À droite, l'école et ses élèves normaux, comme tout le monde.À gauche, le centre de redressement pour jeunes dangereux.Maintenant réunis, pour le pire.
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Une deuxième première année… Lúka détestait déjà cette première semaine de cours. Il avait détesté voir des enseignants qu’il connaissait déjà tenir des discours qu’il connaissait déjà. Il avait détesté commencer par un cours de musique. De tous les cours par lesquels ils auraient pu commencer, pourquoi fallait-il que ses semaines commencent par musique ? Dès son premier cours de la semaine, on lui avait rappelé cruellement que son frère n’était plus là. Pire. Il avait fallut qu’une de ses camarade parle de piano. Apparemment une de ses camarades était pianiste. Il ne la connaissait pas vraiment. Mais il savait déjà qu’il ne voulait rien avoir à faire avec elle. Ce n’était rien de personnel. Ce n’était pas contre elle. Il ne voulait juste pas côtoyer une pianiste. Ce serait trop dur. Il avait donc décidé de soigneusement l’éviter depuis la rentrée.
Il était conscient qu’il devait donner une mauvaise image de lui. Il était certes sérieux pendant les cours, mais affichait une mine renfrognée tant l’idée d’avoir redoublé lui était insupportable. Et puis, ils n’étaient que jeudi, et il avait déjà été en retard. Plusieurs fois. Ses camarades devaient se dire qu’il n’était pas surprenant qu’il avait redoublé. Qu’il redoublerait sans doute à nouveau. Mais il ne s’en souciait pas. Ils réalisaient tôt ou tard quelle personne brillante et talentueuse il était. Ça ne prendrait pas longtemps. On remarquait vite les personnes d’exception comme lui.
Le dernier cours du jeudi était vidéo. L’une de ces matières où, l’année précédente, il avait finit par ne plus savoir se concentrer du tout dessus. A présent, il allait mieux, il allait pouvoir retravailler la matière sérieusement. Problème ? Pour l’instant, ils étaient en début d’année. Et ils allaient juste revoir ce qu’il avait déjà appris. Il attendit la fin du cours avec le même profond ennui qu’il avait ressentit dans tous les autres- sauf lors de sa spécialité- et s’empressa de ranger ses affaires quand il fut finit. Il prendrait bien un café à présent.
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
Première semaine de cours dans cette nouvelle école. Première semaine et Marie en était heureuse. Elle aimait déjà cette nouvelle école qui lui promettait du piano dès qu'elle le voulait et autant d'heures dessus que possible. Son sourire reflétait sa joie d'être inscrite à ses cours, appréciant particulièrement son emploi du temps. Quoi de mieux pour commencer et l'année et les semaines qu'un cours de musique suivi de deux heures de spécialisation – à savoir du piano pour cette musicienne ? Et, comme elle le prévoyait – pour le peu qu'elle prévoit – le début de ses cours a été aussi amusant que ce qu'elle imaginait. Déjà, savoir que sur ses vingt-quatre heures de cours, un tier lui étaient consacré au piano... Rien que cela la comblait. Ses camarades étaient gentils, ses professeurs aussi. Tout semblait bien aller. "Semblait".
Rapidement, on a fini par la reprendre. Elle passait trop de temps dans cette salle de musique. Le matin elle voulait y aller avant le début des cours, le midi, pendant les pauses, après les cours, avant de dormir... Elle y passait trop de temps et on la reprenait sans qu'elle ne semble comprendre pourquoi on la reprenait. Aujourd'hui encore.
Elle était ravie de finir les cours. Trois heures de piano, ce n'était pas assez. Même si elle avait joué ce matin et avait passé sa pause déjeuner derrière le piano – l'empêchant de se concentrer en cours de vidéo par faim – elle attendait la fin du cours avec envie. L'idée de retrouver son meilleur ami la démangeait bien plus que combler la faim qui tordait son estomac. Quand elle pensait au piano, elle ne pensait plus au reste. Et, enfin !, l'heure se finit. D'un bon, lorsqu'elle entendit la sonnerie, Marie se redressa sur son bureau, rangeant ses affaires rapidement pour sortir dans les premières.
