[2020] Un rencard?

"Miroir, miroir magique au mur, vas-tu me dire ce qui torture tant l'esprit de mon adorable frangine ?" "Tais-toi." Voilà comment bien commencer une conversation dans la famille Ballentine. Allongé sur le canapé de sa sœur, Nick haussa un sourcil avant de se redresser, regardant Ellia qui, près de lui, semblait en pleine réflexion. "Sérieusement, qu'est-ce qui t'arrive, Ellia ?" Elle lui lança un regard froid mais il ne détourna pas les yeux, bien trop habitué à ses sautes d'humeur pour en faire cas. Elle avait toujours été glaciale, même si c'était souvent avec les autres qu'avec lui, et elle avait vraiment l'air perdue dans ses pensées. Voyant son regard insistant, elle soupira. "J'essaye de savoir quand est-ce que j'ai un moment de libre." Nick tiqua. Comment ça, un moment de libre ? Intrigué, il se pencha un peu en avant. Puis une idée lui traversa l'esprit et il écarquilla les yeux. "Tu as un rencard ?"

Le visage d'Ellia changea brusquement de couleur. Comment ça, un rencard ? Qu'est-ce qu'il racontait, encore ? Décidément, depuis que Jun était revenu dans le paysage, son frère avait repris son habitude de se mêler de choses qui ne le regardaient pas. D'autant plus que là, il disait n'importe quoi. "Mais non. Tu es obsédé par ça, c'est dingue ! C'est juste un gars que j'ai croisé une fois dans un parc." "Hm hm." Il ne semblait pas convaincu, ce qui l'agaça légèrement. Son frère pouvait être très rapidement collant quand il pensait avoir mis la main sur le moindre indice lié à sa vie sentimentale inexistante. Mais il en avait bien assez pour deux. Quand il se leva pour s'approcher d'elle, elle plissa les yeux. "Raconte-moi donc ce qui s'est passé quand tu l'as 'croisé'." Ellia soupira. Il ne la lâcherait pas. Alors elle leva les yeux au ciel pour la forme et lui raconta, histoire qu'il lui fiche la paix.

À mesure qu'elle parlait, Nick haussa un sourcil. Elle ne se rendait vraiment compte de rien, hein ? Comment sa sœur pouvait-elle être aussi innocente dès qu'on s'approchait de ce genre de sujet ? Entre lui et leurs parents, elle aurait dû avoir un semblant de base, non ? Non. Elle semblait totalement inconsciente de ce qui était en train de se jouer. "Désolée de te le dire, frangine, mais ça, c'est un rencard." Et pour une fois, l'expression de son visage ne reflétait que du sérieux et nettement moins de taquinerie qu'un peu plus tôt, ce qui la fit piquer un fard. "Je... Je dois annuler !" "Certainement pas !" Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, il lui prit son téléphone des mains avant qu'elle n'ait le temps d'effacer totalement le message qu'elle était en train d'écrire.

"Rends-moi ça !" Il était insupportable ! Insupportable et idiot ! Il ne pouvait pas envoyer ce message à sa place... il ne pouvait pas envoyer ce message tout court ! Tandis qu'il fuyait vers le canapé, elle s'élança à sa poursuite, essayant de lui arracher l'appareil avant qu'il n'ait le temps de réécrire la fin du message et l'envoyer. "Nick !" "Ça te coûte rien ! Tu as dit qu'il était sympa, non ?" "Arrête ! Il va se faire des idées !" Gardant le téléphone hors de sa portée, ce qui eut pour effet de la crisper encore plus, il la regarda dans les yeux. "Tu risques quoi, à tenter ta chance ? Tu ne peux pas te morfondre éternellement du départ de Ryuu. Il ne reviendra pas." "Il n'y avait rien entre Ryuu et moi !" "C'est ça." Les yeux d'Ellia s'écarquillèrent quand elle vit le pouce de son frère appuyer sur le bouton "envoyer" tandis qu'un sourire étirait ses lèvres. Ensuite de quoi il lui lança son téléphone, qu'elle attrapa au vol. "Je te déteste." Il ne lui répondit que par un haussement d'épaules, avant de poser sa main sur la sienne. "Tu me raconteras. Et ne t'avise pas d'annuler maintenant, ça serait injuste et impoli, et c'est pas ton genre, pas vrai ?" Elle serra les dents. Non, effectivement, ce n'était pas son genre et il le savait très bien, c'est pour ça qu'il avait fait ça. Elle soupira. Elle pouvait toujours lui dire que c'était son frère qui avait écrit le message à sa place, mais ça n'aurait pas franchement été plus correct. D'autant plus qu'il venait de lui répondre, assez vite pour qu'elle comprenne qu'il attendait vraiment son message.
Plus jamais elle ne parlerait de quoi que ce soit à son imbécile de frère.

