[2018] Un piano m'a brisé

En ce moment, Ailis était souvent dans le bâtiment des IRS. En vérité, elle ne savait pas vraiment si c'était autorisé mais tant pis. C'était d'ailleurs un mystère pour elle même. Elle ne supportait pas être prise comme une déprimée, comme quelqu'un à voir avec des yeux pleins de pitiés. Mais elle restait là, sans trop comprendre. Il fallait que dire que Ailis semblait de plus en plus fatiguée. Pour certaines raisons évidentes d'abord: le travail, les révisions, tout faire pour avoir la meilleur note... Et puis également à cause de la pression que son protecteur lui mettait. Envahissant et agissant toujours aussi étrangement avec elle. Ces longs regards qu'il lui faisait la gênait tellement. Et peut-être qu'on fond, elle savait ce que tout cela voulait dire. Seulement, elle ne voulait  pas comprendre. C'était trop dur pour elle d'accepter, ça lui faisait peur.

Ailis avait eu envie alors de retourner devant ce qui était nommé piano. C'était un peu un tabou pour elle même de se remettre à la musique. Depuis qu'elle ne pouvait plus chanter. Mais parfois, elle s'autorisait ça. Mais ça lui faisait mal, car elle oubliait son handicap. Et l'oublier était pire que tout. Donc, elle était rentrée, la salle était vide, elle l'avait fermé derrière elle. La demoiselle s'était assise sur le tabouret et regardait les touches blanches, les touches noires. Blanches, noires, blanches, noires, qui répétaient en un motif. Elle posa ses mains sur les bouts de plastiques. La rouquine inspira, expira, souffla, rougissant en s'imaginant refaire cela. Un interdit à elle-même qu'elle brisait, voulant simplement oublier toute la merde de sa vie pendant quelques minutes.

Un son résonna, puis un second, un troisième. Ses doigts fins commencèrent à glisser sur les valeurs noires et blanches. La musique s'emballa, quelque chose de lié, montrant toute sa passion, tout son talent abandonné et perdu à jamais dans sa tête. Elle se sentait tellement bien sur le coup, elle était une enfant face à son professeur qui montrait fièrement son cadeau. Elle en perdait haleine, c'était quelque  chose d'incontrôlé, de merveilleux. Et comme preuve, elle semblait triste. Ailis était toujours heureuse pour montrer qu'elle s'intègre, pour que personne ne s'inquiète. Et là, elle avait une nouvelle expression, mélancolique, nostalgique, se perdant dans ce qu'elle faisait. Elle là, la vie était dans ses yeux. Et ça continuait, de plus en plus rapidement. Elle n'était plus handicapée, elle n'était plus traumatisée, elle vivait. Elle était comme les autres. Tout ça l'envahissait. Un démon qui lui disait de dire merde à tout. Dans cette folie, cette dance, elle se croyait capable de tout. Elle ouvrit la bouche, elle allait chanter, depuis si longtemps.

Mais rien ne sortit.

Elle arrêta de jouer, se sentant idiote. La bouche ouverte. Rien. Elle était encore muette. C'est pour ça qu'elle avait tout abandonné. C'est pour ça qu'elle s'était totalement reniée. Renié ses passions, ses idéaux, ses envies. Ailis eu envie de pleurer mais se retenu. Comme elle l'avait toujours fais. Quelque chose n'arrêtait pas de se briser en elle et elle ne savait pas comment faire pour arrêter cette ouverture. Sa gorge la brûla. Mais cette tristesse était presque belle sur son visage à elle, rare d'être vu d’extérieur. La colère, la frustration, tout ça, elle en avait marre. Elle était fausse avec tout le monde, elle était inutile et ce piano... N'avait fait que rappeler ça encore un fois.

Mais la jeune femme entendit quelque chose derrière elle. Peut-être une porte, peut-être une voix, peut-être un pas, elle avait du mal à se concentrer. La demoiselle se retourna surprise et vit un jeune homme. Son cœur battu un peu plus vite, elle ressuya rapidement ses yeux un peu humides malgré tout et sourit malgré la rougeur de sa peau et la tristesse qui emmenait d'elle. Ailis fit un simple bonjour avec sa main. Amicale.

