Jake Milize

Avant, j’étais une personne tout à fait banale, un petit garçon comme les autres, né dans une famille modeste sans vraiment d’attache ou quoi que ce soit de particulier. Alors, bordel à partir de quand tout est parti en couille ? Moi, je voulais juste vivre une vie simple et tranquille dans ce monde de merde, et maintenant, je me retrouve assis. Merci Jake, pourquoi tu te plains d’être assis ? Parce qu’on ne m'avait pas prévenu que je perdrais mon poignet en embrassant cette carrière. Mon regard quitta la table pour regarder la personne suivante s’approcher me tendre un des sweats de la nouvelle collection. Bravo, tu payes cent vingt dollars pour un produit pour que je le signe au marqueur. Pigeon va.

« Jake, Jake, Jake ! Je peux prendre une photo ?! C’est pour rendre mon petit ami Jaloux ! »

Pas besoin de répéter mon nom trois fois, tu ne vas pas l’invoquer ta photo ma chère. Et puis je m’en fol un peu de ta raison, fait ta vie, moi je fais la mienne. Que ce soit pour gagner un accès à la maison blanche où pour te caresser tous les soirs dessus, c’est ton problème. J’allais refuser, mais un regard glacial de ma manager me persuada du contraire. Et merde. « Bien sûr. » Elle mima un sourire de ses mains. J’ai compris, je vais faire un effort, mais bon, compliqué de sourire quand tu as une fille pleine de transpiration qui est en train de te coller comme une sangsue anémique. C’est quand le flash m’éclata les yeux, que toute ma vie commença à re-défilé dans ma tête, comme pour me dire que j’avais assumé tout seul d’en être arrivé là…

Tout a malheureusement commencé il y a douze ans. J’étais jeune à l’époque. Je le suis toujours en vrai, mais moins. Je n’étais pas un gosse exceptionnel non plus, pas mauvais en cours, un peu au-dessus de la moyenne, en même temps, on parle de l’école élémentaire pas d’Harvard. Le monde s'était dit : lui mon pote, ça va être un mec banal dans sa vie. Puis, juste après y a le stagiaire à la gestion du service création qui est passé devant l’écran, il a vu la vie de mes parents, des personnes humbles à qui la vie n’avait vraiment jamais souris. Il a lâché un « Moooh ». Puis une petite larme. Et il a fait le con. Il s’est dit « Bon La stat charisme et beauté des parents normalement, on additionne et on divise par deux. Là, je vais multiplier héhéhé » et paf, ça m’a donné moi. Et du coup, on en arrive à la situation de départ de tout ce bordel. J’ai sept ans, je me balade en ville avec ma mère. Jusque-là, tout allait bien quand soudain.

« Excusez-moi madame ! Mais votre fille est magnifique, ça vous intéresserez une séance photo pour notre agence de mannequinat. »

Votre quoi ? Aurais-je mal entendu ? Tu me cherches grand-mère. Tu perds la boule, moi, j’ai une paire de boules ! Je ne suis pas une fille ! Ça se voit non. Hein, ça se voit ! Maman ? Oh que non-surtout pas. Je sais qu’on ne roule pas sur l’or, mais ne me lance pas ce regard, et puis de toute façon, il ne cherche probablement pas de petit garçon donc c’est mort. « Oh, mon Dieu, c’est vrai qu’on a été chanceux sur notre bout de chou, mais je ne me serais jamais attendu à ça. Pourquoi pas, c’est toujours bien d’essayer, et puis ça te fera un bon souvenir »  Vraiment ? Tu me vends. Et en plus, tu me travestis. Sale traîtresse. Enfin, ils vont bien se rendre compte que je suis un garçon au moment de me faire essayer de toute façon.

En soi, ma mère n’avait pas respecté son enseignement le plus basique de ne jamais suivre un inconnu dans la rue. Mais pour une fois, ce n’était pas un mauvais choix. L’endroit dans lequel je venais d’entrer était magique. Une grande salle, avec un éclairage digne d’un film hollywoodien, une scène sur un fond blanc prenant le centre de la pièce, et sur les côtés, plusieurs sièges sur lesquels étaient installés des adultes en train de se faire pouponner par d’autres personnes avec une dextérité forte impressionnante. Et tout ça dans une organisation légendaire. Un jeune homme apporta un café et un croissant à ma mère tandis qu’on me kidnappait après un petit geste de la dame nous ayant abordé dans la rue. Mes yeux étaient en semblable à des warnings, ne s’arrêtant pas de clignoter sans que je comprenne vraiment le monde qui m’entoure. «  Oh, mais c’est une petite perle que tu me rapportes, je suis sûr qu’elle va être magnifique »

