Qu'est-ce que tu fais encore dehors, Damen ? Ouvre les yeux, un peu ! Il ne bouge pas. Il est 16h30, il sent le vent qui commence à s'agiter, la pluie qui commence à tomber, mais il reste là. De la pluie, du vent, il en a déjà vus. Il n'a pas peur des gouttes, pas peur des bourrasques, pas peur de tempêtes. C'est son élément, le chaos, l'anarchie. Il regarde les arbres du parc qui s'agitent autour de lui. Sort son téléphone. Pas de réseau, dommage. Il aurait quand même aimé contacter Emily. Mais au moins, avec ça, elle ne pourra pas lui faire de leçon de morale. Parce qu'il l'entendait déjà. "Ne reste pas dehors, imbécile, tu te rends compte que c'est une tempête, non ?" Il sourit. Il était trempé. Encore un uniforme qui allait souffrir.

Le vent l'empêche presque de tenir debout. En fait, il aurait pu rester comme ça juste pour voir à quel point la tempête risquait de l'emporter, mais celle-ci en décide autrement. Quelque chose le percute et il serre les dents. On ne veut vraiment pas le laisser tranquille ? Avec un soupir, il ajuste son sac sur son épaule. Non, rester tout seul ici n'a rien d'amusant. Il faut qu'il trouve quelqu'un. Quelqu'un d'autre à mettre en danger. Ça a toujours été le moteur principal de ses décisions, après tout.

Il regarde autour de lui, retenant ses cheveux sur le haut de son crâne parce que le vent persiste à les agiter dans tous les sens. Il y a le poste de sécurité, ici. Il peut y récupérer quelqu'un avec un peu d'inventivité. En avançant, il ramasse une branche par terre, continue de marcher contre le vent. La vache, c'est bien plus fort qu'il ne l'imaginait. Mais il finit par atteindre la porte. Tambourine contre. Et en attendant qu'on lui ouvre, il frappe le plus fort possible contre la fenêtre la plus proche avec sa branche. Juste assez pour la casser et que son bout d'arbre passe à travers. Il sourit. Parfait. Il se doute bien que personne n'est dans cette pièce, mais en venant lui ouvrir, quelqu'un remarquera bien que la vitre est brisée. Il y en aura bien un pour se sentir en danger et vouloir partir.

Pourquoi il fait ça ? Il ne le sait pas vraiment lui-même, comme la plupart des choses. Il agit selon l'instinct corrompu qui décide de ses gestes, de ses paroles, et qui porte ses pas. On lui ouvre la porte, et il entre. Mais il ne compte pas rester longtemps. Un peu essoufflé, il secoue les bras pour égoutter ses manches et chasse ensuite l'eau de ses cheveux. Puis il suit celui qui lui a ouvert jusqu'à une autre pièce... non sans avoir remarqué le regard sur la vitre cassée.
Il va en parler. Il en parlera forcément. Et Damen n'aura qu'à repérer la personne la plus effrayée du groupe.

16h50, cour de l'IRS. Elle est sortie. Elle est là, dehors, dans la tempête, et le vent qui agite ses cheveux, fouette son visage, lui fait réaliser à quel point elle n'aurait pas pu se cacher. C'est à ça qu'est censé ressembler son monde, un chaos ambiant permanent, froid et hostile. Un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Elle sait comment contrer ce chaos. Le contrôler. C'est celui qui vit dans sa tête depuis des années. Elle n'a jamais eu besoin de psys, jamais eu besoin d'aide. Elle n'a besoin que d'une chose, une chose dont on essaye de la priver en prétendant que c'est mauvais pour elle. Ils sont idiots. C'est la seule chose qui est bonne, au contraire.

Luttant contre le vent qui veut l'empêcher de progresser, Tessa avance. La cour de l'IRS n'est pas la plus grande, mais le portail est sûrement fermé. Elle n'a pas envie de rejoindre l'ISS pour sortir. Elle peut sûrement escalader les grilles, non ? Personne ne cherchera à l'en empêcher par ce temps. Personne ne la verra. Les branches des arbres autour d'elle s'agitent, comme possédées. Tessa les ignore. Continue d'avancer. Rien ne pourra lui faire mal.

