Petite pause et nouvelle rencontre [ft Jagger Morrow]

Samedi. L'un des meilleurs jour de la semaine. Je m'étais rapidement apprêtée et avais quitté l'institution, direction la ville. L'été était fini, il fallait gentiment que je songe à faire le plein de vêtements chauds. J'en avais déjà quelques-uns mais après avoir fait un tri, il y en avait beaucoup qui étaient devenus inutilisables. Soit trop déchirés, soit devenus trop petits. Je grandissais encore, c'était donc normal que certains deviennent trop courts pour moi.

Je m'étais donc rendue en ville et fis un peu le tour des boutiques. Pour éviter qu'on ne repère que j'étais une fille bizarre, je n'avais pas mis mon uniforme. Et puis c'était le week-end de toute façon. Les deux ou trois jours de repos servaient justement à oublier que nous avions des études à faire. J'entrai dans une boutique, fis un petit tour et achetai ce qui m'intéressait sans pour autant faire un gros budget. Mon père m'envoyait assez d'argent de poche pour faire du shopping en tout genre mais ce n'était pas une raison pour éclater trop de sous. Et je refis le même manège dans trois autres boutiques. Entrer, zieuter, acheter si je trouvais quelque chose d'intéressant et sortir de la boutique.

Cela me prit tout de même deux bonnes heures. Cela n'avait l'air de rien mais faire du shooping bouffe vite notre temps. De plus je commençais à avoir soif et faim. Je me rendis donc dans une boulangerie-pâtisserie et achetai de quoi grignoter. Je me rendis ensuite dans un bar irlandais. Je n'y étais jamais allée mais c'était l'occasion de changer un peu mes habitudes. De toute façon, j'avais encore du temps avant de rentrer. Et puis j'étais curieuse de voir à quoi ça ressemblait à l'intérieur. Je savais que certains aimaient garder l'aspect du pays et d'autres faisait un truc simple malgré la nationalité.

Je fis mon entrée dans le bâtiment et je m'installai sur une chaise devant le bar, posant mes sacs d'achats sur la chaise à côté de moi. Dès que le barman fut prêt à écouter ma commande, je ne perdis pas de temps. Je savais ce que je voulais boire. Il restait juste à savoir s'il y en avait ici.

- Bonjour. Est-ce que vous avez du soda ?

Dès que ce fut réglé pour la boisson, je le laissai la chercher. Pendant ce temps, mon regard sonda autour de moi, observant la décoration et un peu tout ce qui se trouvait dans le bâtiment irlandais. Je  ne cachais pas que je n'étais pas une habituée des bars, bistrots, cafés, etc. Je n'y allais pratiquement jamais en général. Pourquoi le ferais-je alors que je craignais déjà suffisamment le fait de sortir en ville ? Je ne sortais que lorsque j'avais quelque chose à aller chercher ou une rendez-vous. Ou toute autre activité qui se passait en ville.

Une pause après du shopping, cela faisait du bien. J'étais entrée dans un pub irlandais par simple curiosité et je fus agréablement surprise par les lieux. Contrairement à certains pubs, celui-ci n'était pas trop chargé en déco. Il restait simple et c'était plaisant. Une fois installée au comptoir, je commandai un simple soda. Je fus bien contente qu'ils en aient. Je ne savais pas quoi prendre d'autre. S'ils ne servaient que de l'alcool, comme le font certains pubs, j'aurais dû me défouler sur l'eau et dieu sait à quel point je détestais  boire seulement de l'eau. Il me fallait toujours un truc sucré. L'eau plate passait mal. C'est con sachant que c'est la boisson de base pour la survie ou simplement pour étancher sa soif mais c'est comme ça.

Un homme arriva finalement et s'installa à côté de moi. Je jetai un coup d'oeil vers lui par curiosité tandis qu'il me saluait. Il était plutôt pas mal en plus. Je ne m'intéressais pas vraiment à ce genre de chose en temps normal mais bon.