Elle fut arrêtée par un surveillant, celui-là même qui l'avait arrêté lorsqu'elle voulait absolument jouer le matin – sautant le petit-déjeuner par la même occasion. Elle lui sourit alors qu'il lui attrapa le bras, la retenant malgré elle.
- Attend une seconde. Marie c'est ça ? Tu vas où ? Même si je pense savoir où tu vas... - Marie Sue. Et je me dirige vers la salle de musique. - Tu vas encore y jouer. - Bien sûr. - Marie. Tu n'y vas pas. Tu ne peux pas. - Mais ! Je suis en Gifted ! Option Piano ! Si j'y vais ! - Marie... Il y a encore des cours. Et...
Le ventre de la pianiste grogna et le surveillant haussa un sourcil, fronçant des sourcils.
- Marie. Tu as mangé aujourd'hui n'est-ce pas ? - Oui. J'ai mangé une pomme. - Tu as mangé ce midi ? - … - Tu ne peux pas faire que jouer du piano. Tu dois te nourrir et... - Je n'ai pas faim ! Je veux jouer du piano ! Ce n'est pas en m'empêchant de jouer que je deviendrais la meilleure pianiste ! Vous êtes trop …. trop... TROP MÉCHANTS !
Elle fulmine, contrariée, lui tournant le dos, les larmes lui montant aux yeux. Pourquoi est-ce que personne ne la comprenait !? Ce n'était pas compliqué ! Elle voulait juste jouer du piano ! Elle percuta un de ses camarades. Luc ? Lucio... ? Luce ? Lucase ? Luka ! Ah oui. C'est vrai. Elle n'avait pas tous les prénoms et se tourna vers lui.
- Pardon.
Et ses pas se poursuivirent. Elle jouerait du piano, de gré ou de force.
Piano. Ce fut le seul mot qui se détacha d’une conversation qui se tenait à la sortie de la salle. Lúka se crispa. Pourquoi fallait-il que ce soit ce mot là ? Peut-être justement parce qu’il ne le supportait pas… Alors pourquoi fallait-il qu’une conversation sur le piano se tienne devant la salle de classe alors qu’ils sortaient ? Une seule coupable possible. La pianiste. Voilà pourquoi il voulait l’éviter à tout prix. Evidemment qu’elle allait parler de piano à tout bout de champ. L’artiste serra les dents. Pourquoi fallait-il qu’il y ait une pianiste dans sa classe. De tous les instruments qu’elle pouvait choisir, pourquoi le piano ? Il ne voulait pas d’autre pianiste dans sa classe. Pas d’autre pianiste qu’Armand… Son cœur se serra douloureusement. Il ne fallait pas qu’il reste. Il devait partir. Avant d’entendre sa camarade piailler encore à propos de piano. Lúka se rua dans les couloirs, tête baissée, avec pour seule envie de sortir du lycée au plus vite.
Soudain, quelqu’un lui rentra dedans. Désireux de fuir la pianiste, il se retint de justesse d’insulter la personne. Non, ce n’était qu’un accident. Et puis, il même regardait à peine où il mettait les pieds. Il entendit une voix lancer un « pardon », et son sang se figea dans ses veines. C’était elle. C’était la voix de la pianiste. Ok Lúka, dit juste que ce n’est rien, et vas t-en. S’ordonna-t-il avant de tourner lentement la tête vers elle. Comment s’appelait-elle déjà ? Marnie ? Marquise ? Mélodie ? Marine ? Mariiiiiiinette ? C’était quelque chose qui commençait pas Mari, il en était sûr.
