[États-Unis - solo] Ne te mets pas sur mon chemin

Quelque chose avait…  changé. Elle l'avait senti dans l'attitude de son équipe, mais elle ne comprenait pas ce que c'était, ni pourquoi. Quand elles se changeaient dans les vestiaires, les filles lui jetaient des regards bizarres et ça la mettait mal à l'aise. Pourtant… pourtant tout se passait bien, au début. Ils lui avaient donné une place dans l'équipe parce qu'elle avait du talent, et elle avait pu jouer les premiers matchs de l'année sans problème, et même en gagner la plupart. Mais maintenant… maintenant c'était différent.

Soucieuse malgré son air fermé, Ellia termina de ranger ses affaires de sport dans son sac et jeta un dernier regard derrière elle, vers son équipe. Elle perçut des froncements de sourcils qui l'inquiétèrent encore plus mais elle ne savait pas comment les interpréter. Tout ça avait forcément un sens mais… lequel ? Dès qu'elle posait les yeux sur une des filles, elle avait l'impression de la déranger. Pourtant elle ne faisait pas de vague et elle n'avait jamais fait de mal à personne. Il avait dû se passer quelque chose. Et la personne la plus à même de l'aider à démêler ça… "Salut frangine ! Alors, cet entraînement ?" Un petit sourire illumina le visage d'Ellia quand son frère arriva vers elle, glissant autour de ses épaule un bras qu'elle esquiva, comme d'habitude, et dont il passa la main dans ses cheveux, comme d'habitude, pour ne pas perdre la face. "Ça va mais… il y a quelque chose de bizarre avec les filles." "Bizarre ? Tu m'as dit que ça allait bien !" "Avant..." Intrigué, il fronça les sourcils et la fixa jusqu'à ce qu'elle daigne lui expliquer la situation.

Ils discutèrent de ça jusqu'à ce qu'ils atteignent l'arrêt de bus et qu'il s'installe sur le banc, un air de profonde réflexion sur le visage. Elle trouvait toujours qu'il avait l'air un peu bête quand il faisait ça, parce qu'il imitait des poses de manga mais bon, au moins, il allait pouvoir l'aider. Il avait plus d'amis qu'elle et il entendait plus facilement ce qui se passait autour de l'école, même s'ils passaient le plus clair de leur temps ensemble. Depuis qu'il avait un téléphone, surtout, il entendait beaucoup d'histoires, à se demander comment les gens pouvaient lui envoyer autant de messages. Celui d'Ellia servait surtout à décorer inutilement les poches de son sac, ou à parler à sa famille. Elle avait bien les numéros des filles de l'équipe, mais elles ne lui parlaient pas beaucoup. Même celle avec qui elle s'entendait bien ne la contactait plus trop, récemment…

"Dis, Nick..." "Hm ?" Il releva les yeux vers elle, cessant de grignoter la barre de céréales qu'il avait dans la main depuis qu'il était venu la chercher au gymnase. "Tu crois qu'elles ne m'aiment pas parce que je parle pas beaucoup ?" Avec un petit sourire attendri, il secoua doucement la tête. "Mais non. Si c'était ça, j'aurais pas d'amis non plus. C'est quelqu'un qui a fait ça." "Mais pourquoi ?" Alors il se leva de son banc pour se planter face à elle, plantant son regard gris dans ses yeux turquoises. "Parce que tu es forte. Les gens n'aiment pas les filles fortes. T'en fais pas, ton super détective de frère trouvera le coupable." "Si tu cites une réplique de manga, je te tape." Il rigola un peu avant de mettre ses mains sur ses hanches, un air très sérieux sur le visage. "Je te protégerai, frangine." Ellia fronça un peu les sourcils, avant de lui asséner une pichenette sur le front. "C'est ma réplique. Fais pas ton fier juste parce que tu parles à plein de monde." Puis leur bus arriva et leur conversation fut coupée par le brouhaha des autres adolescents. Arrivés en premier, ils trouvèrent facilement une place et Nick posa sa tête sur son épaule, visiblement fatigué, avant de fermer les yeux. Il s'endormait toujours sur le trajet du retour.

