L'université était derrière elle. Trois ans de cours, trois ans de pause pour apprendre des choses pas spécialement essentielles et accrocher un diplôme sur son mur. En vérité, elle n'en avait jamais eu besoin, elle n'avait fait ces études que pour accompagner son frère au Japon et veiller sur son neveu. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à trouver un appart, s'installer, et s'assurer que Ryuu parvienne à se faire à sa nouvelle vie. Ça n'aurait rien été d'insurmontable, dans le fond. Sauf qu'en allant récupérer ses dernières affaires à l'université, maintenant qu'elle emménageait en résidence Castel le temps de trouver un logement en ville, elle avait aperçu quelqu'un. Un visage qu'elle n'aurait jamais pensé reconnaître.

C'était celle qui était montée sur scène le jour de la réception. Celle qui avait sorti une arme la première, tiré dans la foule, tué un élève sans raison, sans préavis et sans avertissement. Son nom n'était pas gravé dans sa mémoire mais son visage, si. Le sang d'Ellia se glaça dans ses veines et elle eut un mouvement de recul naturel. Que faisait-elle ici ? Elle ne pouvait être là que pour une seule raison... Les avait-elle retrouvés tous les deux, ou bien voulait-elle juste se débarrasser d'une personne possiblement au courant des secrets de la mafia ? Ça ne pouvait pas être une coïncidence... si ?

Son cerveau cessa d'essayer d'être cohérent. Sous ses yeux et dans ses pensées, il n'y avait plus que la balle qui avait traversé le crâne d'un adolescent, l'arme dans la main de cette femme, le sursaut qu'elle-même avait eut en lâchant son verre comme s'il lui avait brûlé les mains. Son regard se riva sur les cheveux blonds platine en bataille, les yeux ambrés, la tenue beaucoup trop tape-à-l'oeil. Non, impossible qu'elle se trompe. Même la cicatrice à la joue était peinte définitivement dans sa mémoire. Même de là où elle était, elle pouvait reconnaître la folie.
Et elle savait de source sûre que cette femme était folle.

Son premier réflexe fut de ceux qu'on ne peut pas naturellement calculer. Un détour pour se tenir éloignée d'une des protagonistes de ses cauchemars et elle rejoignit son ancienne résidence. À l'origine, elle était venue pour y récupérer des fringues. mais ce ne fut pas à son étage qu'elle se rendit. À peine arrivée au rez-de-chaussée, elle rejoignit la porte la plus proche et tapa sur le battant. Deux coups de poing... pour l'instant. "Chris ? Chris ouvre la porte, j'ai besoin de ton aide !" Ils ne s'étaient vu qu'une fois, elle s'en fichait. Elle savait qu'il avait des armes, de quoi se défendre. Elle avait reconnu en lui l'attitude et les comportements d'un assassin. Et si elle avait eu peut qu'il se retourne contre elle, elle était actuellement plutôt soulagée de l'avoir rencontrée. Parce que la seule autre personne qu'elle connaissait capable de mettre cette femme hors d'état de nuire était Ryuu, et qu'elle refusait de lui imposer un retour à ses cauchemars.

Ellia frappa une fois de plus, rendue impatiente par l'angoisse qui se distillait trop rapidement dans ses veines. Elle voulait qu'il ouvre tout de suite. Elle avait besoin d'aide. ou, à défaut, elle avait besoin d'une arme. Elle n'en avait jamais utilisé, elle n'aurait jamais voulu avoir à le faire, mais elle préférait tirer dans cette tête blonde qu'être la cible de son flingue.