17h. Le portail de l'IRS se dresse devant elle et elle s'arrête enfin. Il lui a fallu un temps fou pour arriver là. Dix minutes pour traverser la cour ? C'est plus qu'elle n'en a jamais eu besoin. Mais le vent est agressif, comme la matérialisation des psys qui essayent de la faire "revenir à la raison". Mais cette année, c'est la première fois de sa vie qu'elle est aussi lucide. Elle a vu tellement de choses, perdu tellement de choses. Elle ne croit plus à l'amour illusoire que sa maladie crée pour elle. N'est-ce pas tout ce qu'ils voulaient. Ses mains se referment doucement sur les barreaux. Ils sont lisses, ils ne devraient pas pouvoir être escaladés. Alors elle pousse, pour voir. Par curiosité. Après tout, elle a noté que tous les bâtiments étaient dans l'ombre, la sécurité a peut-être sauté.

La porte ne bouge pas. Alors même maintenant, même sans électricité, cette grille lui résiste toujours ? Peu importe. Elle la franchira, de gré ou de force. Tessa lève les yeux. Le portail est haut, le vent pourrait la faire tomber et lui briser la nuque à tout moment. Mais elle ne veut pas rester là. Elle ne peut pas rester là. La jeune fille agrippe la grille à deux mains, force sur ses bras pour s'élever. C'est dans ces moments-là qu'elle regrette de n'avoir pas participé plus en cours de sport. Mais l'adrénaline qui circule dans son cerveau, alimenté par le manque, suffit à faire le travail. Elle monte, pose sa main sur le sommet de la grille. Elle veut juste sortir. Boire quelque chose. Lentement, Tessa enjambe la grille pour essayer de passer de l'autre côté, de rejoindre la rue.
Il est 17h10.

La première chose qu'il remarque en sortant est la silhouette recroquevillée d'une jeune fille. Il ne tarde pas à la reconnaître, d'ailleurs, et la petite blonde qui le suivait par la fenêtre s'adresse aussitôt à elle. Damen s'adosse au mur et sourit. "Il avait juste l'air de s'ennuyer à l'intérieur". Oui, elle a raison. C'est exactement ça, en fait. Il s'est rendu à l'intérieur uniquement pour trouver quelqu'un à faire sortir, pas pour se mettre à l'abri. Si c'est pour être coincé avec une bande de gamins terrifiés, autant affronter une tempête. Au moins, le temps de reconstruction sera peut-être intéressant. Combien de choses vont changer ? A quel point l'école deviendra-t-elle chaotique ?

» Eh, ma belle. Comment tu t'es retrouvée dans cet ouragan ? Personne ne t'a mise à l'abri ?

Pour qu'elle en arrive à se rouler en boule contre le mur du poste de sécurité, c'est qu'elle a beaucoup traversé. Surtout qu'elle a l'air trempée. Combien de temps a-t-elle passé dehors ? Il secoue la tête avant de se pencher vers elle. Oui, ce n'était pas qu'une impression. L'eau a bien traversé son uniforme. Damen passe une main dans ses cheveux.

» Nan, je parie que tu t'es jetée dehors toi-même. Tu es vraiment pire que moi. Viens avec nous. Tu ne changeras rien de ce que tu détestes en restant là.

Il peut parler. S'il est dehors, c'est parce qu'il se sent mille fois mieux dans le chaos. Et qu'il y entraîne les gens, comme d'habitude. Il sait que ces deux filles seraient mieux sans lui. Il tend quand même la main pour l'inviter à se lever et à les suivre. Tout le monde serait mieux sans lui, mais il le sait et il l'assume. Au moins, en le suivant, elle ne restera pas immobile. Est-ce que c'est plus ou moins dangereux pour sa vie ? Aucune idée. Ce n'est pas le genre de questions qu'il se pose.

» C'est pas l'apocalypse, Blondie, juste un ouragan. Ça sera calmé ce soir.

Il s'étire un peu. Entouré de deux jolies filles, hein... dans une autre situation, il n'aurait clairement pas eu les mêmes idées en tête. Enfin dans tous les cas, il reste une mauvaise fréquentation.

» Le parking est un coin calme. On peut piquer une voiture pour aller chercher ta famille sans se mettre en danger.

En plein ouragan, peut-être pas. Mais il n'y a rien de mieux que ce genre de situation pour voler impunément des choses. Et il adore conduire, il n'en a que très rarement l'occasion.