Le prochain qui dit « elle », je vous jure que je l’étripe avec mes canines de gosses. Pourtant, je n’osais pas bouger d’un centimètre. Une légère toux s’échappa de ma gorge quand elle commença à tapoter de la poudre sur mes joues, c’était vraiment nécessaire tout ça ? J’avais l’impression de luire comme une luciole, et puis je n’ai jamais dit oui d’ailleurs. Où est le consentement dans tout ça ? Au viol ! J’avais vraiment l’impression qu’on essayait de m’étouffer sous une tonne de produit, et pourtant mon reflet dans le miroir ne faisait que s’embellir, faisant ressortir tous les aspects positifs de mon visage et de ma peau. Intéressant ce concept qu’est le maquillage. Le rendu du maquillage matinal de ma mère n’était clairement pas aussi qualitatif. Au grand mieux elle arrivait à cacher ses cernes et ses rides naissantes. J’étais beau, rayonnant même. J’étais toujours moi, mais en mieux. J’avais enfin l’impression de sortir de la catégorie normale de ce monde. Et c’était étrangement agréable.

Mes yeux s’assombrirent légèrement en voyant la personne m’ayant maquillé revenir accompagnés d’une autre personne avec une robe dans les mains. Bon, et bien préparez-vous au choc, je vous aurais prévenu. « Bon, Jake, je me doute que ça doit être tout nouveau pour toi tout ça ! Tu as un très joli visage donc la séance devrait à peu près bien se passer et tu pourrais même devenir un modèle à part entière si ça te tente que ta mère est d’accord bien évidemment » Jake. Serait-ce un complot ? Mère, j’en étais sûr, vous êtes une traîtresse à votre sang de la pire espèce « malheureusement aujourd’hui, c’est le shooting de la collection féminine qui était prévu, mais tu as des traits très fins, donc ça ne posera pas de problème. Enfin, si ça ne te dérange pas bien sûr. Si ça se passe bien et que les photos sont bien, tu seras sur le magazine avec les autres modèles de ton âge » mon regard chercha celui de ma mère pour essayer de me sortir de ce pétrin, et mon cerveau eut un déclic brutal en voyant son regard tout souriant et fier. J’ai envie de dire, c’est quoi une robe en échange du sourire d’une mère.

Bizarrement, le jour où l’on m’a habillé d’une robe est devenu l’un des plus beaux jours de ma vie. Je m’étais éclaté comme un fou à faire les différentes poses sous les projecteurs pour mettre en valeur la robe sous toutes ses coutures, écoutant avec soin les instructions des professionnels jusqu’à que la séance se termine. Petit jus de fruit avec un croissant pour fêter la fin de cette heure intensive de travail, puis la gérante s’approcha tout doucement de moi un sourire radieux bloqué sur ses lèvres. « Jake, Madame, auriez-vous quelques instants pour discuter avec moi dans mon bureau. »

Très intimidant. C’est la sensation que je ressentais actuellement. En face de moi était présent deux personnes, la directrice ou comme je l’appelle la folle qui chope des enfants aléatoires dans la rue et à côté d’elle, calme comme une image comme s’il avait peur que le monde s’écroule sous ses pieds un homme à l’allure peu rassurante. « Je vais aller droit au but, les photos sont parfaites. Peu importe la tenue et pourtant, c’était un shooting féminin. Ce que j’aimerais te proposer Jake. C’est de participer à nos shootings de façon générale. Féminin ou masculin. Bien évidemment vu ton âge, le planning s’accordera suivant tes cours. Pour ce qui est de la rémunération, nous serons sur un 80 % des droits à l’image et toutes autres royalties ainsi qu’une partie de la somme versée par l’agence ou le magazine. Bien évidemment, tes parents vont devoir ouvrir un compte à ton nom qui sera accessible à partir de tes seize ans. »

Mon visage s'illumina, j'avais trouvé ça presque facile. Ma mère me jeta un petit regard pour confirmer mon approbation, et sortit un stylo pour signer le contrat en voyant le grand sourire présent sur mon visage. C'était le début d'une grande carrière.
Vous n'avez jamais eu l'impression que le temps passe vite. Beaucoup trop vite même ? J'avais l'impression d'avoir simplement cligné des yeux et pourtant, j'étais dans mon agence depuis bientôt un an. Enchaînant rencontre sur rencontre et shooting sur shooting, et tout ça sans jamais me fatiguer ! J'avais le pouvoir d'aider mes parents, et en plus sincèrement, je m'éclatais comme un petit fou.

