[2018] Le recrutement Rock qui continue

Lélé avait encore du brouillard de fatigue dans les yeux quand elle entra dans le bar. On pourrait croire dans sa profession qu'elle ne se prenait pas au sérieux, il n'en était rien. Elle préparait et réfléchissait de longues heures ses cours ayant pour but de rendre heureux les élèves dans cette prison-éducative. Elle était persuadée que le bonheur et la musique allaient ensemble. Alors comment aller vers l'enseignement de la musique si on n'entendait plus celle de la vie ? La séance de demain lui trottait encore dans la tête quand elle aperçut le petit groupe à une table, elle reconnut un de ses élèves, Lysander, et sourit. Elle s’approcha d'eux pour aller les saluer joyeusement.

«  Alors Lysander on fait l'école buissonnière ? » dit-elle dans un clin d’œil pour signifier qu'elle plaisantait au concerné. Elle se retourna vers les autres : «  Melody c'est ça ? » Lélé tira la langue se la mordant légèrement signe de son embarras : «  Je tente de retenir tous les élèves alors dis moi si je me suis trompée ! »  Elle se retourna vers Alexei un peu gênée : «  Si je suis venue c'est uniquement pour veiller sur ces deux chenapans, je ne sais pas si j'arriverais à... » Elle se tut, les larmes montaient, elle prit une inspiration et dans un rire un peu forcé ce qui était rare chez Lélé, elle ajouta : «  Jouer à nouveau du piano ! » Ses parents, l'enquête piétinait mais elle refusait de se laisser abattre. Même si elle avait de plus en plus de mal à faire garder espoir à sa petite sœur. Elle avait la mélodie de la vie avec elle non ? Et puis il y avait le chat Marbou, lui aussi voulait sûrement les revoir. Elle s'aperçut que ses yeux étaient plein de larmes, elle essuya son visage et dit dans un sourire un peu trop doux pour ne pas être triste.

«  Melody, Lysander, si ça se sait à l'école...je pourris votre bulletin OK ? »

Elle n'allait pas le faire tous les savaient mais c'était sa pire menace et sa préférée aussi. Elle s'étira se retournant vers le leader du groupe, elle n'avait pas honte de pleurer ou de rire mais elle ne voulait que donner du bonheur à ses élèves, elle serait brave. Elle ne savait pas non plus qu'ils seraient là, en vrai c'était un défi personnel la réponse à cette annonce, reposer ses mains sur un piano en dehors des cours comme avec papa, maman autrefois...Ah ce que sa petite sœur Tutur était heureuse en l'entendant jouer quelque soit l'instrument. Mais bien que son autonomie soit à la guitare, elle avait commencé le piano avec son père dés son très jeune âge.

Elle allait se présenter au leader mais elle n'en eut pas le temps, un enfant peut-être cinq ou six ans pleurait réclamant ses parents, comme Tutur à présent. Comme Tutur...Elle s’approcha du gamin et le mit près d'elle sur la chaise d'un synthé après avoir demandé au bar, bien que la réponse se résumait à un sourire et pouvait donc ne pas être perçue, elle avait le OK du musicien.

L'enfant hoqueta des sanglots mais se calma un peu. Elle hésita en regardant autour, c'était comme se mettre en maillot de bain à une piscine, elle avait un peu peur, tous ses inconnus, c'était bien différent qu'en classe. Mais le gamin recommença à hurler. Elle décida donc de lui jouer ce qu'elle jouait depuis des années à Tutur quand elle se sentait mal ou avait une crise. Elle demanda son prénom au petit garçon avec un tendre sourire.

« Peter, Madame... » hoqueta l'enfant entre deux sanglots. Elle lui sourit : «  Eh bien Peter, moi c'est Lélé, et je vais jouer pour toi, et ta maman reviendra ! »

«  Promis ? » hoqueta l'enfant. « Promis Peter ! » répondit Léléanne, elle prit une inspiration et commença à jouer la chanson préférée de Tutur ces dernières années :The A Team de la chanteuse Birdy, ce fut d'abord timide puis son talent se libéra, elle jouait magnifiquement, et chantait de sa si belle voix, elle était dans le monde de la musique qui ne faisait plus qu'un avec elle. Elle n'avait plus peur.

Quand elle eut fini la mélodie et la chanson, le bar était silencieux comme abasourdi du talent de ce petit brin de femme, mais elle elle voyait juste l'enfant lui faire un grand sourire qu'elle lui rendit heureuse et sans plus aucune peur ou doute.

