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Non, définitivement ce n'était pas possible. Elle avait beau tourner la gigantesque feuille dans tous les sens son bureau était définitivement trop petit pour travailler dessus. Elle se résigna, elle devait trouver une autre solution. Elle replia et réenroula la feuille pour la ranger dans son étui. Évidemment 2m30 par 1m60 ça ne tient pas sur toutes les tables.
Elle attrapa sa règle à calculer et sa trousse, sortit de sa chambre puis dévala les escaliers jusqu'au rez de chaussée et déboula dans la salle commune.
On était mercredi 15h30, tous les cours n'étaient pas encore terminés et la salle était calme. La mécano était essouflée d'avoir descendue les 2 étages 4 à 4. Depuis la fin de ses cours elle avait troqué cet uniforme abhorrait pour sa salopette beaucoup plus confortable. Elle portait également un haut blanc, ces Doc Martens au pieds et un gant de cuir à sa main droite.
Elle se précipita vers la plus grande table et déballa la grande feuille sans plus attendre. Elle dépassait encore mais c'était déjà beaucoup plus gérable. Elle souffla, satisfaite.
Sur la feuille on pouvait distinguer une machinerie complexe qui formait une gigantesque araignée. C'était un schéma détaillé de toutes les pièces la composant. Avec des vues en coupes, des vues éclatées, des vues pour chaque côté. Tout cela semblait à la fois très complexe et très organisé.
Elle ouvrit sa trousse pour en prendre un stylo, prit dans son autre main sa règle à calculer, puis grimpa à genoux sur une chaise et se pencha sur la table jusqu'à quasiment se coucher dessus. Elle descendit d'un geste les lentilles supplémentaires de ses lunettes et commença à gribouiller formules et croquis au niveau de ce qui ressemblait aux articulations des pattes. Ses gestes étaient précis et calculés, elle traçait cercles et droites à main levé avec une rigueur proche de la perfection.
Tout en haut de la feuille une ligne de texte plus voyante que les autres précisait :
CORIOLIS Protospider v0.3
Rien n’est aussi fiable qu’une paire d’engrenages bien huilés.
Mercredi, 15h20. La fin du cours d’Histoire venait de sonner. Sadie rangea calmement ses affaires et sortit du bâtiment de cours. Elle s’était concertée avec Kassidy au début de la journée pour se mettre d’accord du moment où la little aurait le droit de passer aux commandes. Depuis qu’elles arrivaient à communiquer, Sadie faisait beaucoup moins de crises. Elles se mettaient d’accord pour ne pas forcer l’autre à retourner dans l’inconscient lorsqu’elles avaient envie de « sortir ». Ce matin-là, Kassidy avait demandé à son hôte si elle pourrait prendre les commandes pendant la journée. Sadie, elle, avait refusé qu’elle le fasse avant la fin des cours. Elles en étaient alors arrivées à la conclusion qu’elle laisserait sa place à la petite après ce dernier cours jusqu’à l’heure de rentrer à la résidence.
Sadie se dirigea alors vers les dortoirs, prévoyant de laisser Kassidy s’amuser dans un lieu sûr, c’est-à-dire la salle commune. De cette façon, elle pourrait également rencontrer d’autres élèves et pourquoi pas se faire de nouveaux amis. Elle entra dans la salle et s’installa dans un coin pour laisser le changement s’opérer. Elle se détendit, énonça à l’enfant quelques règles de bonne conduite et se retira dans l’inconscient.
Quelques secondes plus tard, après avoir laissé son corps éteint sur une chaise, Kassidy ouvrit les yeux et sortit son lapin en peluche de son sac à dos. Elle se leva ensuite et observa la salle pour y voir une personne qui l’intrigua tout de suite. Déjà, c’était la seule autre personne présente dans la pièce, mais en plus, elle avait une énorme feuille étalée sur sa table avec un dessin étrange dessus. La little s’approcha doucement, l’air curieuse. Elle regarda le dessin et ce que la demoiselle aux cheveux roses faisait dessus. Elle reconnut ce que formait les traits : une araignée. Elle en fut d’autant plus intriguée que l’arachnide n’était pas représenté de façon réaliste mais comme un robot. Alors elle vint encore plus près et demanda :
Un calcul lui donnait du fil à retordre, elle était concentrée sur sa règle à calcul, la faisant glisser de part et d'autres pour y faire ses opérations. Elle mit quelques secondes avant de remarquer qu'on lui parlait. Sans se tourner vers la nouvelle venue, elle leva un peu la tête de la feuille pour avoir une vue plus large de son travail.