« Ce n’est rien…
Il se figea. Elle était déjà en train de partir, il avait parlé dans le vent. Elle avait des larmes dans les yeux non ? Il hésita un instant. Il voulait juste l’éviter. Mettre le plus de distance entre eux… Mais il ne pouvait pas prétendre qu’il ne l’avait pas vu pleurer. Peut-être que ce n’était rien. Mais peut-être que c’était grave. Peut-être qu’elle avait besoin d’aide, de soutien… Il éleva sa voix de nouveau :
- Ma… Mar… Heu… La pianiste, il cracha presque ce mot, Il y a un problème? Est-ce que ça va aller ? »
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
On lui a répondu que ce n'était rien. Elle semblait presque ne pas l'avoir entendu mais la bienséance aurait dû la forcer à se tourner pour faire une légère révérence. Elle s'en fichait. Elle voulait un piano. Et rien n'était plus important que cela en l'instant. Pourtant, la voix de son camarade résonna une première fois et c'est au mot « pianiste » que Marie s'arrêta. Elle se tourna vers le jeune homme, le dévisageant. Il était dans sa classe non ? Elle haussa un sourcil en le détaillant un peu. Elle était mauvaise pour retenir autre chose que du piano. Elle venait de se souvenir de son nom et l'avait déjà perdu. C'était pas compliqué... Son nom de famille ressemblait à lutin... Elle s'était fait la réflexion. Mutin ? Munin ! Elle lui sourit, séchant ses larmes d'un revers de la main. Être sincère ou atténuer la vérité ?
- Je ne sais pas. Cette école est mal fichue. On accepte les doués pour ne pas les laisser exprimer leur Art.
Un doux mélange entre atténuation et vérité. C'était un fait. Et la voix du surveillant tonna, la rappellant à l'ordre.
- Quand les génies se nourrissent pas, ça pose un problème. - Je n'ai. PAS. FAIM ! Lui cria-t-elle, sentant les larmes lui monter aux yeux.
Ce n'était pas possible ça. Elle voulait juste jouer du piano ! Ce n'était pas trop demandé. En plus, elle était persuadée que même les clubs voudraient bien la laisser jouer. Il n'y avait pas de pianiste plus douée qu'elle dans cette école. Si oui, alors ils étaient feignants et laissaient la salle disponible. Feignants et un peu bêtes. Elle se tourna vers Lúka pour s'incliner doucement.
- Désolée de t'inquiéter. Ça va aller. J'aimerais juste qu'on comprenne que ce n'est pas grave si je ne mange pas à tous les f... hum. À tous les repas.
Elle roula des yeux avant de s'incliner en se redressant, souriante. Pourtant, dès qu'elle se tourna, son sourire disparut, son regard noircissant. Elle fulminait. Elle enrageait. Elle était venue améliorer son piano et on l'empêchait ! C'était improbable ! Une hérésie !
- Marie ! On ne te laissera pas faire plus de quinze heures de piano par semaine !
Elle s'arrêta une nouvelle fois. Ses poings se serrèrent alors qu'elle se retourne une nouvelle fois, le regard rougit d'incompréhension et de douleur. Elle le fusilla du regard, laissant des larmes de rage couler un peu plus avant de maugréer en français quelques anciennes insultes désuètes. Et, une nouvelle fois encore, elle lui tourna le dos, claquant de la langue avant de s'éloigner de cet adulte qui l'énerve et la frustre tant.
Presque aussitôt, Lúka regretta de s’être mêlé à cette histoire. Ça ne le regardait pas. C’était une affaire entre cette pianiste, et le surveillant. Et puis, c’était une pianiste. Il était censé l’ignorer. Elle faisait juste un caprice parce qu’elle voulait jouer du piano plutôt que de manger. Ça ne le concernait pas. C’était l’affaire de ces deux là. Il n’avait aucune raison de s’en mêler. Il s’apprêta à continuer son chemin, partir. Rentrer chez lui, se faire un café, oublier cette courte discussion, ne plus jamais adresser la parole à cette pianiste. Recommencer à faire comme si elle n’existait pas. Mais elle ne lui laissa pas le temps. Elle s’inclina brusquement en s’excusant de l’inquiéter, se plaignant que le surveillant ne comprenait pas qu’elle ne mangeait pas à tous les repas. Le peintre haussa un sourcil. Il s’abstiendrait de commentaire. Cette histoire de repas ne le concernait pas. S’il s’y mêlait… S’il s’y mêlait alors il ne pourrait pas juste partir à toute vitesse et oublier cette pianiste.
