[2018] Un repas de famille mouvementé

J'étais nerveuse. Très nerveuse même. Impossible pour moi de tenir en place malgré le fait que je devais encore m'aider des béquilles pour me déplacer. Vivement que je puisse les dégager, ça m'énervait de les avoir. Enfin au moins au niveau des côtes ça allait beaucoup mieux. Quelques semaines de repos et c'était bon. Le médecin m'avait quand même conseillée de ne pas faire trop la folle car même si ce n'était plus aussi douloureux, il fallait tout de même un petit temps avant que ce ne soit totalement remis.

Bref, pour en revenir à mon souci principal aujourd'hui, c'est le repas prévu par mon frère. J'étais très heureuse de pouvoir aller manger chez Alexei, contente de revoir madame Skies mais surtout très stressée d'y aller avec Austin. Alexei m'avait clairement fait entendre sa méfiance qu'il avait envers lui et Austin n'était pas du genre à se laisser marcher dessus. Deux caractères de cochon réunis dans la même pièce, je n'étais pas sûre que ce soit une excellente idée. C'était bien leur rencontre que je craignais.

J'avais donc bien entendu demandé à Austin hier soir s'il serait disponible pour le repas et fort heureusement – ou malheureusement, j'hésite encore – c'était le cas. Munie d'un petit sac qui contenait mon téléphone, mon porte-monnaie et surtout mes médicaments, je me rendais donc avec mon petit-ami à l'adresse où vivait mon frère. Je stressais encore sur le chemin. Je tentais d'avancer calmement avec mes béquilles avec le petit sac qui se balançait à cause des mouvements mais ce n'était clairement pas gagné.

- Il est très protecteur avec moi alors ne soit pas vexé s'il ronchonne contre toi. Il veut juste me protéger et veiller sur moi.

Plus on approchait de notre destination, plus mon angoisse montait. Au point qu'une fois arrivée devant la porte de l'appartement, je serrais vraiment fort les poignées de mes béquilles. Je stressais à mort. Je toquai à la porte avec une grosse appréhension de ce qu'il pourrait se passer durant cette soirée. Ce fut Emilie qui nous accueillit en premier. Je la saluai poliment en entrant. Je n'allai pas bien loin avant de me stopper net pour fixer mon frère....qui jouait avec un bébé. Grosse surprise. De nombreuses questions se mélangeaient rapidement dans ma petite caboche. Il avait eu un enfant caché ? C'était celui d'un autre et Alexei était la nounou pour la soirée ? D'où il venait ce truc ?! Je savais que contrairement à moi, lui il n'avait jamais voulu de gosse. Moi je m'étais toujours dite qu'un jour, j'aurais ma propre famille avec des tonnes de gosses – j'étais plus jeune, je ne faisais pas attention à la dose de mioches à avoir – etc. C'était cependant un rêve que j'avais vite abandonné durant mon adolescence. Je l'avais même rayé de ma liste. Mais Alexei n'avait pas changé d'avis sur ce sujet aux dernières nouvelles alors oui, le voir faire le con avec un bébé ça me surprenait. J'en restais bouche bée. J'avais littéralement bugué. Comme si mon cerveau me sortait un « error 404 ».

- Euh...A-Alexei je...'fin....Salut.

Adieu l'assurance et bonjour le stress, l'intimidation et les maladresses à gogo.

- D'où ça vient ça ?

Je pointai du doigt le bambin pour le désigner.

- J'savais pas que t'avais eu un môme. C'est celui de Lydia ?

Vous n'imaginez pas à quel point j'espérais que ce ne soit pas le cas. Je n'avais jamais apprécié son ex et savoir que cette connasse avait fait un enfant à mon frère, ça me ferait vraiment chier. Sans attendre la réponse de mon frère je regardai Emilie avec encore trop de questions en tête.

- C'est le vôtre madame Skies ? Vous aviez déjà un enfant en venant à l'institution ?

Trop de questions mais surtout trop de théories et de films que je me faisais. Pour le coup j'en oubliais même de présenter Austin alors que c'était aussi pour ça qu'Alexei m'avait demandé de le faire venir. J'écoutais à peine les réponses qu'on me donnait, une odeur venait d'attirer mon attention. Une véritable girouette qui avait du mal à tenir en place et à rester concentrée sur une chose à la fois. Je m'avançais vers la cuisine en souriant. Je reconnaissais très bien l'odeur. C'était celle d'un plat que ma mère faisait parfois. Je regardais ensuite Austin avec un grand sourire sur les lèvres.

- T'as déjà goûté les plats russes ? C'est super bon ! Enfin ça dépend aussi des plats et des goûts de chacun...

