[France] Filer à l'anglaise [PV. Cassy]

Ah, l’air frais et matinal de Londres. Malgré les clichés que l’on peut avoir sur cette ville, il y fait une chaleur étouffante l’été, en partie à cause de l’affluence et de la pollution. Alors Mathieu se sentait bien en ce début de matinée, même si quelques légers nuages venaient troubler la teinte orangée monochrome qui envahissait le ciel au dessus de lui, mais qui n’empêchaient pas de contempler un splendide lever de soleil. Le jeune homme n’était pas habitué à ce spectacle. Il avait un faible pour les sorties nocturnes, et les réveils à midi. Il ne se levait tôt que par la contrainte, pour aller en cours.

Pourtant, ce matin, il s’était réveillé avec un grand sourire. Ses camarades de chambre avaient dû pester en entendant le réveil sonner si tôt. Peut-être, il ne le saurait jamais. A peine debout, il avait enfoncé ses écouteurs dans ses oreilles, et s’était dépêché de se faire présentable pour son voyage. Il écoutait les musiques qui le mettaient de bonne humeur. Il engloutit rapidement quelques barres de céréales avant de finir de préparer son sac. En à peine une demi-heure, il était prêt. Il avait prétendu ne pas avoir cours pour pouvoir sortir tôt de l’Institution, et il n’avait prévenu personne de son départ. A vrai dire, tout cela lui passait au-dessus de la tête. Même dans le métro, il avait souri, et même laissé sa place à une vieille dame. Qu’avaient toutes ces personnes âgées à se lever si tôt ?

Une fois arrivé devant la gare de Saint Pancras, le sentiment qu’il eut fut l’exact inverse de ce qu’il avait ressenti à son arrivée à Londres. Il était heureux. Il s’était levé tôt avec enthousiasme pour rentrer sur ses terres natales. Enfin pas vraiment, mais la France reste la France. Néanmoins, s’il n’y avait que ça, il n’aurait pas montré tant d’entrain.

Une fois entré dans l’immense hall, il scruta les alentours avec un regard perçant. Mine de rien, si l’on disait de Londres que c’était l’une des capitales du monde, ce n’était pas pour rien. La gare grouillait de monde, déjà. Les hommes et femmes d’affaires devant rejoindre d’autres coins de la ville, ou d’autres grandes villes européennes côtoyaient déjà le personnel du ménage, qui s’affairait à lustrer chaque parcelle de sol afin de garder la gare le plus propre possible. Avec son sac à dos sur une seule épaule, ses cheveux violets, sa main droite dans la poche, et son air satisfait, il faisait assez tache dans le décor noir des tailleurs et autres costumes-cravates. Il avait aussi troqué sa tenue réglementaire de l’école pour une tenue plus banale, même s’il la voulait tout de même assez chic. Il allait monter en classe affaire de l’Eurostar, il s’agissait de ne pas se donner en spectacle non plus…

Tenue de Mathieu (à peu près) :

Après quelques minutes à déambuler vainement dans la gare, Mathieu sortit son portable, se préparant à envoyer un message. A mi-chemin d’un « Je suis à la gare, où es-tu ? », il l’aperçut finalement, à l’autre bout de l’immense dôme sous lequel il venait de s’engager. Cassy Andrews. Si elle n’avait pas été là, il serait certainement toujours dans les bras de Morphée. Pourtant, il effaça son message, et accéléra le pas vers elle, tout sourire, sans pour autant se presser. S’il lui faisait de trop grands signes, elle allait certainement se faire reconnaître… Et il avait envie de passer du temps avec la jeune femme avec qui il avait bu un verre quelques jours plus tôt. Pas avec l’actrice harcelée par des fans envahissants.

Avec son sweat noué autour de sa taille, son sac à dos et ses lunettes aux verres noirs, elle avait parfaitement l’air d’une touriste banale. Une étudiante en voyage à Londres, une fille venue chercher ses parents à la gare,… Pas le déguisement du siècle donc, mais il avait l’air néanmoins efficace, et personne ne parut regarder l’actrice bizarrement. Sauf Mathieu, bien entendu, dont le regard s’était transformé en radar à actrice de films d’horreurs dès son arrivée dans la gare. Ses cheveux mauves devaient être visibles de loin, puisqu’elle le repéra quasiment en même temps que lui, ce qui fait que les deux jeunes adultes se retrouvèrent à mi-chemin l’un de l’autre.