Ellia s'efforçait de son mieux de respirer correctement. Depuis que son frère avait envoyé ce fichu message à sa place, elle se prenait beaucoup trop la tête. Elle n'était pas faite pour ce genre de choses, il le savait, et pourtant il n'avait pas hésité une seconde. À ce stade, elle en venait même à se demander si c'était tant que ça une coïncidence que Damon ait eu deux billets pour ce match de hand. Mais non, Nick n'aurait eu aucun moyen de savoir avant qu'elle lui en parle. Elle commençait à devenir paranoïaque, à force.

Elle était nerveuse. Beaucoup trop nerveuse. Elle n'y connaissait absolument rien, aucun code, aucun fonctionnement de ce genre de sortie. Elle était censée faire quoi ? Agir comment ? Et s'il tentait quelque chose ? Rien qu'à cette idée, elle sentit simultanément de la chaleur lui monter aux joues et son estomac se serrer. Appréhension et gêne. Ce n'étaient pas des réactions normales, si ? Ce n'était pas comme ça que réagissaient ses anciennes camarades de classe quand elles en parlaient, en tout cas. Mais peut-être qu'elles mentaient.

La jeune femme sursauta légèrement en entendant une voix l'interpeller, déglutit en la reconnaissant. il lui fallut un petit instant pour s'efforcer de se calmer avant qu'elle se retourne. jamais elle n'avait été aussi contente de porter du maquillage ; au moins, elle savait que, si elle rougissait, ça ne se verrait pas trop. Elle tendit la main pour récupérer le billet qu'il lui tendait, mobilisant toute sa volonté pour ne pas crisper les doigts dessus une fois qu'elle l'eut. Franchement... Si Nick n'avait rien dit, elle ne serait pas dans cet état.
Mais en même temps, sans ça, est-ce qu'elle n'aurait pas risqué de donner une fausse impression et de se faire surprendre ? Au moins elle savait - relativement - à quoi s'attendre.

L'entrée dans le stade la calma légèrement. Elle était en terrain connu, son terrain, et les odeurs et les bruits familiers apaisaient sa tension. C'était difficile pour elle de se prendre la tête en entendant le son des balles qui rebondissaient et des chaussures sur le parquet. Ce n'était qu'un échauffement, dans une salle annexe qu'ils ne pouvaient pas voir, mais c'était suffisant pour qu'elle se sente un peu moins comme un poisson traîné de force sur la terre ferme. Ça ne la rendait pas plus à l'aise en conversation, cependant. Elle leva les yeux vers lui une fois, comme si elle cherchait à parler, mais finit par rebaisser la tête. Décidément, elle n'était pas faite pour le social...

Un instant, Ellia ferma les yeux. L'odeur du parquet remontait jusqu'ici et apaisait assez rapidement ses nerfs dans beaucoup de situations. Les taquineries de son frère ne lui sortaient pas de la tête et sa notion déjà limitée des interactions sociales n'en souffrait que davantage. Elle était douée pour diriger, parler devant une foule, s'exprimer en public ; pourquoi devenait-elle aussi mal à l'aise dès qu'elle n'avait plus autant de monde à qui parler ? Sans doute parce que c'était personnel. Nick était doué pour se faire des amis, elle était douée pour parler à la place ou au nom des autres. Question d'expérience.
Enfin, d'après lui, l'amitié n'était pas vraiment le centre principal de cette rencontre... Parfois il ferait mieux de la fermer, en fait.

