Réparer l'année dernière [Brook]

Un an, déjà... C'est la seule chose qui lui traverse l'esprit quand elle pense que le bal approche. L'année dernière, à cette période, sa vie a pris un tournant encore plus imprévu que celui des deux années précédentes. Pourquoi l'été semble déterminé à être une période psychologiquement violente pour elle ? Il y a trois ans, elle s'est tiré une balle. Deux ans, elle arrivait ivre au bal après avoir vu s'effondrer toutes ses illusions. Un an, elle faisait un scandale à ce même bal au point de finir par conclure un pacte avec une personne qu'elle aurait sans doute dû ne jamais revoir.
Si tu n'arrives pas à changer ça d'ici un an, j'accepterai de te tuer. Sauf qu'il ne le ferait pas. Parce qu'il était amoureux d'elle.

Tessa soupire. C'est quelque chose qu'elle ne peut pas changer, pour l'instant. Par contre, elle peut réparer certaines de ses erreurs, comme ce scandale qu'elle a fait en insultant, au final, la seule amie qu'elle s'était fait entre ces murs. Elle est obligée d'aller au bal cette année, de toute manière, alors pourquoi ne pas en profiter pour remettre les choses en ordre ? Et pour ça, la première étape, c'est d'avoir la tenue appropriée. Maintenant qu'ils connaissent le thème, ils peuvent enfin se permettre d'aller acheter ça. C'est l'une des rares occasions où elle achète des vêtements, en fait, mais le problème reste toujours le même : sans vision des couleurs, elle a du mal. Mais si elle veut réparer...

C'est comme ça qu'elle s'est retrouvée là. Parler à Brook un soir, lui proposer de sortir toutes les deux pour trouver une tenue pour le bal. En fait, elle ne sait même pas si sont amie ira vraiment ou si l'an dernier l'a trop marquée pour qu'elle accepte d'y remettre les pieds mais, en tout cas, elles sont censées faire du shopping ensemble aujourd'hui. À défaut, Brook pourra au moins l'aider à trouver quelque chose de cohérent en terme de couleurs, et ça leur fait une sortie entre amies, pour réparer ce qu'elle avait voulu briser et piétiner par jalousie... Une jalousie qui lui serre toujours un peu le cœur, d'ailleurs, mais elle sait que ça, ça ne partira jamais. Elle peut toujours l'ignorer.

Pour se simplifier la vie, elles se trouvent dans l'un des plus grands centre commerciaux de la ville, à une trentaine de minutes en bus de l'école. Au moins, ça évitera d'avoir à faire trente mille détours pour trouver d'autres endroits si une boutique ou une autre ne leur convient pas.

» On commence par quoi ?

Robe, masque, chaussure, une boutique en particulier ? Pour le coup, elle n'y connaît absolument rien. La seule boutique qu'elle connaisse, c'est steam, et ça ne lui servira pas à grand chose dans ces circonstances.

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Une glace... Un instant, le visage naturellement souriant qui a toujours été sa marque de fabrique, à cause de l'inclinaison de base de ses lèvres, reprend quelque peu sa place. Si seulement tout pouvait toujours être aussi simple. Au final, c'est ce que Brook aurait dû être pour elle, depuis le début : la simplicité. Mais rien n'est jamais simple avec une Tessa dans l'équation. Mais ce n'est pas le moment de penser à ça. Brook a raison : elles ont le temps. De toute façon, vu que sa main s'est refermée sur la sienne pour l'entraîner avec elle, elle n'aurait pas eu bien le choix. Une glace, donc. Pas la moindre hésitation avant de prendre une glace au citron. Enfin si, une petite, un vieux réflexe qui a failli s'inviter entre ses lèvres pour commander une vanille-caramel, mais qui s'est heurté pour la première fois depuis bien trop longtemps à la barrière de l'honnêteté.

Citron, donc, un cornet qu'elle mange du bout des lèvres à la table où elles s'installent, un peu perdue dans ses pensées. Une part d'elle rejette violemment ce choix, cette décision de suivre un goût particulier au lieu de se terrer dans l'imitation. Mais ce n'est pas de la peur, c'est de l'orgueil. Au fond, elle n'a pas vraiment envie qu'il puisse se vanter d'avoir réussi à la changer, d'avoir eu raison. Enfin... elle verra ça le soir du bal, non ? Ce n'est pas important pour l'instant. Il y a d'autres questions à régler.

» Je n'arrive même plus à les imaginer dans ma tête, alors je sais pas trop... quelque chose qui m'aille bien.

Les couleurs lui manquent, aussi. Depuis sa tentative de suicide, elle en a privé son monde autant que son imagination. Impossible de se rappeler à quoi elles ressemblent, même ses souvenirs en sont dépourvus. Il n'y a rien de plus frustrant que de savoir que sa couleur préférée était le bleu, sans se souvenir d'à quoi ressemble le bleu.