« Salut Math... On y va ? Le train est à quai on a trente minutes pour embarquer. »

« Ça va super, merci ! Ça me fait plaisir que tu... »

Il n’eut jamais le temps de terminer sa phrase. Le « tu » fut emporté dans la course dans laquelle l’emmenait son interlocutrice. A peine eut-elle attrapé sa main qu’il se sentit partir en avant, marchant à vive allure vers le quai indiqué par le tableau central du hall. Il avait encore un certain nombre de questions à lui poser sur l’organisation du voyage, mais elle lui avait assuré s’être occupé de tout. Il lui fit confiance. De son côté, il s’était procuré une box et avait appelé en catastrophe un prestataire d’une société proposant des stages d’escalade sauvage, à flanc de falaise. Les vidéos promotionnelles étaient impressionnantes, voire vraiment flippantes, surtout pour le grand sportif qu’il n’était pas. Les paysages, néanmoins, étaient à couper le souffle, et il s’était dit que le jeu en valait la chandelle. Et puis, tout devait être sécurisé, normalement…

Une fois les contrôles et leur course terminés, Mathieu découvrit le luxe de la première classe. Des sièges spacieux, une climatisation réglée au centième de degré près, une propreté inégalable, un confort inégalable, et un anonymat quasi complet, du fait du faible nombre de passagers dans ces wagons privilégiés. « La grande classe », pensa-t-il. Pendant qu’il admirait le raffinement de la voiture, sa jeune amie s’était affalée en soufflant sur l’un des sièges et s’était excusée de lui avoir pressé le pas sans explication. Mathieu avait bien compris qu’elle ne voulait pas être repérée, mais il avait un doute sur le fait que marcher deux fois plus vite que les autres passagers, la tête baissée, vers les wagons première classe, passe inaperçu. Mais il garda ses états d’âme pour lui. Elle devait être habituée à ce genre de sortie incognito.

Le jeune homme posa enfin ses fesses sur le fauteuil de train le plus confortable qu’elles n’aient jamais connu. Il découvrit alors devant son nez le livre qu’il avait prêté à Cassy, qui le remercia avec un grand sourire. Il la regarda, ébahi :

« Déjà ?! La vache, j’ai mis des semaines avant de le terminer, la première fois… Mais je suis heureux qu’il t’ai plu ! »

Il reprit son bouquin et tenta de le caler dans son sac de manière à ce qu’il ne dépasse pas en lui faisant une bosse dans le dos quand il le remettrait sur ses épaules. Il gigotait un peu comme un enfant sur son siège, posant ses bras sur les larges accoudoirs, cherchant la position où il serait le plus à l’aise. Il avait presque la place d’étendre ses jambes tellement la place était grande.

« C’est la première fois que je monte en première classe, c’est dingue la différence quand même… »

Une voix synthétisée annonça alors un départ imminent, et Mathieu sentit une légère vibration lorsque les portes se fermèrent automatiquement. Avant même que le train ne soit parti du quai, une membre du personnel passa leur apporter deux plateaux de petits déjeuners, avec viennoiseries françaises, jus de fruits frais, confitures, tartines de pain croustillantes, et boissons chaudes : café, chocolat chaud, et thé. Le tout, avec un grand sourire, et un élégant « Bon voyage, et bon appétit ». Mathieu avait déjà mangé un petit déjeuner léger, mais il n’allait certainement pas se gêner pour engloutir l’intégralité du plateau posé devant son nez. L’air enthousiaste, il regarda Cassy :

« Waw… Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que cette journée s’annonce déjà bien ! »

Alors que son cerveau ne savait pas par où commencer, le train se mit à accélérer lentement. Les visages sur le quai se mirent à défiler de plus en plus vite, puis le quai se transforma en une masse de plus en plus informe à travers la fenêtre. La locomotive prenait de la vitesse, destination Paris, quelques deux heures plus tard.

« J’ai un peu de boulot sur le trajet... »

Cette affirmation fit pencher légèrement la tête de Mathieu sur la droite. Du boulot ? Elle avait pourtant pris sa journée, et il ne l’avait pas vue sortir le moindre ordinateur. Et puis, il se demanda à quoi bon pouvait travailler une actrice lorsqu’elle n’était pas sur un tournage. Écrire un script ? Pas son job. Répondre à des mails ou négocier des contrats ? Elle avait forcément un manager qui gérait tout ça. L’air interloqué du jeune homme parut faire réagir Cassy, puisqu’elle développa son projet juste après, ne lui laissant même pas le temps de finir ce qu’il avait en bouche pour lui poser la moindre question qu’il avait en tête.