La reprise de la conversation manqua de la faire sursauter, tant elle s'était rapidement perdue dans ses pensées. Et même si l'empathie qu'elle percevait dans ses mots, et si elle croyait ce qu'il venait de lui dire, une partie de son esprit tiqua légèrement. Invité une fille... Donc Nick avait raison ? Elle n'était pas douée mais elle avait quand même une petite notion de l'interprétation en conversation, et celle qu'elle faisait de cette phrase la stressait un peu. Est-ce qu'elle devait lui poser la question ? Ce n'était probablement pas une bonne idée. Si elle se méprenait, ça ne ferait que rendre la conversation encore plus gênante. "Je ne suis pas douée pour les conversations..." Au moins, ça éviterait qu'il prenne potentiellement mal sa tendance à rester beaucoup trop silencieuse. Les étudiants de Chisê ne l'avaient pas surnommée Reine des glaces pour rien, après tout, même si ça l'agaçait.

Les annonces au micro la dispensèrent d'avoir à entendre une réponse à ses paroles et elle s'adossa sur son siège en fermant à nouveau les yeux. Nick avait tendance à rendre compliquées les choses les plus simples. C'était juste un match, et c'était son élément. Pourtant le regard qu'elle reposa sur l'intérieur du stade était un peu absent, à nouveau perdu dans ses pensées, et elle en fut encore une fois tirée par les paroles qui l'arrachèrent à ses interrogations. Elle fronça légèrement les sourcils. "Je connais pas vraiment les équipes, tu comptes en choisir une au hasard ?" Non, techniquement, il avait dit qu'il prendrait celle qu'elle ne choisirait pas. D'une certaine façon, ça revenait un peu au même. Mais bon, pourquoi pas ? Vu qu'elle ne connaissait ni l'une ni l'autre, ça lui donnait au moins une raison d'en encourager une. "Ça ne coûte rien, hm ?" Le sport était sa raison d'être et sa façon de penser principale, alors autant se concentrer là-dessus. Elle serra donc la main qu'il lui tendait avant de reporter son attention sur le terrain pour regarder les équipes qui entraient.

Son regard devint rapidement plus analytique. Elle jaugea ce qu'elle pouvait voir de là, les façon de bouger, la dynamique entre les joueurs. Même si le match n'avait pas encore commencé, certaines choses étaient visible avant qu'ils se trouvent sur le terrain. Écartant une petite mèche qui s'invitait devant son œil, elle se pencha légèrement en avant. "Je prends les rouges." Elle avait l'impression de subitement jouer à un jeu de société. Sauf que les pions n'étaient absolument pas les siens, et que rien de ce qu'ils faisaient n'était en son pouvoir. "Leur équipe a l'air plus stable, si les choses commencent à aller mal pour eux, ils auront plus de facilité à reprendre l'avantage." L'autre semblait avoir moins de cohésion. Et vu qu'elle ne les connaissait pas, c'était la seule chose qu'elle pouvait jauger.

La cohésion était un élément important, et elle ne faisait pas tout. Pourtant , l'espace d'une seconde, Ellia crut discerner une lueur de déception dans le regard de Damon, comme s'il estimait ses chances de victoire et doutait du résultat. Peut-être qu'une autre qu'elle aurait pris une équipe au hasard en se fichant du résultat, mais l'esprit de compétition était bien trop gravé dans son code génétique pour qu'elle n'essaye pas de gagner. C'était ce qui lui avait permis de grimper les échelons comme elle l'avait fait, et c'était aussi ce qui faisait des Ballentine des adversaires insupportables dans le moindre match : elle comme son frère étaient du genre à tout faire pour ne surtout pas perdre.

