Cette femme était un danger public. Au fond d'elle, Ellia rêvait simplement de la voir disparaître, ici et maintenant. Ou mieux, de n'avoir jamais croisé sa route. Mais elle s'en était prise à la mauvaise personne en décidant de la suivre sur ce toit ; si elle s'était contentée de faire ce fameux travail et de rentrer au Japon, elle n'aurait pas eu de problème. On ne peut pas s'en prendre impunément aux Ballentine, que ce soit à cause d'eux ou des personnes dont ils arrivent à se rapprocher. Elle était quand même contente d'avoir rencontré Chris. Sans lui, elle aurait dû trouver une manière de régler le problème elle-même, et ça aurait été nettement plus compliqué. Rien qu'en voyant ce qu'elle avait failli faire avant qu'il n'arrive à la calmer... se jeter la tête la première dans la gueule d'un assassin n'avait pas été son meilleur plan.

Le poing toujours serré sur l'arme, Ellia s'efforçait de rester dans son jeu d'amie en deuil et de cacher son angoisse derrière de la colère. La situation lui semblait inextricable, ou en tout cas difficile à régler. Si Julchen disparaissait aux mains d'un simple amateur de casino, ils enverraient quelqu'un d'autre pour tuer ce gars. À moins... à moins de trouver un moyen de le faire partir, lui aussi. Lui faire savoir qu'il avait été retrouvé pour le pousser à s'enfuir dans un autre pays... c'était sûrement faisable, non ?

Toute à ses réflexions, elle ne suivit que peu le fil de la conversation qui s'envenimait à côté d'elle. Le circuit de son esprit d'ordinaire alimenté par la vengeance travaillait à élaborer un moyen d'éloigner ce type pour que jamais les hommes de Mao ne reviennent à Londres. Il fallait qu'elle trouve de qui il s'agissait. Malheureusement, la blonde n'avait pas eu la courtoisie de leur donner son nom. Ramené à la réalité par ce constat, Ellia cligna des yeux en fixant la japonaise, quelques secondes avant qu'elle ne lui hurle dessus. Et elle serra les dents. "C'est ce qui arrive quand tu mêles travail et vie personnelle," cracha-t-elle en réponse. C'était son antipathie personnelle qui l'avait poussée à la suivre, qui l'avait entraînée ici, et qui la mettait en danger maintenant. Peut-être était-ce cette certitude, le fait qu'elle ait fait appel à un assassin pour en arriver là, ou juste la haine profonde que lui évoquait cette femme, mais Ellia sursauta à peine au coup de feu.
Et le soulagement surpassa le choc dans son cœur. Un cauchemar de moins pour peser sur son existence. Et puis, n'était-ce pas ironique et, en quelque sorte, assez juste, que cette fille meure d'une balle dans la tête après en avoir tiré une sans hésitation dans celle d'un innocent ?

La redescente brutale du stress la fit chanceler et elle s'appuya maladroitement sur la barrière de protection du toit, laissant tomber l'arme, désormais inutile, au sol. Fermant les yeux, elle se retint de prendre une grande inspiration pour ne pas se faire envahir par l'odeur du sang. Elle n'arrivait pas à considérer la mort de cette femme comme un mal. Il n'y avait plus la peine de mort dans les états d'où Ellia venait, mais elle aurait bien fait une exception pour ce genre de personnes. Et dans un sens, c'était ce qui s'était produit. Silencieuse et immobile, la jeune femme laissa à son esprit le temps de se remettre sur les rails, de comprendre qu'elle n'était plus en danger immédiat et que Ryuu était, pour l'instant, loin des projecteurs et des regards. Puis elle déglutit et rouvrit les yeux. "Merci..." Commencer par là, non ? Elle n'en avait pas encore fini avec cette histoire, il fallait encore qu'elle trouve la fameuse cible pour l'éloigner du pays et s'assurer que les hommes de Mao ne tomberaient pas accidentellement sur Ryuu, mais c'était un minimum. "Elle... elle a dit le nom de celui qu'elle cherchait..?" Sinon... sinon il lui fallait une autre manière de le trouver.

