[2019] L'Encre est le sang d'une page.

S
ortant de la douche, ses longs cheveux marrons ondulaient en dégoutant sur le plancher du corridor alors qu’elle se rendait à sa chambre. Pied nue et vêtue de son pyjama favori, elle fredonnait un air gai en marchant allégrement. D’un œil curieux, la jeune fille prenait le temps d’observer tout ce qui l’entourait et ne se gênait pas pour saluer les quelques personnes qu’elle croisait sur sa route. Une fois rendu à destination, Charlie ouvrit la porte toute grande en poussant un cri, essayant de surprendre ses colocataires. Malheureusement pour elle, il n’y avait personne. Légèrement déçu que sa blague soit tombée à l’eau, la jeune fille fit la moue et se dirigea vers son lit. Sautant sur le matelas, elle laissa échapper un long et lourd soupir de lassitude. Le silence de la pièce l’angoissait et ne pouvant supporter la solitude, elle décida de se rendre dans un environnement plus animé. La salle commune du dortoir semblait une excellente initiative. Ne prenant pas la peine de mettre quelque chose de plus convenable, la jeune fille saisit son journal intime et repris le même chemin, en sens inverse cette fois. Elle aimait écrire et l’inspiration lui venait plus facilement lorsqu’il y avait des gens autour qui allait et venait. Les conversations et les échanges entre les individus l’avaient toujours fasciné.

Gambadant dans son pyjama, pied nue et souriante, Charlie arriva finalement à l’endroit prévu et malgré le peu de personnes présentes, ce sentit nettement mieux. Alors que son regard faisait le tour des étudiants, garçons et filles, il ne s’arrêtait sur aucun visage connu. La plupart  étaient absorbés dans leur activité ou avec leur groupe d’amis. Journal en main, la jeune fille chercha un endroit confortable où se poser et pouvoir se livrer à ses écrits. C’est alors qu’elle le vit. Seul et tellement concentré dans son calepin qu’il semblait fondre en lui. La curiosité l’emporta et ses pas s’élancèrent avec entrain dans sa direction, qui plus est, il était tellement mignon ! Oubliant toute bienséance ou formule de courtoisie, Charlie tira brusquement la chaise en face de l’inconnu et au lieu de s’y assoir gentiment, préféra s’y agenouiller. Le buste penché par avant, elle appuya son menton entre les paumes de ses mains et détailla avec intérêt le garçon. Des cheveux noirs et courts, des yeux d’un magnifique bleu foncé qui lui rappelait ceux de son frère… Cette pensée la fit plonger dans ses souvenirs et avant qu’elle ne puisse compléter son analyse, le principal intéressé se retourna brusquement et cacha son œil droit. Surprise, Charlie ne réagit pas sur le coup pour finalement pencher la tête sur le côté, intriguée par l’attitude du garçon en face d’elle. Il ne lui venait pas du tout à l’esprit que sa posture et sa présence pouvait mettre l’autre mal à l’aise.

▬ Bonjour ! Ou plutôt, bonsoir ! Tu…

Alors qu’elle allait continuer sa phrase, il écrit dans son calepin avant de le lui montrer, tremblant légèrement. Ses yeux s’agrandirent sous la surprise et son sourire s’élargit, montant jusqu’à ses yeux. Croyant qu’il voulait jouer à un jeu, comme les agents secrets, la jeune fille saisi son journal et écrivit sa réponse avec enthousiasme :

 

✎ Tu avais l’air bien seul dans ton coin, qu’écris-tu ?

C
harlie ne réalisait visiblement pas le malaise de son interlocuteur, mais sursauta légèrement sous l'effet de surprise lorsqu’il saisit son calepin à deux mains. L’expression de son visage semblait afficher un mécontentement. Elle ne comprit pas pourquoi et comme à chaque fois qu’une situation comme celle-ci se produisait, la curiosité l’emportait sur le bon sens. Un millier de questions se bousculèrent dans sa tête au point où elle eut du mal à faire le tri dans ses pensées. Heureusement, ce moment de chaos lui permit de manquer le bégaiement du garçon qui lui faisait face. Son attention revint lorsqu’il prononça le mot « histoire », ne manquant pas de lui faire retrouver sa bonne humeur habituelle.

▬ Une histoire ? J’adore les histoires !