La jeune femme tiqua quand même cependant lorsqu'il mentionna le fait de ne pas entendre sa voix et releva les yeux des préparatifs du match pour les poser sur lui. Parler plus que ça... A une époque, elle le faisait beaucoup, mais c'était principalement pour exprimer à sa place les sentiments de Nick. Depuis qu'il s'était débarrassé de son bégaiement - du moins la plupart du temps - et qu'elle n'avait plus besoin de servir de substitut, elle n'avait gardé que son aisance naturelle à s'exprimer devant une foule, forgée par les discours de victoire ou d'encouragement qu'elle avait dû prononcer assez souvent dans sa vie. "Je n'ai jamais été spécialement bavarde," se justifia-t-elle. "C'est plus le truc de mon frère." Il avait plus de facilité à s'adresser aux gens et, de manière générale, s'y connaissait mieux en conversation. La gêne causée par les paroles du frère en question 'aidait pas non plus, mais même sans ça... Depuis combien de temps n'avait-elle pas vraiment parlé à quelqu'un sans passer par lui ? C'était ironique, dans un sens : elle avait passé son enfance à parler à sa place pour qu'il n'ait pas à complexer sur son bégaiement, et elle avait passé son adolescence et les dernières années à se créer une vie sociale à travers lui. Après tout, les quelques amis qu'elle avait venait des relations de son frère. Les deux seules fois où elle n'avait pas approché quelqu'un à travers lui, c'étaient Ryuu et Chris. Et ils n'étaient pas vraiment des fréquentations normales...

Chose qui ne lui arrivait jamais, du moins jamais sur le terrain, Ellia sursauta en entendant le coup de sifflet. Tout ça la perturbait trop. Ça ne lui ressemblait pas de s'inquiéter pour elle-même, de se poser des questions sur sa façon d'être et de penser. Elle avait passé sa vie à protéger les autres, surtout Nick, mais depuis qu'il lui avait fait la leçon à propos de Jun, il y avait déjà presque un an, elle s'était un peu détachée de ce trait de caractère. Et elle recommençait à se prendre la tête pour des sujets qu'elle aurait dû oublier. "Les élèves ont l'air de t'apprécier," tenta-t-elle après le passage des personnes qu'il venait de saluer.
Peut-être qu'elle avait juste perdu l'habitude. Passer son temps à s'entraîner n'aidait pas du point de vue social.

Aider du mieux qu'il pouvait... oui, en soi c'était logique, avec le travail qu'il faisait. Il avait sûrement une façon plus saine et moins dangereuse d'aider qu'elle, qui était plus dans la protection, quitte à faire mal. elle n'avait jamais été très douée pour donner des conseils calmement, ni pour écouter les autres. Le tempérament familial lui montait beaucoup trop vite à la tête. Mais au fond, il avait bien trouvé sa place. CPE d'un lycée, c'était l'un des meilleurs endroits possibles pour guider les gens et les aider à changer d'existence. "J'ai essayé de faire ça, une fois... aider quelqu'un à trouver quoi faire..." Mais c'était plus difficile de reconstruire l'avenir de quelqu'un qui venait de perdre tous ses rêves. Sans Rihei, elle n'aurait probablement pas réussi à sortir Nick de l'état catatonique de sa dépression.

Parlant de lui, le sujet revint dans la conversation et Ellia se permit un petit sourire imperceptible, à sa manière, relevant à peine le coin de ses lèvres. "Je suis l’aînée quand il fait n'importe quoi. Et ça arrive beaucoup trop souvent." Nick était beaucoup trop irresponsable et incontrôlable. C'était peut-être son propre côté trop sérieux qui lui faisait dire ça, mais elle avait parfois du mal à le suivre ou à comprendre certains de ses comportements. "On est jumeaux," finit-elle par expliquer, "nos parents ne nous ont jamais dit lequel était né en premier." Et ils n'avaient pas eu cette curiosité. Nick l'appelait "petite sœur" quand il trouvait qu'elle agissait de façon immature, et elle lui retournait la faveur.