Lorsqu’elle eut terminé son explication, le sourire de Mathieu atteignait déjà facilement ses deux oreilles. Un film d’horreur ? En avant-première ? Et encore, même largement avant ! A peine avait-elle récupéré les casques et la tablette que Mathieu s’était déjà installé à côté d’elle, sur les sièges extrêmement spacieux de cette quasi-suite d’hôtel. Il ne regardait pas énormément de films, mais il détestait les films d’auteurs à la française. Certainement émouvants et beaux, mais bof, pas vraiment assez dynamiques. Les films d’aventure, d’action, les comédies et les films d’horreur le motivaient plus à aller acheter une place au cinéma, même s’il n’y allait pas aussi souvent qu’il le souhaitait, et que sa culture cinématographique restait relativement limitée.

Bien calé au fond de son fauteuil, l’entrée du train dans le tunnel le fit presque sursauter, puisque le soleil anglais avait soudainement laissé place à une certaine pénombre souterraine, plus inquiétante, plus tamisée. Dans le même temps, l’épaule de Cassy vint se blottir contre lui, ce qui provoqua un deuxième sursaut refoulé pour le cœur du jeune homme. Mmmh, il se contrôlait mieux que la première fois qu’il l’avait rencontrée, mais sa seule présence, son seul contact le mettaient dans des états de quasi euphorie, dans un environnement qui lui était totalement inconnu.

Mathieu tenta de se concentrer sur le film pendant toute la durée du trajet, bien que la situation le troubla rapidement. Il trouvait étrange de voir le personnage paniqué de la jeune babysitter tenter par tous les moyens de survivre, alors que l’actrice était collée à lui, sereine, souriante, lui jetant même quelques regards de temps en temps pour vérifier s’il était bien attentif. Mais dans l’ensemble, Mathieu parvenait bien à suivre l’histoire, et même à prévoir certains screamers. Les scénaristes n’avaient pas dû se fouler trop longtemps, mais, d’après la faible expérience qu’il avait, il trouva le film plutôt bien réalisé et divertissant.

« Alors, tu en penses quoi ? »

Autant être honnête, se dit-il, si elle lui demandait son avis, c’est qu’il devait compter. Même s’ils n’allaient certainement pas changer une scène juste parce qu’un fan l’avait vu en avance…

« Mmmmh… Je te préfère dans la série, pour être honnête. Mais dans l’ensemble c’est vraiment sympa. J’ai passé un bon moment, alors merci de me l’avoir fait voir en avance ! »

Il gratifia l’actrice de son plus beau sourire avant de lui rendre le casque. Il gardait néanmoins en tête l’image d’une Cassy Andrews quasiment nue avec son petit ami. Les hormones et les adolescents, en somme…

La fin du film coïncida quasiment avec l’arrivée des premières traces de l’entrée dans la région parisienne. L’excitation de Mathieu ne faiblissait pas, alors même qu’il était encore tôt et qu’il sentait que ses paupières n’étaient pas habituées à la lumière matinale. Mais il s’en fichait, et le sourire qu’il afficha lorsque la voix synthétisée reprit la parole et annonça « Paris-Gare du Nord » ne devait tromper personne.

D’un geste rapide, il se leva et alla descendre le sac de Cassy avant de lui tendre, à la manière d’un majordome qui en fait trop. D’un clin d’œil, il se mit à lui déclarer quelques mots en Français, avec l’accent le plus snob qu’il puisse connaître :

« Bienvenue à Paris, Mademoiselle Cassy Andrews. C’est un plaisir pour moi de vous accueillir dans mon humble pays. »

Puis il ricana quelque peu, mit son sac sur son dos, et, attrapant doucement la main de Cassy, l’aida à se lever et se dirigea avec entrain vers la sortie de la cabine.

Une fois à quai, Mathieu prit une longue, très longue bouffée de l’air pollué de Paris, un genre de bouffée qui pouvait rentrer dans le livre des records. Enfin, ENFIN il se sentait chez lui. Même s’il n’était pas allé très souvent à Paris, étant un provincial fier de l’être, il ne pouvait s’empêcher de préférer la pollution de la capitale française à celle de Londres. Partout où il posait ses yeux, il voyait des signes écrits en Français, il entendait des brides de conversation en Français,… Le retour au pays lui fit le plus grand bien. D’autant plus que le Français de Cassy, avec un léger accent, gonfla encore plus son chauvinisme :

« C’est un honneur d’être dans ton pays. »

Il ne put s’empêcher de penser que l’accent britannique paraissait assez snob, comme d’un autre temps. Mais il lui pardonna immédiatement ce « travers », et commença même à le trouver mignon. Alors qu’il profitait de cette atmosphère grouillante et presque étouffante, Cassy commença à le presser doucement :

« On peut vite sortir d’ici ? »

Mathieu remarqua alors que la jeune femme n’avait pas lâché sa main, et qu’elle tentait de se faire la plus discrète possible, en se collant à lui et en arborant casquette et lunettes de soleil. Bien que cette proximité lui fut agréable, il comprit qu’elle devait être angoissée qu’on la reconnaisse, dans un lieux où des dizaines de milliers de potentiels fans déambulent chaque jour. Peut-être même avait-elle déjà été repérée.