La chute d'adrénaline pouvait avoir un effet assez violent. Avec le nombre de matchs serrés qu'elle avait joués, elle avait la force de l'expérience. Combien de fois s'était-elle effondrée entre deux mi-temps parce que ses jambes ne la portaient plus ? Quand elle se concentrait trop, elle oubliait totalement les limites de son corps. Avec la situation de stress qu'elle venait de vivre, le besoin de protéger Ryuu, et la puissance de la haine qui lui avait serré les entrailles, elle avait consommé beaucoup trop de son énergie physique. Elle se forçait à respirer lentement alors que son corps réclamait de la force ; elle n'avait pas envie d'ajouter la nausée à l'équation et pour autant qu'elle ait l'habitude de se battre, elle ne tolérait pas si facilement que ça les fortes odeurs de sang. Elle s'appuya de son mieux sur la barrière du toit, le poing serrée sur la grille, pendant qu'il fouillait l'assassin effondrée.

Quand il lui demanda si elle connaissait le gars en question, elle secoua faiblement la tête. "Non... ça me dit rien." Peut-être que son frère le connaissait, par contre. Nick avait tendance à connaître beaucoup trop de monde, et ce gars était visiblement dans sa résidence. Bon, pas au même étage, mais il avait très bien pu le croiser dans la salle commune. De toute façon, ils avaient le numéro de sa chambre, ils n'avaient qu'à attendre qu'il rentre. "Ça pourrait aller mieux. Je me prends la violente chute d'adrénaline, là..." Autant dire que si elle s'éloignait de cette grille, elle était bonne pour s'effondrer pour un temps. Fébrile, elle fouilla dans son sac pendant qu'il lui expliquait la suite du programme. Globalement, ils avaient la même idée.

"Il suffit de lui faire comprendre qu'ils l'ont trouvé. Au mieux, en prime, on lui sauve la vie pour un moment." Parce que Mao n'était pas du genre à lâcher prise. Mais au final, ils lui avaient offert un sursis en se débarrassant de Julchen, et probablement épargné des heures de torture. Détournant le regard, Ellia porta son attention sur le ciel pour ne pas avoir à regarder les deux choses susceptibles de lui serrer l'estomac, à savoir la femme effondrée au sol, ou le vide qui s'étendait en-dessous d'eux et titillait un peu trop son vertige, et elle grignota du bout des lèvres une barre énergétique trouvée au fond de son sac. Ce n'était pas franchement le meilleur endroit pour manger, mais elle était à bout de forces et il lui fallait au moins assez d'énergie pour réussir à descendre de ce fichu toit.

"Par contre... il doit avoir au moins un coloc. Je crois pas que la Rainfall ait de chambre simple." De mémoire, elles étaient toutes doubles ou triples. Ça allait être un peu plus compliqué que de juste attendre que le gars se soit enfui...

Toujours se fier à l'expérience. C'était l'une des premières choses qu'on apprenait en rejoignant une équipe de sport et quand bien même elle représentait souvent l'expérience en question, elle n'avait pas assez d'orgueil pour ne pas reconnaître qu'actuellement, elle ne l'était pas. Et elle voulait bien le croire sur parole, quand il affirmait qu'elle avait besoin de s'asseoir. Pour être tout à fait honnête, si elle n'arrivait pas à lâcher cette grille, c'était principalement parce qu'elle n'était pas sûre de ne pas tout bonnement s'effondrer avant d'avoir le temps de réfléchir à une autre solution. Une fois sa barre énergétique mangée à la va-vite, cependant, elle eut assez de confiance dans sa résistance physique pour desserrer sa poigne. Ça ne l'empêcha pas d'esquisser un petit sourire à ses paroles. "C'est physiquement, que je tiens mal la redescente d'adrénaline. Mon esprit va bien." Étrangement, c'était vrai. Elle ne se sentait ni stressée, ni particulièrement inquiète. Moins que le jour où elle avait trouvé un inconnu à moitié mort dans la rue et décidé de le sauver. Moins que celui où elle avait failli se faire casser le bras à cause de son lien avec lui. Moins que celui où elle l'avait aidé à fuir clandestinement son pays avec une nouvelle identité.
Moins que celui où elle avait vu cette cinglée tirer au hasard dans la foule et exploser le crâne d'un inconnu.

"C'est justement parce que la pression est descendue que j'ai perdu mes forces." C'est comme ça qu'elle fonctionnait : un gros build up d'énergie sous l'adrénaline, et le vide total une fois qu'elle retombait. Mais n'était-ce pas le cas de tout le monde ? Elle n'en savait rien. Elle était toujours partie du principe que ça avait peut-être un lien avec la perturbation chimique dans son cerveau. Enfin, peu importe.