« Ce n’est rien. comme une impression de se répéter, Je voulais juste m’assurer qu’il n’y avait rien de grave, que tu n’avais pas besoin d’aide. Si tout va bien, je vais m’en aller. Au revoir donc Ma…
« Marie ! » Ah oui. Voilà. C’était comme ça qu’elle s’appelait. Merci surveillant. Moins merci pour refaire pleurer la fameuse Marie. Le Gifted grimaça. Il l’entendit lâcher des jurons et, pendant un instant, tournant la tête vers le surveillant en faisant des gros yeux. Il n’allait pas apprécier de l’entendre proférer de tels jurons… Pourtant il ne réagit pas. L’artiste cligna des yeux un instant avant de réaliser. Elle avait parlé français. Il tourna de nouveau la tête vers la pianiste et, alors qu’elle s’éloignait, lança en français, un sourire amusé en coin :
« Ce ne sont pas de très jolis mots. Et puis, ce n’est pas gentil d’insulter quelqu’un dans une autre langue pour qu’il ne puisse pas te comprendre. »
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
Elle voulait juste jouer. Était-ce si complexe à comprendre ? Elle voulait juste se laisser bercer par les notes qu'elle coordonnait elle-même, au rythme de ses émotions et ses envies. N'était-ce pas normal pour elle, artiste, que d'avoir son propre monde ? Oui ! Bien sûr que ça l'était. Alors pourquoi Diable tentait-on de la restreindre ? Elle ne faisait rien de mal. Elle jouait du piano. Si elle avait été un élément problématique... Elle aurait pu comprendre et concevoir. Mais là... Elle jouait juste du piano ! Pourquoi l'embêtait-on donc autant ? Qu'avait-elle fait pour que l'on s'oppose à elle de la sorte ?
Marie - Bélître, butor ! Mais pourquoi est-ce que je dois supporter des orchidoclastes pareil ?!
« Ce ne sont pas de très jolis mots. Et puis, ce n’est pas gentil d’insulter quelqu’un dans une autre langue pour qu’il ne puisse pas te comprendre. »
Elle s'arrêta une nouvelle fois. Sa colère sembla s'évaporer alors que la pointe de ses pieds se tournaient vers le garçon.
Marie - Ce sont de très jolis mots. Bien plus que " casse-couille", "emmerdeur", "enculé", cite-t-elle en haussant des épaules, dans un français parfait, Et s'il ne me comprend pas, alors je ne vais pas lui faire un cours non plus. Je suis une pianiste, pas une prof.
Elle lui sourit doucement. S'il parlait français, alors ça changeait la donne. Être bilingue était sympathique et appréciable mais elle restait française avant d'être à moitié anglaise. Elle trouvait la langue française plus riche et plus belle. Pourtant elle trouvait l'anglais plus simple à assimiler, plus logique et plus utile que le français. Sinon, le surveillant parlerait... Non. Non il n'aurait pas comprit. Qui l'aurait pu. Elle avait utilisé d'anciennes insultes. C'était surprenant qu'elle les connaisse mais lui aussi, c'était surprenant qu'il les ai comprises.
Marie – Tu parles français couramment ? De naissance ou tu l'as appris après ? Ça fait longtemps ?
Elle se rapproche de lui pour s'incliner respectueusement.
Marie – Permettez-moi de me présenter. Je suis la cadette des Sue. Marie Sue. Ravie de vous rencontrer Monsieur Munin.
