[2019] "Pas touche à mes affaires"

Bientôt trois mois que je suis dans ce Lycée et je n’ai toujours pas l’impression d’avoir trouvé ma place. Je pensais, à tort, que de nouvelles mœurs me feraient le plus grand bien. Au final, c’est avec une curiosité modérée que j’observe l'environnement autour de moi. Tout est si différent du Japon, et je doute que ça soit une bonne chose. Ici, les gens sont dérésponsabilisés, et tout est prémâché par les professeurs. Cela me donne simplement le sentiment que tout le monde est moins mature. La pression liée aux examens semble amoindrie, ce qui par contre, est une bonne chose. En somme, les gens profitent de leur adolescence et suivant leur jeunesse comme bon leur semble, sans correspondre à une grille comportementale précise. Néanmoins, la présence de jeunes criminels au sein de l’école semble créer de vives tensions, dont je m’éloigne volontiers. Je n’ai pas encore eu encore la chance de converser avec l’un d’eux. Ils ne doivent pas être aussi dangereux que ce que certains tendent à faire croire.
   Je me suis donc adaptée à tout cela, et passe le plus clair de mon temps libre à la bibliothèque pour travailler, histoire d’avoir mes soirées de libres, ou je peux sortir me détendre dans des bars. Mes fins de journées,elles,  je les passe à l’université, pour continuer de potasser ma spécialisation chimie. Cette spécialisation est d’ailleurs 100% positive, et il ne m'aura fallu qu’une poignée de semaines pour me mettre à niveau, et prendre de l’avance. L'environnement universitaire me convient d’ailleurs bien mieux que celui du Lycée.

   Mais aujourd’hui est un jour particulier. Aujourd’hui, je suis en chasse. En arrivant en Angleterre, j’ai rapidement compris qu’une lutte de territoires s’était lancée dans la bibliothèque de l’Institution. Ma venue avait brisé le monopole d’un élève sur les ouvrages de chimie, et plus précisément, sur les livres et autres transcriptions de colloques généreusement prêtées par l’université pour les étudiants Gifted. Alors depuis plusieurs semaines, je surveille et analyse les flux d’ouvrages, afin de découvrir qui ose réserver mes livres sous mon nez. Après plusieurs recherches, il s’agirait d’une élève de 2è année. Une certaine Lisa ou Liza, et je sais plus ou moins à quoi elle ressemble. Et je suis là, je patiente, car je sais qu’à cette heure là et tous les mardis, elle vient rendre ses livres empruntés la semaine d’avant. Les minutes s’écoulent tandis que je continue de suivre, d’un coin de l’oeil, un ouvrage de géographie.


   Et puis, je vois quelqu’un arriver dans ma vision périphérique. C’est elle. Elle à mon âge, brune, cheveux mi-longs coiffés d’un ruban orange. Je la vois passer en coup de vent, déposer ses livres et quitter les lieux. Je me lève aussitôt, et m’approche d’elle, la dépasse avant de la bloquer avec mon bras, l’empêchant d’évoluer dans ce couloir désert. Je plante mes yeux dans les siens, prends mon habituel sourire supérieur, et ma voix doucereuse.

“Lisa, le hasard fait bien les choses, je te cherchais. Vois tu, j’étais à la bibliothèque et on m’a dit que le rapport de Colloque de l’université de Cambridge du 20 juin 2018 était emprunté. J’ai d'abord été étonné que quelqu’un puisse le lire et même le comprendre, mais ensuite, je me suis penchée sur les personnes susceptible de réaliser cet exploit. Et il se trouve que tu es en tête de liste.”

Il s’agit de ma première initiative sociale en 3 mois, et j’arrive à être désagréable et hautaine. Super.

Je retire mon bras du mur, le plaçant derrière mon dos, le croisant avec l’autre.

“Oh, mais je n’ai pas pris la peine de me présenter, je suis Elaine. Mais tu peux m’appeler Chizaki si tu veux.”