Quand il évoqua ses entrée dans la bases de données d'Indarë, son sourire prit un petit air sarcastique. "Oh, je sais. Tu m'as menacé en évoquant clairement que tu connaissais mes horaires de cours, la première fois qu'on s'est rencontrés, tu te souviens ?" Bon, c'était parce qu'il avait peur qu'elle dévoile son secret mais il devait bien avoir compris, maintenant, que c'était bien la dernière chose dont elle avait envie. Elle protégeait un assassin fugitif cherchant à échapper à son ancienne vie, ce n'était pas pour en dénoncer un autre. Quand bien même elle venait de le plonger en plein dans ladite ancienne vie. "Désolée, au fait... de t'avoir entraîné dans tout ça. Je sais que tu essayes de t'en éloigner..." Et elle venait de le faire tuer quelqu'un pour protéger son propre assassin en fuite.

"Son numéro de chambre n'était pas sur la carte ? R-23 ou 25, quelque chose du genre." Il lui avait semblé voir ça, quand elle avait jeté un œil, mais elle n'était plus trop sûre. Enfin, si c'était ça, il le verrait facilement en regardant. Elle soupira en appuyant l'arrière de sa tête contre la grille. Ne pas voir le vide stabilisait déjà nettement l'état de son estomac. Quelle idée de se mettre aussi près du bord... Elle ferma les yeux pour essayer d'oublier qu'elle était à plusieurs étages au-dessus de sol et qu'il y avait un cadavre pas si loin d'elle. "Ça va aller. Je t'attends ici..." De toute façon, elle n'était pas vraiment sûre d'avoir la force de se lever, et la porte du toit était magnétique, de toute manière, elle se fermerait toute seule. Enfin... à un détail près. En théorie, tous les Castel pouvaient l'ouvrir. "Je n'ai rien pour bloquer la porte si quelqu'un avec une carte décide de se pointer." Et d'ailleurs, elle ne pourrait pas redescendre s'il refermait derrière lui. C'était déjà un miracle qu'elle ait pu accéder au toit parce que quelqu'un l'avait ouvert...
Une seconde...

"Elle... elle doit avoir une carte de Castel... sinon elle n'aurait pas pu ouvrir le toit." Les cartes des employés, les seules qui donnaient accès à toutes les serrures magnétiques de l'école. Avec ça, au moins, le problème de savoir ce qu'ils pouvaient ouvrir disparaîtrait. "Ça te permettra d'accéder à la résidence Rainfall, sinon tu es bon pour attendre que quelqu'un d'autre ouvre la porte. Ah, et le toit, aussi, ou tu es pas prêt de pouvoir revenir me chercher." Le système de sécurité avait, étrangement, de sacrés inconvénients dès qu'il s'agissait de faire des choses clandestinement. Presque comme si c'était le but, tiens.
Enfin, cette fille avait dû s'arranger pour avoir une carte qui lui ouvrirait toutes les portes pour ne pas avoir à se prendre la tête.

Ellia haussa un sourcil, un peu sceptique. Un service ? Elle n'avait pas la moindre idée du genre de service qu'elle pourrait lui rendre, pour être tout à fait honnête, et elle n'avait, de toute façon, pas l'impression qu'il était le genre de personne à demander de l'aide. Au contraire, s'il était comme Ryuu... il serait plutôt du genre à tout faire pour se débrouiller seul, quitte à souffrir, pour éloigner et protéger les gens autour d'elle. Elle ne pouvait pas vraiment l'en blâmer : c'était un de ses schémas personnels récurrents, à elle aussi. Au fond... peu importait ce qu'il pensait maintenant. Au moins, aussi improbable que ça puisse paraître, s'il se retrouvait au pied du mur un jour, il pourrait toujours lui demander de l'aide et prétendre que c'était simplement en guise de rétribution pour ce qu'il faisait aujourd'hui. Elle ne refuserait pas.
Elle avait le même genre de fierté, après tout.

