[2019] Le Nouveau Monde

A peine une semaine depuis la rentrée. Il n’avait même pas encore pris ses marques dans ce quartier de la classe moyenne, et courait encore de gauche à droite pour trouver ses salles de cours. Le nom de ses professeurs lui traversaient le crâne sans s’imprimer dans son cerveau, et il n’avait discuté que quelques minutes avec deux ou trois personnes dont il arrivait à peine à retenir les noms. Tout se chamboulait dans sa vie. Le voilà maintenant indépendant. Même s’il avait été loin de chez lui à Indarë, il avait toujours eu des surveillants pour répondre à ses questions, il déjeunait et dînait sur place, et les règles strictes de l’Institution lui apparaissaient maintenant comme nécessaires.

« Putain, mais comment on change ce foutu tuyau… » dit-il en français.

Il était assis à même le bac de douche, avec une sorte de clé de bricolage dans la main. Sa douche avait un problème de pression depuis qu’il était arrivé, et après avoir eu sa mère au téléphone, il en avait conclu qu’il devait changer le tuyau. Il forçait alors de toutes ses maigres forces pour tourner la pièce de métal qui lui permettrait de…

« AAAAAAAH ! Meeeeeeerdeeeeeeee ! »

Le métal avait finalement cédé, mais en se tortillant pour forcer, il avait accidentellement actionné l’eau. Froide, l’eau, d’ailleurs. Et le voilà maintenant trempé de la tête au bassin, les fesses baignant dans une petite flaque d’eau. Il s’était précipité vers le bouton et avait coupé l’eau, mais le mal était fait. Il lança encore quelques insultes en français avant de s’ébrouer et de terminer sa petite réparation. Il se regarda dans le miroir, tacheté de gouttelettes, et soupira. Et dire qu’elle pouvait arriver d’un moment à l’autre.

Bougon, il se déshabilla et jeta les vêtements mouillés dans un coin de la pièce avant d’en enfiler de nouveaux. Il passa rapidement les mains dans ses cheveux mauves pour les sécher en vitesse, puis jeta un coup d’œil circulaire dans son petit deux pièces.

Il était assez fier de sa décoration. Il avait disposé quelques photos ça et là, certaines qu’il avait prises lors d’un concert, d’autres qui représentaient une actrice connue. Il s’approcha et sourit en regardant la photo. Un screenshot imprimé de Cassy Andrews et de quelqu’un à qui l’on ne voit pas le visage. Il sourit. Il avait d’autres photos, dont l’une publiée sur le compte Twitter de l’actrice où il était présenté comme un fan. Mais ce côté mystérieux lui plaisait. Elle n’était pas très visible, au cas où il se faisait de nouveaux amis et qu’il les invitait chez lui…

Mathieu examina les quelques recoins de son appartement où du désordre était susceptible de se loger, mais il n’en vit pas. Du moins, à ses yeux. Il n’était pas franchement une fée du logis ni un maniaque du ménage, mais il se dit que cela passait. Et puis, il voulait bien faire un effort et prendre soin de son chez lui, mais il lui fallait quand même rester naturel. C’était son monde à lui.

Enfin l’on toqua. Mathieu passa une dernière fois devant le miroir, peigna sommairement ses cheveux en bataille encore humides, puis ouvrit la porte avec un grand sourire :

« Saluuuut Ça... »

« Monsieur Dorin ? »

Silence.

« Euh, oui… C’est pour ? »

« Un colis, signature. »

Surpris, le jeune homme signa l’accusé de réception, puis le livreur s’en fut, sans un au revoir. Puis il se souvint qu’il avait commandé une petite télévision. Effectivement, lorsqu’il baissa les yeux, le colis était relativement volumineux. Un peu déçu, il le traîna jusqu’au milieu de sa pièce à vivre, puis entreprit de l’ouvrir avec des ciseaux en guise de cutter. Lorsqu’on retoqua à peine quelques minutes plus tard, Mathieu pensa que le livreur avait oublié quelque chose, ou qu’il devait lui donner je ne sais quel papier d’identité prouvant qu’il était bien Mathieu Dorin.

D’une voix un peu blasée, il rouvrit la porte :

« Qu’est-ce qu’il y a, vous avez oublié quelque… OH ! Erm… Excusez moi Madame… Vous devez faire erreur… A moins que… »

Les yeux plissés, il approcha lentement son visage de celui de la personne en face. Cela aurait pu être très gênant, à moins que…

« Hey ! Mais c’était toi ! La vache, c’est trop bien fait ! On dirait pas du tout… Bah toi ! »

Cette phrase sans queue ni tête faisait pourtant sens pour lui, et un sourire se dessina sur son visage.