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Un peu plus loin, quelques sièges à l'arrière, une adolescente un peu plus âgée qu'eux, aux cheveux teints d'un rose délavé, les observait avec une expression agacée. Elle détestait cette gamine, cette sale petite peste qui lui avait piqué sa place dans l'équipe et qui se pavanait avec son air froid alors qu'elle devait jubiler intérieurement. Mais elle se débarrasserait d'elle. La rumeur commençait déjà à faire son effet et les filles lui faisaient moins confiance, il suffisait d'un rien pour qu'elles finissent par l'éloigner de l'équipe et que la place lui soit rendue. Elle avait besoin de ça pour son lycée et pour pouvoir intégrer une bonne équipe en partant pour la Californie. Et était-ce vraiment si grave d'écraser une gamine prétentieuse au passage ?

Trouver le coupable… Ça faisait presque un mois qu'il essayait de remonter la rumeur, mais celui qui l'avait déclenchée avait fait ça bien, et Nick ne connaissait pas assez de monde pour profiter d'un réseau et infiltrer la rumeur. Surtout qu'elle concernait sa sœur, et que les gens se méfiaient de lui dès qu'Ellia était impliquée dans quelque chose de négatif, comme s'ils craignaient qu'il ne les vise par défaut s'il ne trouvait pas le responsable. Mais il ne ferait jamais une chose pareille !

Il finirait par trouver. À force de parler à tout le monde, il réussirait à arracher le ragot à la bonne personne, qui saurait lui dire d'où tout ça était parti. Pour l'instant, Ellia avait son premier match du deuxième semestre et il était venu pour la voir jouer. Il s'installa donc dans les gradins avec quelques uns de ses amis, qui plaisantaient sur des choses qui lui passaient totalement au-dessus de la tête ; ce qui ne l'empêchait pas de sourire et de rire au bon moment. Admettre le sens de l'humour très limité qui l'empêchait de comprendre leurs blagues lui aurait fait trop mal ; il avait déjà eu bien des difficultés à sortir de sa coquille, ce n'était pas pour tout gâcher si tout le monde comprenait qu'il était nul en humour.

Le match était… différent de d'habitude. Depuis qu'Ellia lui avait parlé, ils remarquait les petites différences, les trucs qui avaient changé depuis le début de l'année. Elles lui faisaient moins de passe, préférant se reposer sur l'ailière droite que sur sa sœur, de l'autre côté du terrain, quand bien même elle était plus souvent en position d'attaque. Et c'était encore pire aujourd'hui. Nick serra les dents. Les passes à Ellia étaient si rares que c'était totalement évident qu'elles le faisaient exprès et, même d'ici, il pouvait percevoir la frustration de sa jumelle. À la première mi-temps, il la vit lever les yeux vers les gradins, sans doute pour essayer de le voir au premier rang. Évidemment, c'est là qu'il s'était installé, et il lui offrit son plus grand sourire pour l'encourager. Et la calmer. Car ses poings serrés n'étaient pas là qu'à cause de l'adrénaline et de la tension du match. Nick leva les yeux vers le score. 20 à 17 pour leurs adversaires… ce qui était logique s'ils n'exploitaient pas une de leurs meilleures joueuses ! Pff.

Il resta cependant assis calmement en se triturant les mains. S'il faisait une remarque en criant, elles l'entendraient, mais Ellia pouvait bien se défendre toute seule. Le problème, c'était la méthode qu'elle utiliserait… il n'était pas sûr que ça se termine bien si sa sœur commençait à exprimer son mécontentement. Mais il y avait trop de monde pour qu'il ose élever la voix d'une façon ou d'une autre, et il se contenta d'essayer de l'apaiser grâce aux ondes positives qu'il lui envoyait en fermant les yeux. Ça marchait bien dans les mangas, non ? Le pouvoir de l'amitié, tout ça. Il y avait toujours des monologues d'encouragement. Il s'engagea donc dans son propre monologue mental pour essayer de soutenir sa jumelle avec ses pensées.