Silencieuse, elle hocha simplement la tête pour confirmer cette histoire de carte, puis elle le regarda fouiller la blonde. Pourquoi n'arrivait-elle pas à ressentir d'empathie pour cette femme ? Bien sûr, la voir tirer une balle dans le crâne d'un garçon qui n'avait rien demandé, juste pour le spectacle, ne donnait pas spécialement envie d'être son amie ou de s'inquiéter pour elle, mais elle côtoyait des assassins. On aurait pu en dire tout autant d'eux... Peut-être était-ce une part de la colère héritée de sa mère, et de sa grand-mère avant elle, celle qui semblait si difficile à contrôler... mais elle n'était pas aussi impulsive qu'Holly, pas aussi violente non plus, quand bien même il lui arrivait souvent de régler ses problèmes avec ses poings.
Mais bon... Ballentine et McKelly avaient toujours été des familles froides et dangereuses, pouvait-elle s'étonner d'être ainsi, alors qu'elle était le mélange des deux ?

Restant à son introspection, la tête appuyée contre la grille, elle le laissa s'éloigner avec la carte qu'il avait trouvée et ferma les yeux. Elle espérait quand même que ce pauvre coloc n'avait rien. Totalement étranger à cette affaire, il aurait pu si facilement se trouver au mauvais endroit au mauvais moment... elle pouvait compatir, elle avait tendance à vivre le même genre de situations. Ellia soupira et se leva, juste le temps de se mettre un peu à l'écart, et elle finit par s'adosser à l'un des murs qui délimitaient l'accès aux étages inférieurs. Plus elle était loin du bord, mieux elle se portait - et puis au moins, elle l'entendrait quand il reviendrait.

Elle resta là un long moment, grignotant sa barre énergétique, essayant d'oublier qu'elle se trouvait à distance pas si raisonnable d'un cadavre. Au fond, elle ne regrettait pas vraiment ses choix. Elle aurait pu se dire que sa vie n'aurait pas pris cette direction si elle n'avait pas rencontré Ryuu, mais ce n'était pas lui qui avait pris la décision d'envoyer Julchen et ses petits copains prendre une université en otage. De ce qu'elle savait, il n'était même ni sur place, ni au courant, prisonnier des "corrections" de Mao suite à l'échec dont elle l'avait soigné. Alors oui, il n'y aurait peut-être pas une blonde morte sur ce toit sans ça, mais est-ce que ça aurait été mieux ? Le gars qu'elle cherchait serait mort, lui, et Ellia... elle aurait quand même reconnu cette femme, quand même eu peur, et peut-être qu'elle se serait terrée quelque part dans l'angoisse au lieu d'aller... régler le problème.

Elle sursauta en entendant la voix dans son oreillette. Oui, c'est vrai qu'il y avait ça, aussi. Elle l'avait mise par réflexe sans même y penser quand il la lui avait donnée, et elle avait un peu oublié son existence à force de se perdre dans ses pensées. Terminant ce qu'elle mangeait, elle se redressa d'un bond souple pour atteindre la porte. Sa carte lui permettait de déverrouiller depuis son côté, ce qui l'arrangeait bien, mine de rien, et elle ne se fit par prier pour lui ouvrir la porte. Effectivement, il était... chargé. Elle cligna des yeux plusieurs fois avant de récupérer quelques trucs pour les déplacer sur le toit. "Tu as pu vérifier si son coloc allait bien ?" Pour l'instant, c'était sa préoccupation principale, peut-être pas la plus urgente mais une des plus importantes. Mao n'entendrait pas parler de la disparition de Julchen avant un bout de temps, après tout...
Par contre, les cours universitaires pouvaient durer jusqu'à 19h et ça, ça allait nettement leur compliquer la tâche.

Pas de nouvelles du coloc, hein... C'était mauvais signe, très mauvais signe avec cette femme dans les parages. De quoi était-elle capable pour atteindre la cible qu'elle cherchait ? Probablement de tout. Restait à espérer pour ce Harper qu'il ne se soit pas trop mis en travers de son chemin, ou que Mao ait eu la délicatesse de lui dire de ne pas tirer sur le premier venu, cette fois. Quoique, délicatesse était un bien grand mot pour parler d'un taré pareil. Enfin... s'il lui était arrivé quelque chose, ils finiraient bien par l'apprendre à un moment où un autre. Elle soupira rien qu'à l'idée de découvrir que cette cinglée avait encore tué quelqu'un sans la moindre considération. Peut-être que s'ils étaient arrivés plus tôt, ils lui auraient épargné ça.
Vraiment, elle espérait que ce gars allait bien.