Au moins, elle n'avait pas trop à réfléchir sur comment commencer une conversation. Elle n'était pas vraiment douée pour ça, et le fait qu'il pose des question lui facilitait la vie. Elle avait un peu l'impression de lui laisser des impasses, parce qu'elle n'était pas trop sûre de réussir à relancer la discussion ou de fournir beaucoup de choses sur lesquelles rebondir. Elle avait plus l'habitude d'être la fille silencieuse qui écoute. "Ah, oui, on a une forme d'addiction au sport. Il était aussi pro, mais il s'est blessé quand on était au lycée. Il aurait bien eu besoin de quelqu'un comme toi à l'époque, tiens... pour trouver quoi faire à la place." Combien de fois l'avait-elle entendu dire qu'il n'avait plus aucun avenir ? Au moins, il avait fini par se relever de tout ça, mais elle savait que le sujet restait sensible. "Je ne saurais même pas dire. Je fais ça depuis tellement longtemps..." Elle avait commencé le hand à quoi... huit ans ? Neuf ans ? Quelque chose comme ça. En tout cas, elle arrivait un peu plus à parler quand ce n'était pas à elle d'initier quoi que ce soit.

Son attitude naturelle revint par contre assez rapidement quand elle sentit sa main se poser sur sa jambe et elle se crispa, sa réticence au contact s'exprimant ainsi à défaut de prendre le contrôle de ses gestes et de ses paroles. Elle ne dit rien et n'initia pas vraiment de mouvement pour le repousser, mais pas besoin d'un sens de l'observation phénoménal pour voir que le contact la mettait mal à l'aise.

Bien, elle pouvait donc définitivement ajouter la conversations aux choses pour lesquelles elle n'était pas spécialement douée. Elle le savait depuis bien longtemps, notamment parce qu'elle avait toujours été plus froide de son frère et qu'elle s'était désintéressée de la plupart des discussions dès qu'il n'avait plus eu besoin d'elle pour s'exprimer, mais elle le remarquait un peu plus à chaque échange de phrase. Raconter des choses exigeait d'elle un effort qu'elle n'était même pas sûre d'avoir égalé sur le moindre terrain ou dans le moindre gymnase, parce qu'elle forçait sur sa personnalité taciturne et silencieuse pour ne pas lui donner l'impression de parler dans le vide. Mais même comme ça, elle ne pouvait pas lutter tant que ça contre sa nature et des silences finissaient par s'installer. Elle, ça ne la gênait pas, elle était plus à l'aise dans le silence. Pour lui, par contre, elle était moins sûre.

Est-ce pour ça qu'il posa sa main sur sa jambe ? Elle n'en avait pas la moindre idée mais aussi doux et désinvolte le geste soit-il, elle ne put s'empêcher de se crisper. Elle n'avait jamais été à l'aise avec le contact physique, c'était Nick qui était toujours collé à tout le monde. Il retira bien vite sa main mais ce petit contact fut suffisant pour faire revenir pas mal de questions dans sa tête. Peut-être que son frère avait raison, finalement. Après tout, qu'est-ce qui aurait justifié cette action, à part ça ? Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle était censée faire ; s'il y avait bien un sujet sur lequel elle n'avait jamais cherché à se renseigner, c'était celui-là. "C'est rien..." Ce n'était pas comme s'il avait cherché à faire quoi que ce soit non plus, elle était juste... elle. Pas trop faite pour le social.

