Un soir de plus [Erik]

Je déposais doucement le jeune garçon dans son écrin de sommeil, prenant bien soin de veiller à disposer les doudou du garçonnet près de lui ainsi qu'à le recouvrir lorsque ma supérieure hiérarchique vint à faire irruption dans la pièce en tâchant de me taquiner. Je répondais à cette attitude par un petit sourire et en la piégeant à son propre jeu : hors de question de lui laisser croire qu'elle détenait un avantage sur moi.

-"Shhhh.. Un peu de calme il dort.. tu veux mère indigne va..." fis-je en m'amusant moi-même de cette provocation, un sourire aux coins des lèvres avant de reprendre pour rappeler Martel à ses fourneaux. "Dis donc, il en prend du temps ce repas, je vais finir par te manger avant .."

Un clin d’œil suffit à appuyer légèrement le sous-entendu et à dissiper l'image trop prévenante que j'avais laissé filtrer avec Zack. Il ne manquerait plus qu'un "amant", tombeur de son état, ne laisse un élan de tendresse détruire la couverture de bien des années déjà. Je m'y refusais et même si la transition paraissait forcé, cela m'allait. Autant ne pas rappeler des souvenirs qui ne seront jamais des réalités.

Que ne faut-il pas entendre? J'esquissais un petit sourire amusé à la première remarque de la directrice. L'indignation factice de la demoiselle était notable à des kilomètres à la ronde mais je préférais ne pas relever ce détail. Je me contentais donc d'un sourire en guise de réponse : certes la proposition de la demoiselle était plus qu'alléchante mais je mettais une priorité au repas pour l'instant. Une pensée bien matérielle mais les enfants étant dans les parages, tout autre activité était proscrite et puis je dois admettre que je commençais à voir faim. Je vérifiais une dernière fois que le garçonnet jouisse d'un confort sans égal avant de quitter la chambre en refermant délicatement la porte.

-"Dors bien petit bonhomme.."

Je rejoignais les deux jeunes filles dans le salon d'un pas nonchalant, les mains dans les poches, tandis que la jeune femme aux cheveux verts s'affairait à mettre la table. Je la laissais faire sans proposer mon aide pour une fois - elle me l'aurait demandé au besoin - et je m'installais dans le canapé, prêt à attendre le repas.

-"J'espère que le repas sera à la mesure de l'attente ma jolie" fis-je en souriant, conscient du caractère sexiste de la remarque.

Après tout, moi aussi je peux m'amuser de la sorte.

Je me contentais d'un sourire pour répondre à l'énoncé du repas. Je n'en attendais rien à vrai dire. Je n'avais pas prévu de manger ce soir en premier lieu, aussi, la simple perspective de partager un repas avec une jolie femme et cette étrange et petite famille me suffisait amplement. Je pris donc mon assiette avant de manger en silence, jetant de temps à autre un regard à la petite demoiselle qui jouait par terre et se fatiguait à vue d’œil. Bientôt elle vint à escalader l'assise du canapé pour rejoindre sa maman.

- Je vais la mettre au lit tant qu'elle est en état.

Je répondis dans un premier temps par un geste de la tête avant de rajouter quelques mots.

-"Oui je crois que la petite Scar a besoin de repos, je finis de manger et je te rejoins" fis-je en adressant un petit sourire autant pour la petite fille que pour sa génitrice.

Je me retrouvais alors seul dans le salon à finir mon assiette, les pensées au repos, à simplement profiter de l'instant. Depuis quand n'avais-je pas profité d'un instant comme celui-ci? Un bon moment: mes rares retours chez moi étaient devenus des pénitences au fil du temps car je pouvais alors lire l'inquiétude de mes parents dans leurs yeux et les passages chez ma sœur finissait toujours par me rappeler le manque d'une certaine personne. Bref.. Je finissais mon assiette paisiblement avant de me lever et de partir à la recherche de la directrice.

Je n'eus pas besoin de beaucoup de temps pour retrouver la jeune maman dans la chambre de sa fille : après tout je commençais à connaître un tant soit peu le logis de ma supérieure hiérarchique. Ce n'était évidemment pas la première fois que j'accomplissais ce trajet - je pense qu'il est inutile de le préciser ceci dit - et je pouvais facilement rejoindre la pièce les yeux fermés désormais. C'était presque une routine, une routine bien différente de celle que la plupart expérimentent : en effet, cette répétition n'avait rien de déplaisant et n'était au fond que ce à quoi j'avais aspiré un peu plus jeune. Une vie sans trop d'ambition mais un simple endroit où je pourrais vivre ma vie tranquillement sans aucun dérangement. C'était ce que m'apportait cette relation avec Martel, même si rien ne venait sceller cette stabilité, mais n'est-ce pas mieux? Je me fendais d'une remarque lorsque me fit comprendre qu'elle avait décelé ma présence dans l'encadrement de la porte.

-"Ça a été?" fis-je tout bas pour ne pas réveiller la petite princesse endormie.

Je savais d'expérience que la petite Scar pouvait se montrer difficile à gérer lorsqu'elle faisait un caprice et l'heure de dormir avait tendance à ne pas être dans ses plans. J'attendais la confirmation de la demoiselle avant de lui suggérer une idée comme une autre pour finir la soirée.

-"Tu veux aller te coucher ou bien on regarde un film?"

Un vieux couple sans même en être un décidément.