Ellia était un peu ailleurs quand elle récupéra le seau qu'il lui tendait pour aller le remplir à l'étage inférieur. La plupart des étudiants étaient en cours et elle ne croisa personne. Tant mieux, elle n'avait pas spécialement envie d'avoir à expliquer pourquoi elle se trimbalait avec un seau d'eau en plein milieu d'un bâtiment, ni pourquoi elle avait probablement du sang sur ses vêtements.
...
D'ailleurs, est-ce qu'elle avait du sang sur ses vêtements ?
Pendant que le récipient se remplissait, elle se tourna et se tordit un peu pour essayer de repérer la moindre trace qui aurait pu soulever des questions, mais elle ne vit rien. Ses chaussures n'avaient laissé aucune marque non plus - chose qu'elle aurait sûrement dû vérifier avant d'arriver jusque là, maintenant qu'elle y pensait. Enfin, l'essentiel était qu'elle s'était apparemment tenue assez loin pour ne pas se prendre la moindre goutte.

La jeune femme soupira discrètement, soulagée, avant de récupérer le seau à moitié plein d'eau et du savon liquide qu'elle avait trouvé et qui, elle l'espérait en tout cas, permettrait de masquer un peu l'odeur du sang et de la javel qu'elle avait aperçue. Elle remonta à nouveau sans croiser personne. Finalement, l'interdiction - et l'impossibilité pour la plupart des gens - de se rendre sur le toit leur facilitait quand même un peu la vie. Elle avait l'avantage d'avoir cet accès directement depuis le toit qui lui permettait d'outrepasser cette possibilité. Enfin, si on pouvait appeler ça un avantage... En tout cas, elle lui laissa le seau une fois qu'il lui eut ouvert, et elle s'adossa contre la porte pour sentir si quelqu'un essayait de l'ouvrir.

Une expression sarcastique s'afficha sur ses traits. "Amis suffira, merci. Et crois-moi, ça sera bien plus crédible." Personne, dans cette université ou ailleurs, ne risquait de croire qu'elle sortait avec quelqu'un, et elle n'aurait de toute façon pas su vendre ce mensonge. Elle avait déjà eu un mal fou à jouer le jeu dans sa seule "vraie relation", alors une fausse... autant lui demander de jouer les funambules, elle serait tout aussi efficace.

Étrangement, l'odeur de la javel lui rappela ses derniers heures au Japon, quand Nick avait dû décolorer et teindre les cheveux de Ryuu pour l'aider à passer inaperçu, et qu'elle avait dû s'essayer à une technique bien trop inédite de maquillage pour essayer de modifier ses traits suffisamment pour le rendre méconnaissable. Depuis la fusillade de Chisê, elle se retrouvait mêlée à des histoires graduellement plus dangereuses et elle commençait à se demander si elle finirait par en voir la fin. Peut-être que Mao finirait par tomber mais... combien de mort laisserait-il dans son sillage ?

Restant appuyée contre la porte, les bras croisés, elle haussa un sourcil quand il commença à parler comme si de rien n'était. Il n'avait pas tort, d'un côté, ils étaient coincés là pour un bon moment. Mais... "Pourquoi tu poses des questions dont tu connais déjà la réponse ?"  Son ton n'était ni spécialement froid, ni sec, juste relativement neutre. Elle n'avait pas la force et encore moins l'envie de se montrer désagréable, surtout avec tout ce qu'il venait de faire pour et à cause d'elle, mais elle n'avait jamais été spécialement portée sur les conversations, encore moins seule à seul, et elle avait toujours eu cette tendance à aller directement aux faits qui l'intéressaient ou l'intriguait.

Des problèmes relationnels ? Pas vraiment. Mais elle n'avait jamais été porté sentimental et tous ceux qui la connaissaient un peu savaient ça, donc niveau crédibilité il y avait bien mieux que de prétendre qu'elle sortait avec un mec qu'elle ne pouvait pas connaître depuis bien longtemps. Si on considéraient que la liste des gens "qui la connaissaient un peu" s'étendaient de ses camarades de classe à tous les amis de son frère, ça faisait un trop grand nombre de gens qui risquaient de trouver ça suspect. "Je ne dirais pas 'problèmes'. J'ai juste d'autres priorités." Contrairement à beaucoup d'autres personnes, ça ne la faisait pas rêver. Elle était même plus proche du désintérêt total. Son petit murmure sarcastique lui tira, à elle aussi, un haussement de sourcil. "Je suis pas vraiment du genre bavarde, alors le prends pas trop pour toi..." Elle avait vexé pas mal de monde avec son côté taciturne, comme si les gens considéraient que ne pas parler voulait forcément dire qu'on s'ennuyait ou qu'on était de mauvaise humeur, ou qu'on ne les aimait pas. Elle préférait juste écouter que parler, les conversations n'avaient jamais spécialement été son truc.

