La beauté est dans les yeux de celui qui regarde.
Quelle étrange sensation... Vous savez, celle que l'on ressent lorsque nous avons comme impression que passé et présent entrent en collision et s'entrechoquent. Cela doit faire quelques mois que je suis de retour à Londres, mais je ne suis pas encore passé par la phase où je prends réellement conscience que j'y suis bel et bien.
D'abord occupé par les enregistrements studios, ensuite par la création d'un album et enfin par la promotion de celui-ci, c'est sans compter sur l'ajout des tournées promotionnelles de ce dernier, que ce soit par le biais d'émissions talk-show ou encore par l'apparition à des cérémonies de récompenses, que je me retrouve à être surchargé comme pas possible, ne prenant alors plus le temps de me poser afin de méditer sur mon évolution.
Une année... Et dire que tout ceci a été réalisé en un peu plus d'une année. Tandis que je suis dans mon salon qui, depuis le temps, a entièrement changé de visage et que je me retrouve, une tasse de thé à la main, à lire un livre que j'attendais de pouvoir dévorer, un frisson du passé vient me sortir de mon cocon. Je relève alors la tête des pages que je m'apprêtais à entièrement engloutir pour jeter un œil aux alentours et en profite pour déposer la tasse que je tenais en main sur la table basse. Une chaleur s'empare de mon corps, me poussant à m'enfoncer dans mon canapé, les jambes pliées et les pieds posés sur le coin de la table basse qui se situe devant moi. Le livre posé sur la poitrine dont le marque page est mon pouce, je lève les yeux vers le plafond... et je pense... me remémore des moments que j'ai vécu ou qui m'ont marqué.
Bien que la plus grande partie de mon enfance se soit passée en France, les plus gros développements, eux, se sont faits sur la terre anglaise. Mon arrivée dans le pays, ma terminale à l'institution Indarë, de laquelle je tire notamment de bons souvenirs. J'étais un garçon si différent...
A l'époque, la seule chose qui m'importait, c'était moi et moi seul. Je ne m'occupais guère de ce qui se tramait aux alentours tant que cela n'avait aucun impact sur ma personne, ma vie ou ma "carrière". Par après, j'ai rencontré Austin. La première parenthèse durant laquelle mon attention n'a pas uniquement été portée sur moi-même. Et la suite... tout le monde la connaît déjà. Une rupture, une trahison, des soucis... provoquant une descente fulgurante en direction des abysses. Une introduction en douceur avec l'alcool qui a fini par devenir mon abreuvoir. Il était tellement plus facile d'oublier, de fuir ou de se lamenter plutôt que de se décider à se relever, à se battre et à arranger les choses.
Récemment, encore, j'ai réitéré cette mauvaise habitude que je m'étais pourtant promis de définitivement raser de ma façon de fonctionner. En fuyant. En n'osant pas assumer certaines choses quitte à blesser, perdre une confiance, une relation ou une personne. C'est ce que j'ai à nouveau mis en pratique avec Nick Ballentine... Une fois de plus, une personne qui me faisait confiance en a été la cible. Une fois de plus, ce fut sur une personne qui m'a aidé, m'a épaulé et m'a aimé. Prétextant la reprise des tournées et les difficultés qu'une relation à distance engendreraient, je me suis séparé de lui or que l'envie en était absente. Aujourd'hui encore, je m'en mords les doigts et je suis tétanisé rien qu'à l'idée de tenter une reprise de contact.
- Nick...Je murmure ce mot comme si... comme s'il était là, devant moi... comme si nous discutions et qu'il me prêtait des paroles appelant à cette réponse, à ce chuchotement timide représenté par son prénom. Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à lui... où je ne regrette pas... où je ne me morfonds pas et ne verse pas de temps à autre une petite perle en sa mémoire. Mais à la hauteur de ce qu'il a fait pour moi, de ce qu'il m'a apporté dans la vie et des efforts qu'il a fournis afin de m'aider à remonter la pente, aussi vertigineuse soit-elle, je ne m'octroie pas la possibilité de retomber ou d'échouer en me perdant bêtement et inutilement dans des lamentations à n'en plus finir. Pleurer ne le ramènera pas. Geindre ne me pardonnera pas.