Le match reprit, sans changement. À part peut-être l'attitude d'Ellia, plus agressive, qui se mettait en avant de façon trop ostentatoire pour qu'on puisse oser l'ignorer, et qui glissait entre les adversaires tel un serpent. L'avantage, c'est que quand elle était en colère, elle était encore plus forte. Elle marqua trois buts dès que ses coéquipières se virent forcées de lui envoyer le ballon pour éviter d'être accusées d'antijeu. Et puis il y eut cette balle.

Envoyée par une adversaire directement dans la direction d'Ellia, elle atterrit directement dans la mâchoire de la jeune adolescente. Elle recula sous le choc, les mains plaquées sur sa bouche, et quand elle les retira pleines de sang, les yeux de Nick s'écarquillèrent. "Ellia !" Paniqué, il ne chercha pas à comprendre ce qui s'était passé : il partit en courant pour quitter les gradins et descendre sur le parquet, ignorant les adultes qui essayaient de l'arrêter. Quand il arriva en bas, sa sœur était déjà éloignée du terrain par une des remplaçantes, et une fille aux cheveux prenait fièrement sa place d'ailière. Peu importait. Il fut très vite du côté des soins et s'approcha d'Ellia. Qu'est-ce qui était le pire, entre la voir saigner ou la voir pleurer ? Elle affichait peu d'émotions, et la voir en larmes avait quelque chose de douloureux.

Il suivit le groupe jusqu'à l'infirmerie, ou un adulte vint s'occuper d'elle, observer son visage de près. Il grimaça quand elle ouvrit maladroitement la bouche, mouvement qui semblait déjà très douloureux. Rongé par l'inquiétude, Nick sentit la main de sa soeur se poser dans la sienne et il la serra de toutes ses forces pour essayer de la calmer. Il savait ce qu'elle ressentait. Plus que la douleur, c'était la frustration d'avoir dû sortir du terrain qui la mettait dans cet état. Elle eut quand même une expression paniquée en voyant un morceau d'email blanc dans la main de l'infirmier après qu'elle se soit rincé la bouche. "Tu as une dent cassée." L'air désolé sur son visage ne l'apaisa pas du tout, et Nick la vit se précipiter vers un miroir pour regarder la ligne diagonale qui marquait désormais la fin de son incisive. Son index effleura la cassure nette et de nouvelles larmes brillèrent dans ses yeux bleus. Son frère ne put que passer son bras autour d'elle pour la réconforter. Cette fois, elle ne l'évita pas.

L'équipe gagna le match malgré tout, avec trois points d'avance sur leurs adversaire - les trois points marqués par Ellia, à n'en pas douter. Un pochon de glace plaqué sur sa mâchoire, la jeune fille s'était installée sur un banc dans un coin de la cour, Nick à ses côtés. "C'était fait exprès." Elle avait marmonné ces mots et il tourna la tête, haussant un sourcil surpris. "Quoi ?" "Elles l'ont fait exprès." Alors qu'il allait poser une question, elle pointa l'écran de son téléphone devant son visage. Dessus, un seul message, de la capitaine de son équipe. "Tu n'es plus titulaire". Et son sang bouillonna dans ses veines.
Elles avaient blessé sa sœur. Elles l'avaient écartée petit à petit des matchs à cause d'une rumeur qui n'avait aucun sens. Et elles avaient osé s'arranger pour qu'elle se prenne un ballon en plein visage. À moins qu'elles n'aient juste profité de la coïncidence ? En tout cas, il ne les laisserait pas s'en sortir si facilement. "Je sais pourquoi elles ne t'aiment plus." Ellia tourna vers lui un regard où se mêlaient l'intérêt, la frustration et la rage, et il lui raconta ce qu'il avait entendu.