Comme quoi les leçons de bienséances avaient une raison d'exister... Malgré l'énervement que cela peut lui apporter. Non pas que ces leçons l'ennuient... Mais elles étaient répétitives et depuis le temps, Marie les faisaient par réflexe. Elle préférait les cours de danse à choisir...
Vocabulaire:
Bélître : Synonyme de "mendiant, homme de rien, sot, importun" Butor : Personne lourde, stupide, grossière. (Synonyme de "lourdaud") Orchidoclaste : Personne énervante, agaçante. (Synonyme de "casse-couille")
La pianiste répondit que les mots qu’elle avait employés étaient bien plus beaux que les insultes récentes. Le peintre sourit avec amusement avant de répondre, toujours en français :
« Ils n’en demeurent pas moins des insultes. Et puis, ils te paraissent sans doute plus beau justement parce qu’ils sont désuets. Si nous utilisions encore « butor » et que « casse-couille » appartenait à une autre époque et n’était presque plus connu de nos jours, sans doute trouverais tu que « casse-couille » est un bien plus joli mot que « butor ».
La question de Marie le prit de cours. Non pas que la question était surprenante en soit. Non. Mais il n’avait pas prévu qu’elle continu la conversation. A présent, il serait malpoli de sa part de ne pas répondre. Il était coincé dans cette conversation avec cette pianiste qu’il voulait juste éviter. Il aurait peut-être mieux fait de s’abstenir de commentaire…
- Ma mère est française, alors, même si je n’ai jamais mit un pied en France moi-même, j’ai appris la langue à ses côtés. Ce n’est pas la langue que je parle dans la vie de tous les jours, mais je suis parfaitement à l’aise à l’employer.
Quand la pianiste s’inclina, il ne put s’empêcher de la dévisager avec surprise. Plus encore quand elle commença à l’appeler « Monsieur Munin ». Il secoua vivement la tête :
- Allons, inutile d’être aussi formelle. Nous sommes camarades pas… Collègues ? Appelle-moi juste Lúka.
Il savait que son père n’aurait sans doute pas comprit ce refus de ces marques de respects –« Nous sommes des Munin ! Nous les méritons ! »- mais il savait aussi qu’il n’avait aucune envie de lui ressembler. Il offrit un sourire doux et poli à Marie et lui tendit la main- une poignée de main lui semblait bien plus appropriée :
-En tout cas, le plaisir est partagé !
C’était un mensonge. Evidemment. Mais il ne pouvait décemment pas lui dire ; « Désolé, je n’avais aucune envie de te côtoyer parce que tu joue du piano et que je ne supporte plus cet instrument depuis la mort de mon frère. »
- Oh, je ne t’ai pas demandé. Le français est ta langue de naissance ? Tu serais peut-être plus à l’aise si on parle français ? »
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
Elle haussa des épaules longuement sous la réplique de son camarade. Elle pesa pourtant un peu ses mots avant d’y réfléchir. Elle n’était pas d’accord. Elle pensait sincèrement que “butor” était - bien que désuet - plus joli que “casse-couille”. Mais les goûts et les couleurs ne se discutaient pas paraît-il. Alors elle ne les discutaient pas. Dans une certaine mesure il avait raison. Mais ce n’était pas le genre de discussion qu’elle souhaitait avoir en l’instant. Elle le laissa avoir l’air surpris sans comprendre d’où venait sa surprise. Elle n’avait fait que lui poser une simple question sur sa connaissance du français. Après tout, ils étaient pas en France. Il était surprenant d’entendre quelqu’un connaître le français, l’ancien français de surcroît…
Marie - C’est dommage… La France est un beau pays. Il faut savoir où visiter… Mais n’est-ce pas le cas partout?
Elle le voit la dévisager. A-t-elle dit quelque chose d’idiot? Quelque chose de surprenant? Elle s’est simplement présentée non? Aurait-elle manqué à la plus élémentaire des politesses? Il ne lui semblait pas pourtant… Elle l’écouta lui annoncer qu’elle n’avait pas besoin d’être formelle. L’était-elle? Vraiment? Il ne lui semblait pas pourtant…
Marie - Je… Être camarade ne nous dispense pas d’être polis je trouve… Mais si tu le souhaites, je peux t’appeler simplement “Lúka”...
