Kae Obara [Terminé]

On dit que lorsque l’on est sur le point de mourir, on voit défiler sa vie devant ses yeux. La douleur qu’avait ressentie Kae ce jour-là avait été forte à en crever.

Elle avait pensé à sa mère, cette grande mannequin connue et demandée dans le monde entier. Elle qui avait réussi à faire sa place sur la scène internationale à une époque où les visages asiatiques étaient boudés par la mode occidentale, comme elle se plaisait à lui rappeler. Elle qui l’avait eu très jeune, qui aurait pu voir sa carrière brisée à cause d’un coup d’un soir avec un photographe anglais de passage mais qui avait su en tirer partie en publiant dans les magazines des photos d’elle, nue, rayonnante et enceinte jusqu’aux yeux. Et bien avant qu’Angelina Jolie et Kim Kardashian en ai l’idée, parce qu’elle avait toujours eu du flair pour ça sa mère.

Elle l’avait emmenée avec elle partout autour du monde, dans ses studios photos de Tokyo et Londres, aux Fashion Weeks de Milan, New York et Paris… Kae avait grandi dans les coulisses des plus grandes photos de mode de son époque, jouant à la poupée entre les robes haute couture et dessinant avec les pinceaux des maquilleurs. Elle parlait couramment le japonais, l’anglais et l’italien, maitrisait les rudiments du français, les bases du maquillage et de la photographie.

Elle y avait appris l’art de s’effacer aussi. Surtout ne pas se faire remarquer, ni en bien, ni en mal. Kimiko, c’était elle la star. Ne surtout pas lui faire de l’ombre et encore moins lui faire honte. Rester bien sage, belle et capable, mais pas trop belle ni trop capable. C’était les commandements que s’efforçait de suivre Kae. Au fond sa mère était fragile, elle angoissait à l’idée de vieillir, de perdre sa beauté, sa carrière, tout ce qu’elle avait construit... Alors la jeune fille la soutenait, restait toujours à ses côtés et prenait soin d’elle pour ne pas qu’elle s’effondre comme cette fois-là, à Milan. Même si ça voulait dire déménager en permanence et faire bonne figure, toujours.
Kae savait se montrer sociable, juste assez pour être tranquille sans attirer les convoitises. Elle était toujours la petite nouvelle, transférée en cours d’année et de toute façon elle ne restait jamais très longtemps. Heureusement il y avait Kendra, la maquilleuse attitrée de sa mère. La jeune New Yorkaise les suivait dans tous leurs déplacements et s’était prise d’affection pour la fille de Kimiko.

Et puis il y eu ce jour-là. Sa mère et elle vivait à New York depuis quelques mois quand un homme s’introduisit dans les backstages d’un shooting pour voir la grande Kimiko. Seule avec sa fille dans une partie aménagée spécialement pour elles, la discussion s’envenima lorsqu’elle déclina ses avances. Furieux, l’homme jeta au visage de la mannequin ce que Kae pensait être de l’eau, elle s’interposa. Ce n’est que lorsqu’elle sentit la douleur de l’acide sulfurique rongeant ses bras, ses mains et une partie de son visage qu’elle comprit son erreur.

Le reste était flou. La douleur, l’hôpital, les médecins. La douleur, encore, sa mère, absente. L’unité des grands brulés, les opérations, Kendra parfois. Le blanc de la bulle stérile dans laquelle elle était enfermée pour lui éviter les infections, la solitude et puis la douleur, toujours. Lorsqu’elle fut en état, on la transféra dans une clinique de Tokyo où ça mère avait élu domicile pour quelques mois. On prit des photos de la grande Kimiko au chevet de son enfant blessée mais pas de trop près, il n’y aurait pas fallu qu’on voit la pitié et le dégout dans son regard.

Kae, en voie de guérison, dû retourner en cours. A quoi bon faire bonne figure, sa mère ne voulait plus d’elle, elle était hideuse après tout. Et puis à quoi ça l’avait menée d’être bien sage, de toujours faire ce qu’on attendait d’elle ?! Son comportement commença à se dégrader au fur et à mesures que les brimades de ses camarades s’intensifièrent. Ses absences répétées pour ses rendez-vous médicaux n’arrangèrent pas son cas. « La nouvelle » se transforma rapidement en « la moche » « le monstre » « l’hideuse » et bien d’autres surnoms humiliants. Il n’est jamais bon d’être différent à cet âge là. Et Kae cessa d’être silencieuse face à ces attaques. Lorsque sa mère apprit l’implication de sa fille dans plusieurs bagarres, elle craint de voir sa réputation en pâtir et l’emmena avec elle une fois de plus. Elles s’installèrent à Londres mais rien ne changea. Toute la frustration et la colère que la jeune fille gardait en elle ne demandaient qu’à s’exprimer.

Vint un jour la brimade de trop. Un cours de sport, des vestiaires sans supervision, une gamine avide d’asseoir son autorité sur les autres et un bouc-émissaire, la pression du groupe fit le reste. Kae se retrouva humiliée, à demi nue dans les vestiaires, ses cicatrices exhibées devant une meute d’écolières hurlantes et surexcitées, elle craqua.  La jeune fille finit à l’hôpital tout comme trois de ces opposantes mais elle seule dû s’asseoir sur le banc des accusés du tribunal pour enfants.

Le verdict tomba : 5ans d’incarcération pour coups et blessures, et sa mère, absente à nouveau. On lui proposa une alternative : intégrer le Programme Forge de l’Institution Indarë et elle accepta. Rester loin du monde pendant 5 ans, ce serait son dernier cadeau pour sa mère. Elle allait disparaitre de sa vie et enfin commencer à vivre la sienne.