[2020] Une petite sortie

Une petite sortie

L'angoisse, celle qui est liée à la pré-rentrée scolaire à laquelle mes parents m'ont inscrit pour prendre de l'avance sur mes cours, sachant que j'en louperai très certainement sur l'année. Celle qui s'est attachée à moi depuis que j'ai pris conscience de l'importance que détiennent les regards des autres. Celle qui me ronge depuis maintenant plusieurs années lorsque des évènements impliquant une mise à découverte de tout mon être s'imposent. Je n'arrive que trop difficilement à m'en défaire et dans ces moments-là, plusieurs options s'offrent à moi : rester en boule dans mon lit et pleurer, tenter de passer le temps en m'intéressant à ma passion qu'est la photographie ou m'évader en faisant une quelconque activité avec Aki. Akemi, de son prénom complet.

C'est un garçon, de deux mon aîné, que j'ai rencontré à l'hôpital, un soir où ça n'allait pas et où ni infirmières, ni parents n'étaient présents pour me consoler. Seul lui était là et a su trouver les mots ainsi que les gestes justes pour me sortir de cette angoisse qui, pour une fois, n'était nullement liée à l'image que je pouvais renvoyer envers des personnes m'entourant. Intubé et en proie à de violentes difficultés respiratoires, mon anxiété s'était alors transformée en une solide crise d'angoisse qui a lourdement affecté ma respiration déjà biaisée par une maladie héréditaire qui me colle à la peau depuis ma naissance. Certainement guidé par la curiosité ou par une bonté naturelle, il s'est délicatement introduit dans ma chambre, s'est assis sur mon lit et m'a soutenu dans cette épreuve que je croyais bien devoir surpasser tout seul. Depuis, il est un peu comme le grand-frère que je n'ai jamais eu, je dirais même plus que ça. Et quand bien même nos vies sont complètement différentes, tout comme nos styles respectifs, nos passions ou nos caractères, nous nous entendons étrangement très bien.

Tout aurait pu s'arrêter ce soir-là où je me suis presque endormi dans ses bras, apaisé par sa voix et sa présence rassurantes. Mais non. En-dehors de ce complexe hospitalier, nous avons gardé le contact et nous nous sommes très souvent textés, appelés ou vus, que ce soit pour échanger nos rêves, faire part de nos craintes ou nous réconforter dans les moments les plus nébuleux.

D'ailleurs, aujourd'hui est un de ces jours où un sms venant de sa part m'est parvenu, me proposant de quitter mon petit cocon familial pour rejoindre celui que nous avons établi ensemble en plusieurs mois voire quelques années. Je me prépare donc tranquillement à l'avance, sachant pertinemment que lui le sera aussi en enfilant un t-shirt simple avec un jeans et des baskets, prenant néanmoins la peine d'emporter un gilet assez fin au cas où la météo changerait subitement.

Dès lors, je l'attends, installé dans le salon, à regarder l'album photo que tiennent mes parents, revoyant leurs jeunes années ou carrément les incroyables moments immortalisés par un simple appareil photo. Je trouve ça véritablement fascinant.

Étant donné que nous sommes lundi, ils sont tous les deux au travail. J'ai néanmoins pris le temps de les prévenir, avant leur départ, ce matin, de mon intention de quitter la maison au bras d'Aki, ce à quoi ils ont répondu favorablement, connaissant les bonnes intentions du perceur malgré les apparences trompeuses que son style et son attitude peuvent donner comme impressions.

Au moment où je regarde l'heure sur l'horloge accrochée au mur, je reçois un nouveau message. C'est encore Aki. Et sans grande surprise, il m'annonce qu'il est devant la maison. Je referme donc l'album photo que je tiens entre les mains, le range et termine les derniers préparatifs, comme enfiler des chaussures, veiller à ce que j'ai en ma possession mon téléphone, mon inhalateur ainsi que les clés de la maison pour que je puisse enfin quitter la maison en veillant bien à fermer à clé derrière moi.

Une fois dehors, je le vois assis sur le banc situé en face de la maison et automatiquement, je souris. Timidement, je m'avance et traverse, avec prudence, la route qui nous sépare pour directement venir m'enfouir dans ses bras, fermant les yeux. Instantanément, j'ai la sensation d'être en sécurité et que je pourrais surmonter n'importe quelle épreuve à ses côtés, mes joues se teignant presque automatiquement d'un léger rose. D'une voix calme et discrète, à l'image de ma petite taille ou de l'image que je renvoie de garçon ultrasensible et timide, je murmure dans son cou.

- Je suis content de te voir... je suis très stressé de bientôt reprendre les cours...

Une pointe de tristesse s'installe au sein de mon intonation, révélant alors toute la crainte et l'appréhension qui rôdent sauvagement dans mon esprit, moi qui ai toujours redouté les nouvelles écoles, les nouveaux camarades de classe ou les nouveaux professeurs. En fait, j'ai peur d'être dévisagé, d'être jugé, moqué ou pire, d'être traité différemment sous l'excuse de la différence. Je n'ai pas envie d'avoir la sensation d'être pris en pitié ou de devenir un assisté tout simplement parce que je suis malade. Je n'ai pas envie qu'on ne remarque que le garçon qui est souffrant. Je veux être normal. Être comme les autres.