« Okay, on sort… On fait quoi ? »

Cassy lui expliqua que la production lui avait loué un puissant 4x4, qui les attendait sur l’un des parkings. Erf, autant pour la matinée à Paris. Mais si cela pouvait leur éviter un bain de foule au premier pas hors de la gare, Mathieu privilégia cette option. D’un hochement de tête, il lui fit signe qu’il approuvait cette solution, et commença à scruter les panneaux indiquant les différentes sorties de la gare. Il cherchait un parking en particulier, mais il mit quelques longues minutes avant de trouver la bonne indication lumineuse. Il dut pour cela tenter de se frayer un chemin dans la foule, jouant de ses maigres coudes, et perdant souvent la bataille de « celui qui pousse l’autre le plus fort pour passer ».

Il était entre 8h et 9h du matin, Mathieu ne savait pas exactement, et il était trop concentré à suivre les panneaux qu’il ne regardait pas les énormes horloges de la gare. Néanmoins, ces heures de la matinée étaient parmi les plus denses de la journée, et le nombre de passagers par mètre carré était impressionnant. Ainsi, même si le parking était assez proche de leur position, d’autant plus qu’ils étaient happés par le flot de voyageurs, ils mirent plus de temps que prévu pour finalement sortir de cette fourmilière humaine.

Une fois l’escalator atteint, ils purent souffler un peu. Mathieu essuya une goutte de sueur qui s’était formé avec la chaleur naturelle de la gare, couplée aux efforts pour se frayer un chemin et à la proximité avec tout un tas d’inconnus. Il regarda Casasy en lui disant :

« Pfiouh… Je me souvenais pas qu’il y avait autant de monde… La vache, toi qui voulait éviter les bains de foule en venant en France ! »

Il espérait que cela allait la détendre plutôt que la crisper. Il jeta un dernier regard derrière eux en prenant l’escalator, mais il ne sut s’ils étaient suivis ou non, tant le déferlement de personnes était important. Il haussa les épaules, en se disant qu’ils le sauraient bien assez tôt, de toute façon.

Une fois arrivés au parking, Mathieu suivit les différentes allées en tenant toujours Cassy derrière lui. Il ne savait pas exactement quel véhicule il devait chercher, mais il prenait quand même les devants, histoire de la prévenir si un véhicule arrivait en face.

Soudain, au détour d’une allée, il aperçut un luxueux 4x4 flambant neuf, d’un noir étincelant avec les lumières du parking souterrain. Il ne savait pas ce qu’il cherchait, mais il savait qu’il venait de le trouver. Et il n’imaginait qu’une jeune femme de son âge, de seulement un an de plus que lui, soit autorisée à pouvoir piloter un tel engin. En tournant la tête vers Cassy, l’air enthousiaste, il lui demanda :

« C’est une blague ? D’abord la première classe et maintenant ça ? Hohoho, je sens que ça va être gééénial ! »

Mathieu tenait fermement la pochette bleue que Cassy lui avait confié. Il ne savait pas encore pourquoi, mais il était persuadé que c’était important. Il monta dans la voiture, tout excité et le sourire aux lèvres. Il ne venait pas d’une famille pauvre, mais ce luxe soudain lui plaisait. Il n’y était pas habitué comme Cassy pouvait sûrement l’être, et tout lui paraissait exotique. Lorsqu’elle lui donna l’autorisation d’ouvrir cette pochette, Mathieu resta bouche bée.

C’était le genre de photos que l’on se partageait sur Facebook, qui font baver les gens devant leur téléphone ou leur ordinateur. Le genre d’hôtel où même dormir dans un local poubelles doit coûter plusieurs SMIC. Le genre de douche où il pourrait passer des heures. Le genre de…

Il ne fit même pas attention au fait que Cassy n’avait réservé qu’une seule chambre, et qu’il n’y avait qu’un lit. Il avait tout un paquet d’étoiles dans ses pupilles, et il scrutait chaque détail des photos, en essayant de se faire une idée de la vraie taille de l’hôtel. Il n’y arriverait sûrement pas. Ce n’était pas son monde. Sa chambre de l’ISS paraissait miteuse à côté de ce palace. Il fut sorti de son rêve éveillé quand une voix un peu gêné lui déclara :