Elle voulait en apprendre d’avantage, mais devant le regard humide du garçon, Charlie sentit son cœur fondre d’avantage devant tant de mignonnerie.  Encore une fois, se trompant lamentablement sur la raison de cet émoi, elle reprit d’une voix douce :

▬ Hey, ce n’est pas grave tu sais ! Je suis certaine que ton histoire va être géniale !

Malheureusement pour la jeune fille, au lieu de rassurer ses propos provoquèrent l’effet inverse. Après un moment de confusion totale, elle comprit finalement  ce qu’il essayait de lui dire depuis son arrivée. Se reculant sur sa chaise, elle adopta une position nettement plus adéquate, qui elle l’espérait, allait redonner le sourire au petit timide en face d’elle.

▬ Est-ce que c’est mieux ainsi ? S’il te plait, ne soit pas triste…

Charlie prit même la peine de mettre un peu d’ordre dans ses cheveux encore humide et de tenir son dos droit comme on lui avait appris. Elle n’avait pas l’habitude et galérait quelque peu à savoir comment et où mettre ses bras, pour finalement s’asseoir sur ses mains.

C
harlie fut heureuse de voir qu’il reprenait peu à peu de l’assurance, allant jusqu’à essayer de tenir une conversation. Alors que le garçon cherchait ses mots pour exprimer ses inquiétudes, la jeune fille hocha la tête et lui sourit avec confiance, répondant sur le même ton de douceur :

▬ Je suis certaine que c’est très bien, ait confiance en toi !

Son interlocuteur vint pour continuer sa phrase, mais marqua un temps d’arrêt. La jeune fille trouvait curieuse et attendrissante sa timidité, elle qui en était l’exact opposé. Son impulsivité la poussait à vouloir en apprendre d’avantage sur qui il était et sur ce qu’il écrivait. Toutefois, pour éviter une nouvelle fois qu’il ne soit gêné par son attitude, Charlie contint sa fougue. Chose qui n’était pas courant lorsqu’on la connaissait le moindrement.

Tandis qu’elle croyait qu’il n’allait jamais reprendre là où il s’était arrêté, la jeune fille resta stupéfaite devant la prose parfaite qu’il récita. Incapable de cacher son admiration, elle écouta la tirade comme hypnotisé par les mots qui sortait de sa bouche et par l’aura impressionnante de calme serein qui se dégageait de tout son être. Même si le sens de certains mots lui échappait, Charlie en avait ressentie les échos jusque dans ses os. Encore sous le charme, elle laissa les mots résonner un court instant entre eux avant de finalement prendre la parole :

▬ Wow ! Y a pas à dire, tu as vraiment du talent ! Ce que j’aimerais être aussi douée toi !

Libérant ses mains, la jeune fille ne put retenir plus longtemps son excitation et tapa vivement dans ses mains. Encore émerveillée, elle finit par se calmer et reprendre d’une voix plus posé :

▬ Enchantée de te rencontrer Thomas Lynch, moi c’est Charlie. Charlie Lochlainn.

L
a jeune fille espérait fortement qu’il perde un peu de sa gêne et qu’ainsi elle puisse lui poser d’avantage de questions. Elle devait presque se mordre la langue pour mettre un frein à son flot de bavardage habituelle. Il n’y avait que son frère qui supportait sans broncher son babillage incessant. Reprenant son journal intime entre ses mains, elle ouvrit et contempla ses écrits d’un rapide survol. Rien qui ne puisse ressembler de près ou de loin à la qualité des textes que devait écrire Thomas. Étrangement, Charlie n’éprouvait pas de jalousie envers le talent de celui qui lui faisait face. Elle l’admirait simplement et purement. Peut-être qu’un jour, elle sera aussi douée que lui.

Le son d’une petite voix fit relever la tête de la jeune fille. Pendant un court instant, elle ne comprit pas ce qu’il lui demandait et fixa le calepin tendu devant elle. Les mots se frayèrent finalement un chemin jusqu’à sa conscience et dans une exclamation de surprise mêlé d’émotions Charlie s’exclama :
 

▬ Je peux ?! Vraiment ?!

Elle manipula avec précaution le carnet et se mit à lire les premiers mots. Les histoires la fascinaient depuis qu’elle était toute petite. L’imagination de certaine personne frôlait le génie et ouvrait une porte sur un autre monde, une autre dimension. Les lettres sous ses yeux se mirent à disparaître peu à peu pour laisser place aux images qu’elles décrivaient. Absorbée dans sa lecture, il lui fallut un moment après avoir terminé le texte pour que la jeune fille reprenne contact dans la réalité. Un clignement de paupière plus tard, elle releva la tête vers Thomas et dit d’une voix douce :

▬ C’est incroyable ! Dis-moi, d’où prends-tu toutes tes idées ?! Et les mots… comment fais-tu pour en connaitre autant ?