Elle ne comprenait pas. Nick lui avait expliqué ce qu'était la rumeur sur elle, mais elle ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Alors elle avait fini par demander à son père, en essayant de ne pas trop lui faire comprendre qu'elle était directement concernée. Elle avait prétendu que les rumeurs concernaient quelqu'un de son équipe, et elle lui avait posé la question directement. Deux questions, en fait : Ça veut dire quoi, "lesbienne" ? Et "mater" ?

La réaction de son père avait été… bizarre. Il avait froncé les sourcils à la première question, toussoté à la seconde, mais il avait fini par lui répondre et elle avait écarquillé les yeux. Elle n'avait jamais fait ça ! Pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ? Et… et pourquoi les gens pensaient ça ? Qui leur avait dit, quand, dans quel but ? Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Ce qu'elle comprenait, par contre, c'était que ses coéquipières s'étaient méfiées d'elle parce qu'elles pensaient qu'elle avait des idées bizarres qui les concernaient, et qu'elle risquait de tomber amoureuse d'elles… ou qu'elle était… attirée ? Elle ne comprenait pas trop le concept, mais c'était le mot qu'avait employé son père. "Fille attirée par les filles". Naturellement, dans son esprit, il était devenu question d'amour, mais elle se doutait bien qu'il n'y avait pas que ça. Car même si Cahel avait essayé de ne pas être trop explicite, elle avait plus ou moins compris que cette histoire de "mater" avait un rapport avec des choses dont elle n'avait pas envie d'entendre parler. Alors les filles de son équipe pensaient qu'elle voulait les embrasser ou… d'autres choses ? C'était un problème facile à résoudre, dans ce cas !

Après tout, il y avait ce garçon avec qui elle s'entendait bien, Mike Caufield. C'était un gars de sa classe, un redoublant d'un an de plus qu'elle, qui venait à quasiment tous ses matchs et qui était venu plusieurs fois lui parler et lui offrir des cadeaux. Il était plutôt joli, avec ses cheveux noirs toujours en bataille et son nez un peu de travers et, surtout, il était gentil. Il parlait beaucoup mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui réponde ; au contraire, il avait l'air de prendre son silence comme un signe qu'elle l'écoutait - ce qui était le cas la plupart du temps - et qu'elle s'intéressait à ce qu'il disait. Parfois, il parlait de cours, parfois il parlait de sa famille, parfois il parlait de handball, c'étaient les moments où elle l'écoutait le plus pour pouvoir le corriger s'il disait une bêtise. Mais globalement, il l'aimait bien, il avait même l'air de faire partie de ses fans et il s'extasiait souvent sur sa manière de jouer. Quant à elle… elle l'aimait bien aussi ? Elle le trouvait sympa, déjà, et il n'essayait pas de la faire changer.

Alors aujourd'hui, elle avait pris une décision. Emmitouflée dans son écharpe pour cacher sa dent cassée, même si elle n'ouvrait de toute façon pas très souvent la bouche. C'étaient bientôt les vacances, elle aurait pu attendre après, mais l'idée que les rumeurs continuent de circuler sur elle lui donnaient la nausée. Les autres gens aimaient ce qu'ils voulaient mais elle, elle trouvait les corps de filles moches. Elle n'avait pas envie qu'on croit autre chose.