« Je suis désolée pour tout ça… L’hôtel de luxe, la bagnole tape à l’œil,… Mais mon manager ne m’aurait pas laissé partir sinon, il veut savoir où je suis à tout moment je... »

Ce soudain silence inquiéta Mathieu. Il regarda devant lui, pensant que quelque chose avait surpris Cassy : un piéton, une voiture mal garée,… Mais il n’en était rien. Il se tourna de nouveau vers elle, lui laissant le temps de terminer ses phrases. Elle lui exposa sa situation, et il fronça les sourcils. Un fan harceleur ? Il espérait qu’elle ne le voyait pas comme ce genre de personne. Mais si la production prenait autant de précautions pour une seule journée, c’est que ce type devait être dangereux. Il déglutit et pria intérieurement pour qu’ils ne croisent pas sa route. Il lui sourit, et se voulut rassurant, malgré un certain trouble qui l’envahissait :

« T’inquiète, ça me va si tu fais la diva. J’découvre les hôtels cinq étoiles, j’aime bien. Et pour le harceleur, s'il pointe le bout de son nez, j’lui casse la gueule, promis. »

Pourtant, les quelques « bagarres » auxquelles il avait malencontreusement participé s’étaient révélées être des défaites cuisantes. Et puis, il n’impressionnerait personne avec sa carrure. Bref, il préférait éviter d’avoir à se battre, mais voulait passer pour un homme viril et protecteur.

Pour se changer les idées, il connecta son téléphone en bluetooth et chercha dans ses musiques quelque chose qui rendrait leur trajet moins long. Il hésita, ne connaissant pas les goûts musicaux de Cassy, mais il ne prit pas de risques en lançant une musique peu originale, mais qu’il appréciait ces temps-ci. ( Musique de Mathieu)

Une fois la musique lancée, Mathieu s’installa encore plus confortablement sur son siège en cuir, et remuant un peu les fesses pour trouver la position parfaite. Il se sentait comme dans un canapé, et osait à peine toucher le sol avec ses chaussures, de peur de salir le tapis. Pourtant, dans cette voiture luxueuse, avec Cassy comme conductrice, une activité excitante dans l’après-midi, et une nuit de rêve dans un palace le soir, Mathieu souriait. Il était bien.

Il fixa d’un regard vague son portable en réfléchissant. Il voudrait envoyer une photo de lui en voiture avec la jeune actrice à ses anciens amis, par pure vengeance. Mais l’histoire du harceleur l’avait calmé, et il imaginait que de toute façon, elle devait faire attention à son image. Il reposa son téléphone sur ses cuisses, un peu déçu, et haussa les épaules.

Il allait savourer chaque centimètre parcouru pendant le trajet et il remercia intérieurement le destin pour cette journée. Ses yeux commencèrent à piquer un peu, le réveil matinal se faisant sentir. Mais il fit tout pour ne pas s’endormir et laisser Cassy seule.

Cassy avait ricané lorsqu’il avait évoqué l’éventualité de devenir son garde du corps si un fan trop collant approchait. Certes elle avait raison, et il le savait, mais son égo en prit un coup. Il n’avait pas la carrure d’un Hans ou de n’importe quel acteur anglo-saxon, mais elle verrait si le moment se présentait. Même s’il espérait qu’il ne se présente jamais…

Soudain, une main étrangère vint se poser sur sa cuisse, ce qui le surprit. Il eut cependant à peine le temps de tourner la tête que Cassy avait déjà repris son volant, laissant Mathieu avec un grand point d’interrogation dans le cerveau. Ce contact quasi intime l’avait affecté, mais il sentait tout de même ses yeux faiblir, alors que la route se faisait monotone, alternant entre immenses étendues de champs de blés ocres et vastes prairies vertes où se baladaient gaiement vaches, chevaux et moutons. Cette atmosphère calme et reposante lui rappela sa région natale et, plongé dans ses pensées, il alterna entre micro-siestes et périodes d’éveil semi-conscient. Au moins, cela lui permit de se reposer un peu avant l’après-midi d’escalade qui les attendait.

-------------------

« On y est la belle au bois dormant. »

La voix de Cassy le sortit de l’un de ses petits dodos de la route. Il s’étira brièvent puis aperçut le buste de la jeune actrice penché au dessus de lui, la tête quasiment entre ses cuisses. Gêné, il préféra ne pas bouger et ne rien dire jusqu’à ce qu’elle reprenne une position plus conventionnelle, et qu’elle déclare :

« Prêt pour l’aventure ? J’ai fait mon boulot pour le confort… Toi, tu dois me faire oublier que je suis actrice dans une vie de merde. »

Vie de merde, ce n’était pas ce que Mathieu avait pu voir dans la pochette bleue. Certes, la vie devait être complètement différente de celle d’un inconnu comme lui… Mais il devait aussi y avoir des avantages. Mais bon, si Cassy le demandait, Mathieu ne rechignerait pas à s’exécuter. Loin de là.