Rester calme ? Impossible. Pas plus qu'être cohérente. Il n'ouvrait pas et elle trépignait en jetant des regards beaucoup trop fréquents derrière elle. Et s'il n'était pas là ? Elle ne connaissait absolument pas ses horaires, mais les cours étaient censés être terminés, non ? Il était forcément là. Il n'avait pas l'air de quelqu'un de sociable, du genre à aller traîner avec des amis, surtout à cette heure. Donc il était là. Soit il dormait, soit il l'ignorait délibérément, soit les deux. Elle allait frapper encore une fois quand la porte finit par s'ouvrir. Et ses notions de prudence élémentaire avaient déjà fichu le camp depuis un moment. "Je m'en fous, de l'heure à laquelle tu t'es couché." Rien que ça en disait long sur son état émotionnel. La première et dernière fois, elle avait tellement pris des précautions avec la moindre de ses phrases... une telle imprudence face à quelqu'un de dangereux n'était pas conseillée... mais il lui faisait clairement moins peur que cette fille. À tort, peut-être.

Dès qu'il se décala pour qu'elle passe, en l'ignorant totalement pour rejoindre sa cuisine, Ellia entra sans un mot de plus. Elle aurait sûrement dû parler, exposer son problème, mais son premier réflexe avait été de fouiller la salle du regard, de vraiment regarder, cette fois. Evidemment, il n'allait pas laisser d'arme bien en vue, mais elle était persuadée qu'il en avait une. Ou ? Dans quel meuble, quelle cachette ? Elle s'apprêtait à commencer à fouiller un tiroir quand il reprit la parole. Elle n'eut même pas la force de contrôler ses émotions. "Un assassin yakuza qui veut me coller une balle dans le crâne, c'est suffisant ?" Son ton était sec, mais bien plus marqué par la peur que par un quelconque autre sentiment. Elle ne ressentait rien d'autre, pour le moment. Juste une panique de plus en plus présente qui rendait ses mains fébriles et l'empêchait d'agir de façon cohérente.

"Elle est là pour moi... elle va me trouver... où est-ce que..." Elle marmonna pour elle-même, déjà presque erratique, en regardant partout sans que son regard semble se fixer où que ce soit. Elle finit par ouvrir un tiroir, chercher à l'intérieur jusqu'à ce qu'il lui prenne l'envie de l'arrêter. "Où est-ce que tu caches tes armes, hein ?" Sa voix était remontée d'un cran, toujours aussi tremblante que ses pupilles. Elle devait trouver une solution... elle n'avait pas le choix...

Dire qu'elle était incohrente aurait presque été un euphémisme. Inconsciente, aussi; Elle réalisait à peine ce qu'elle faisait, et même la voix glaciale avec laquelle il l'interrompit au milieu de sa question ne servit pas de sonnette d'alarme. Son cerveau était trop embrumé par la peur, la panique, le visage de la blonde qu'elle avait vu tirer sans prévenir sur un gars innocent qui avait simplement fait l'erreur d'être dans son champ de vision à cet instant. C'est seulement quand elle sentit des mains se refermer sur ses bras que les connexions de son cerveau commencèrent à reprendre une position normale. Ou en tout cas, essayer.

Son souffle se coupa sous le choc quand elle atterit sur le lit, que son dos percuta le matelas. Ce fut assez pour chasser une partie des brumes, comme si elle avait besoin de cesser de respirer l'espace d'une demi-seconde pour y voir un peu plus clair. Son corps se recroquveilla naturellement, et elle eut le temps de l'entendre commencer une phrase avant d'en reprendre le contrôle, et de pouvoir amorcer un mouvement. Ce ne fut ni pour fuir, ni pour s'énerver. Elle se contenta de déplier les jambes, poser une main sur son visage pour essayer de remettre ses idées en place tandis qu'elle s'allongeait sur le dos. Elle n'ouvrit pas les yeux tout de suite. Elle écouta sa voix se faire plus cassante, son ton se durcir et, pendant ce temps, ses neuronnes reprenaient leur place.