"Ellia ! Comment tu vas ? J'étais au match l'autre jour, j'ai vu ce qui s'est passé. Tu t'es cassé une dent, il paraît ? Ça t'a fait mal ?" Elle étira légèrement le coin des lèvres. Elle souriait déjà peu en temps normal, parce qu'elle n'aimait pas ses dents trop écartées à son goût, mais l'idée qu'on puisse voir son incisive brisée la dérangeait encore plus, maintenant. Il dut prendre ça pour un non, car il reprit. "Franchement, elle a fait n'importe quoi, la nana de l'équipe d'en face. C'est comme si elle l'avait fait exprès. Et elle a même pas été sortie ! Et sans toi, l'équipe joue vraiment moins bien. Caroline est clairement pas à ton niveau ! La fin du match était chiante, heureusement que tu avais mis des points d'avance !" Ellia roula un peu des yeux, mal à l'aise devant les compliments, et ils finirent par s'asseoir dans l'herbe, dans un coin de la cour. Il parlait vraiment beaucoup mais là, ça lui faisait du bien. Elle n'avait pas envie d'avoir à parler, parce que ça impliquait d'ouvrir la bouche et de montrer son sourire brisé. "On m'a dit qu'elles t'avaient sortie de l'équipe ? C'est vraiment n'importe q..." "Dis, Mike... Il se coupa pour la regarder, les yeux légèrement plus ouverts comme s'il était surpris d'entendre sa voix, même étouffée par l'écharpe qu'elle ne retirait pas de sa bouche. "O... Oui ?" "Je me demandais si... si tu voudrais sortir avec moi..."

La réaction à laquelle elle eut droit aurait pu la faire rire si elle avait été un spectateur extérieur. Son camarade écarquilla véritablement les yeux, et elle vit ses joues passer par diverses teintes de rouge à une vitesse phénoménale jusqu'à se figer sur une couleur écarlate. Il bafouilla quelque chose puis toussota, prenant un air sérieux en la regardant dans les yeux. "Tu es sérieuse ?" Elle se contenta de hocher la tête mais il semblait avoir toujours du mal à y croire. "Moi ? Vraiment ? Tu… Tu sais qu'il y a beaucoup mieux que moi dans cette école ? Tu es sûre que le ballon t'a pas tapée trop fort ?" "C'est à toi que j'ai posé la question." Il ouvrit la bouche comme s'il allait ajouter quelque chose, peut-être poser encore des questions, mais il finit par la refermer sans rien dire. Et quand il posa doucement sa main sur la sienne, Ellia ne tressaillit même pas. Elle lui faisait confiance, ce qui était déjà plus que la quasi-totalité de cette école. "D'accord." Alors les lèvres de la jeune adolescente s'étirèrent un peu plus et elle le laissa se rapprocher un peu. Ils mangèrent en silence, tous les deux un peu perdus, incertains de ce qui était censé se passer ensuite.

Elle était contente de lui avoir demandé. Elle l'aimait bien, et il comprenait - non, adorait - le sport auquel elle avait dédié sa vie. Elle ne pouvait pas espérer mieux. Emmitouflée dans son manteau et son écharpe, elle se permit un petit geste vers lui et posa doucement sa tête contre son épaule, pour le sentir se crisper puis se détendre. Elle était persuadée qu'il avait encore rougi. Quand elle releva les yeux, ce fut seulement pour voir un petit sourire béat sur les lèvres du garçon. C'était son petit ami, maintenant, alors ?
Est-ce que Nick allait être jaloux de savoir qu'elle avait été en couple avant lui ? C'était drôle de se l'imaginer.

Ellia avait un petit ami. Ça lui avait pris beaucoup trop de temps de se faire à l'idée. L'imaginer amoureuse était bizarre, et il n'était même pas sûr qu'elle l'était. Ça ressemblait pas à ce qu'il voyait dans les films, les dessins animés ou les mangas, en tout cas. Est-ce qu'elle l'avait déjà embrassé ? Ils étaient ensemble depuis deux mois et cinq jours, mais elle n'avait jamais parlé de ça. Et pourtant, elle lui parlait de tout. En tout cas, les voir marcher main dans la main dans la cour du collège avait fini par apaiser les rumeurs qui couraient sur elle, mais le mal était déjà fait, et aucune des filles de l'équipe ne semblait prête à admettre son erreur et à s'excuser. Nick, de son côté, continuait d'essayer de remonter la piste. Et moins il y avait de gens qui s'impliquaient dans la rumeur, plus c'était facile. Que son couple avec Mike soit vrai ou non, l'important, c'était qu'il lui facilitait la tâche. Même s'il avait un peu de peine pour le garçon si, vraiment, Ellia n'était avec lui que parce que les rumeurs lui avaient fait peur. Il aurait aimé pouvoir dire que ce n'était pas son genre, mais tant qu'ils n'auraient pas trouvé le coupable, tous les moyens étaient bons pour atteindre leur objectif.