Elle semblait avoir du mal à comprendre en quoi il était important pour lui d’être tutoyé et pourquoi “Monsieur Munin” n’était pas le bon choix. Mais encore une fois, il le lui demandait, elle n’allait pas ne pas accéder à sa demande. Elle n’était pas de ce genre-là. Elle lui serra la main en souriant, la serrant doucement, avec la douceur de son métier. Elle papillonna du regard sous sa question en anglais. Elle haussa des épaules mollement, répondant dans un anglais parfait, sans accent.
Marie - Tout comme toi, c’est ma mère qui est française. Sauf que nous vivons là-bas avec mes parents et ma soeur. Enfin… Elle passe pendant les vacances plutôt. Quant à la langue… Je suis aussi à l’aise avec l’une ou l’autre. C’est l’avantage d’être métisse non?
Elle souriait presque innocemment, faisant presque oublier ses colères et ses vilains mots. Marie marcha un peu avant de s’arrêter, haussant un sourcil.
Marie - Tu ne viens pas…? Je sais pas où… Mais si tu veux, on peut aller papoter ailleurs…?
Lúka sourit de plus belle quand Marie dit que la France était un beau pays. Il semblait ne jamais se départir de ce sourire. Comme s’il était pour lui un vêtement au même titre que sa tenue.
« Je crois volontiers que la France est un beau pays. Je compte bien m’y rendre un jour d’ailleurs. Bien sûr, tous les pays doivent avoir leur part de beauté à explorer, mais ultimement, celui qui m’intéresse le plus est la France. Je suppose que c’est justement parce que ma mère est française…
Quand elle nota qu’être camarades ne les dispensaient pas d’être polis, l’artsite réfléchit un instant à la façon de présenter son point de vu :
– Tout à fait. Mais je trouve que s’appeler « monsieur » entre camarades de classe semble… excessif. Ca met une distance entre nous. L’usage du prénom est plus familier, et rapproche plus aisément.
Lúka réalisa, par sa propre logique, qu’il aurait mieux fait de la laisser l’appeler « Monsieur Munin » pour continuer à se maintenir éloigné. Mais cette perspective ne le réjouissait pas vraiment. Ca sonnait vraiment trop bizarre qu’un camarade l’appelle de la sorte. Néanmoins…
– Est-ce que, toi, tu préfèrerais que je t’appelle Mademoiselle Sue ?
Quand Marie répondit qu’elle parlait aussi bien anglais que français, il hocha la tête. Il continuerait donc à employer l’anglais. Il n’avait aucun problème avec le français, mais il demeurait plus habitué à parler anglais. Quand elle commença à marcher, l’artiste retint un soupire de soulagement. La discussion semblait close, elle allait partir, il allait rentrer chez lui, il n’approcherait plus jamais cette… Elle s’arrêta alors pour lui demander s’il venait. S’il voulait parler ailleurs… Avec elle. Lúka hésita. Ce ne serait plus impoli de partir, n’est-ce pas ? Mais elle semblait penser qu’il allait rester. Et puis, elle le regardait avec ce grand sourire innocent. Ce serait terrible de la décevoir. Est-ce que s’il partait maintenant elle s’emporterait à nouveau sur cette histoire de piano ? Il réprima un nouveau soupir, adressé à lui-même.
– Je viens, oui. On pourrait… il réfléchit, On pourrait s’installer avec un café ?»
S’il devait passer du temps avec elle, il voulait au moins avoir son café d’après les cours.