Tandis que je m'éclaircis la voix, je saisis presque avec automatisme mon téléphone, mon pouce glissant naturellement vers mes contacts et marquant une pause une fois que la liste affichant la lettre "N" apparaît sur mon écran. Un instant, je demeure interdit, frappé par la foudre lorsque mes yeux se perdent sur les lettres formant son prénom... celui que je ne me serais jamais lassé de susurrer. Il suffit d'une impulsion et la rédaction démarre. Il suffit d'un élan de courage et je lui explique tout depuis le début. Seulement, le naturel revient rapidement au galop et l'angoisse de me retrouver face à sa déception et à sa peine marque un terme à toute tentative trop audacieuse.
D'une main délicate, je lâche le livre qui se referme aussitôt et dégringole de ma poitrine à mon ventre, me permettant ainsi de l'utiliser et de soutenir ma tête que je laisse s'incliner d'un côté. Outre le courage, il me manque énormément d'ordre, ne serait-ce que dans l'agencement de mes idées, sur quoi lui expliquer, par où commencer, mais surtout quels mots utiliser ! Une maladresse guidée par les sentiments et le stress pourrait venir faire exploser la bombe collante que je lui ai laissée sur le cœur, le jour où je me suis volatilisé de son nid. Et ça, je ne me le permettrais pas.
Actuellement, si j'étais un fumeur, je m'allumerais bien une cigarette histoire que ce geste accompagne ma posture pensive, le mood dans lequel je me retrouve afin que celle-ci me permette d'évacuer le doux mélange de frustration et de remords. Ne l'étant pas, je me contente de passer mon index sur mes lèvres, allant de temps en temps chercher quelques mèches blondes que j'entortille autour de ce dernier, les replaçant par la suite derrière mon oreille.
Plusieurs longues minutes passent... s'écoulent sans que mon regard gorgé d'amour ne quitte ce lettrage brodé d'or, duquel découle d'innombrables souvenirs comme notre première rencontre, notre premier baiser... notre première fois... Je revois encore son visage que je tiens entre mes mains. Je ressens encore ses bras qui soutiennent mes fesses ou ses grandes mains qui m'agrippent la taille, pour me soulever, afin que j'atteigne plus facilement le fruit du désir. Je respire encore son odeur tandis qu'il me bloque contre un mur et me domine par sa taille. J'entends encore sa voix... qu'elle soit grave, sérieuse, sensuelle ou en pleine crise de fou rire. Et ça m'apaise autant que ça me détruit.
Après cette longue intervalle remplie de réflexions et de sensations, je romps le contact visuel avec ce qui m'a permis de m'évader et de revivre des instants précis comme s'ils faisaient partie intégrante du présent. Hélas... Je laisse mon bras porteur du téléphone en hauteur s'abaisser et glisser le long du canapé, lâchant la dernière technologie afin que ma main imite sa jumelle en venant frotter sous mes yeux tandis que je m'éclaircis à nouveau la voix, visiblement enrouée par les émotions.
A nouveau plongé dans le silence, je caresse d'une main hésitante la couverture neuve de ce livre que j'avais sauvagement abandonné pour laisser place à mes souvenirs et à mes rêves. Du bout des ongles récemment soignés par des professionnels, j'en viens presque à gratter l'objet comme s'il s'agissait d'un chat... ou de quelqu'un à qui j'octroie des tendresses.
Réalisant ce que je suis en train de faire, je mets fin à ces étranges actions en posant le livre sur la table basse, en saisissant la tasse de thé que j'avais aussi mise de côté et en allumant la télévision. Il n'est visiblement pas recommandé de me laisser en tête-à-tête avec mes pensées dans ce genre de situations. Tout en prenant quelques gorgées de cette boisson refroidie, je me positionne en tailleur, laissant de temps en temps ma nuque trouver aisance sur le rebord du fauteuil.
Le fond sonore qui me permet de brouiller mon esprit me rassure, puisque je sais qu'il désormais possible de fermer les yeux sans qu'une remontée d'images ou de sons ne vienne perturber la sérénité que je peine à instaurer.
Pourtant, le téléphone que j'avais auparavant expressément mis de côté se met à vibrer, à sonner. Tout en arquant un sourcil et en subissant une accélération des battements du cœur, je pose à nouveau la tasse sur la surface plane avant de saisir l'appareil en question. Il s'agit de mon manager.
Je décroche et s'en suit un débit de paroles qui ne lui ressemble pas. A moitié présent dans la discussion, seuls certains mots retiennent mon attention. Pub. Télévision. Chaîne. Après quoi, il raccroche, débordé, comme à son habitude, avant même que je ne trouve le temps de réagir ou de dire quoi que ce soit.