- Bonjour.

Je sirotai mon soda mais je fus intriguée par un détail. Il parlait au serveur comme le ferait un patron d'entreprise. Ce serait le gérant de ce bar ? J'hésitais à lui poser la question. Après tout je ne le connaissais pas du tout. Il me saluait par politesse, j'avais répondu aussi par politesse, fin de l'histoire. Du moins c'est ce que je croyais. Il m'adressa à nouveau la parole. Cela me surprit un peu mais sans pour autant me déranger. Un peu de conversation ne faisait de mal à personne.

- Je m'appelle Lana !  Et c'est effectivement la première fois que je viens ici. Habituellement je viens rarement dans les pubs et les bistrots. Je ne suis pas très à l'aise dans les milieux publics en général.

J'omettais cependant de dire la véritable raison qui faisait que j'évitais les lieux où la restauration est possible. J'étais mal à l'aise certes mais ce n'était pas parce que j'étais timide.

- Et vous ? Vous avez l'air plutôt à l'aise ici et vous connaissez bien le monde. Comme un habitué. Vous être le patron de l'établissement ? Enfin je demande ça parce que vous avez dit au serveur de vous appeler quand le livreur arrivait.

Cela me faisait du bien de parler à quelqu'un hors de l'institution. Ca me changeait un peu des habitudes que j'avais prises. Bien entendu, je ne lui parlais pas de mes problèmes psychiatriques. J'en avais assez de me faire prendre pour une fille échappée de l'asile ou venue d'une autre planète. Tout comme lui, je sirotais ma boisson. Je lui parlais aussi, tirant des conclusions un peu faciles. Je n'avais pas vraiment de la jugeote comme il disait. J'ai juste fait ma conclusion en le voyant se comporter comme un habitué et donner des ordres au serveur. Il n'y avait pas besoin d'être Einstein pour comprendre le reste.

- Vu votre commentaire, vous n'avez pas l'air de croiser beaucoup de filles qui font une conclusion logique. Enfin en tout cas, vous ne les portez pas trop dans votre coeur malgré ce que vous montrez. J'me trompe ?

Sans doute que oui. Ne pas aimer les femmes n'était pas une raison valable pour penser qu'il n'y en avait aucune avec de l'intelligence. Je remarquai qu'il me dévisageait un peu mais je n'y prêtai pas plus attention. Moi-même je le faisais avec lui. C'était un réflexe propre à tout le monde, humain comme animal, d'observer les autres. Chacun le faisait pour des raisons diverses. Moi par exemple c'était par simple habitude. J'avais toujours été plutôt seule alors je me contentais de regarder les gens de loin. D'autres c'était pour avoir une occasion de draguer, de se rincer l'oeil, se souvenir pour mettre un visage sur un nom, etc.

Finalement il me posa une question qui me surprit. Et je ne le cachais pas. Il me proposait de manger avec lui et sans me laisser le temps de lui répondre quoi que ce soit, il disparut durant une dizaine de minutes. Quand il revint, il tenait une boîte en plastique avec de la nourriture fumante. Ca sentait bon en tout cas. Il se réinstalla à côté de moi et me laissa une fourchette à disposition au cas où je me déciderais à manger avec lui. J'hésitais. Je devais normalement manger au réfectoire de l'institution mais en même temps, ils s'en fichaient sûrement tant que je rentrais pour le couvre-feu. Je pris donc la fourchette avec une légère hésitation et la piquai dans un morceau de viande. Je ne reconnaissais pas à l'odeur ce que c'était mais lorsque je goûtai, je crus reconnaître le canard. Toutefois je n'en étais pas certaine. C'était une viande que je n'avais pas l'habitude de manger. Je trouvais toujours le goût bizarre mais ce n'était pas mauvais.