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
Il lui sourit et la pianiste se sent bizarre de le voir ainsi. Il ne fait que sourire et pourtant elle le trouve étrange. Comme si son sourire cachait quelque chose qu’elle ne voyait pas. Mais elle nota en silence cet instant, retenant au mieux ses propos. Il ne connaissait pas la France et semblait persuadé de la beauté de chaque pays. Son raisonnement semblait juste aussi la pianiste ne répondit pas. Qu’aurait-elle pu dire? Elle ne connaissait que la France et l’Angleterre, comment pouvait-elle juger la beauté de pays qu’elle ne connaissait que de noms?
Son camarade lui expliqua que le principe de familiarité, concept qu’elle avait peu utilisé jusque là. Après tout, la musicienne côtoyait ses proches et ses professeurs particuliers, elle n’avait jamais fait attention… Elle tutoyait sa famille… Et c’est tout. Même ses anciens camarades étaient vouvoyés… Alors parler de se rapprocher était nouveau pour Marie.
Lúka - Est-ce que, toi, tu préfèrerais que je t’appelle Mademoiselle Sue?
Marie y réfléchit. Est-ce qu’elle préfèrerait? Elle ne savait pas, ne s’étant jamais posé la question. Elle est une des Mademoiselle Sue de sa famille. C’était une de ses appellations. Ses professeurs l’interpellaient ainsi. Quand elle allait à un concours aussi. Ce n’était pas commun? Pourtant… Et bien elle était Mademoiselle Sue quand même. Et jusqu’à être mariée elle rester Mademoiselle Sue…
Marie - Hum…
Comme s’il lisait le désarroi de la pianiste, l’artiste-peintre lui proposa d’aller dans un café. Et l’idée d’un café sucré avec de la chantilly s'immisça dans l’esprit de la jeune fille qui sentit son visage s’illuminer d’un sourire radieux.
Marie - Avec plaisir! Si tu connais un bon café, je serais ravie d’y faire un tour. Malheureusement je ne connais pas vraiment Londres et ses bonnes adresses.
Elle eut le temps de trajet pour réfléchir à l’appellation qu’elle préférait et finit par lâcher, en arrivant devant un commerce qu’elle ne connaissait pas:
Marie - ¨Par rapport à ta question… Je pense que tu peux m’appeler comme tu le sens. “Marie” ou “Mademoiselle Sue”. Je suis les deux alors je répondrais!
Elle vérifie être devant le bon café en se tournant pour faire face au peintre.
Marie - Sommes-nous arrivés Lúka? Tu me présentes le lieu ou il me faut le découvrir? Tu viens souvent ici?
Lúka observa la pianiste réfléchir à sa question, comme si savoir si elle préfèrerait qu’il l’appelle « Marie » ou « Mademoiselle Sue » était le plus cruel dilemme auquel il aurait put l’exposer. Il ne put s’empêcher de s’en amuser. Il n’aurait jamais cru exiger autant de réflexion avec cette question innocente. Sa proposition de café fit aussitôt réagir sa camarade, comme si elle s’y accrochait pour ne pas avoir à répondre immédiatement à sa question. Ou elle était juste sincèrement enthousiaste, après tout, son regard s’était illuminé et un sourire radieux éclairait son visage. Elle lui demanda s’il connaissait un bon endroit, laissant le peintre désemparé. Un bon endroit. Il en connaissait un. Le café où il se rendait autrefois avec son frère. Mais il ne pouvait plus s’y rendre. Pas avec les souvenirs qu’il représentait pour lui. Il réfléchit à toute vitesse avant de répondre, un peu hésitant :
« Il y a bien un endroit…
Il ouvrit la route jusqu’à un café où il n’avait jamais mit les pieds. Il était passé plusieurs fois devant, mais ignorait tout de l’endroit. Il espérait qu’il était bon. Il espérait qu’ils servaient du café à la cannelle. Les seuls bons cafés étaient ceux qui servaient du café à la cannelle. Marie répondit finalement à sa première question, lui donnant la permission de l’appeler comme bon lui semblait. Lúka sourit à nouveau et inclina la tête :
- Dans ce cas, ce sera Marie. Ca nous rapprochera en tant que camarades. Qui sait, peut-être est-ce le début d’une belle amitié.