Il descendit de la voiture et se rendit compte qu’ils étaient véritablement comme sur les photos de la box. Un véritable petit village de campagne, où les habitants devaient se compter par centaines tout au plus, avec une église et quelques magasins dans le bourg. Typique, mais mignon.

Ils se dirigèrent alors vers la falaise. Mathieu, qui n’était pas très bon en orientation, avait pourtant fait l’effort d’apprendre à peu près où se trouvait le lieu de leur activité. Ils arrivèrent alors auprès d’un homme qui les attendait avec un baudrier dans chaque main, ainsi que tout un tas de cordes et de poulies. Il gratifia Cassy d’un grand sourire et d’un :

« Bonjour Mlle. Andrews, c’est un honneur de vous servir de guide ! »

Lui n’eut droit qu’à un vague :

« Bonjour à vous aussi, jeune homme. »

Il encaissa. Peu importe ce que disait ce guide, il était bien décidé à faire ce baptême d’escalade. Il suivit à la lettre les explications de l’homme d’âge assez mûr qui leur expliqua comment bien attacher leur baudrier et comment agripper les points d’accroche. Ils étaient toujours assurés par une corde, mais Mathieu se dit qu’il ne souhaitait pas évaluer la qualité de leur matériel aujourd’hui en tombant par mégarde.

Puis, ils descendirent une volée de marches jusqu’à atteindre le bas de la falaise. A ce moment là, la hauteur pris le dessus sur l’assurance du jeune homme. De là où ils étaient garés, tout semblait moins haut. D’en bas, la paroi était beaucoup plus impressionnante. Beaucoup trop impressionnante. Les mains de Mathieu commencèrent à devenir moites. Parmi toutes les activités qu’il y avait, il avait forcément dû choisir celle-là ? Il ne se voyait pas du tout monter jusqu’au sommet. D’ailleurs, il ne se voyait pas grimper tout court. Mais il était littéralement au pied du mur, et il n’avait pas vraiment le choix, au risque de passer pour un lâche auprès de Cassy.

Le guide leur expliqua qu’ils pouvaient prendre leur temps, qu’il allait avancer au même rythme qu’eux, et qu’au moindre soucis, il fallait l’appeler.

« Ah et si vous avez le vertige, évitez de regarder en bas... »

Il hocha la tête, incapable de parler avec la gorge sèche et nouée. Il prit une grande respiration déjà haletante, s’enduisit les mains de magnésie, puis partit, lentement mais sûrement, à l’assaut des falaises de Normandie. Il partit en premier, histoire d’avoir le guide derrière lui, et que Cassy ne le voit pas dans un état de quasi-panique. Mais le guide semblait plus préoccupé par la sécurité de la jeune actrice que par la sienne.

« Allez, c’est un mauvais moment à passer… Une fois en haut, ça sera magnifique... », pensa-t-il

Son cerveau essayait de le rassurer. Tous ses autres organes, eux, angoissaient.

Le baiser de Cassy sur sa joue avait néanmoins eut un effet : il lui avait rappelé qu’il devait absolument arriver au bout, même si ses bras allaient lui faire regretter le lendemain. Pourtant, concentré dans son angoisse, il ne remarqua même pas les différentes avances que l’espèce de gros lourd faisait à Cassy. De toute façon, elle était assez grande pour le remettre en place, et à la moindre personne qui posait la main sur elle, Mathieu était persuadé que son manager débarquerait avec des hommes de main pour résoudre le problème.

L’homme contre la paroi. Mathieu essayait d’imaginer son ascension comme une scène de film, pour tenter d’évacuer le stress qui l’avait envahi à l’approche de la falaise. Il ne devait surtout pas regarder en bas, ni se dire qu’il pouvait potentiellement tomber. Il fixait la paroi, rien que la paroi. Chaque prise était un véritable défi pour les bras et les jambes du jeune homme, qui n’avait pas grand-chose de sportif. Tant pis, il allait falloir continuer. Il avait souvent entendu des gens dire que « tout est dans la tête ». Il se persuadait alors que tant qu’il ne flancherait pas, il pourrait continuer jusqu’en haut. Enfin, du moins, il l’espérait.

Avec l’infinie précaution qu’il prenait pour éviter la chute, il fut rapidement rattrapé par Cassy, qui se posta à sa hauteur :

« Ça va Math ? Tu as l’air… nerveux.»