Ellia suivait le match à sa manière, presque trop concentrée sur la technique et les mouvements pour véritablement soutenir qui que ce soit. Son regard de capitaine analysait la cohésion, les décisions et les actions comme si elle allait faire un résumé et un commentaire à la fin. Elle nota quand même le but de l'équipe noire - donc pas la sienne - et finit par froncer les sourcils en tournant légèrement les yeux. Sa main se referma sans trop réfléchir sur le téléphone qui brillait à côté de sa tête. "Tu voulais connaître les règles du hand ?" demanda-t-elle d'une voix douce malgré son geste, avant de lui prendre délicatement le téléphone pour le glisser dans sa poche. "Voilà la première." Oui, bon, elle venait de lui voler son téléphone - confisqué, plutôt, comme quoi être tante commençait à influencer son comportement - mais il l'avait cherché. "Si tu ne veux plus gagner ton pari..." D'un signe de la tête, elle désigna la fameuse équipe noire qui fêtait son but.

Les raisons de son divorce, hein... Elle ne pouvait pas vraiment juger quoi que ce soit. Si sa vie amicale et sentimentale était aussi vide, c'était parce qu'elle passait la majorité de son temps à se concentrer sur sa carrière. Et sur sa famille, aussi, même si Nick et Rihei avaient un peu moins besoin d'elle qu'avant. Cela dit, vu que sa carrière dépendait de ce genre de terrain de sport, elle ne pouvait pas juste le laisser ignorer totalement ce qui s'y passait. Et puis ils avaient un pari. Son esprit de compétition était peut-être un peu trop développé. "Si tu as l'air de trouver ça triste, c'est peut-être le moment de changer de façon de faire." Elle sourit très légèrement, à sa manière, relevant à peine le coin de ses lèvres. Même si elle ne parlait pas beaucoup, elle savait reconnaître les intonations et les expressions, et il s'en voulait clairement pour l'échec de sa relation précédente. Et les Ballentine avaient un peu trop tendance à essayer de résoudre les problèmes des autres.

Sa question lui tira un petit haussement de sourcil et elle réfléchit un peu à ce qu'il venait de dire avant de comprendre de quels moments du match il parlait. "Ce n'est pas une question de nombre de rebonds. En fait, c'est parce qu'ils ont gardé le ballon sans essayer d'attaquer, en essayant juste d'empêcher l'autre équipe de l'avoir. Ça s'appelle un jeu passif et c'est interdit parce que c'est voler du temps de jeu, et ils ont été sifflés parce qu'ils ont ignoré l'avertissement. Et une fois, c'était parce qu'il a gardé le ballon trop longtemps. Trois secondes maximum en main sans rebond ou passe." Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas dû expliquer ces concepts à quelqu'un. Contrairement à son frère qui entraînait des enfants, elle n'avait affaire qu'à des professionnels au quotidien et sa famille connaissait les règles depuis bien longtemps, donc elle n'avait plus grand chose à expliquer. Mais à ce stade, les systèmes de jeu étaient quasiment gravé dans son code génétique, du coup ce n'était pas bien compliqué de les ressortir. Ils avaient rythmé sa vie bien plus que n'importe quelle autre règle qu'on avait pu essayer de lui inculquer.

La première demi-heure s'écoula à peu près sur le même schéma. Elle lui expliqua autant que possible les actions en match et répondit aux questions qu'il aurait pu avoir. Elle avait l'impression de se revoir au début du lycée, quand Nick avait invité Carry chez eux et qu'ils avaient regardé un match tous les trois. Une éternité plus tôt, en somme. La mi-temps finit par arriver, imposant un quart d'heure de pause qui s'afficha sur le timer du stade. Les scores étaient serrés. 16 à 14. Elle était bien placée pour savoir que ça ne garantissait la victoire à aucune des deux équipes. Elle avait vu des scores nettement plus distants dans sa carrière qui avaient retourné le match en deuxième mi-temps.  "Ce n'est pas bien compliqué quand on prend le temps de s'y intéresser un peu." Elle sourit encore légèrement. Bon, elle n'était pas très objective, elle pensait ça de la grande majorité des sports parce qu'elle avait baigné dedans toute sa vie, passion oblige, mais le hand n'était pas le plus compliqué qu'elle ait pratiqué. De manière générale, elle trouvait qu'ils se ressemblaient un peu tous ; beaucoup de règles étaient similaires de l'un à l'autre, il suffisait de s'adapter.