- C'est bon votre truc. C'est du canard la viande ? Ou de la dinde peut-être... J'ai du mal à reconnaître le goût, je n'en mange pas assez souvent pour pouvoir bien mémoriser.

Je mangeai un peu avec lui. Je risquais d'avoir encore faim plus tard mais il m'avait proposé si gentiment de partager son repas avec moi... En plus gratuit. Enfin...ça avait l'air de l'être. Peut-être qu'il me demanderait de donner un petit quelque chose en fin de compte. Peu importe. Si c'est le cas, je paierai. Ce serait normal après tout.

- Je ne travaille pas vraiment. En fait, je suis juste étudiante à l'institution Indarë. Je ne sais pas trop ce que je ferai plus tard par contre. Au départ je voulais être dessinatrice mais vu que j'suis incapable de rester concentrée, ben impossible de m'améliorer en dessin donc j'ai abandonné cette idée. Maintenant je cherche une autre idée mais c'est plus dur que je ne le croyais.

Pendant l'explication, j'avais levé les yeux vers lui. C'était plus respectueux. Mes parents m'ont appris à regarder les gens dans les yeux lorsque je leur parlais, je n'avais pas oublié l'éducation qu'ils m'avaient donnée. Je ne le lâchai pas du regard tandis que je m'intéressais aussi à lui.

- Et vous ? Vous travaillez depuis longtemps ici ? Et ce n'est pas trop ennuyeux de travailler dans un bar ? Et...je me trompe peut-être mais au vu de la déco, ce bar a l'air irlandais. Vous l'êtes aussi ?

Et là je me rendais compte que j'étais repartie pour un interrogatoire. Ce n'était pas la première fois que je le faisais. Ce ne serait sûrement pas la dernière non plus. Promis, j'essayais de m'améliorer sur ce point. Je sais que cela ne plaisait pas à tout le monde d'être autant interrogé.

- Pardon. J'ai tendance à m'emporter et c'est pire quand je stresse...

Ca faisait du bien de manger. C'était bon en plus. Que demander de plus ? Je crus reconnaître ce que c'était la viande mais je n'en étais pas sûre. Le gérant me le confirma, c'était bien du canard. Je lui parlai ensuite du fait que j'étudiais à l'institution indarë mais je lui cachai cependant de quel côté j'étais. Puis ce fut à mon tour de le bombarder de questions...avant de me confondre en excuses. Cela ne semblait toutefois pas le déranger. Il y répondait sans hésiter. C'était un voyageur irlandais qui s'est échoué à Londre depuis une année. Je mangeais à peu près calmement lorsqu'il releva un détail que je lui avais fourni. Je stressais. Ce fut pire quand il rectifia ma remarque. M'intimider ? Aussi, oui. Complètement.

- Vous me stressez et m'intimidez, voilà !

Je gonflai les joues comme si je boudais et continuai de me régaler avec le plat qu'il partageait avec moi. J'avalai toutefois une bouchée de travers lorsqu'il parla d'élèves perturbés. Il m'avait grillée sans que je ne lui en parle. Mes réactions lui faisaient donc tant penser à ça ? Si c'est le cas, j'étais mal barrée face au reste du monde. Je toussai un peu à cause de la bouchée avalée par le trou du dimanche et détournai un peu le regard en affichant une petite mine.

- Moui. J'fais bien partie des élèves qui ont un problème psychiatrique ou psychologique.

Je n'étais pas du tout vexée par le terme qu'il utilisait. J'avais entendu toutes sortes de termes en Russie quand je suivais encore les cours dans une école normale. Demeurée, foldingue, cinglée, déphasée, agitée, secouée, et j'en passe.

- C'est parce qu'avec mon problème, j'ai tendance à vite devenir nerveuse en présence des inconnus. Il suffit qu'il apparaisse et pouf ! Je passe pour une folle tout droit sortie d'un asile. C'est déjà arrivé plein de fois avant alors je restais à distance des autres et je les observais de loin. Et ici, je peux essayer de me faire des amis mais quand je vois que j'peux me lâcher un peu, les questions fusent et il n'y a pas tout le monde qui apprécie de subir ce genre de bombardement.