Effectivement. Elle avait visé juste, mais il ne pensait pas que ça se voyait autant. Ses muscles crispés devaient trahir le trouble qui l’envahissait. Trouble renforcé par la présence de la jeune femme à ses côtés. Trouble d’autant plus renforcé par la quasi-chute de cette dernière.

En un quart de seconde, la tête de Mathieu se retourna vers Cassy, même s’il était toujours incapable de prononcer un mot. Sa bouche s’ouvrit, mais aucun son n’en sortit. Il voulut lui tendre la main, mais celle-ci était fermement accrochée à un rocher plus haut, et il n’eut le temps que de lui tendre un de ses pieds, manquant lui-aussi de perdre l’équilibre. Heureusement, la crispation de ses mains le maintenait fermement attaché à la roche. Elle reprit ses esprits, et lâcha :

« Rah mince… Je crois que tu vas devoir jouer les infirmiers en plus des guides »

Il toussota et réhydrata sa gorge avec la salive qu’il lui restait :

« Avec plaisir, mais faut d’abord qu’on monte… C’est pas trop grave j’espère ? »

Il écouta la réponse de Cassy pour reprit sa lente montée, encore plus troublé qu’auparavant. Il essayait de grimper au même rythme qu’elle. S’il avait eu peur pour elle, il s’était surtout rendu compte que les chutes n’étaient pas forcément graves, et que cela devait même faire partie du jeu. De plus, la douleur qu’il ressentait dans ses bras, ses doigts, ses jambes, et même son dos, tout cela lui faisait oublier la peur qu’il ressentait. Il voulait en finir, et il se jura d’en finir avec cette satanée paroi. Il ne voulait pas renoncer devant un vulgaire bout de caillou, aussi gros soit-il.

Alors que ses bras le tiraient de plus en plus, l’obligeant à faire quelques courtes pauses, Mathieu eut le réflexe malheureux de regarder sous ses pieds. Il releva aussitôt les yeux, mais des sentiments contradictoires s’affrontèrent dans son crâne. Une partie qui lui disait qu’il était déjà beaucoup trop haut, et qu’il ne suffisait que d’un petit éboulement rocheux pour finir transformé en crêpe. Une autre qui lui incitait à continuer, puisque le sommet n’était plus très loin. Incertain, le combat entre ces deux influences continua jusqu’à la fin de la montée, rendant ce moment extrêmement étrange à vivre pour Mathieu. Pourtant, après quelques dizaines de minutes, (peut-être une heure ou plus, il n’en savait rien), Mathieu posa enfin sa main sur une véritable surface plane : le sommet de la falaise. Il effectua son dernier effort dans la douleur, poussant sur ses jambes et roulant sur le sol, à bout de forces. Il resta étendu par terre, les bras et les jambes étendus pendant encore quelques dizaines de secondes, reprenant son souffle. Il se répétait intérieurement :

« Tu l’as fait Mathou, t’es un champion ! »

Il releva ensuite la tête pour observer Cassy. Il venait de se rappeler pour son genou.

« Fais voir ta blessure ? * Il l’examina * Ça a l’air d’être une égratignure… On désinfectera ça ce soir à l’hôtel, à moins qu’ils n’aient une trousse de secours ici... »

L’esprit fatigué, il sourit à Cassy et lui déclara :

« En France, on a aussi ça : le bisou magique. En général c’est pour les enfants, mais j’imagine que ça doit aussi marcher sur les jeunes actrices… »

Il s’exécuta avant de se tourner vers la vue imprenable sur l’horizon. A perte de vue, la mer s’étendant, calme, seulement troublée par la silhouette d’un bateau au loin. Assis, les coudes posés sur les graviers du haut de la falaise, il admirait le spectacle. Il n’osa pas le troubler, et lâcha simplement un murmure :

« C’est magnifique… Ça valait le coup, quand même... »

« Merci Math… Ce voyage… Jamais j’aurais pu prendre le temps d’avoir ça... »

Était-ce la fatigue, la vue incroyable, ou la présence inespérée de la tête de Cassy sur son épaule, il n’en savait rien. Pourtant, Mathieu se contenta d’un hochement de tête. C’était lui qui la remerciait, mais il ne voulait pas gâcher ce moment. Il resta silencieux pendant quelques minutes, profitant d’un air marin beaucoup plus sain et agréable que la pollution londonienne. Plus les minutes s’allongeaient, jusqu’à devenir presque des heures, plus le jeune homme se sentait dans un état de plénitude. Il n’avait rien à dire, rien envie de faire, sinon de prolonger cet instant privilégié qu’il partageait avec sa jeune amie. Les bras en arrière, il se fichait de la sensation des graviers sur ses mains, de la fatigue de ses poignets qui retenaient son poids et celui de la tête de Cassy. Il était tout simplement bien.