Perplexe, je fronce les sourcils tout en reposant l'objet à côté de moi. Précipitamment, je saisis la télécommande de la télévision et commence à faire du zapping, à la recherche de quelque chose. Mais quoi donc ? Je ne saurais vous le dire... Mon pouce répète la pression sur la même touche jusqu'à ce qu'une image m'indique de m'arrêter. Les couleurs, le décor et l'ambiance qui règnent sur cette prise me sont familières. A cet instant précis, je réalise qu'il s'agit de moi et plus précisément de la publicité dans laquelle j'ai eu la chance de figurer, il y a déjà plusieurs semaines de ça.
- Pub:
Un premier plan s'impose comme une évidence alors qu'une douce mélodie harmonieuse faite à base de violons et de sons de la nature semble gagner en importance, sans pour autant devenir bruyante. Les nuances, quant à elles, sont chatoyantes et appellent aux rêves. Au sein d'un coin de forêt enchanteur et enchanté, une cascade turquoise pâle apporte son lot de magie. Son glissement est léger, à la hauteur de la minceur de son jet.
Au cœur de ce paradis et mêlé aux rayons de lumières, un nuage de papillons éparpillés virevoltent en tous sens. Certains sont grands, d'autres sont petits, mais peu importe, car tous introduisent ce qu'il manque au sein de ce cadre afin de le rendre plus idyllique qu'il ne l'est déjà.
En son cœur demeure une silhouette que l'on remarque à peine, tant elle est camouflée par les battements d'ailes et la horde d'insectes qui constituent cette armée inoffensive. Doucement, la caméra s'approche, nous permettant d'atteindre la peau laiteuse et incroyablement pâle de l'être baigné dans la lumière, entouré de ses adorateurs et dont le tour de taille est semblable à celui d'une guêpe. La chevelure est, elle aussi, pâle, longue et haute. Presque aussi claire que le teint de la personne qui la porte, elle semble attachée en un chignon qui se veut oscillant entre le structuré et le sauvage.
Lorsque la prise de vue se penche par-dessus l'épaule de celui que l'on est susceptible de reconnaître et qu'elle pivote à 180°, on remarque très facilement les détails qui, parfois, peuvent être ignorés. Les clavicules sont visibles, le haut du torse aussi tandis que le plongeon que l'angle nous offre nous permet de suggérer une nudité quasi totale. En effet, seul un drapé de soie blanche glisse sur les bras du jeune homme que l'on aperçoit et recouvre furtivement ce que l'on ne devrait pas entrevoir.
Le visage est légèrement tourné sur la gauche et incliné vers l'épaule. Sur la joue droite se niche un argus bleu femelle, qui est reconnaissable à son manteau brun sombre ou brun gris, et dont le déploiement des ailes arrive presque à recouvrir le coin externe de l'œil correspondant.
Comme une ligne joignant une oreille à l'autre, des tâches de rousseurs apportent les tons chauds qui manquent et recouvrent cette mince superficie tandis que quelques autres papillons, ceux-ci bien plus petits que l'argus, trouvent réconfort un peu partout entre les mèches du blondinet.
La bouille de l'enfant est pure, naïve, tandis qu'il lève lentement le menton et plonge son regard noisette, dont des reflets ocres sont visibles, droit vers le ciel que les téléspectateurs ne peuvent encore admirer. L'expression est neutre, la bouche est fermée, mais les lèvres se permettent quelques légères séparations afin d'un peu plus accentuer le comportement angélique et sensuel désiré.
Après quoi, plusieurs plans s'enchaînent, ne laissant que peu de répits à ceux qui regardent ce spectacle époustouflant. L'adolescent se redresse, gagne en hauteur alors qu'aucun être ailé ne semble effrayé par ses mouvements. Au contraire, plusieurs accourent et suivent ceux de ses bras qui se lèvent et s'arrêtent à hauteur des épaules. Ils se posent dessus, puis décollent et l'entourent dans une danse que l'on croirait comme étant semblable à un rituel, à un couronnement.
Dans la scène qui suit, à en juger par la pierre qui recouvre le sol, le décor semble avoir changé et au moment où tous se posent peut-être la question, les pieds du jeune homme apparaissent sur l'écran. Au rythme des violons, qui sont désormais les seuls à manier la mélodie du moment, il s'avance vers un bassin royal ancré dans la roche, reconnaissable à ses escaliers amenant quiconque à se baigner dans ses profondeurs, et dont la lueur de l'aquosité est rosée. Sur chacune des marches s'enfonçant toujours plus pleinement, trône une statue de déité masculine faite de marbre blanc et d'influence grecque, une main tendue vers l'avant.