Le fait que cette personne venait de la voir dans un état pareille la mit dans une angoisse interne. C'était quelque chose qu'elle cachait absolument. Elle ne voulait pas qu'on puisse voir ses faiblesses. Là, elle était exposée face à cet inconnu et elle avait l'impression qu'il pouvait faire ce qu'il voulait d'elle. Ailis souriait bien sûr mais seulement pour faire comme si rien ne c'était passé. Comme une autodéfense qu'elle enclenchait sans jamais vraiment réfléchir. Car elle avait décidé de se fermer aux autres sans le montrer. C'était plus simple et plus reposant ainsi  que d'accepter son handicap. Rien que cette semaine, on l'avait menacé en la coinçant dans le coin d'une rue. Elle ne pouvait donc pas crier, ni appeler à l'aide. Mais elle pu s'enfuir. Mais cet exemple était parlant de sa manière d'être.

Enfin bref, le jeune homme s'excusa d'être rentré alors que la rouquine tentait de reprendre ses esprits. D'après son uniforme, il était bien en IRS. Rien d'étonnant, chacun dans son bâtiment. Et puis, c'était dur avoir la salle de musique dans l'autre lieu, avec tous les gifted passionnés de musique... Disons qu'ici, c'est plus désert. Ailis ne se méfiait pas à proprement parlé des forges ou des potions mais en sachant que certains pouvaient avoir des tendances meurtrières, ce n'était pas toujours rassurant. Mais celui-ci ne semblait pas méchant et la rouquine se maudissait juste d'avoir était prise sur le fait.

Il lui demanda pourquoi elle ne répondait pas et lui passa un mouchoir. Elle le prit, le regard bas malgré cette tentative de grimace. De toute façon, il l'avait vu. La jeune femme ressuya ses yeux et l'observa quelques secondes. Il semblait avoir peur, ses mains tremblaient. Sûrement quelqu'un en potion vu son manque visible de confiance.

Lentement, elle prit son ardoise et nota un rapide:

"Merci beaucoup"

Elle ne précisa pas qu'elle était muette, ça ne servait à rien, il pouvait très bien le comprendre tout seul.  Sa gorge faisait encore mal d'avoir tenté cet exploit et elle se la toucha doucement de ses doigts frais.

Il lui demanda si elle pouvait continuer à jouer, car il aimait vraiment. Ailis continuait de sourire mais elle ne voulait pas. Elle ne le voulait pas mais elle allait le faire. Pour éviter le conflit, car elle préférait écouter les autres plutôt qu'elle même. Pour aller dans leur sens. Mais ça lui faisait peur d'encore toucher à ces touches. La demoiselle voulait refuser, voir s'enfuir. Mais impossible.

Le jeune fille se tourna doucement alors de nouveau vers l'instrument de musique. Posant ses doigts. Et elle reprit ce qu'elle faisait. Ses doigts glissaient à nouveau mais pas de la même manière, plus stressées, moins dans la liaison. Elle avait envie de pleurer et ses yeux devinrent à nouveau humides sans que rien ne coule. La rouquine pouvait au moins terminer le morceau sans chanter. Mais elle savait qu'au moment où ça arriverait, elle bloquerait. Car cette musique sans chant n'était rien. C'est comme si on arrêtait la vie.

Et, ayant eu raison, elle se stoppa au même moment, les mains tremblant un peu, voulant absolument se contrôler. Une fois. Pas deux. Elle tourna alors lentement son visage vers le jeune homme et sourit maladroitement. Elle prit l'ardoise et nota:

"Pardon, j'ai oublié la suite. "

Mensonge, encore une fois. Mais c'était plus simple de survivre ainsi. Et puis, vu son manque de confiance, il n'allait certainement rien lui dire. Ailis pensait être donc plutôt tranquille.