» Tu seras ma conseillère couleur. Histoire que j'arrive pas en zèbre arc-en-ciel.

Elle rit un peu, sourit, continuant de lécher silencieusement sa glace en serrant le pendentif dans sa main dès que des pensées négatives essayent de s'inviter dans ses pensées. Son substitut à l'alcool. Cela fait bien longtemps qu'elle n'était pas restée sobre autant de temps sans ressentir une douleur au ventre. Les psys n'ont peut-être pas tort, finalement. Ce geste semble avoir totalement remplacé son addiction.

» Tu... n'y vas pas avec Tess ?

Sa voix est calme, dépourvue des reproches et des accusations que la simple mention de ce prénom auraient pu y faire naître à peine un an plus tôt. Brook a-t-elle eu peur d'inviter à nouveau sa petite amie à cause d'elle ? Ou bien a-t-elle vraiment fait passer quelqu'un d'autre, elle, en premier choix par rapport à l'amour ? Ça lui semble si improbable... impossible. Personne ne fait ça. Les gens abandonnent toujours leurs amis dès qu'ils tombent amoureux...

» Je ne pensais pas que tu voudrais venir.

Au final, elle est plus honnêtement surprise qu'autre chose. C'est une situation que son esprit analytique perverti par sa phobie de l'abandon n'aurait jamais su imaginer, et elle est perdue quant à la manière d'y réagir.

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Compliqué ? Un mot faible et flou. La situation lui échappe, ne retient pas sa compréhension habituelle du monde. Elle l'a invitée au bal... elle ? Alors qu'elle est en couple ? Pourtant... pourtant d'habitude, les couples ont tendance à éloigner les gens de leurs amis. C'est comme ça que cette logique s'applique dans sa vision du monde, c'est comme ça qu'elle l'a toujours vu. Pourtant, cette question vient tout perturber. A-t-elle des problèmes avec Tess ? Non, ça ne peut pas être juste ça, Brook n'est pas du genre à utiliser des gens pour se remettre de sa solitude. C'est... autre chose. Et elle n'arrive pas à s'y faire, à comprendre. Alors elle écoute, elle essaye de remettre son esprit analytique habituel sur les rails d'une conversation qui lui échappe.

Son explication l'intrigue. Elles sont si différentes, comment a-t-elle pu ne pas s'en rendre compte pendant tout ce temps ? Ne pas se soucier des autres ou de ce qu'ils pensent... jamais elle ne pourra être comme ça. Au fond, elle ne pourra jamais totalement lui ressembler. Ce qu'elle comprend... c'est que Brook veut pouvoir être avec elle, tout en ayant la possibilité de faire des choses seules sans avoir l'impression d'avoir des obligations envers elle. Étrange choix de personne à inviter, considérant ce qui s'est passé l'année dernière. Lui a-t-elle vraiment pardonné si facilement ?

Ses considérations personnelles parviennent presque miraculeusement à s'écarter du chemin pour la laisser écouter les paroles de son amie. Elle rêve... d'un autre ? Le nom Seb lui dit quelque chose... Un instant, elle fouille sa mémoire percée par l'alcool pour essayer de se souvenir. Était-ce... le garçon qu'elle voyait un peu pendant une période ? Prise d'une rare empathie chez elle, le cœur de Tessa se serre en pensant à ce que ressentirait la petite amie de Brook si elle l'apprenait. Savoir que celle qu'elle aime rêve de quelqu'un d'autre chaque nuit l'aurait rendue malade.

» Je... ne crois pas que tu devrais lui en parler. Pas avant de savoir pourquoi tu fais ces rêves.

Bien sûr, malgré leurs prénoms similaires, Tess n'est pas comme elle. Peut-être qu'elle préférerait savoir, peut-être qu'elle n'aura pas cette impression d'abandon rien qu'à l'idée que sa copine puisse penser à un autre aussi régulièrement - c'est même fort probable, vu qu'elle ne partage pas sa phobie. Pourtant... pourtant Tessa ne peut conseiller son amie que selon sa propre vision du monde. Et ces mots, cette situation, serait le genre de choses capables de la faire sombrer dans la peur.

» J'irai avec toi.

Elle sourit. Elle devra aller au bal, de toute façon, elle a des affaires à régler, quelqu'un à y voir. Même si la perspective de laisser Brook seule dans l'auditorium lui déplaît, d'autant plus qu'elle risque de la laisser seule pour de bon... Non, c'est idiot de penser ça. Il ne la tuera pas. Elle s'absentera juste assez longtemps pour lui dire de la laisser tranquille, puis elle pourra revenir profiter de la soirée avec Brook.

» Je peux chercher, pour tes rêves, si tu veux. Ça n'a peut-être rien à voir avec des sentiments, si ça se trouve tu n'as pas à culpabiliser.