Nous venions de finir un shooting, j'étais seul dans la petite loge réservée pour le maquillage et changée de tenue. La porte s'ouvrit tout doucement sur un visage familier maintenant, celui de mon manager qui m'avait été assigné au début de ma carrière. Mais à part son aspect un peu louche, il était plutôt fiable et avait jusqu'à présent bien géré mon planning. Au moment où j'allais tourner la tête, quelque chose d'humide se pressa contre mon visage et il ne me fallut pas très longtemps pour que mon cerveau s'éteigne complètement.

« Vous avez vu Jake. Il n'est pas dans sa loge. » « Il est parti avec son manager, il a dit qu'il le ramenait chez lui, car il était trop crevé. Il ne vous a pas prévenu. » « Appelle la directrice tout de suite, et la police aussi, une famille s'est plainte y a une semaine de lui. Apparemment, il avait touché leur fille de façon autre que professionnel... »

Mes yeux s'ouvrirent lentement, j'étais en face d'un miroir, habillé d'une robe venant des dernières collections qu'on avait reçu. Quant à l'endroit ? Une sorte de grenier mal rangé rempli de poupée plus flippante les unes que les autres. Puis une voix parvint à mes oreilles, me faisant sortir de mes premiers songes, me permettant de me rendre compte que j'étais complètement attaché.

« Ah Enfin ! Je voulais que tu voies à quel point je t'apprécie, mais tu as dormi tellement longtemps. Je suis tellement content d'être venu bosser dans ce pays, on voit des beautés comme toi, ça vaut tout l'or du monde. Maintenant fait un beau sourire que je prenne quelques photos… »

J'essayais de crier, mais aucun bruit ne voulait sortir de ma gorge. Je le voyais juste approcher lentement avec sa caméra. Puis j'ai commencé à sentir ses mains remonter le long de ma jambe, de plus en plus haut, relever la robe qu'il m'avait mise. J'avais envie de vomir. J'étais impuissant.

Mon regard se perdit dans le vide, mon cerveau se bloquant de lui-même comme mécanisme de défense. Ne plus penser. Ne plus réagir. Il finira bien par se lasser. Pourtant, j'avais l'impression que le temps ne s'écoulait pas. Une douleur me réveilla d'un coup, en même temps qu'un goût cuivré dans ma bouche. « Montre un peu plus d'enthousiasme salope ! » Pardon ? Je pense qu'il y a une erreur dans sa demande. Comment je pourrais être plus enthousiaste alors que je ne souhaite absolument pas ce qui se passe. Puis mon cerveau se coupa de nouveau.

Nouveau réveil, cette fois j’étais seul. Depuis combien de temps étais-je enfermé ici ? Je pouvais sentir mon ventre qui gargouillait, ma gorge desséchée et mes poignets m'élançaient dès que j'essayais de bouger un peu les mains.

Le silence était pesant, ou était donc passé ce psychopathe. Ma mâchoire se crispa d’elle-même en pensant à ce qu’il pourrait me faire par la suite. Il avait déjà souillé mon corps de ses mains dégueulasse. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à perdre espoir en l’humanité, je crois bien. C’est uniquement après… Sincèrement je ne sais plus combien de temps, j’ai complètement arrêté de compter à partir du moment où il a posé ses mains sur moi, tout ce que je sais c’est que la nuit était tombée dehors. La pièce s'était assombrie, ne voyant plus qu’un faible reflet de moi-même dans le miroir. J’avais perdu de ma splendeur avec les cernes marquant mes yeux, ou peut-être était-ce simplement des ecchymoses et de la chair de poule faisant ressortir ma peau étant dû aux froids et à ce sentiment de peur prenant mes entrailles.

Un bruit sourd d’une porte s’ouvrant à la volée me fit sursauter. Tendant tout mon corps. Il était de retour. Si je n’avais pas été attaché… Aurais-je la force de me défendre ? Au final, tout ça m’arrive parce qu’on pourrait me confondre avec une fille non. Si je me sors d’ici vivant, je ferai en sorte que tout ça n’arrive plus jamais… « Jake ?! »  Cette voix. Ce n’était pas une voix masculine. Mon pied commença à marteler frénétiquement le sol pour signaler ma présence. Et après quelques minutes, le visage de la personne m’ayant fait entrer dans le monde de la mode apparut devant mes yeux, se brouillant très vite à cause des larmes commençant à couler le long de mes joues. Son étreinte était réconfortante, son odeur familière apaisante. Pourtant, j’aurais pu me dire que tout était de sa faute. Mais qui pourrait penser ça alors que cette personne n’ayant aucun lien vraiment personnel avec moi était en train de pleurer encore plus que moi en me serrant dans ses bras comme si j’allais disparaître d’une seconde à l’autre.