Et là, je tiltais enfin ce que j'oubliais de faire depuis notre arrivée. Mieux vaut tard que jamais. Je regardais donc la petite troupe pour régler un petit détail important.

- Ah au fait, j'oubliais les présentations... Du coup, Austin voici Alexei et Emilie. T'as peut-être pu la croiser, elle travaillait à l'institution avant. Enfin bref, Alexou, madame Skies, voilà Austin. Et....euh...j'voulais dire quoi déjà ? Ah oui ! Interdiction de vous massacrer tous les deux.

Je pointais évidemment Alexei et Austin en connaissant suffisamment leur caractère pour craindre vraiment le pire alors je préférais leur dire directement ce que je ne voulais pas voir entre eux. Je finis par m'installer sur le canapé pour me reposer. Okay, c'était juste une excuse pour pouvoir poser les béquilles et les laisser de côté un moment. Je n'avais peut-être plus un plâtre aussi chiant qu'avant mais les médecins m'ont quand même interdit de marcher sans ces trucs pour le moment. Et moi, ça me gonflait alors une pause faisait du bien. JE regardais mon frère et sa petite-amie en souriant.

- Oh et ne vous inquiétez pas, Austin a peut-être une gueule d'ourson grognon mais c'est sa tronche habituelle.

Je taquinais Austin évidemment. Enfin presque. Je pensais réellement qu'il avait une tronche d'ours grognon même si au fond, il était gentil. Je tirai donc la langue à mon petit-ami pour lui faire comprendre que je ne faisais que plaisanter un peu.

Austin n'avait vraiment pas l'air à son aise. Même en m'agitant de tous les côtés, je pouvais voir et surtout sentir son malaise. C'était compréhensible. Moi-même je n'étais pas très à l'aise non plus dans notre situation. Participer à un repas de famille me faisait plaisir bien sûr mais rencontrer un bébé et présenter mon petit-ami, c'était embarrassant. Je me demande d'ailleurs si c'était aussi le cas pour mon frère et sa copine. Celui-ci me présenta d'ailleurs le bébé, me rassurant par la même occasion sur sa provenance. Il n'était pas la conséquence de ses diverses cochonneries avec son ex. Néanmoins même l'adoption restait surprenante venant de sa part.

Je continuai à m'agiter dans tous les sens, fis les présentations dans le même temps avant de m'asseoir sur le canapé. Ca faisait du bien de poser les béquilles et de ne pas galérer pour marcher. J'en profitai pour essayer de rassurer Alexeï concernant Austin, lui faisant comprendre qu'il n'était pas toujours un ourson grognon. Cette remarque me valut un regard de la part du concerné mais ça ne m'impressionna pas et je le prouvai en lui tirant la langue. Cependant cette même remarque ne sembla pas rassurer mon frère. Il fit clairement comprendre son ennui. En gros, Austin ne devait pas me toucher. Bah bravo. On ne ressemblait pas du tout à un couple si on ne pouvait pas se toucher...

Heureusement Emilie essayait aussi de remonter un peu le niveau et l'ambiance. C'était pas croyable. Les homme étaient aussi bougons l'un que l'autre et les filles étaient les seules à vraiment essayer d'avoir de bons rapports. Je demandai un simple soda à Emilie puis la laissai discuter un peu avec Austin. Pendant ce temps, mon attention revint sur mon frère qui me demandait comment je me sentais en apprenant cette nouvelle situation. Comment dire les choses sans le vexer ? Pas la moindre idée. Tant pis. Au pire il mettrait ça sur le compte de ma maladresse. C'était mieux que de lui mentir. De toute façon même si je tentais de le faire, il le saurait tout de suite.

- Euh ben...rien de spécial en fait.

Même si le ton utilisé était neutre, presque je m'en foutiste, il ne fallait pas croire que je m'en fichais totalement. Bien au contraire. J'étais contente de voir que mon frère débutait enfin sa vie à lui – bien qu'au fond ça me faisait peur quand même – mais en même temps, être tante ne changeait rien à ma vie en soi. Et puis cela changerait encore moins en sachant que je ne risquais pas d'approcher le bébé. C'était trop dangereux pour lui et pour mon mental déjà instable.

Je jetai un petit oeil vers Emilie et Austin afin de voir s'ils avaient fini de faire connaissance ou s'ils étaient encore en train de discuter ensemble. Dès que je vis qu'ils n'étaient plus aussi occupés, je repris la parole en m'adressant au couple, reprenant  une conversation comme si de rien n'était. Je ne savais pas trop quoi faire pour améliorer l'entente entre les deux mâles, ni comment faire pour qu'Austin se sente plus à l'aise. Je me disais que commencer une discussion quelconque allait détendre l'ambiance.