Soudain une voix : «  PETER ! » L'enfant se retourna et tout sourire s'exclama à la dame un peu beaucoup maquillée : «  MAMAN ! »

L'enfant éclata d'un rire heureux qu'accompagna Lélé assez vite.

«  Vous aviez raison Madame la musique c'est magique ! » dit le petit garçon.

Il fila alors serrer fort sa maman. Lélé sourit tendrement puis retourna vers le groupe et dit joyeusement :  « Bon...où en étions nous ? »

Elle était heureuse Lélé, oui, Peter avait raison la musique était vraiment la plus grande des magies.

Lélé se mordit la lèvre, elle regrettait de leur avoir menti. Le temps de la vérité était venu.

« En vrai je ne suis pas venue vous surveiller. »

Embarrassée Léléanne rit, avant que sa voix s'assombrisse : « Mes parents aimaient trop le piano pour aimer ma petite sœur géniale et handicapée. Alors ils sont partis...Je suis venue en Angleterre pour les retrouver.  » Nouveau rire gêné avant un : «  Donc désolée de vous avoir menti, appelez moi Lélé et tutoyez moi ! Laissons les cours au placard pour une fois ! »

Elle entendit la demande de Mélody mais c'était à Lysander d'y répondre alors elle le laissa faire avant d'ajouter : «  Quant à mes capacités, je peux essayer de répondre à vos attentes ! » Elle mit une main derrière la tête dans un : «  En espérant y arriver ! »

« Ouais Lélé ! » cria un client du bar qui n'était visiblement pas sobre mais qui était le propriétaire du synthétiseur et voulait bien lui prêter. Alors elle se rassit sur la chaise et posa ses mains sur les touches, ce n'était plus la Lélé timide mais intrépide et perchée des cours non elle était devenue soldat, soldat contre la tristesse, soldat contre la peur et ce grâce à la musique. Et suivant l'ardeur de sa musique au piano elle ne put s'empêcher de murmurer de sa si belle voix :

« I am a man who walks alone
And when I'm walking a dark road
At night or strolling through the park

When the light begins to change
I sometimes feel a little strange
A little anxious when it's dark »


Elle marchait seule en l'obscur de sa vie mais il y avait tous ses gens autour Tutur, ses élèves, le peut-être futur groupe de Rock, et Marbou le chat aussi.

« Fear of the dark, fear of the dark
I have constant fear that something's always near
Fear of the dark, fear of the dark
I have a phobia that someone's always there »

Sa voix était devenue aussi énergique que son jeu au piano, mais elle continuait brisant la fatigue naissante, écrasant par la musique le frissons de terreur, ses mains criaient à l'aide, elle suait à grosses gouttes donnant le meilleur d'elle même.

« Have you run your fingers down the wall
And have you felt your neck skin crawl
When you're searching for the light ?
Sometimes when you're scared to take a look
At the corner of the room
You've sensed that something's watching you »

Dansant jusqu'à ses veines, battant comme son cœur dans cette course elle continuait de jouer avec une telle force et une telle énergie que le propriétaire du synthé en fit tomber son sixième verre d'alcool.

« Fear of the dark, fear of the dark
I have constant fear that something's always near
Fear of the dark, fear of the dark
I have a phobia that someone's always there »

C'était loin d'être fini, elle allait les retrouver oui et elle les gronderait et ils rentreraient à la maison, ce marathon de la vie était loin d'être terminé.

« Have you ever been alone at night
Thought you heard footsteps behind
And turned around and no-one's there?
And as you quicken up your pace
You find it hard to look again
Because you're sure there's someone there »

Sa voix s'exclamait, ses doigts vivaient justes et à toute vitesse, on ne l'aurait presque pas reconnue si vive si énergique et combattante avec férocité la Lélé.

« Watching horror films the night before
Debating witches and folklore
The unknown troubles on your mind
Maybe your mind is playing tricks
You sense, and suddenly eyes fix
On dancing shadows from behind »

L'ombre partait et elle devenait lumière et la musique explosait dans tout le bar. Puis le bouquet final, pulvérisant la tristesse, guerrier sans peur qui frappe fort la peur : Une musique qui avait l'envol et l'invasive éclat de mille flammes.

« Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark
Fear of the dark »

Elle déposa ses mains sur le clavier épuisée avant de tourner son regard vers les deux jeunes gens :

« Je ne sais pas trop si cela rentre dans vos critères mais j'ai fait au mieux. »

Elle reprit son sourire doux de d'habitude, essoufflée, en sueur. Mais elle n'avait plus peur, oui elle n'avait plus peur.