Au fur et à mesure que le temps s'écoulait, elle finit par s'asseoir en fermant les yeux, la tête en arrière et appuyée contre la porte. Elle ne comprenait pas les gens qui avaient du mal avec le silence. Avec une vie agitée, il n'y avait rien de tel que quelques heures de calme... et sa vie était un peu trop agitée, ces derniers temps. Elle n'aurait su dire si elle s'était endormie ou juste perdue dans ses pensées, mais il fut vite plus de dix-neuf heures et Chris la ramena à la réalité. Elle se redressa en étirant ses épaules, récupérant le seau sans rechigner. Elle trouvait presque ça effrayant de s'être adaptée aussi vite à ce genre de situations. Il n'y a pas si longtemps, elle était juste une fille normale, et maintenant elle camouflait une scène de crime quelques mois à peine après avoir aidé quelqu'un à fuir des assassins. Enfin... vu l'histoire de sa famille, peut-être que ça coulait simplement dans ses veines. Avec des parents qui avaient frôlé le crime toute leur vie, ça ne l'aurait pas spécialement étonnée.

Une fois l'eau vidée dans les lavabos, elle prit le temps de le rincer un peu pour éviter toute trace puis remonta sur le toit pour la suite. Suite qui consistait à transporter un cadavre jusqu'à une résidence universitaire. Décidément, le monde avait perdu son sens bien trop vite, comme si elle avait franchi une barrière invisible le jour où elle avait décidé d'aider un garçon à moitié mort dans une ruelle. C'était sûrement le cas, d'ailleurs. Perdue dans cette réflexion, elle eut à peine conscience du chemin qu'il parcoururent jusqu'à arriver devant la fameuse chambre. Le type ouvrit la porte et Ellia soupira en voyant l'expression de son visage. Ouais, il avait pas l'air frais, ça risquait de compliquer leurs affaires.

"Salut." Son air fermé dut perturber le gars en face, car il la regarda un instant avec des yeux vides, comme s'il essayait de savoir qui elle était. Peine perdue, à moins qu'il soit fan de hand, mais ça ne lui apporterait pas grand chose. "Euh... t'es qui..?" Elle leva les yeux au ciel. Pourquoi c'était à elle de parler à ce type ? Elle soupira avant de l'écarter sans trop chercher plus loin et de s'installer sur la chaise de son bureau comme si elle était chez elle. Elle n'était plus à ça près, aujourd'hui, et de toute façon ce type était une brindille, il ne pouvait pas vraiment l'en empêcher. Ce fut en tout cas suffisant pour qu'il ne réagisse pas vraiment à l'entrée de Chris, du moins pas avant que celui-ci se mette à parler.

Elle avait mal au crâne. L'agacement de Flint et ses cris lui faisaient regretter le silence du toit et elle croisa les bras, ne se mêlant pas vraiment de la conversation jusqu'à ce que le pan de couverture soit relevé et que le gars se mette à hurler. Il risquait d'attirer la moitié de la résidence avec ça. Et cette histoire commençait à lui taper sur les nerfs. Alors elle se leva, profitant du fait qu'il avait reculé contre un mur pour l'y bloquer, un bras en travers de ses épaules. "Écoute-moi bien, j'en ai marre de t'entendre chouiner. Mao, ça te dit quelque chose ?" Elle n'eut qu'un roulement d'yeux en réponse, mais ça lui suffit pour qu'elle reprenne. "Eh bien Mao sait où tu es, et il n'est pas du genre à apprécier qu'on lui vole son fric. Tu as eu du bol qu'on tombe sur elle avant toi, mais tu n'auras pas autant de chance pour le prochain. Julchen est la plus folle, mais il y en a d'autres qui sont nettement plus méticuleux. Comme Soren. Et ceux-là, personne ne les verra venir avant que tu te retrouves avec une lame plantée dans la jugulaire." À vrai dire, le fameux Soren lui avait, au contraire, semblé le moins enclin à tuer qui que ce soit, mais Flint n'avait pas besoin de le savoir. Et de toute façon, elle était bien placée pour savoir que les plus calmes pouvaient être les plus dangereux. C'était le cas de la moitié de sa famille, après tout.