Elle lui rendit son journal, incapable de cacher son admiration. Motivée à fond, la jeune fille voulait être en mesure d’être aussi habile en écriture que lui. Peut-être qu’il faudrait qu’elle soit un peu plus attentive dans les cours pour commencer. Malheureusement, elle était incapable de garder son attention sur quelque chose plus de dix minutes si le sujet ne l’intéressait pas le moindrement.

M
algré la modestie dont il faisait preuve, Charlie n’en démordait pas. Évidemment, elle n’avait pas les connaissances ni les qualifications requises pour évaluer d’un point de vu professionnel le talent de Thomas. Cependant, dans sa tête il méritait à tout le moins des encouragements et de la reconnaissance. Ne serait-ce que pour le faire sortir un peu de la timidité dans laquelle il semblait enfermer. Ce qui sembla porter fruit puisque les mots que le jeune homme prononçait sortaient avec d’avantage de fluidité et d’assurance.

Attentive et silencieuse, pour une rare occasion, Charlie écouta les conseils mêlés aux confidences sur le passé de Thomas. À entendre le trémolo dans sa voix, la mort de sa grand-mère l’avait beaucoup affectée. Elle compatissait pour cette perte, mais n’ayant jamais connu les siens, la jeune fille ne pouvait s’identifier dans cette situation. Par contre, son cœur se serra et battit frénétiquement lorsqu’il plongea son regard dans ses prunelles pour énoncer des mots qui représentait sa raison de vivre. « Que désire tu, mais tu ne peux pas avoir… » Baissant les yeux, elle sera fortement son journal intime contre sa poitrine. Il contenait beaucoup de choses futiles, mais aussi de précieux secrets qu’il lui était interdit de dire. C’était principalement la cause de son établissement permanent au sein de  l’IRS. À moitié plongé dans ses pensées, la jeune fille murmura :

▬ Ce que je désire… Ce que je veux plus que tout au monde…

Il y avait bien entendue une chose, mais on lui avait interdit de le dire. Charlie ne comprenait pas pourquoi. À ses yeux, l’amour, l’amour vrai, était plus puissant que n’importe quoi d’autre. Plus puissant que les règles et les lois. Plus puissant que n’importe quelle armée ou gouvernement. Comment pouvait-on essayer de museler une telle force ? Puis, comme le soleil dissipant les nuages, son sourire revint. D’une voix qui se voulait enjouée, elle reprit :

▬ Merci Thomas pour tes conseils ! Peut-être qu’un jour, avec beaucoup d’efforts, j’arriverai à écrire aussi bien que toi !

C
harlie fut heureuse de voir Thomas sourire ainsi, il devenait encore plus mignon. Elle avait une envie irrépressible  de le voir rire et lui parler d’avantage. Autant au niveau de l’écriture et de ses histoires que d’une possible amitié. Perdu dans son petit monde imaginaire où tous les gens sont continuellement amis et joyeux, la jeune fille fut prise de court par la question. Durant un instant, elle réfléchit sérieusement. Elle prenait peu le temps de s’arrêter à ce qu’elle aimait faire. Charlie suivait avant tout ses pulsions et ce que son cœur lui disait. C’était entre autre ce qui lui avait valu d’être considérée comme impulsive et illogique.

▬ J’aime bien écrire, enfin je crois… Sinon, j’essaie toujours de trouver quelque chose d’amusant à faire. Que ce soit une activité réconfortante ou des gens pour rallumer des étoiles au fond des yeux !

Thomas se confia enfin sur ce qui intriguait la jeune fille depuis le début. Par un concours de circonstance, elle n’avait pas encore eu l’occasion de poser la question. Sa curiosité aiguisée au maximum, elle reposa sa tête entre ses paumes ouvertes, attentive aux propos de son interlocuteur.  

▬ Qu’est-ce qu’il a de si bizarre ton œil ? Si ta grand-mère avait le même, ce ne peux pas être si mal n’est-ce pas ? Elle semblait être une personne extraordinaire, donc ça veut dire que toi aussi tu l’es non ? Moi je te trouve génial !