« Disons que j'calcule les forces exercées sur les pièces constituant les articulations des pattes pour en déterminer les matériaux nécessaires. »
Elle se gratta l'arrière du crâne avec le crayon.
« Pour que l'tout soit cohérent et tienne ensemble. »
Pour illustrer elle fit comme si elle modelait une boule avec ses mains
« Pour qu'elle résiste aux pressions et contraintes physiques tout en restant souple. T'vois. »
Ajouta -t-elle en pliant son coude en exemple.
« Comme ça Coriolis aura d'belles pattes pour gambader. »
Continua -t-elle joviallement en mimant une araignée avec sa main.
« Oui, Coriolis c'est son nom. À l'araignée. »
Elle se sentait elle même un peu perdue dans son blabla, elle fit une pause de quelques secondes pour se souvenir du sujet initial.
« Ah oui, une araignée. C'que j'dessinne c'est une araignée ! Une sorte de robot araignée de compagnie. Pour m'faire une amie t'vois. »
Elle se gratta encore l'arrière du crâne et se retourna enfin vers son interlocutrice. À travers les lentilles et les lunettes l'œil droit d'Adeline semblait disproportionné.
« Sympa ton lapin ! Moi c'est Ad'line. »
Finit elle chaleureusement, adressant un sourire franc à sa charmante camarade. Elle évitait en général de tendre la main, déjà car elle était gantée et ensuite car elle préférait ne pas surprendre les gens avec l'étrange poigne métallique de sa main droite.
Rien n’est aussi fiable qu’une paire d’engrenages bien huilés.
Kassidy écouta attentivement les explications de la demoiselle sans pour autant tout comprendre. Elle assimila seulement la réponse à sa propre question ainsi que le nom du futur robot et celui de sa créatrice. D’ailleurs, lorsque celle-ci tourna sa tête vers la jeune fille, Kassidy se mit à rire à cause de la déformation qu’opérait les lentilles de ses lunettes.
- Ton œil est tout gros ! C’est rigolo !
La petite regarda en détail le croquis et posa son lapin en peluche sur la table en position assise. Elle était toute souriante, ravie de parler à quelqu’un et que cette personne aime sa peluche. Rapidement, elle fut intriguée par une des mains de la mécano qui lui semblait différente sous son gant, mais elle ne la fixa que peu de temps, préférant se présenter à son tour, histoire de faire preuve de politesse comme elle l’avait appris.
- Moi, c’est Kassidy ! Et lui c’est Mimu ! dit-elle en désignant sa peluche. Tu n’as pas d’ami ici ? Moi je n’en ai pas beaucoup non plus ! Faut dire que Sadie ne me laisse plus trop sortir. Elle dit que ça peut être dangereux de sortir toute seule à mon âge.
La petite fit la moue. Effectivement, Sadie était plutôt stricte avec la little mais elle ne pouvait pas se permettre de laisser une enfant de cinq ans se balader toute seule dans ce campus, d’autant plus que Kassidy n’avait probablement pas conscience des interdictions qui lui étaient faites par rapport à son incarcération. Elle restait alors prudente en mettant des restrictions aux sortie de la petite tant qu’elle le pouvait. Elle avait déjà bien assez de problèmes avec Nina qui sautait sur tout homme qui lui plaisait, elle n’avait pas besoin d’ennuis supplémentaires.
- Mais si tu veux, on peut être amie toutes les deux ! fit-elle avec un immense sourire.
Adeline sursauta de surprise en entandant le rire de l'inconnue, définitivement elle ne s'attendait pas à ce genre de réaction.
« Haha, oui sans doute… »
Répondit-elle peu sûre d'elle avec un ton se voulant jovial. Elle observa la nouvelle venue un moment tandis qu'elle posait sa peluche.
« Enchantée Kassidy et Mimu. »
Ajouta -t-elle en faisant un discret signe de tête pour les saluer tous les deux. Oui même la peluche, elle revêtait visiblement un intérêt important aux yeux de Kassidy et elle sentait qu'elle devait le considérer comme plus qu'un jouet.
Elle eu l'air légèrement embarrassé lorsque cette dernière lui demanda si elle avait des amis.
« Nan, pas trop d'amis. J'suis plutôt solitaire, tout l'temps occupée dans mes papiers et mes bricolages. T'vois. Ça passionne pas les foules faut croire. »
La mécano tiqua une seconde sur le danger qu'il y aurait à sortir à son âge, cette fille semblait bien assez âgée pour ne pas courir grand risque. Mais elle ne dit rien sur le moment, tout juste leva -t-elle un sourcil soucieux. Après tout vu le profil des élèves dans l'établissement il pouvait y avoir milles raisons à ça.