C'était une proposition assez banale. Presque trop banale en considérant attentivement la relation que je pouvais entretenir avec elle mais elle me suffisait à vrai dire. Je n'avais pas sommeil. Les semaines que j'entretenais n'était pas des plus épuisantes et il arrivait souvent que je passe de longs moments à méditer sur les choses simples de la vie, assis à mon bureau ou à un bar, pour occuper mon temps, pourtant, ce quotidien avait quelque chose d'épuisant, de lassant. Peut-être que ce poids n'était pas à chercher plus loin que dans le deuil, qui, même si je répugnais à le montrer, continuait à me tourmenter de temps à autre mais je pense sincèrement que je commençais simplement à me lasser de la vie et du chemin que j'avais pris après le décès tragique de Kate. Du moins pour un moment. Je n'avais jamais vraiment apprécié ce défilé, contrairement à mon ego qui s'en satisfaisait volontiers. Ceci dit, je me dirigeais en charmante compagnie dans le salon pour m'y poser et y contempler un film, sans attraits particuliers, ainsi qu'une jeune femme en ayant bien plus.

Le générique de fin arriva bien plus vite que je ne l'aurais pensé. Peut-être que le film était plus intéressant que je ne l'avais pensé aux premiers abords? Je fus le premier à ouvrir la conversation tout en caressant un instant de plus les cheveux de la directrice.

-"Il serait peut-être bon d'aller se coucher tu en dis quoi?"

Je n'eus aucun mal à percevoir la nuance de contrariété qui vint obscurcir son regard lorsqu'elle dut se résoudre à se lever et un petit sourire vint s'inscrire sur mes lèvres tandis que je l'observais se diriger vers sa chambre. J'avais presque eu l'impression de la déranger dans sa sieste. Elle devait vraiment être fatiguée. Je ne fis cependant aucune remarque à ce sujet et je me contentais de marcher à sa suite, remontant ainsi les escaliers sans un mot.

Il ne fallut que quelques instants de plus pour que j'atteigne sa chambre. Cette dernière m'était des plus familières. J'avais eu l'habitude de côtoyer ces lieux durant des nuits entières aussi bien pour goûter aux plaisirs de l'excès que pour goûter à la quiétude de la simplicité. C'est d'ailleurs à cette dernière que j'aspirais et rien dans l'attitude de ma partenaire ne semblait indiquer que nos désirs soient contraires.

C'est ainsi que je vins à m'allonger auprès de ma supérieure hiérarchique et profiter de sa présence , un sourire presque tendre aux coins des lèvres, observant avec une certaine délicatesse son visage si proche et incontestablement fatigué contre mon épaule.

-"Je sais maintenant de qui tient Scarlett.. Si tu étais aussi fatiguée il suffisait de le dire.. Repose toi tu veux?" fis-je en m'amusant déjà de la répartie boudeuse que je créditais à la jeune femme.

Alala.. Les choses sont parfois si évidentes..

Sa réponse ne me fit ni chaud ni froid à vrai dire. Je me contentais de laisser filtrer un petit sourire victorieux : je savais très bien que la demoiselle avait ce genre de répartie lorsqu'elle s'approchait des portes d'Hypnos et ne se voyait plus en état de répondre convenablement à mes répliques.

-"Mais oui.. Si tu veux.." fis-je tout en continuant de la dorloter d'un air absent.

Martel, malgré son âge, pouvait parfois ressembler à sa fille ou à une adolescente et je préférais éluder le sujet que de m'y appesantir, aussi, le silence vint à s'abattre sur la chambre et il n'en fallut pas plus pour que je sente Martel s'appuyer un peu plus sur moi, signe qu'elle commençait à se laisser gagner par le sommeil. Si cela n'avait rien de particulier, les paroles qu'elle vint à prononcer dans son endormissement me surprirent tout autrement.

Est-ce qu'elle venait vraiment de prononcer une telle déclaration? Je me penchais légèrement pour vérifier si elle était toujours consciente, et bien qu'il semble que non, un doute m'envahissait cependant aussi je me permis de répondre en essayant d'en rire.

-"Moi aussi bisounours"

Le ton sur lequel je venais de répondre était des plus équivoques mais qu'importe, je doute qu'elle le prenne mal en rêvant à ses enfants ou alors qu'elle se moque sûrement de moi une fois encore.

La réponse de la jeune femme ne se fit pas attendre, confirmant par la même occasion mes doutes sur le sommeil qu'elle semblait arbore quelques instants auparavant. Je me contentais d'esquisser un petit rire moqueur pour souligner un peu plus le ridicule de cet échange. Martel devait vraiment être fatiguée pour se montrer sentimentale ou pour être aussi confuse quant à ses propos.

-"Oui et? N'est-ce pas les bisounours qui débordent d'amour comme toi à l'instant? Ou bien est-ce que tu préférerais que je t'appelle mon amour? Quelque chose de plus ridicule peut-être? "Mon petit moineau troglodyte des bois des îles des archipels du Nord du Japon"? Ou bien on pourrait aller pique-niquer dans le parc main dans la main après tout?"

Mon ton moqueur était assez équivoque même si un fond de vérité persistait dans ce que je disais : j'avais une tendresse toute particulière pour la jeune femme dont je partageais la couche cette nuit mais ce genre de déclarations avait tendance à me rendre nerveux et à me remémorer des moments que je préférais garder tapi en moi. Pourquoi avais-je tant besoin d'en faire autant? Peut-être simplement pour éviter de me fourvoyer et de faire plus de mal autour de moi que j'en avais déjà fait en gardant un certain mutisme quelques années auparavant.