Enfin, elle releva sa tête. Mathieu émergea de ses rêveries joyeuses. L’instant devait bien avoir une fin à un moment ou à un autre. Il tourna la tête pour demander à la jeune actrice qui des deux allait descendre en premier, quand il se retrouva quasiment collé contre son visage. Il sentait le souffle chaud qui sortait à peine de sa bouche sur ses propres lèvres, avec la douce odeur qu’il lui connaissait, et qu’il avait déjà senti lorsqu’elle l’avait embrassé sur la joue. Le temps lui parut suspendu, quasiment irréel. Il n’avait qu’un léger mouvement de tête à faire, quelques millimètres pour se rapprocher et venir appliquer un baiser sur ces lèvres à la fois si proches et si lointaines. Un rien en terme d’espace, un tout en terme d’audace. Il n’osa pas attraper la perche que le destin lui tendait… A moins que… Oh et puis merde, il en avait tellement envie, il fallait se jeter à l’…

« Quand vous voulez ! J’ai d’autres rendez-vous les amoureux ! »

Cassy retira alors brusquement son visage, l’air gêné par les cris de l’autre abruti en bas. Le temps se remit à accélérer, l’esprit de Mathieu se remit à fonctionner. Et il se jura d’étrangler cette espèce de pervers qui le coupait au moment où il se décidait enfin à prendre son courage à deux mains.

« Euh, désolée Mathieu je… Je sais pas ce qui m’a pris. »

Il préféra garder le silence, et l’observa en train de se préparer à descendre. Un mélange de frustration et d’enthousiasme flottait un peu au hasard dans son esprit, qui passait tantôt de l’un à l’autre de ces sentiments. Il se fit alors la promesse de ne pas laisser passer une autre occasion de ce genre. Même s’il devait se prendre une claque, il ne voulait pas regretter plus tard son manque de courage. Il se persuada aussi que certains signes ne trompaient pas… Mais il ne devait rien brusquer, il le savait. Lui même n’en avait pas envie. Il ne souhaitait pas forcer le destin, mais tout de même… Cela faisait beaucoup de coïncidences en peu de temps.

« Adieu Roméo. »

Le sourire éclatant de Cassy et les mots choisis résonnèrent alors dans son esprit, et il n’eut pas d’autre répartie que de lui répondre :

« On se voit en bas, Juliette ! »

Juliette, quel cliché… Mais s’il devait entrer dans son jeu, il le ferait jusqu’au bout. Il osa jeter un œil par dessus le précipice, pour l’observer descendre toujours troublé, regardant avec quelle aisance elle se mouvait sur la roche. Une fois en bas, il imita ses gestes de sécurité, et s’élança à son tour.

La descente était beaucoup plus agréable que la montée. Plus rapide aussi, même si moins gracieuse que celle de la jeune femme. Plusieurs fois, il poussa trop fort sur ses jambes, et eut du mal à se rattraper à la paroi sans se cogner. Mais la descente se fit globalement sans encombre, et une fois en bas, il lança un regard noir au guide qui le détachait, en lui grommelant un « Merci, tocard » que personne à part lui-même n’entendit. Puis il se tourna vers Cassy, de nouveau un sourire aux lèvres :

« J’ai préféré la descente, perso. Mais même si c’était dur, j’suis content qu’on l’ai fait ensemble ! »

Là-dessus, l’homme les raccompagna jusqu’à côté du parking, toujours proche de Cassy. Mathieu gardait un œil discret sur lui. Il ne le connaissait pas, mais il le haïssait déjà de tout son cœur. Une fois arrivé à la voiture, Mathieu observa le bourg. Il y avait quelques petits magasins de souvenirs « typiques » certainement fabriqués en Asie, des attrapes-touristes venus se ressourcer à la campagne. Il se souvenait de l’idée qu’il avait eu d’emmener Cassy faire les grands magasins parisiens et ricana devant le grand écart gigantesque entre ces deux milieux. Mais il ne pouvait pas partir sans rien, et proposa :

« J’aimerais bien aller acheter deux-trois babioles en souvenir, et une carte pour mes parents… Tu viens ? Pas longtemps, promis, après on file à l’hôtel ! »

Il adressa aussi un regard furtif à l’animateur, qui voulait clairement dire « lâche-nous, tu commences vraiment à être collant », avant d’attendre la réponse de Cassy.