«Je suis justement en train de me construire une amie. »
Dit elle alors pour changer de sujet, tout en tapotant le schéma sous ses yeux.
«Un peu comme ton lapin, mais sans doute moins… moins doux. »
Elle souri à cette idée. Oui une araignée en métal était sans doute moins douce qu'un lapin en peluche. Mais c'était clairement beaucoup plus son style.
« B'en sûr ! J's'rais ravie d'être ton amie. Mais… »
Non finalement elle n'arrivait pas à se sortir ça de la tête, elle préférait avoir le cœur net, quitte à gêner quelque peu sa future nouvelle amie.
« Tu disais qu'on ne te laissait pas sortir ? J'ai pas bien compris pourquoi. Sadie est ta surveillante ou que'que chose comme ça ? »
Elle était embarrassée, elle ne voulait pas mettre sa camarade mal à l'aise avec des questions déplacées.
Rien n’est aussi fiable qu’une paire d’engrenages bien huilés.
L’enfant tiqua en apprenant que la demoiselle aux cheveux colorés se fabriquait une amie. Comment était-ce possible ? Puis elle y réfléchit quelques secondes : après tout Mimu avait été fabriqué à un moment ou à un autre. Mais elle admira le fait qu’Adeline puisse se fabriquer elle-même ses amis. Elle observa alors plus en détail le plan de l’araignée robot.
- C’est facile de se fabriquer des amis ? Tu voudrais bien me montrer un jour ?
La petite fille était bien plus mature que les enfants de son âge. Après tout, elle avait toujours vécu avec des personnes plus vieilles qu’elle rien que dans son inconscient, il était donc plutôt normal que sa personnalité se soit imprégnée de celle des autres, tout en restant une enfant. C’était un peu comme pour les enfants qui ont beaucoup d’écart avec leurs frères et sœurs en fait. Le fait d’être entouré de personnes plus âgées fait que, en copiant les comportements de son entourage proche, l’enfant gagne plus ou moins vite en maturité par rapport à un enfant unique. A cela s’ajoutait le trouble de Sadie : Kassidy devait savoir écouter et obéir pour que tout se passe au mieux avec les autres alters de la multiple. Et, étrangement, elle obéissait bien mieux que Nina qui était pourtant une adulte.
La question suivante déstabilisa quelque peu la petite. Comment devait-elle expliquer cela à son âge ? C’était déjà compliqué rien que pour elle qui le vivait au quotidien alors l’expliquer à quelqu’un qui n’y connaissait probablement rien allait certainement lui poser problème. Mais elle ne s’arrêta pas à ça et commença sa petite explication.
- C’est trèèèèèèès compliqué ! En fait, Sadie c’est un peu comme une grande sœur pour moi. Mais on est dans le même corps. C’est son corps. Moi, je suis née dans sa tête : c’est ce que m’a expliqué la dame avec qui je dois parler des fois.
Elle s’arrêta quelques instants et pensa aux entretiens avec la psychologue pour essayer de donner des termes plus techniques à sa nouvelle amie.
- Sadie a pas eu une vie facile. Alors, dans sa tête, on est plusieurs à être apparus pour la protéger de tout ! Mais les docteurs pensent qu’on devrait partir. C’est pour ça qu’elle doit prendre des médicaments. Moi, je comprends pas : les médicaments, c’est pour soigner les bobos et nous, on est là pour empêcher Sadie de se faire bobo.
Son visage avait pris des airs tristes. En effet, elle ne comprenait pas pourquoi les médecins pensaient que Sadie devait se débarrasser d’eux car, en dehors de cette alter qui avait tué la mère de la multiple, tous étaient seulement là pour protéger l’adolescente. Kassidy ne voulait pas disparaître. Heureusement pour le système, les médicaments étaient inefficaces, ou presque. Ils permettaient seulement à la blondinette d’avoir un meilleur contrôle sur ses crises, visiblement. Elle s’en était rendue compte quand elle avait commencé à les prendre : depuis, elle avait réussi à rester consciente même lorsque le fronting était pris par un autre de ses alters et pouvait donc avoir quelques souvenirs des moments où elle n’avait pas le contrôle, ce qui était plutôt pratique.
Kassidy releva la tête et sourit à Adeline.
- Sadie t’expliquera ça mieux ! Mais elle m’a laissée sortir pour m’amuser et me faire des amis tant qu’elle n’a pas école. Tu la verras plus tard. Elle fait dodo maintenant. Mais elle sera super contente que tu sois notre amie !
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