En vérité, elle aurait pu lui en être reconnaissante. Elle détestait perdre le contrôle, et s'imiscer comme ça dans la vie des gens... non. Il l'avait recadrée certes brutalement mais, dans l'état où elle était, est-ce que quelque chose d'autre aurait vraiment pu la calmer ? Lentement, Ellia se redressa, s'asseyant en tailleur face à lui, contre le mur, tandis qu'il finissait sa diatribe. Elle planta ses yeux turquoise dans son regard gris, tandis qu'il se calmait visiblement... en tout cas dans ses gestes. Les sous-entendus de ses paroles et leur sens, eux, restaient les mêmes.

"Tu as raison... je suis désolée..." Elle souffla un coup pour faire passer la pression. Elle n'était pas idiote, elle avait très bien senti la violente montée de tension et s'il y avait bien une chose qu'elle voulait éviter, cétait de se faire un nouvel ennemi. De toute façon, elle n'avait aucune raison de mal réagir, de s'énerver ou de s'emporter pour quoi que ce soit. Il était totalement dans son droit. "Ça ne me ressemble pas de faire ça... ni de perdre le contrôle, ni de demander de l'aide. Je n'aurais pas dû m'imiscer comme ça. Merci de m'avoir secouée un peu..." Quoique "un peu" n'était pas franchement le terme, mais ça n'avait pas d'importance. L'essentiel, c'était qu'elle arrivait à aligner des pensées logiques et cohérentes parce qu'il lui avait collé une bonne baffe dans la conscience.

"J'ai... quand même besoin d'aide..." Elle soupira. Après ce qu'elle venait de faire, elle n'aurait pas été surprise, ni même ne l'aurait-elle mal pris, qu'il se contente de l'envoyer balader et de la laisser se débrouiller toute seule. Ellia prit une grande inspiration et referma ses mains sur ses chevilles, croisées devant elle. Et maintenant qu'elle pouvait penser àautre chose que fuir, survivre, se protéger, il lui restait quoi ? "Si tu ne veux pas te retrouver mêlé à mes problèmes, je trouverais une autre solution. Je sais que tu as déjà les tiens. Mais je n'aurais pas agi comme ça si je n'étais pas au pied du mur." Aller demander l'aide de quelqu'un, encore plus d'un inconnu, et fouiller dans ses affaires ? C'étaient deux choses qu'elles ne se seraient jamais permises. Pas si elle n'avait pas eu, l'espace d'un instant, l'impression qu'elle était aux portes de la mort.

Tout ce qu'il lui disait avait du sens. Évidemment, il ne la connaissait pas, pourquoi se serait-il risqué à l'aider ? S'il se cachait vraiment, comme elle le supposait depuis leur dernière rencontre, attirer l'attention sur lui de cette façon était sans aucun doute la dernière chose qu'il souhaitait. Elle ne pouvait pas l'en blâmer, elle se trouvait dans une situation assez similaire. Ses questions lui tirèrent cependant un léger rictus et elle baissa les yeux une seconde. "Parce que je reconnais ta façon de te comporter. J'ai connu quelqu'un d'autre... comme toi." Et elle le connaissait toujours, d'ailleurs, mais elle préférait éviter de le mentionner. Si elle disait qu'elle connaissait un autre assassin, pourquoi l'aiderait-il ?

Elle resta assise sur le lit tandis qu'il retournait boire à son frigo, adossé contre le plan de travail. Elle avait du mal à réfléchir, tout de même. Par où commencer ? Que dire, et qu’omettre ? Elle ne pouvait pas lui raconter la totalité de son histoire, elle ne le connaissait pas assez pour ça. Trop de choses étaient sensibles, ou secrètes. Elle devait choisir ses mots avec attention. Ça ne changerait pas grand chose à ses habitudes, d'un autre côté. Alors elle prit une grande inspiration.

