Pour une fois dans sa vie, Rock fit un effort, et fit taire son instinct lui murmurant de ne pas s'impliquer davantage, de laisser Eri se débrouiller seule maintenant qu'elle était sous traitement. Il voulait simplement s'assurer qu'elle n'était pas seule, que sa thérapie se passerait bien et qu'après son départ, elle ne passerait les pires années de sa vie. Et c'était tout...

Non, ce n'était pas tout à fait exact...

La jeune Tanaka lui rappelait le souvenir d'un jeune garçon aux cheveux de jais et au regard éteint, recroquevillé dans un coin au fond de sa cellule plongée dans la pénombre. Un gamin un peu plus jeune qu'Eri, roué de coups, terrifié, pleurant à chaudes larmes, implorant une aide qui n'était jamais venue...
Ce souvenir avait ressurgi quand il avait vu pour la première fois la jeune Eri pleurer en face de lui. Elle avait fait écho à son propre passé, ravivé un cauchemar noyé dans les ténèbres du coeur du jeune homme.

A cause de ça, il se sentait attiré vers la jeune fille, et ne pouvait pas se résigner à l'abandonner à son sort sans s'assurer que tout se passerait bien pour elle. Mais il n'en oubliait pas ses objectifs pour autant. Le but demeurait toujours le même: faire en sorte qu'elle soit en sécurité, et qu'elle se sente mieux, afin que sa thérapie se déroule bien. Une fois qu'il serait sûr que ce serait le cas, il disparaîtrait, aussi vite qu'il était apparu dans sa vie. Parce que c'était le mieux pour elle. Parce que c'était ce qu'il convenait de faire. Qu'elle le comprenne ou non, que cela l'amène à le détester, ou non...

Aussi, il lui suggéra de se faire des amis afin de régler son problème de solitude ressentie, afin de pouvoir sortir comme une adolescente normale. Tout en discutant avec elle, il finit par apercevoir un banc à l'ombre d'un grand arbre, et s'y assit tranquillement, tout en posant un bras sur le dossier du banc en bois.
Et puis, la jeune Tanaka lui expliqua... Elle lui expliqua qu'il ne comprenait pas bien sa situation, et que toutes choses lui étaient impossibles. Sa vision des choses était particulièrement fataliste. Un peu comme celle qu'il avait lui, il n'y avait encore pas si longtemps de ça, avant de changer de vie.
- Je ne pense pas que ça soit … si simple que ça... Je ne sais pas comment je suis censée faire ça. Déjà.
- Peut être devrais tu te forcer à faire amie amie avec certaines filles de ta classe dans un premier temps ?

Il sortit son paquet de cigarettes de la poche intérieure de sa veste et en proposa une à la jeune fille avant d'en mettre une à ses lèvres et de l'allumer avec son briquet.
- Ou alors, via tes activités de club... Tu fais de la danse en club, je suppose ?

Mais Eri lui dévoila soudain qu'elle n'avait ni passion ni avenir, et lui raconta son histoire avec un peu plus de réalité. Tout ce qu'elle avait connu n'avait rien d'une passion... Sa mère la tenait à sa botte depuis sa naissance, en réalité, et très vite, le brun comprit de quoi il retournait réellement...
Tout en l'écoutant, il se pencha légèrement et posa ses avant bras sur ses genoux en fixant le sol. Quant à son visage, il se durcit davantage à chaque seconde tandis que le récit de la jeune Tanaka progressait. S'il y avait bien une chose qui irritait le Corbeau par dessus tout, c'était le fait qu'on tente de contrôler la vie des autres. Une chose était sûre, la mère d'Eri était typiquement le genre de personne que le jeune assassin détestait par essence...

Il demeura silencieux tout en la laissant poursuivre son récit. Des solutions, Rock en connaissait. Mais pas le genre de solutions dont on ressort plus ou moins indemne... Pas le genre de solution qu'on suggère à une jeune fille comme elle. Elle avait peur d'être trahie si elle plaçait sa confiance. Il ne pouvait pas le lui reprocher, puisqu'il pensait exactement de la même manière...
- Je peux comprendre que tu aies peur de placer ta confiance, Eri. Mais tu ne peux pas en avoir marre d'être seule, et refuser de faire confiance. Ou plutôt... Si, tu peux... Mais rien de ce que tu vivras ne sera vrai, authentique, lui dit il en penchant la tête vers elle avec un léger sourire un peu triste. C'est une question de choix, en fait. Si tu veux que les choses changent, il va te falloir prendre le risque d'essayer de faire confiance...

Il tourna la tête pour fixer l'horizon, et expira sa fumée, avant de poursuivre:
- Tout comme il faudra peut être que tu te poses la question de savoir si tu veux vraiment un avenir en cage jusqu'à tes 22 ans... Et plus ? Car en fin de compte, rien ne te dit que d'autres contrats ne seront pas signés par la suite... Dans cette vie, tu seras sûrement une star ! La grande, la merveilleuse, et l'étincelante Eri TANAKA, appuya t'il volontairement sur le nom de famille de la jeune fille.