Tandis que la silhouette androgyne s'approche du plateau aquatique, la pièce de soie qui recouvrait jusqu'à alors les parties intimes de son corps, longe le sol, tenue par une de ses mains. La caméra, quant à elle, remonte lentement durant sa marche, montrant toujours plus, affichant désormais des jambes imberbes et lisses.
L'angle de vue change subitement, affichant maintenant le garçon de face, coupant uniquement l'image à son bas ventre. Il sourit, sans trop en faire, et détache sa chevelure qui retombe dans son dos, les papillons s'envolant alors suite aux mouvements incontrôlés de sa crinière platine lâchée.
Nous repassons dans son dos, le temps qu'il pose sa parure en tissu sur la main du premier serviteur immobile. Après quoi, les scènes se coupent et s'enchaînent rapidement tandis qu'il s'enfonce dans l'eau rosâtre en s'aidant des mains immaculées qui lui sont présentées. Le dernier plan de cette seconde scène est large, nous donnant une vue d'ensemble sur l'endroit, n'apercevant que de loin la forme de l'individu qui nous a été présenté, baignant dans cette mixture divine.
La dernière scène qui nous est offerte, en tant que bouquet final, tape fort et joue sur des notes allant de la provocation à la sensualité, tout en passant par une poésie sans nom. Ayant perdu son teint ainsi que ses mèches glacées, le garçon troque le tout contre un grain de peau aux tons plus beiges et laisse de côté son lissage platine pour l'échanger contre des ondulations nuance caramel.
Il est tourné vers la caméra et allongé à même le sol, la tête reposant sur sa main, elle même soutenue par le bras qui fait levier. Derrière lui, collé à lui, se trouve une statue masculine d'une inspiration similaire à celles présentes sur les marches du bassin. Dans son sillage et dans sa posture, il suit au millimètre près celui qui le devance, l'enlaçant d'un bras fort et musclé en camouflant, par la même occasion, l'anatomie de l'égérie qu'il protège par sa taille, son imposante morphologie moulée dans le marbre ainsi que sa présence.
Le cou de son protégé est dégagé, tandis qu'un dernier plan se concentre sur ce dernier et que les lèvres entre-ouvertes de l'homme figé miment la scène du dépôt d'un baiser passionné sur la zone convoitée. Mais alors que tous s'attendent à ce que la sculpture finisse par prendre vie, un liquide de texture et de couleur semblables au lac précédemment découvert ruisselle de sa bouche pour bientôt délicatement recouvrir la nuque du blond avant de s'écouler de manière aléatoire sur le reste de son corps.
Il ne reste alors plus qu'à montrer le flacon de l'objet mis en avant par le biais de ce film miniature en entendant la voix du chanteur susurrer le nom octroyé à ce bijou ainsi que la marque de laquelle est issue cette création.
A la fois subjugué et secoué par ce que je viens de voir, je ne sais même pas ce que je dois faire de cette information, de cette vision. Suis-je censé fêter cette "victoire" ? Suis-je censé rappeler mon manager ? Mais, en même temps, quel genre de phrase dois-je lui offrir ? Des remerciements ? Un cri de joie ? Des larmes de fierté ? Sinon, mise à part lui, à qui serait-il judicieux d'envoyer cette nouvelle ? Des personnes de mon entourage auront-elles réussi à me reconnaître, moi qui suis tout de même maquillé et transformé au sein de cette publicité.
En un geste bateau, vu que je demeure considérablement sidéré par cette découverte, je poste sur les réseaux sociaux un message un peu basique, à destination de mes fans, dans lequel je stipule ô combien je suis bouleversé par ce que je viens de voir et à quel point je n'arrive pas à assimiler les images qui viennent de passer sur grand écran.
C'est d'ailleurs tout naturellement, en rédigeant ce message, que j'en viens à repenser à Nick. Etant donné que cette publicité risque d'être régulièrement diffusée, afin d'informer les consommateurs de la sortie de ce produit ainsi que d'assurer la vente de celui-ci, il est fort probable qu'il finisse un jour par tomber dessus ! Oh mon dieu... Quelle pourrait être sa réaction ? Et si je le revois, que va-t-il en penser ? Que va-t-il bien pouvoir se passer ?