Je n'en disais pas plus. De toute manière, il y avait de grands risques pour qu'il découvre mon souci bien assez vite. Du moins, le premier. Le second, ça allait tant que je ne me retrouvais pas en situation de panique. Je terminai mon verre et fixai Jagger.

- Désolée de te...de vous demander ça mais... Est-ce que je peux avoir un autre soda s'il vous plaît ?

Je l'aurais volontiers demandé à l'autre barman mais je ne le voyais plus. Je crois qu'il était occupée derrière.

Je me demandais toujours comment il m'avait grillée. Mon comportement laissait donc si facilement deviner de quel côté de l'institution j'étudiais ?  Sur le coup de la surprise, j'avalai de travers et toussai un peu à cause de cela. Je restai toutefois honnête avec lui et lui avouai qu'effectivement, je me trouvais du côté des étudiants à problèmes. Je lui expliquai ensuite pourquoi j'avais tendance à bombarder les personnes de questions. En Russie, on m'avait prise pour une folle et mise à l'écart. Je n'osais plus approcher les autres. Depuis mon arrivée à Indarë, je recommençais doucement à voir du monde  mais la plupart était comme moi. Ils avaient aussi des ennuis, ils savaient donc que ce n'était pas simple lorsqu'une personnes était mise de côté. À la fin, je demandai s'il était possible d'avoir un autre soda. Il semblait être de repos mais puisque l'autre était occupé, je n'osait déranger que celui qui était le plus proche. Je me fis surtout reprendre pour le fait que je l'avais encore vouvoyé.

- Désolée...simple habitude.

Il alla derrière le comptoir et me donna un autre soda. Donner était bien le mot. Je n'avais pas besoin de le payer celui-ci. Ca aurait pourtant été normal si ça avait été le contraire. Je le remerciai tout de même par politesse en laissant de côté le fait que ça m'avait rendue perplexe. Je l'écoutai ensuite me parler un de lui. Il avait apparemment fait de la prison.

- Effectivement j'ai moins de liberté que dans une école normale mais j'en ai quand même assez. Y en a qui en ont moins que moi. Moi je peux encore sortir en ville même si je suis surveillée. Y en a qui ne peuvent pas quitter l'institution. Et pourquoi t'as fait de la prison ?

J'étais intriguée oui. C'était toujours le cas lorsque j'apprenais qu'une personne avait fait de la prison. Il était même prêt à me voir revenir souvent rien que pour le harceler de questions. C'était bien le premier qui m'encourageait à le bombarder d'interrogations. L'une des étudiantes que j'avais rencontrées m'avait aussi permis de la questionner mais elle ne m'avait pas encourager à continuer. Je continuais de l'écouter me questionner sur un sujet tandis que je buvais tranquillement mon soda.

- Euh... Non ce nom ne me dit rien. Il se trouve à l'IRS ?

Et là je me souvins d'un détail. Il m'avait confié qu'il ne connaissait pas trop l'établissement. Il ne devait donc pas connaître les noms des deux secteurs.

- Ah ! En fait l'IRS c'est là où y a les étudiants à problèmes, comme moi par exemple, et là où y a les étudiants normaux, c'est l'ISS. Et de chaque côté, il y a deux sortes de groupes. À l'ISS, y a les Tradition et les Gifted mais je ne sais plus trop la différence entre les deux. Et à l'IRS, y a les Potion et les Forge.

Maintenant il restait à savoir si ce Maël était du côté normal, sans souci ou s'il était du côté des étudiants aux problèmes psychologiques et psychiatriques, ou aux problèmes judiciaires. Je continuais de siroter ma boisson tout en écoutant sa réponse et les éventuelles explications qu'il me donnerait.