Tout en développant son propos, le brun imagina le monde inondé de photos et gros titres de la star que deviendrait à coup sûr Eri si elle choisissait cette voie.
- Mais tu ne seras jamais... Eri, la belle Eri, souriante, joyeuse, libre d'aller boire un café avec des copines ou se faire un cinéma avec des amis quand elle le souhaitera. Tu seras prisonnière. Une cage de verre, dont tu seras la princesse, drapée d'une robe et de souliers de verres reflétant une beauté irréelle...
Alors... Si tu veux prendre ta vie en main, et pouvoir prendre tes propres décisions, il va te falloir te battre pour gagner ce droit...

Il fit une légère pause, hésitant un instant, puis:
- Et c'est là que tu es différente de la plupart de tes camarades. La plupart d'entre eux ne savent pas ce que les gens comme nous ont dû traverser pour briser leurs chaînes et se libérer de leur emprise.
Il se pencha, et lui sourit à nouveau faiblement, sans toutefois trop en dire:
- Tu peux trouver cela injuste, que certains puissent avoir une vie normale dès leur naissance là où d'autres comme nous doivent la mériter et s'en emparer par la force, mais on ne va pas faire de la philo', pas vrai ? On est pas là pour ça... L'important, c'est que... Tu es peut être à un carrefour de ta vie...

Le brun se leva soudain, cigarette à la bouche, mains dans les poches, et se tourna vers la brunette, avant d'ajouter:
- Je ne peux pas t'aider davantage. Ce n'est pas à moi de te dire quoi faire de ta vie, Eri. C'est à toi qu'appartient la décision.

En présence de la jeune Tanaka, le Corbeau se surprenait lui même. Et pas forcément dans le bon sens. Il lui parlait trop, baissait trop sa garde. Bien sûr, il avait compris que pour obtenir de bons résultats avec elle, il devait avant tout lui donner ce que les autres ne lui avaient jamais donné: de la sincérité ! Et s'il voulait pouvoir se séparer d'elle après avoir accompli son travail d'ange gardien, il devait donc aig ainsi. Mais plus le temps passait, et plus il sentait que lorsque le moment de lui dire adieu viendrait, la séparation serait difficile pour lui. Peut être était il en train de se tirer une balle dans le pied en essayant de l'aider à ce point ? Mais pour autant, il ne pouvait pas s'en empêcher...

Et en apprendre davantage sur son passé et sa famille n'avait fait qu'attiser ce désir de lui venir en aide. La rendre à sa mère pour qu'elle fasse d'elle à nouveau sa marionnette, sa pompe à fric, sans se soucier un seul instant de savoir si sa fille n'était pas en train de crever à petit feu à cause de cette vie qu'elle lui faisait mener...
Le qualificatif de bourreau était selon lui plus approprié que celui de mère, mais c'était avant tout son avis personnel...

Il se leva finalement, conscient qu'il avait à peu près dit tout ce qu'il avait à dire. La décision était difficile à prendre, mais c'était une chose que seule Eri pouvait décider. C'était à elle de prendre conscience de sa situation, et des implications que chacun des choix qui s'offraient à elles possédaient. Aucune des voies n'était simple, mais selon Chris, une seule voie lui permettrait de survivre. Si elle retournait auprès de sa mère, elle n'y survivrait pas. Oh, pas physiquement, bien sûr, quoi que... Mais plutôt mentalement... Elle n'aurait probablement jamais la volonté de vouloir continuer. Il visualisait déjà une Eri, le corps inondé sous les feux de la rampe, mais le regard éteint, sans vie. Il ne voulait pas cette fin pour elle. Mais ce n'était pas à lui d'en décider. Cela passait avant tout par une prise de conscience de la première concernée par tout ça. Et pour ça, il allait lui falloir du temps.

A l'instant où il se tourna vers elle, décontracté, la jeune fille intervint d'une voix faible, et son air décontracté s'envola en fumée: elle voulait son numéro de téléphone ! Jamais Chris n'avait donné ce numéro à qui que ce soit. Et jamais il ne prévoyait de le faire ! C'était une sorte de blocage chez lui, car il était persuadé que n'importe qui pourrait alors s'en servir contre lui, pour le repérer, ou bien le faire venir quelque part, le faire tomber dans un piège. Il garda le silence, fixant la jeune Eri, hésitant...
Elle ne voulait pas lui dire au revoir. C'était pourtant le moment idéal. Il avait fait son travail. S'il voulait disparaître, il n'aurait peut être pas de meilleure occasion...

Pourtant, il plongea son regard dans celui de la jeune fille, et sa volonté se brisa aussitôt. Il avala difficilement sa salive avant de hocher difficilement la tête.
- D'accord... Donne moi ton téléphone, lui murmura t'il doucement.
Il lui nota alors son numéro, avant de lui rendre son téléphone.
- Tiens, voilà mon numéro. Si jamais ça ne va pas, tu m'appelles, ok ? Je serai à l'université, si jamais tu as besoin de moi, et je viens toujours courir régulièrement au campus du lycée.
Il lui offit un léger sourire, puis:
- Tâche de réfléchir à ce que je t'ai dit, d'accord ?

Là dessus, il s'éloigna lentement en lui faisant un petit signe de la main.