmentant et le travail devenant impossible à abattre seul, il avait dû se résoudre à prendre quelqu'un pour s'occuper de la salle. Une aubaine que j'avais eu la chance de saisir. Depuis lors, Billy ne cessait de s'excuser de ne pouvoir m'offrir mieux en guise de vestiaire mais ça ne m'importait que peu. Je m'asseyais sur le banc, déposant mon sac sur le sol, avant de me saisir de mon téléphone. Je pianotais quelques secondes avant de regarder mon oeuvre avec un petit sourire tendre.

Je commence le travail mon ange, je reviens tout à l'heure alors ne t'inquiète pas si je ne réponds pas.

Ce message était évidemment destiné à ma chère et tendre Naomi et ce petit sourire était dû à la simple image de son visage dans mon esprit. Je ne me laissais cependant pas envahir par la tendresse et j'appuyais sur la touche "envoyer" avant de commencer à me changer.

Il me fallut quelques minutes pour enfiler ma tenue de serveuse composée d'un chemisier blanc avec une veste bleu bardeur sur lequel figurait le logo du Striped-Cat, une courte jupe dans les mêmes coloris qui m'arrivait un peu au dessus du genou. J'avais agrémenté cette tenue plutôt basique d'un serre-tête simulant des oreilles de chat afin de rester dans le thème. Une fois ma tenue de travail revêtue, je regagnais la salle principale où je retrouvais mon employeur qui s'affairait autour des tables pour s'assurer que tout était en ordre. Je me manifestais alors à son attention de la sorte.

-"Un coup de main Billy?"

Le principal concerné esquissa un sourire en se tournant dans ma direction tout en ajustant l'un des menus de la table qu'il inspectait alors.

-"Non, non, c'est gentil Melody mais je préfère laisser parler ma paranoïa avant l'arrivée de la clientèle et ne pas te la communiquer.."

Il venait à peine de terminer de prononcer ces paroles que le tintement caractéristique de la porte d'entrée se fit entendre. Je me retournais donc vers cette dernière, le sourire aux lèvres, pour accueillir la clientèle. Je fus cependant bien surprise de reconnaître la demoiselle qui venait de passer l'arche de la porte.

-"Coucou soeurette.. ça te va plutôt bien d'être un petit chat.." fit-elle avec un sourire et en me regardant de haut en bas.

Si je n'avais pas reconnu aussitôt la jeune femme qui venait de pénétrer sur mon lieu de travail, je n'aurais pu faire sans reconnaître la voix si familière ou encore l'allusion peu discrète de cette dernière : la cliente n'était autre que ma sœur cadette, Victoria. Aussitôt que j'eus remarqué les cheveux roux et courts de ma sœur, je m'empressais de gonfler les joues, mimant un air contrarié pour répondre à sa remarque.

- « Non seulement, tu ne me dis même pas que tu es en ville mais en plus, tu oses venir au café pour.. »  Je marquais une courte pause avant de soupirer pour simuler l'agacement.  « Bref. » fis-je presque sèchement pour clore ma protestation.

Pour me reluquer et me draguer éhontément. La fin de ma phrase s'était perdue dans ma gorge sans parvenir à s'en délivrer. Je n'étais tout simplement pas à l'aise avec cette simple idée. Je n'avais jamais été à l'aise avec les sentiments ambiguës qu'elle pouvait entretenir à mon égard. Au point de les ignorer pendant de longues années malgré le fait qu'ils ne cessaient de s'imposer clairement à ma vue. On ne voit sûrement pas ce que l'on ne désire tout simplement pas voir J'avais fini par le comprendre en fondant en larmes lorsqu'elle avait finalement franchi le pas et dévoiler toutes les souffrances que je lui avais fait endurée par mon ignorance. Je n'eus cependant pas le temps de me pencher plus longtemps sur ces pensées que Victoria prit la parole.

- « Quel accueil ! Aussi bien en tant que sœur, qu'en tant de cliente. Je trouve ça déplorable. Tu pourrais faire des efforts Chaton » fit-elle tout en souriant et en me contournant pour prendre un siège au comptoir.

Je me retournais vers Billy, ne sachant trop comment réagir mais ce dernier se contenta de m'adresser un sourire convenu et de regagner sa cuisine, comme pour répondre aux futures demandes culinaires de ma jeune sœur. Je contournais donc le comptoir pour prendre place face à Victoria. Elle me suivit du regard, tout en gardant sa tête posé sur sa main négligemment, ses cheveux s'étalant sur le comptoir, Tiens, ses cheveux ont poussés.. Depuis quand ne l'ai-je pas vu ? Depuis la demande en mariage, je crois. Il faut dire qu'il n'est pas toujours facile de concilier les caractères de Naomi et de Victoria. J'ai toujours l'impression qu'une certaine rivalité électrise l'air à chaque parole de l'une ou de l'autre d'entre elle. Ma cadette releva la tête avant de planter son regard émeraude dans le mien et esquissa  un sourire que je connaissais trop bien : elle avait quelque chose en tête.

- « Je peux commander ? » fit-elle d'une voix chantante.

Je me contentais de répondre par un bref hochement de la tête avant de prendre sous le comptoir de quoi noter et lui tendre un menu. Je fixais alors l'unique cliente, pleine de questions, tandis que cette dernière ne cessait de faire tournoyer l'une de ses mèches de cheveux entre ses doigts, indécise. Elle finit par arrêter ce petit jeu pour m'adresser un regard tout en riant légèrement.

- « Tu aurais quelque chose à me recommander Chaton ? » fit-elle en battant des cils et en plongeant son regard dans le mien.

Victoria avait toujours aimé jouer de son charme pour tromper son monde ou simplement pour s'amuser et si cet aspect de son comportement ne m'avait jamais dérangé auparavant, il m'était plus difficile désormais de voir les choses autrement qu'une tentative de séduction. Je soupirais avant de lui faire part de mes conseils.

 - « Vu l'heure, je te conseillerais de la pâtisserie, on sert ton gâteau favori ceci dit tu peux arrê..» entamais-je avant d'être interrompue.

- « Très bien ! Partons là-dessus ! Tu as le droit de manger avec tes clients ou je dois attendre ta pause? » dit-elle avec une forme d'enthousiasme que je savais feint.

Décidément, le comportement de la jeune femme était particulièrement étrange, Il me rappelait par moment celui qu'elle avait pu avoir au cours de notre journée à Fantasy Land et ce n'était pas nécessairement pour me rassurer. Il fallait que je sache ce qu'il en était.

- « Victoria, si tu en venais au fait s'il te plaît ? Profite du fait que personne n'est encore là pour me monopoliser tu veux ? » fis-je, un peu inquiète tout en faisant tournoyer, pareillement à elle, une mèche de cheveux entre mes doigts.

L'air enjoué qu'elle affichait encore quelques secondes auparavant sembla disparaître aussitôt comme si je venais d'aborder un sujet grave. Mon instinct ne m'avait pas trompée une fois encore.

- « Je suis juste venu te parler.. Je pense que c'est important.. »