"C'est ça... L'université dans laquelle j'étais avant, au Japon, était financée par la mafia. Et ils ont... oublié de régler leurs dettes, j'imagine." Ça, c'était l'idée générale, la raison pour laquelle elle avait reconnu cette fille, pas la raison pour laquelle elle était poursuivie. "Ils ont envoyé leurs assassins pendant une réunion obligatoire, ils ont tué trois personnes sous les yeux de toute le monde, et blessé au moins le triple." Le premier tir n'arrivait pas à s'effacer de sa mémoire. Il y était accroché comme une tache indélébile, et même quand elle réussissait à faire abstraction, il finissait toujours par revenir. Comme aujourd'hui.

"Je connaissais un de leurs assassins... Ils... lui ont dit de m'éliminer quand ils ont vu que j'étais proche de lui... On a voulu s'enfuir, mais..." Elle ne dirait pas qu'il avait survécu. C'était trop secret, trop confidentiel, c'était la raison même pour laquelle ils s'étaient pensé en sécurité : parce que tout le monde le croyait mort. Elle ne révélerait pas cette info à un inconnu. "Je suis quand même partie... je ne pensais pas qu'ils chercheraient à me retrouver juste pour se venger..." Elle ne donnerait pas plus de détails, ou en tout cas pas de quoi prendre des risques, mais il comprendrais sûrement qu'elle n'en dise pas plus. Les fugitifs sont rarement bavards, quand ça concerne leur passé.

Ellia était restée assise en racontant son histoire, ou sa version résumée, sans trop prêter attention aux déplacements qu'il faisait dans la pièce. Elle se doutait que, quoi qu'il fasse, il l'écoutait, vu qu'il se demandait vraiment pour quelle raison elle était venue frapper à sa porte. Quand il fut de retour, elle n'avait pas bougé d'un millimètre, et elle releva la tête vers lui, une expression à mi-chemin entre la mélancolie et les reste de sa peur dans le regard. Au fond, elle était surtout venue ici parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre. Parce que le soutien d'un assassin contre un autre lui avait semblé la seule solution viable.

La logique qui découlait de chacun de ses mots était pesante. Une vérité lourde et oppressante dont elle avait, bien sûr, eu conscience depuis le départ, mais ça ne l'avait pas empêchée de venir, pas empêchée d'espérer qu'elle s'en sortirait d'une manière ou d'une autre. La panique avait ce genre d'effet sur les gens ; elle poussait l'adrénaline à son paroxysme, et le bon sens à son minimum. Ne restait que l'espoir de survivre.

"Bien sûr que non…" souffla-t-elle. Non, ce n'était pas simple, mais quel autre choix avait-elle ? Attendre de se prendre une balle ? Prier pour que l'assassin soit venue pour quelqu'un d'autre ? Non, il lui fallait un temps d'avance, une solution, n'importe quoi pour que sa voie de sortie ne se résume pas à "l'espoir". L'inaction était le meilleur moyen de devenir folle.

Il n'y eut ni instant de silence, ni pause, ni préparation. Une seconde, il était en train de lui parler ; la suivante, il la maîtrisait d'une main et la menaçait de l'autre, un stylo pointé beaucoup, beaucoup trop près de son œil. Elle déglutit. Son cerveau passa en revue tout ce qu'elle perdrait si sa vue diminuait ou si elle se retrouvait handicapée de la sorte. Au hand, c'était aussi définitif que de perdre un bras. Elle savait qu'il ne lui ferait rien, du moins une part d'elle le savait, mais ça n'empêcha pas son corps d'angoisser par réflexe.
Quand la pointe s'approcha de sa gorge, ça n'empêcha pas non plus ses muscles de se tendre.

À toutes ses phrases, elle pouvait répondre un non catégorique. Elle était consciente du danger, des risques, elle les avait vus se dérouler sous ses yeux à Hoshi, elle les avait anticipés en fuyant le Japon. Et pourtant, comme Ryuu avant lui, Chris lui parlait comme si elle était une enfant égarée dans un monde d'adultes. Inconsciente et irresponsable. Pensaient-ils vraiment qu'elle prenait les choses à la légère ? L'un comme l'autre, estimaient-ils qu'elle ne savait pas les risques qu'elle courait ?