En tout cas, maintenant, il avait un peu plus le champ libre. Il se faisait discret, ce qui n'était pas bien difficile pour lui, et cherchait ceux qui parlaient encore de la rumeur sur Ellia. Les filles de l'équipe de hand semblaient avoir abandonné le sujet, la plupart des garçons aussi. En fait, seules quelques personnes de leur classe en parlaient encore, mais c'était principalement pour dire que c'était bête vu qu'elle était amoureuse de Mike, et que les plus âgés disaient toujours n'importe quoi. Nick tiqua. Les plus âgés ? La rumeur était venue des classes supérieures ? Intrigué, il alla parler au garçon qu'il avait entendu dire ça, et on finit par lui pointer un groupe de filles du doigts. Des élèves de dernière année, dont une qu'il reconnaissait.
La fille aux cheveux roses qui avait remplacé sa sœur lors de son dernier match en tant que titulaire.

L'idée germa dans son esprit. La logique se forma comme un puzzle dont il avait trouvé la pièce manquante. La jalousie. C'était ce qu'il avait suggéré à sa sœur le premier jour, mais il n'aurait jamais pensé qu'une élève de dernière année aurait été capable de ça simplement pour lui prendre sa place de titulaire. Il n'en était pas encore certain, mais la coïncidence aurait été troublante. Enfin, il avait juste à enquêter, ça n'était pas bien compliqué ! Détective Conan le faisait très bien, il n'avait qu'à s'inspirer de lui. Et une fois qu'il serait absolument sûr d'avoir la bonne personne…
Eh bien, il ne donnait pas cher de sa peau.

Cela lui prit deux semaines, mais il finit par acquérir la certitude absolue que Caroline Miller était responsable de la rumeur qui circulait sur sa sœur. Il avait dû interroger les bonnes personnes, fouiner, espionner, jouer le rôle du gamin serviable tout comme celui du fantôme, mais il l'avait entendue en parler. Elle semblait fière d'elle, elle rigolait d'avoir réussi à faire exclure une "gamine prétentieuse et insupportable" de l'équipe avec "des mots qu'elle ne comprenait même pas". La colère de Nick flamboya dans son cœur mais il s'efforça de rester dans l'ombre. Il avait juste besoin de preuve, il n'agirait pas tout seul. C'était Ellia qui avait subi, c'était elle qui se vengerait, ou en tout cas qui déciderait de la marche à suivre. Il l'écouta encore un instant, tressaillit quand il l'entendit parler de lui, mais il resta caché sous le canapé du CDI, roulé en boule, jusqu'à ce qu'elle s'en aille et emporte ses copines avec elle. Alors, seulement, il se glissa à l'extérieur, un sourire carnassier sur les lèvres. "Tu ne t'en sortiras pas si facilement..."