"Du coup on va faire simple. Tu veux mourir ?" Le gars secoua la tête, ses yeux paniqués allant du cadavre à Chris, et elle claqua des doigts pour reporter son attention sur elle. "Alors je te conseille de trouver un autre coin. Un autre pays, même, et un autre nom. Sinon celui que tu portes actuellement risque d'être dans les journaux de Londres d'ici la fin de la semaine." Il déglutit mais finit par réussir à ouvrir la bouche pour autre chose que respirer maladroitement. "C... Comment vous savez tout ça..?" Ellia leva les yeux au ciel. "Ça ne te regarde pas. On vient de te sauver la vie, tu ne peux pas te contenter de ça ?" Elle ne le lâcha pas, peu convaincue par son attitude. À vrai dire, elle n'avait pas l'intention de le laisser bouger ou partir avant d'être certaine qu'il quitterait le pays et qu'il ne mettrait plus en danger les gens auxquels elle tenait par sa simple présence aussi près de Ryuu. Elle ne voulait pas voir revenir le moindre assassin de Mao, et il les attirerait sûrement comme des mouches sur du miel.

Les choses commençaient à se décanter. C'était pas plus mal. Elle n'avait jamais été réputée pour sa patience, surtout quand sa famille et ses proches étaient en danger, et ce gars jouait avec. En quelques minutes, elle avait dû réguler bien trop d'envies de lui coller son poing dans la mâchoire. Et il cherchait encore à trouver une manière de rester, c'était insupportable ! Elle avait juste envie de lui dire de se barrer avant qu'il ait des soucis plus immédiats que la possibilité de se faire éclater le crâne par la mafia, mais elle se contenta de serrer les dents et les poings et de laisser Chris le gérer.

Heureusement pour elle, et pour lui, le gars n'insista pas longtemps et finit par rassembler ses affaires. Pas trop tôt. Adossée contre le mur, les bras croisés, Ellia baissa les yeux sur sa montre. "T'es pas rapide." Elle l'avait lâché en japonais et avec un ton assez méprisant pour que le gars trésaille et accélère le rythme. Hmpf. Si elle avait su qu'il suffisait d'employer la langue de ceux qu'il fuyait pour le faire réagir, elle aurait commencé par ça. Quand il eut enfin débarrassé le plancher, elle soupira et s'écarta du mur. Enfin débarrassés. Elle aurait quand même bien aimé pouvoir s'assurer qu'il partait le plus loin possible et qu'il ne se contenterait pas de les prendre à la légère pour s'installer dans le quartier voisin, mais elle ne pouvait compter que sur son instinct de survie pour ça. C'est à dire pas sur grand chose, vu comme il avait l'air abruti.

Pendant qu'il s'occupait de dérouler le contenu du tapis, Ellia se tourna vers la pièce. Donner l'impression qu'ils s'étaient battus, hein ? Elle revint au niveau de la porte. Il faudrait sans doute frapper un peu dedans pour donner l'impression qu'elle était entrée brusquement, mais elle ferait ça en dernier ; histoire que les possibles personnes que ça attirerait ne débarquent pas au pire moment. Il fallait rendre ça réaliser sans en faire trop ? Tournée vers la pièce, elle prit une position de combat basique pour calculer son allonge, savoir ce qui se renverserait avec un coup de pied ou de poing, avec une esquive, avec une personne projetée au sol. Puis elle entreprit de déranger les bonnes choses. Comme elle avait besoin de se défouler un peu, elle se permit quelques véritables coups pour projeter certains objets au sol avec un peu plus de force. La lampe de chevet la plus proche de la porte n'y survit pas, s'éclatant au sol. Ça calmait quand même pas mal les nerfs. Une fois que tout fut en place, elle s'étira un peu puis observa le résultat. C'était crédible. Pas si éloigné de l'état dans lequel elle avait laissé certaines pièces après s'y être battue. Elle hocha donc la tête quand il lui demanda si elle avait fini.

Ils n'avaient plus de raison de s'attarder dans cette pièce. Dès qu'ils furent sûr qu'ils pouvaient sortir sans risque, Ellia se glissa à sa suite et referma la porte derrière elle sans entièrement la clencher. "Juste une dernière chose." Et elle frappa d'un coup de pied, assez fort pour que le battant pivote et que les gonds roulent un peu, marquant la trace d'une entrée par la force. "Là on peut y aller." Vite, de préférence, parce qu'un coup pareil faisait quand même pas mal de bruit.