"Avoir une arme reste mieux que de ne pas en avoir… surtout face à un ennemi qui me sous-estime…" Car si les deux assassins qu'elle connaissait ne la prenaient pas au sérieux, pourquoi une qui n'avait d'elle qu'un nom sur un bout de papier aurait-elle pensé autrement ? Son regard resta fixé sur le stylo qu'il avait en main. "Moi, en revanche, si" ? Qu'est-ce qu'il comptait faire, exactement ? Non, ça, elle le savait. C'était plutôt comment et pourquoi il voulait le faire, qu'elle se demandait.

Ellia cessa d'y réfléchir et s'écarta du lit quand il le lui demanda, haussa un sourcil en le voyant récupérer une arme sous l'oreiller. Si proche, hein ? D'un côté, s'il était vraiment un assassin traqué, c'était assez logique qu'il garde ça là, et pas quelque part ou un éventuel ennemi aurait pu l'atteindre ou le trouver avant lui. La preuve qu'elle n'était vraiment pas faite pour son monde : elle n'y avait même pas pensé.

"En échange…"  Elle n'en avait pas la moindre idée. La question la prenait un peu au dépourvu, pour être tout à fait honnête. "J'ai peut-être reconnu ton comportement, mais je ne sais rien sur toi. Je ne sais pas ce que tu cherches, ou ce que tu veux." Ni ce qu'elle pouvait lui donner, en vérité.

Elle n'était pas censée en apprendre plus, et elle n'en avait pas envie. Elle s'était déjà assez mêlée de la vie d'assassins comme ça, elle ne voulait pas se retrouver encore plus impliquée. Ça lui convenait que les choses restent comme ça. À vrai dire, elle aurait même préféré que les choses soient à un stade moins avancé de connaissances. Là, elle avait dû partager trop d'informations sur elle, et elle connaissait effectivement trop de choses sur lui. "Ne t'en fais pas, je n'essaierai pas d'en savoir plus."

Ellia hocha la tête, soutenant son regard. Elle le connaissait à peine, mais elle pouvait comprendre ce genre de regard. Il la prenait plus au sérieux qu'elle ne l'aurait cru. Ou plutôt, elle l'avait totalement impliqué dans ses histoires. L'idée de lui devoir une faveur ne lui plaisait pas des masses, surtout qu'elle n'avait pas la moindre idée d'en quoi elle pourrait lui être utile, mais il fallait se rendre à l'évidence : sans lui, elle ne pouvait rien faire contre un assassin de la mafia. Certainement pas contre celle-ci... "D'accord..." La phrase qu'il avait prononcé lui avait quand même fait un drôle d'effet. Tuer quelqu'un pour elle... C'était... dérangeant. Et dire qu'elle était entrée ici en espérant tuer quelqu'un elle-même... Jamais elle n'aurait eu la force de presser la détente.

Elle déglutit en voyant une planche du placard se décrocher pour tomber au sol. Elle s'écarta du lit tandis qu'il s'en approchait avec un sac. Qu'est-ce que tu fais ? Qu'est-ce que tu es en train de faire, au juste ? Et si elle n'est pas là pour toi ? Peut-être que...
Mais même si cette femme n'était pas là pour elle, elle pouvait croiser Ryuu n'importe où, n'importe quand. Et elle n'hésiterait pas à tirer...

Chris semblait parler tout seul, prévoir tout seul. Il lui posa une question sans attendre la réponse, commença à planifier quelque chose, et elle l'écouta du mieux possible malgré l'état d'angoisse qui commençait à revenir. "Je... ok..." souffla-t-elle en réponse à son début de planification. Un gilet pare-balles, attirer un assassin, servir d'appât. Elle eut un flashback de sa fuite du Japon et tous les préparatifs qui y étaient associés. La même froideur, le même calme de l'habitude se trouvait face à elle ; et elle était là, à suivre, parce qu'elle avait été entraînée dans un monde trop compliqué pour elle.