Charlie pensa à ses propres yeux, aux prunelles si bleues et semblables à des milliers d’autre. Pourtant, la jeune fille était daltonienne. Le monde qu’elle percevait était loin d’être le même que ses camarades. Par le passé cela lui avait même porté préjudice, en particulier lorsqu’il s’agissait de couleur spécifique.

▬ Je suis certaine qu’elle veille sur toi. Ta grand-mère était ta meilleure amie non ? Et tu sais que les bons amis sont comme les étoiles. Tu ne les vois pas toujours, mais tu sais qu’ils sont toujours là.

Charlie vit Thomas serrer quelque chose dans sa main sous le tissu de son uniforme. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle réalisa qu’il n’était pas semblable au sien. Elle allait lui poser la question, lorsque le jeune homme se remit à parler. Fascinée, la demoiselle écouta ses paroles en ne pouvant qu’approuver ses dires. Il semblait lire un passage de son journal intime profondément enfoui dans sa mémoire et son cœur. Charlie trouvait magnifique les souvenirs qu’il en gardait. C’était quelque chose de précieux et de magique.

Alors qu’il poursuivait, Thomas supposa que c’était le cas pour elle aussi. Peut-être avait-il perçu les notes de mélancolie un peu plus tôt dans sa voix ou bien ce n’était qu’une forte intuition, mais la jeune fille connaissait très bien la douleur qu’il décrivait. Hochant la tête solennellement, son sourire se fana quelque peu. Une ombre de tristesse passa sur son visage, malgré son éternel optimisme. D’une petite voix elle répondit :

▬ Chaque douleur est une mémoire, dont nous nous servons pour écrire les pages de notre histoire. Et comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l'autre que nous gardons cachée.

Retrouvant quelque peu son sourire, elle continua d’une voix douce :

▬ Un ami nous comprend au-delà des apparences, au-delà de nos imperfections, de nos blessures et de la part d’obscurité. Il nous rend justice en toute occasion. Il nous aide à aller, au risque de se perdre, où notre destin nous appelle. C’est pour cela que les amis sont des compagnons de voyage essentiel, qui nous aident à avancer sur le chemin d'une vie plus heureuse.

L
a surprise figea les traits de la jeune fille durant quelques secondes, incertaine sur l’émotion à adopter à la suite de la réponse de Thomas. Puis, le rouge lui monta aux joues et un sourire niais s’afficha sur son visage. La gêne venait plus des compliments que de la promiscuité avec son nouvel ami, et c’est d’une petite voix qu’elle demanda :

▬ Ah.. ah oui ? Tu trouves que c’est bien ? Tu aimes ça pour vrai ?

Charlie pouvait sentir en elle monter la motivation et l’énergie d’écrire pour impressionner encore et encore Thomas. Alors qu’il tenait toujours ses mains, assis tous les deux au sol, elle le regardait avec admiration. Ce jeune homme était vraiment fascinant et pleins de réactions surprenantes. Elle trouva mignon le fait qu’il s’excuse de son élan d’impulsivité, ne pouvant retenir un léger rire et d’un geste de la main lui fit signe de ne pas s’en formaliser :

▬ Il n’y a pas de problème voyons ! Je ne t’en veux pas du tout, au contraire je suis heureuse et flattée de savoir que ça t’a plu autant que ça ! Et en prime, j’ai pu voir une autre facette de ta personnalité !

Étant toujours sur le plancher avec Thomas, Charlie se rapprocha et s’installa à ses côtés. Elle prit quand même la peine de laisser un espace entre eux, se rappelant à quel point il avait été mal à l’aise sur la façon dont elle s’était présentée à lui un peu plus tôt. Elle pouvait presque percevoir la bulle de verre dans lequel il s’enfermait pour fuir les gens autour de lui. La jeune fille ne comprenait pas cela, pour elle la solitude était synonyme d’angoisse et de désespoir. D’un ton enjoué, elle répondit :

▬ Bien sûr que je t’en donne le droit !

Elle replaça une mèche de cheveux derrière son oreille, ne sachant honnêtement pas quoi dire de plus. Étant une jeune fille très simple, il n’y avait qu’une seule chose qu’elle aimait par-dessus tout dans ce monde. Haussant les épaules, Charlie répondit par la franchise :

▬ J’aime mon frère et les bébés animaux. Tout ce qui est mignon aussi en général. Oh et les histoires d’amour ! Et toi, qu’aimes-tu appart écrire ?