Il semblait surpris lorsque je lui parlais de l'IRS et de l'ISS, les deux bâtiments appartenant à l'institution. Je rajoutai quelques précisions afin de mieux lui donner une idée de quels étudiants se trouvent où. Les normaux à l'ISS, ceux à problèmes psychiatriques, psychologiques ou judiciaires à l'IRS. C'était ce qu'il fallait vraiment retenir. Il n'en était pas sûr mais apparemment, Maël était à l'ISS. Ce n'était donc pas étonnant que je ne le connaisse pas. Les classes n'étaient pas mélangées et je ne rôdais pas beaucoup du côté de l'ISS. Peut-être que je l'ai vu errer à l'IRS sans le savoir.

- Peut-être. En tout cas son nom ne me dit rien mais peut-être que je l'ai croisé de loin sans le savoir.

Je voulus ensuite satisfaire un peu ma curiosité. Il avait parlé du fait qu'il avait été en prison. J'étais intriguée alors je le questionnai mais je fus étonnée qu'il y réponde. Très étonnée même. Je m'attendais à ce qu'il esquive la question ou qu'il me fasse comprendre que ce n'était pas mes affaires. C'était en gros un homme qui savait utiliser une arme et qui avait fait partie d'un gang. Je ne pensais pas que j'en verrais un, un jour. Il en profita en même temps pour me rassurer sur ses intentions. Même s'il avait tué une personne, ça ne m'aurait pas fait réagir. Je rencontrais des cas divers à l'IRS, même de ceux qui avaient foutu le feu à un membre de leur propre famille alors un de plus ou de moins...

Dès que j'eus fini de manger, il récupéra son plat pour le nettoyer tandis que je sirotais mon soda. Je continuais d'écouter ses paroles. Ca allait être difficile de venir réellement en journée à cause des cours. Néanmoins en fin de journée, avant que le soir ne tombe vraiment, je pourrais faire un passage de temps en temps. Et puis, avoir un peu d'aide extérieur à l'institution pour réviser, ça faisait aussi du bien.

- Je viendrai plutôt en fin de journée alors parce qu'avant, j'ai toujours les cours.

En plus je serais sûrement obligée de changer de tenue parce que si je venais avec l'uniforme de l'institution et que je faisais une bêtise, je risquais de ne pas avoir le droit de quitter ma résidence surveillée. Le pire est que je ne pourrais même pas me cacher. Ils sauraient toujours où me trouver à cause de mon bracelet à la cheville.

Après quelques minutes de calme, mon attention dévia complètement de Jagger pour se concentrer sur autre chose. Pour les autres, j'avais juste le regard dans le vide. Pour moi, c'était parfaitement réel. Je voyais une simple araignée. Je n'en étais pas fan mais ce genre de bestiole ne m'effrayait pas généralement. Sauf celle-ci. Au début elle avait la taille normale. Rien d'alarmant. Puis elle changea de taille, ce qui ne m'aida pas à détourner mon attention de cet animal. Puis elle devint encore plus grande. Là je commençais sérieusement à avoir peur.

- M-Monsieur Jagger, y a la....une...l'araignée ! Elle grandit !

Je voyais une bestiole mutante qui me paraissait trop réelle. Elle continuait de grandir au point d'être géante et menaçante. Je craquai, paniquai et lançai ma canette de soda contre l'illusion tout en quittant mon tabouret haut. Je m'éloignai  un peu du bar et menaçai la bête géante avec une chaise. Au final je lançai la chaise avant de me cacher sous une table en croyant stupidement qu'avec sa taille, l'araignée ne pourrait pas me choper.