Comme à son habitude, il vint donc attendre sa sœur à la sortie du gymnase. Elle quitta l'entraînement avant les autres, consciente malgré elle du regard que ses coéquipières posaient sur elle, mais elle ne fit pas de commentaire. Très vite, quand ils arrivèrent aux grilles, ils furent rejoints par Mike, qui referma délicatement sa main sur celle d'Ellia. Nick eut un petit sourire attendri. Ça n'avait pas l'air si faux que ça. En tout cas, si ça l'était, ça voulait dire qu'elle avait acquis un énorme contrôle d'elle-même, pour se laisser prendre la main comme ça. Ils marchèrent donc à trois jusqu'à l'arrêt de bus, et Nick les laissa s'asseoir tous les deux devant lui, somnolant sur son siège seul jusqu'à ce que le petit ami de sa sœur finisse par descendre et qu'il la rejoigne. "Tu es amoureuse de lui ?" "Je l'aime bien." "C'est pas ce que j'ai demandé."  Elle se contenta de hausser les épaules et il soupira doucement, regarda par la fenêtre le garçon qui traversait le trottoir pour rentrer chez lui. "Il a l'air de l'être, lui." "Oui."

Visiblement, elle n'en doutait pas le moins du monde. Mais elle souriait, ce qui était déjà une petite victoire pour ce garçon. Elle ne l'avait sûrement pas choisi au hasard, mais Nick doutait qu'elle soit véritablement amoureuse. Sans doute avait-elle jeté son dévolu sur le premier qui lui plaisait un peu et avec qui elle s'entendait bien, toute perturbée qu'elle avait été par la révélation des rumeurs. Son histoire ne durerait probablement pas longtemps. La silhouette de la fille aux cheveux roses descendit peu après et Nick pressa doucement le bras de sa sœur avant de la désigner d'un signe de tête. Si elle sembla perplexe, il ne doutait pas que l'information se fraierait un chemin dans sa tête, et qu'elle comprendrait.

"Restons amis". C'était les derniers mots qu'elle avait dits à Mike, et il avait eu l'air d'accord, mais elle n'était pas sereine. Ils étaient restés ensemble presque trois mois, et elle avait fini par sentir le décalage entre eux. Nick n'avait fait que souligner ça quand il lui avait demandé si elle était amoureuse, et elle y avait beaucoup réfléchi. Trop réfléchi, sans doute, au point qu'elle avait fini par réaliser qu'elle ne l'avait jamais embrassé et qu'elle n'était pas certaine de le vouloir. Pourtant, elle aimait bien être près de lui et s'allonger contre son épaule, ou lui tenir la main, mais elle n'avait pas envie qu'il soit triste parce qu'ils ne faisaient rien de plus. Pas envie que ça gâche leur relation encore stable. Ils pouvaient être amis, non ? Ça voudrait juste dire qu'ils ne se tiendraient plus la main, mais ils pouvaient redevenir comme avant, quand il lui parlait de hand et qu'il venait voir ses matchs. Elle l'espérait, en tout cas, de tout son cœur.

Elle n'avait pas eu que ça à penser, depuis ce jour-là. Chaque entraînement faisait bouillir son sang dans ses veines quand elle voyait la chevelure rose s'agiter sur le terrain. Caroline Miller. La garce qui lui avait coûté sa place dans l'équipe, celle qui lui avait peut-être aussi coûté son incisive. Se rendait-elle compte de ce qu'elle avait fait ? Assise dans les gradins pour le dernier match de la saison, Ellia ruminait. Caroline partait bientôt pour la Californie. Ça faisait plusieurs jours que Nick et elle réfléchissaient, et ils avaient décidé d'attendre qu'elle se ridiculise avant d'essayer quoi que ce soit. Alors ils étaient là pour la voir perdre. Et par vengeance, Ellia n'avait même pas pris la peine de se présenter au banc des remplaçantes. Qu'elles se débrouillent sans elle, si elles avaient tant voulu s'en débarrasser.