- Au fait, quoi de neuf à part l'adoption ? J'ai pas eu l'occasion de vous demander comment était votre voyage non plus. C'était bien j'espère ! De mon côté y a pas grand-chose de neuf à part ben...Austin. Pis l'hôpital aussi....

Rien que de repenser à ce qu'il s'était passé à l'hôpital, je ne pouvais pas m'empêcher de rougir. C'était bien quelque chose à vraiment cacher. Alexeï était déjà grognon et refusait qu'Austin me touche alors je craignais déjà sa réaction s'il savait ce qu'il s'était passé durant mon séjour à l'hôpital. Je n'allais non plus pas lui dire qu'avant de nous mettre ensemble, Austin me martyrisait, me torturait, me frappait, m'humiliait, me rabaissait, et j'en passe. Alexeï le tuerait sur place et je voulais justement éviter le meurtre.

Que ce soit Emilie ou moi-même, toutes deux ratons nos tentatives d'apaiser l'ambiance des lieux. Personne n'est à l'aise pour ce repas mais les mecs sont ceux qui font le moins d'efforts. Ils se regardent plutôt comme deux chiens prêts à se sauter dessus. Entre Alexeï qui surveille Austin par simple esprit protecteur et Austin qui ne se laisse juste pas impressionner, c'set dur d'avoir une ambiance détendue.

Emilie parle un peu avec Austin et fait donc connaissance avec lui tandis que de mon côté, j'essaie d'apaiser mon frère trop méfiant. J'écoute toutefois distraitement la discussion entre Emilie et Austin et me retiens de faire le moindre commentaire lorsqu'il parle de chien nommé Médor. Je sais bien qu'il parle de moi et qu'il se fout de ma tronche. Cependant si je réagis, Alexeï va croire qu'Austin me traite mal et il va sortir les crocs. Et cette fois s'il le fait, ça ne sera pas seulement pour grogner. Ca sera pour mordre.

Je change finalement de sujet et m'intéresse sur le voyage que le couple a fait durant mon séjour à l'hôpital. Séjour qui me laisse un souvenir encore très troublant. Cependant je crois que mes rougeurs au visage ont mis la puce à l'oreille de mon frère. Celui-ci me demande de le suivre à la cuisine et je sais très bien que ce n'est pas pour vérifier son plat. Je peux être idiote mais il y a des limites. Je connais très bien Alexeï pour savoir qu'il n'a pas besoin de moi pour la cuisine. Je me lève donc et le suis en laissant les béquilles au salon. Flemme de les employer. Alors je sautille à travers la pièce pour suivre mon frère et me rendre à la cuisine. Une fois là-bas, je sens bien que mon frère s'inquiète beaucoup. Quand il me parle en russe, c'est rarement bon signe. Surtout dans ce genre de situation.

- Non il me traite bien. À l'hôpital il avait même accepté de rester près de moi alors que normalement les visites étaient finies.

Je ne sais pas si ça suffira à le rassurer mais il faut bien que je montre à mon frère qu'Austin n'est réellement pas un connard contrairement à ce qu'il montre. Et puis Austin est au courant de mes problèmes psychiatriques et pourtant il m'accepte telle que je suis. Et à l'hôpital, il est resté durant la nuit alors que moi j'avais peur de rester seule dans ce lieu. Sous ces airs d'ours grognon, Austin est vraiment un bon type.

- C'est promis....

Je ne peux pas jurer et encore moins sur la tête de quelqu'un. Surtout lorsque celle-ci est morte. Je préfère donc utiliser le terme de promesse.

- Mais tu sais, Austin est vraiment un bon type contrairement à ce qu'il en a l'air.

Emilie fait un bref passage pour avertir Alexeï qu'elle va coucher le bébé. Etant donné qu'il n'a pas réellement besoin de moi pour la cuisine et que j'ai tenté de le rassurer, je me remets à sautiller sur un pied pour retourner au salon. J'en profite pour « sauter » au cou d'Austin en souriant. Et pour bien le narguer, je lui dépose un bisou sur le cou avec un sourire moqueur.

- T'es trop sage toi. J'vais en profiter pendant que tu ne peux pas encore te venger.

Et pour en profiter, rien de tel que de rester contre lui avec les bras autour de son cou. Si je me lâche un peu, ça permettra peut-être de rassurer un peu plus mon frère et il se lâchera peut-être un peu lui aussi. Et pareil pour Austin. Ca le motivera peut-être à se lâcher un peu aussi. Bref je tente encore de détendre l'atmosphère et en particulier entre les deux hommes.