Quand il lui tendit une arme, son première réflexe fut de reculer légèrement. Et dire qu'elle s'était crue capable d'en prendre une et de la pointer sur quelqu'un... Elle trouva quand même la force de tendre la main pour la poser sur la crosse, mais il ne la laissa pas l'emporter. "J'ai compris, oui. Je ne suis pas là pour jouer, et je ne suis pas une enfant..." Ce n'était pas vraiment le moment de commencer à se vexer de sa façon de lui parler, mais elle avait du mal à accepter qu'on l'infantilise. Non, plutôt, elle avait du mal avec le fait qu'on la protège. Demander de l'aide n'était déjà pas dans ses habitudes, ça avait tendance à la rendre un peu plus... nerveuse. Elle n'aimait pas se reposer sur les autres.

"Je vais mettre ça." Elle s'assura quand même de son approbation étape par étape avant d'emporter le gilet pare-balles avec elle dans la salle de bain. Angoisse ou pas, elle n'avait pas l'intention de mettre quelque chose sous son haut devant lui. Après avoir fermé la porte, elle s'adossa contre le mur avec un soupir, puis elle se redressa pour passer un peu d'eau sur son visage, ramenant ses cheveux en arrière à deux mains. Elle ne pouvait pas le faire attendre longtemps, il l'aidait déjà relativement à contrecœur, elle ne voulait pas prendre le risque de le pousser. Mais mettre ce gilet pare-balles lui serrait les entrailles. Ça rendait toute cette histoire trop... réelle. Elle finit quand même par le faire, soupira et sortit de la pièce. "Je l'ai vue dans la cour... Elle ne peut pas être bien loin..." Il fallait la garder loin de la ville, loin de la possibilité de croiser quelqu'un qui devrait être mort. Si elle découvrait que Ryuu était vivant et qu'elle en informait Mao...
Non, ça ne pouvait pas arriver.

Serrer les dents et ne rien dire. Elle ne se comportait pas comme une gamine, quoi qu'il en pense. Qu'est-ce qu'elle pouvait détester qu'on l'infantilise comme ça. Mais s'il y avait bien une chose qu'elle ne voulait pas ajouter à ses ennemis maintenant, c'était un autre assassin. Elle avait son compte à ce niveau-là, la totalité de la mafia d'Hoshi lui suffisait largement. Alors elle ne releva rien de plus et alla mettre le fameux gilet pare-balles son son t-shirt, comme il lui avait recommandé – utilisons ce mot – de le faire. Et en sentant ce poids sur ses épaules, elle relativisa très vite l'ampleur de ses problèmes. Il pouvait lui parler comme il voulait, en fin de compte, elle avait bien pire à régler.

"Si je l'avais vue ailleurs, tu ne serais sans doute pas la première personne que je serais venue voir..." En fait, n'importe qui aurait été plus approprié qu'un mec qu'elle connaissait à peine, dans ce genre de cas. Mais bon, elle ne pouvait pas nier que lui aurait le mérite de rendre ça plus expéditif et définitif que n'importe qui d'autre... en dehors de la seule personne qu'elle ne voulait pas impliquer.

"C'est un assassin, si elle est là pour moi je ne pense pas qu'elle s'amusera à faire ça devant tout le monde, en plein jour." Quoique... La première et dernière fois qu'elle l'avait vue, elle avait juste tiré dans la tête d'un gars au hasard au milieu d'une grande réception. Mais elle était dans sa ville, entourée de ses hommes. Ça donnait confiance, non ? Elle ne ferait pas ça ici... ? "Ça ira." Elle n'en était pas vraiment sûre, mais ses choix étaient limités.