Sans surprise, le match se termina par une défaite cuisante de leur collège et la jeune adolescente croisa les bras, une expression moqueuse peinte sur ses traits. Mike n'était pas venu, sans doute parce qu'il savait qu'elle ne jouerait pas ; ça faisait un moment qu'il n'assistait plus aux matchs. Franchement, cette pimbêche s'était crue capable de prendre sa place ? Elle était très loin d'avoir le niveau suffisant pour espérer lui arriver ne serait-ce qu'à la cheville. "Nick ?" "Hm ?" "Tu es certain que c'est elle ? "Oui. À cent pour cent." "Parfait." Et du haut des gradins, elle savoura la déception qu'elle lisait dans la posture de sa rivale, gravant l'image dans sa mémoire au point de passer sa langue sur ses lèvres, la satisfaction brillant dans ses prunelles. Elle ne pourrait pas la voir ce soir. Mais demain… oui, demain, elle lui ferait regretter.

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"CAROLINE MILLER !" La jeune femme frissonna en entendant la rage qui se dégageait de la voix, pourtant juvénile, qui venait de l'interpeller. Elle ne se retourna que pour apercevoir le poing qui venait s'écraser entre ses côtes, et qui la plia en deux. "Je vais te buter." "Ç... Ça va pas, t'es folle !?" La lueur qu'elle voyait dans les yeux turquoises aurait eu tendance à confirmer ses paroles. Chancelante, Caroline recula, pas assez vite pour ne pas sentir le talon qui vint lui broyer les orteils, et un autre coup qui l'atteignit au visage, assez fort pour la faire basculer, son équilibre mal retrouvé. "Tu as osé. Osé essayé de me faire virer de l'équipe… non, osé réussir ! Et tu pensais vraiment t'en sortir sans y perdre quelques dents ?" Sa colère était aussi froide que ses coups étaient violents. Encore une fois, Caroline essaya de s'écarta, renonçant à l'idée de se lever pour simplement glisser en arrière, mais c'était sans compter la main qui se referma sur son col et colla presque son visage à celui de la gamine qu'elle méprisait tant.

"Qu'est-ce que tu racontes ?" Le rire glacial qu'elle reçut en réponse lui fit froid dans le dos. "Je sais que c'était toi." Heureusement, elle vit une main d'adulte se refermer sur le bras de la petite Ballentine avant qu'un nouveau coup n'atterrisse dans son visage. Ellia se débattait dans les bras d'un surveillant qui essayait tant bien que mal de la retenir. "Tu me le paieras, Miller ! Ne te mets pas sur mon chemin !" Caroline resta figée, incapable de détacher son regard de la furie que le surveillant retenait à grand peine. Elle ne retrouva le contrôle de ses mouvement qu'en sentant le goût du sang dans sa bouche. Elle y plaqua sa main, réalisant un peu tard la douleur qui se répandait dans sa mâchoire. Son cœur paniqué essayait en vain de se calmer. Pendant un instant, elle avait vraiment eu l'impression que cette gamine arrogante était capable de la tuer.
Et elle n'était pas certaine de s'être trompée. Heureusement, elle quittait l'état le lendemain pour la Californie. Elle n'aurait jamais à revoir cette gosse.

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"Explique-toi, Ellia." La jeune Ballentine jeta un regard assassin au surveillant qui la toisait depuis l'autre côté de son bureau, puis elle croisa les bras, agacée. Il lui avait retiré sa vengeance, elle avait à peine eu le temps de faire un peu mal à cette sale garce. Un coup dans le ventre, un dans la mâchoire, et un peu mal au pied, c'était tout ce qu'elle avait eu le temps de faire ? C'était ridicule à côté de l'impact que l'autre avait eu sur sa vie. "Ellia, je te parle." "Elle a entravé mon avenir professionnel." C'est tout ce qu'elle daigna prononcer avant de s'enfermer dans un mutisme boudeur. Avec un soupir, le surveillant finit par rédiger un avertissement disciplinaire et la renvoyer chez elle après un appel bref à son père. Elle ne lui accorda même pas un regard en sortant de son stupide bureau. Caroline serait partie quand elle reviendrait, et elle n'avait même pas eu le temps de lui faire goûter la puissance de sa colère. C'était frustrant.
Mais elle la reverrait bien un jour. Et elle regretterait d'avoir croisé le chemin des Ballentine.