J'étais contente, il me laissait venir quand je le voulais du moment que ce n'était pas le soir. De toute façon je n'aimais pas trop sortir en soirée. C'était le moment de la journée que je craignais le plus. Tout se passait bien jusqu'à ce que j'aperçoive une petite bête qui ne m'effrayait pas en temps normal. Sauf que celle-ci devenait de plus en plus grande et menaçante. Je me mis rapidement à paniquer et à envoyer les projectiles que j'avais à disposition. Ce fut ma canette de soda et une chaise. Ce fut cependant inutile puisque je la voyais toujours prête à me bouffer. Au final je me contentais bêtement de me cacher sous une table dans l'espoir qu'elle me ficherait la paix.

Je tremblais sous la table en pensant naïvement que l'araignée géante ne pourrait pas m'avoir ici. J'oubliais cependant que si elle existait vraiment, elle pourrait m'avoir avec ses pattes, se glisser étonnamment bien sous la table ou plus radicalement, tout écraser sur son passage. Ma panique me fit imaginer divers scénarios tous plus catastrophiques les uns que les autres. La voix de Jagger qui m'appelait, me ramena à peu près à la réalité. Même lorsque c'était mon frère ou mon père il me fallait toujours un peu de temps avant de reprendre conscience de ce qui m'entoure réellement.

- L'araignée ! Elle va t'aplatir ! Elle est trop grande, elle va bouffer tout le monde !

Il continuait de me parler et tenta de me rassurer, ce qui fit peu à peu son effet. Il restait calme. S'il l'était, c'est qu'il n'y avait vraiment aucun danger. Il se mit finalement sous la table avec moi tandis que je revenais petit à petit à la réalité. L'araignée géante n'était plus là. Sa remarque me vexa tout de même un peu malgré le fait qu'il ne s'en moquait pas. Le mot était juste mal choisi.

- J'suis pas cinglée...

Quoique... C'était à se le demander. Voir des trucs qui n'existent pas, il fallait bien être cinglé.

- En plus c'est pas ma nervosité qui me rend comme ça. Je le suis tout le temps, à toute heure de la journée. C'est pour ça que je suis nerveuse. J'ai des hallucinations à n'importe quel moment et de n'importe quel genre. Même si j'ai un médicament pour les calmer, ça ne suffit pas à les stopper totalement.

Je m'étais recroquevillée sous le meuble en boudant un peu. Parler de ce problème à l'institution c'est encore assez simple. À l'IRS, tout le monde y est pour une raison psychologique ou psychiatrique. Du moins pour la majorité. D'autres c'est juste à cause d'une incarcération. Toutefois, en dehors de l'institution, c'était plus difficile de révéler ce genre de détail.

- Quand je vois des trucs simples et inoffensifs, ça va. Je passe juste pour une folle. Mais quand c'est quelque chose de plus violent, je deviens moi aussi violente. Plus ça m'effraie, plus mes réactions sont....

Je jetai un simple coup d'oeil vers le bar, là où j'avais lancé la canette et la chaise. Puis je regardai à nouveau le gérant du bar.

- Enfin bref t'en as eu un aperçu. Désolée si j'ai fais des dégâts. Je t'aiderai à tout nettoyer pour me faire pardonner...

Je sortis enfin de ma pseudo cachette et me remis debout avant d'aller remettre en place la chaise qui m'avait servi d'arme de défense. Je n'avais heureusement pas mis trop le bazar dans son établissement. J'aurais été affreusement embarrassée si ça avait été le cas.

Même si le terme utilisé n'était pas le meilleur, je ne me mis pas en colère. Ce n'était pas mon genre de rager pour si peu. Je lui expliquais donc mon problème avec un peu plus de détail pour qu'il puisse comprendre ce qu'il pouvait régulièrement arriver. Hallucinations, violence en cas de peur, objets qui volent si j'en avais à portée de main et j'en passe. Je finis tout de même par ressortir de ma cachette et m'excusai pour ce que j'avais fait. Pendant ce temps, j'écoutais ce qu'il me disait et ne pus m'empêcher d'afficher une petite mine. Ce n'était peut-être pas voulu mais il venait de réagir comme tous ceux qui m'avaient prise pour une folle en Russie.