Être une bonne amie, pour de vrai. Elle essaye. De toute façon, elle est partie pour rester dans ce monde un moment, maintenant qu'on lui a arraché ses deux manières d'en finir, alors autant essayer de rendre ça agréable.

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A-t-elle fait le bon choix ? Pendant une seconde, elle a l'impression d'être dans un jeu-vidéo, ceux qui déroulent une liste de choix de dialogues qui peuvent entraîner très rapidement la mort ou la trahison d'un des personnages. Sauf que dans un jeu, on peut sauvegarder ; dans la vraie vie, on n'a qu'une occasion. Et les choix sont nettement moins clairs que plusieurs lignes de dialogues différentes alignées sur un écran. Mais Brook a l'air rassurée, alors c'était sûrement la bonne réponse à donner pour la mettre dans un état d'esprit positif.

La conversation finit par revenir sur le sujet principal, à savoir les tenues qu'elles sont venues acheter pour le bal. C'est, après tout, la raison originelle de leur présence ici et le pas en avant qu'a pris Tessa pour lutter le plus possible contre sa phobie de l'abandon, qui la ronge toujours à chaque instant qui passe. Pour l'instant, elle a l'impression de pouvoir la contrôler. Elle regarde la main de son amie se refermer sur la sienne et se laisse entraîner jusqu'à une boutique de vêtements.

» C'est juste un bal masqué, je crois pas qu'ils aient annoncé de tenue spécifique en dehors de ça.

En tout cas, pas qu'elle se souvienne. Elle n'a prêté que peu d'attention aux détails, même si elle voulait s'efforcer de respecter un peu le thème histoire de ne pas se faire recaler à l'entrée. La première fois, elle s'est incrustée sans considération, mais ce n'est pas le même conseil qu'à l'époque. La deuxième fois, elle n'a respecté le thème que parce qu'il s'accordait à sa vie. Cette fois, elle le fait parce qu'elle doit vraiment entrer. Se faire virer du bal alors qu'elle a un engagement sur place – et maintenant deux – serait crispant au possible.

» Je t'ai dit, je n'arrive pas à les imaginer alors… je sais pas du tout, pour la couleur.

L'histoire frustrante de son existence, ce monde en noir et blanc qui n'a même pas eu la décence de lui laisser l'imagination en couleur. Elle peut au moins répondre à l'autre question, par contre.

» Je…

Alors, on parle de goûts personnels. C'est plus compliqué qu'elle ne l'a imaginé, en fait. Si on part du principe qu'elle porte systématique son uniforme en dehors d'occasions spécifiques, alors…

» Je pense qu'une robe courte m'irait mieux.

Au moins, ça ne la sortira pas trop de ses habitudes, et elle n'a jamais porté de jupe qui aille au-delà du genou. En tout cas, plus depuis qu'elle est entrée en école privée et qu'elle s'est retrouvée à porter des uniformes scolaires.

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Trouver une tenue est plus difficile qu'elle ne l'imaginait. L'inconvénient, c'est qu'elle n'a jamais eu de goût spécialement marqués, ni même de goûts tout court. Depuis qu'elle a pu choisir ses vêtements elle-même... elle ne l'a jamais vraiment fait. Elle a porté pendant autant de temps que possible les vêtements que lui avaient acheté ses parents, puis des uniformes scolaires. Les rares vêtements qu'elle possède lui ont été donnés par sa belle-mère, et elle ne les porte jamais. L'unique fois où elle a choisi ses propres vêtements, c'était la période où sa maladie faisait des siennes et où elle voyait chaque cours de soutien comme un rendez-vous, et même là... c'était aux goûts présumés de Cam qu'elle s'était assortie.

Elle laisse donc son amie chercher un peu pour elle, tandis qu'elle observe les robes défiler sous ses doigts. Elle n'a pas la moindre idée de ce qu'elle aime ni de ce qu'elle veut, et son absence de vision des couleurs n'aide pas à se faire une idée. Un peu perdue dans ses pensées, Tessa observe pendant un instant une robe courte qui apparaît sous ses yeux. De quelle couleur est-elle ? Quelque chose de clair, vu qu'elle lui apparaît en gris clair et un blanc. Elle garde le regard rivé sur la tenue jusqu'à entendre la voix de Brook. Alors elle se retourne vers la robe qu'elle lui propose et l'observe. Gris foncé, presque noir. "Bleu nuit", d'après son amie. Elle l'observe d'un air pensif.

» Hm... C'est vrai qu'elle est jolie.

Et de mémoire, le bleu était sa couloir préférée. Reste à voir si elle lui ira bien. Elle prend donc la robe avec un petit hochement de tête en continuant de regarder autour d'elle pour observer d'autres modèles et pouvoir en essayer plusieurs. Ensuite, elle choisira celle qui lui va mieux. Ou plus vraisemblablement, elle laissera Brook choisir pour elle.
On ne peut pas développer une personnalité en si peu de temps.

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