Et nous en revenons donc à aujourd’hui, bien que j’essaye de ne pas le montrer en pratiquant régulièrement des sports de combat, en ayant sculpté mon corps et en ayant continué le mannequina cet événement a tout de même laissé des traces indélébiles. Je manque de faire un malaise à partir du moment où je suis complètement seul. Je ne peux pas rester enfermé trop longtemps dans un endroit compact sans péter un câble. Et je ne laisserais clairement plus personne m’habiller en fille. Il m’arrive aussi de piquer des crises de colère si un mec ne fait pas attention à où il touche ou s’il me regarde trop longtemps…

J’ai aussi loupé pas mal de cours à cause de ça, m’étant concentré sur ma carrière pour oublier tout ça. Et le petit dernier point étant… « Tu es sûr qu’on sera tranquille dans ta loge. »

Mes lèvres se plaquèrent sur celle de la jeune femme présente avec moi, je ne profite pas de ma notoriété. Bon peut-être un peu, mais c’est pour un côté positif. Ça me calme, j’arrive à ne pas faire de cauchemars, à ne pas repenser à tous ces événements quand je suis avec une fille. D’après ma psychologue cette attitude de don Juan vient du fait que mon premier contact rassurant après mon traumatisme était un contact affectueux avec une femme. C’est sa façon gentille à elle de dire que je ne suis pas un pervers, je suppose, même si ça pourrait être une raison valable. À mon avis, j’aime juste la compagnie féminine et m’envoyer en l’air.

La porte s’ouvrit à la volée, me faisant me séparer en hâte de ma partenaire avant que mon visage ne vire complètement au rouge. « Sérieusement ?! Attends d’être chez toi au moins non. Sale gosse ! Enfin bref, je viens te parler de… Vous pourriez vous rhabiller et sortir d’ici je vous prie. C’est une affaire privée ! »  Hum. Dommage. Elle était plutôt mignonne. Replaçant ma chemise avant de m’asseoir dans le canapé une moue boudeuse imprimée sur le visage. « Bon, ta mère, moi-même et la directrice nous avons pris une décision. On a accepté de mettre en stand-by tes études depuis trois ans pour que tu te concentres sur tes objectifs de carrière. Ça nous a fortement arrangés, car tu es extrêmement demandé et qu’on était surchargé de demandes pour un planning trop court. C’est toujours le cas d’ailleurs, cependant il y a certains points qui malgré tout ça, ne s’améliorent pas, c’est l’avancée sur tes… Problèmes. Madame la directrice a entendu parler d'une école spécialisée dans ce genre de chose en Angleterre. Il y a déjà eu des stars diplômées là-bas donc je pense qu’ils n’auront aucun problème à gérer les cours et nos demandes pour ta vie pro. Et leur programme t’aidera à avancer sur tes phobies et ta gestion de la colère quand, enfin, tu sais quoi. Et ça te permettra aussi de reprendre des études au cas, tu voudrais lâcher la mode un jour. Ton niveau scolaire actuel avec les essais de cours particuliers correspond à leur seconde année. Tu seras donc un peu vieux par rapport à la moyenne des élèves, mais si jamais tu fais du bon travail, ils pourront probablement te faire sauter une classe où te faire passer des examens en avance et je sais que tu n’as pas que ta belle gueule comme qualité ! Tu feras ta rentrée des classes là-bas en septembre. Et un avion t’attend déjà pour l’Angleterre. Histoire que tu puisses prendre tranquillement tes marques. Voilà voilà… »

J’appréhendais un peu la chose, mais en soi, il était peut-être temps que je me bouge pour régler mes problèmes. « Rassure-moi-vous n’allez pas me filer un tout autre manager et je vais rester affilier à la même boite. » Je m’étais attaché à ma petite équipe et sincèrement, c’était presque comme ma famille. « Aucunement, la directrice reste ici, mais je déménage aussi et normalement le reste des personnes qui ont été avec toi ces dernières années devrait nous suivre. On va ouvrir un bureau là-bas pour que ce soit plus simple de gérer les affaires internationales, ça nous donne une bonne excuse d’enfin bougé de Corée. Je ne te dis pas ce que tu nous coûtais en voyage… »

« Bon et bien, direction le pays de la pluie et des fish & chips »

« C’est extrêmement cliché ça, Jake … »