Elle détestait ça. Ne pas avoir le choix, dépendre d'un inconnu, risquer sa vie rien qu'en mettant le nez dehors. Elle comprenait de mieux en mieux ce que Ryuu avait dû ressentir quand elle avait essayé de le sauver. Même la réticence à l'idée de mettre en danger quelqu'un qui n'avait rien demandé commençait à se faire une place. Assassin ou pas, et qu'il sache ou non ce qu'il faisait, elle traînait quand même Chris dans une histoire qui n'avait aucun rapport avec lui, et pour lui demander de tuer quelqu'un, en prime. "Quand tu veux..." Elle ne serait jamais prête. Ça ne servait à rien de prendre du temps pour l'être. La seule manière qu'elle avait de ne pas stresser dans ce genre de situation était de concentrer toutes ses forces sur la protection de quelqu'un qui avait plus peur qu'elle.
Et il n'y avait personne dans cet état ici.

Piéger un assassin... Jamais elle n'aurait imaginé faire une chose pareille. Comment en était-elle arrivée là ? Elle ravala un soupir. Elle n'avait pas d'autre choix. Elle devait éloigner cette femme de Ryuu, l'éloigner de sa vie... en fait, l'éloigner de tout le monde. Elle était à peu près sûre que la planète se porterait mieux sans cette cinglé. Quelqu'un capable de tirer une balle dans la tête d'un parfait inconnu sans aucune raison était mieux de l'autre côté de l'arme.

Elle passa une main sur son front et ramena ses cheveux en arrière pour essayer de décompresser un peu. Elle avait les mains moites et elle détestait ça. Chassant du mieux possible sa nervosité, elle prit l’émetteur qu'il lui tendait et le plaça dans son oreille. Ça devenait excessivement réel. Trop réel. Elle l'écouta exposer son plan en essayant de ne pas en rater une miette. En soit, ce n'était pas très compliqué. Servir d'appât et se retrouver seule sur le toit... "D'accord..." Elle pouvait le faire, ce n'était pas grand chose. Et puis il serait avec elle, d'une certaine façon. Il ne laisserait rien lui arriver.

Quand il posa sa main sur la porte, elle releva les yeux une seconde. L'appeler si elle avait peur ou si quelque chose n'allait pas... Mieux valait ne pas prendre la chose trop littéralement, vu qu'elle avait le cœur serré par l'angoisse depuis bien avant de mettre les pieds dans cette pièce. Mais elle hocha simplement la tête. Oui, si jamais la pression était trop forte ou qu'elle ne s'en sentait plus capable, elle lui ferait signe...

Ellia prit une grande inspiration avant de sortir de la chambre. Après avoir passé un peu de temps à traîner dans la cours, discutant vaguement avec des camarades de cours, elle fit un arrêt dans la cafétéria pour s'acheter quelque chose à déjeuner et crédibiliser son appât. Même si actuellement, elle avait l'estomac beaucoup trop serré pour avaler quoi que ce soit. Elle essaya d'avoir l'air relativement normale et détendue, comme si elle ignorait qu'un assassin la suivait quelque part. Ne pas regarder autour d'elle... de toute façon, comme Chris n'avait pas manqué de le mentionner, elle ne la verrait pas de toute manière. Inutile d'essayer de repérer un assassin entraîné qui cherchait à s'en prendre à elle.

Un main dans la poche de sa veste et son sandwich dans l'autre, elle monta jusqu'au toit du bâtiment le plus proche. Vide. Elle laissa échapper un soupir de soulagement. Elle n'avait pas spécialement envie de chasser des gens et d'avoir à trouver une excuse pour les faire partir. Les doigts crispés sur le déjeuner qu'elle se savait incapable de manger, elle s'assit près des grilles, appuyant sa tête dessus en fermant les yeux quelques secondes. Ne pas avoir l'air stressée. Au mieux, faire passer ça pour de la fatigue.
Que ça se termine vite...
S'il vous plaît, que ça se termine vite...