Elle lui demanda ensuite s’ils étaient arrivés, s’il allait lui faire visiter et s’il venait souvent. Il émit un rire gêné :
– En fait, ce sera ma première fois ici pour moi aussi. On le découvrira ensembles. Je… Je ne vais plus au café auquel je suis habitué. J’espère qu’il sera bien, je ne le connais que de vu., et j’ignore s’il est à la hauteur de ma personne.
"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser les mondes" [Friedrich Nietzsche]
Jeudi 12 Septembre 16h15
Il s’arrête sur Marie. Juste Marie. C’est très bien comme ça. Même si elle n’avait rien à y redire. Pourtant... Comment ça “ça nous rapprochera”? Y avait-il une corrélation entre son nom et leur rapprochement? Peut-être que pour lui oui. Pour elle… Il n’y en avait pas. Pourquoi devraient-ils être plus proches en s’appelant par leur nom? Son professeur particulier l’appelait “Mademoiselle Sue” et pourtant, ils étaient proches. Assez pour qu’elle l’invite à déjeuner lors de ses congés. Assez pour qu’il accepte. Assez pour que chaque repas ait été un bon moment. Et elle ne comprenait pas. C’était quelque chose qu’elle ressentait souvent depuis qu’elle était ici. De nouveaux sentiments, de nouvelles sensations et le plus frustrant était de ne pas réussir à mettre des mots sur tout ça.
Finalement il lui avoua n’être jamais entré dans le café où ils se sont arrêtés. Découvrir ensemble. Pourquoi pas après tout.
Lúka - ...J’espère qu’il sera bien, je ne le connais que de vu., et j’ignore s’il est à la hauteur de ma personne.
Marie - Même s’il ne l’était pas. Ce n’est pas parce que tu juges qu’un lieu est pas “à la hauteur” de ce que tu es que tu dois te montrer désobligeant avec. sourit-elle doucement Voir même j’apprécie plus encore les endroits qui ne sont pas faits pour moi. C’est toujours une découverte. Et puis, on a seize ans. Nous ne sommes personne.
C’était quelque chose qu’elle pensait. Du plus profond de son coeur elle y croyait. Elle ne pouvait pas être quelqu’un sans rien avoir accompli. Et gagner deux ou trois trophées de concours n’était pas un accomplissement. Elle s’inclina lorsqu’il la laissa entrer avant lui et passa. L’endroit était… Basique. Assez bien entretenu, aux couleurs fraîchement repeintes. Marie sentit le café, la bière. Un café en sommes. Elle se laissa choisir une table en réfléchissant à sa commande.
Marie - Et quand bien même nous serions quelqu’un. Cela ne change pas. Pourquoi l’endroit devrait changer pour nous? Même en étant quelqu’un nous ne sommes rien. Alors autant se contenter de ce qu’on nous offre non?
Marie y pensait. Régulièrement. Elle réfléchissait. Sûrement trop. Mais elle y réféchissait. C’était quoi “être quelqu’un” d’abord? A partir de quel moment? Sur quels critères? Ça englobait quoi? Pourquoi devait-elle devenir quelqu’un? Parce que le piano l’aime? C’était idiot. Elle voulait faire sourire les gens. Qu’ils soient trois ou vingt milles ne changeait pas la donne pour la pianiste. Si, après une musique, elle voyait un seul sourire, alors c’était rentable. Peu importe qu’on la critique ou qu’on aille dans son sens. Adèle, sa soeur, le lui avait déjà dit. “Il n’y a pas pire juge que soi-même. Tu n’es jamais objectif et tu ne sais pas comment t’arrêter. Si on n’écoute que son avis, on va droit dans le mur.”
The Wiesel Den 
![[2020] I love to hear somebody play upon a piano Tbab](https://zupimages.net/up/21/15/tbab.png)