- De toute façon c'est bientôt l'heure du repas à l'institution.

Le réfectoire allait bientôt ouvrir ses portes et un troupeau d'étudiants allait se ruer dedans en espérant avoir la meilleure place. C'était complètement stupide à mes yeux. Tant qu'ils avaient une place où s'asseoir et manger, c'était suffisant.

Il se plaça finalement devant moi avec un sourire pour me rassurer. Il m'invitait encore à revenir mais malgré mes explications, je n'étais pas sûre qu'il ait vraiment bien compris mon souci. Même en chassant les araignées, je n'étais pas à l'abri d'en revoir une géante.

- Ca sert à rien de chasser les araignées. Elles ne me font pas peur les petites. Et puis même si tu les chasses, ça n'empêchera pas qu'une géante m'effraie encore. Je l'ai dit, j'suis atteinte d'hallucinations à tout moment et de n'importe quel genre. Cette fois c'était une araignée géante mais la prochaine fois ça sera peut-être un poney bleu, un chien mutant tout droit venu des enfers, une fée, un oiseau avec quatre paires d'ailes, etc. Enfin bon ton intention est quand même gentille alors j'te remercie pour ça.

En plus il était honnête au moins. Il avouait ouvertement et surtout en face de moi qu'il ne savait pas comment il devait réagir quand je faisais une crise. Je le vis repartir derrière le bar avant qu'il ne revienne pour me donner une autre canette de soda. Je pris la canette dans les mains et le regardais prendre son téléphone, prêt à appeler un taxi. Toutefois, je ne voulais pas rentrer en taxi. Si j'étais à nouveau prise dans un de mes délires psychiques, il allait prendre peur et la suite dépendait du chauffeur. Je ne voulais pas être encore prise pour une cinglée.

- J'veux pas le taxi... On peut appeler mon frère. Il travaille actuellement mais si tu lui dis que j'ai besoin d'être raccompagnée, il comprendra le souci et il viendra au plus vite. Généralement il met quelques minutes voire une heure.

Le temps qu'il prenait pour venir dépendait généralement de l'endroit où je me trouvais par rapport à son lieu de travail, du job à accomplir, si c'était urgent ou non et s'il pouvait laisser un moment en plan ou s'il était obligé de finir ses tâches avant de venir me récupérer.

Je lui donnai donc le numéro de mon frère et le laissais passer le coup de téléphone, lui expliquer la situation si ça lui chantait mais surtout lui demander de passer me prendre au bar. Il devait tout de même lui dire de quel bar il s'agissait pour qu'Alexei ne se trompe pas. Dès que ce fut fait, je m'assis sur une chaise avec ma canette pour patienter. Je ne buvais pas mais je gardais l'objet dans les mains.

Mon frère arriva au bar irlandais après une bonne demi-heure. Il devait avoir eu un boulot à faire pas si loin que ça j'imagine. Et il avait sans doute pu le mettre de côté le temps de me raccompagner. Ou peut-être même jusqu'au lendemain. Dès que je le vis, ma réaction fut directe. Je posai la canette sur la table et sautai dans les bras d'Alexei.

- Doucement Lana...

Je ne l'écoutais même pas. Il me portait, j'étais contente, je me fichais de la vitesse ou de la force à laquelle j'étais venue contre lui. Il s'approcha de Jagger en me tenant dans ses bras et observa un peu le lieu. Il ne jugeait pas le fait que je me trouvais dans un bar mais il voulait surtout essayer de voir l'étendue des dégâts.

- Elle n'a pas fait trop de dégâts, j'espère ? S'il le faut, je rembourserai.

Il était rassuré de voir que les seuls vrais dégâts que j'avais faits, c'était juste une canette renversée. Il ne pouvait pas savoir pour la chaise vu que je l'avais redressée.