[2020] Off to see the World

Theophile n’aimait pas sortir. Rien ne valait que de passer sa journée enfermé dans sa chambre, plongé dans ses livres. Ou au moins, enfermé chez lui, plongé dans ses livres. Sortir était pour lui une perte de temps. Un temps précieux, inestimable. Pendant qu’il marchait d’un point A à un point B, il ne faisait RIEN. C’était catastrophique. Ne RIEN faire. Ne pas pouvoir mettre ce trajet à profit pour apprendre. Il avait essayé de marcher en lisant. Juste chez lui, pour commencer. L’expérience lui avait rapidement appris que c’était une très mauvaise idée, et qu’il n’était pas avisé de la renouveler à l’extérieur.
Bien sûr, il n’y avait pas que pour ça qu’il n’aimait pas sortir. Mais il ne s’avouerait jamais à lui-même que ce monde inconnu l’intimidait.
Pourtant, le jeune garçon n’avait pas le choix que de s’aventurer dehors. Plus vite qu’il ne le voudrait, il allait intégrer Indarë. D’abord pour les cours d’été, et, si sa famille estimait qu’il se débrouillait, définitivement. Et il était primordial qu’il s’habitue à sortir. A sortir seul. Sans se perdre, sans se faire entrainer dans une mauvaise rencontre.

Sur internet, il avait noté la présence d’un centre commercial. Le nombre de boutiques y était vertigineux, mais il devait bien y avoir au moins une librairie dans le lot, non ? Il ne voyait vraiment aucune autre raison de sortir si ce n’était pas pour acheter des livres. Armé de son téléphone en mode gps comme lors de la première fois, il partit à l’aventure.
Le détail- tout petit détail- auquel Theophile n’avait pas pensé était la taille du centre commercial, et l’abondance de gens dedans… Bon, d’accord, c’était un énorme détail. Il était tendu au milieu de tant de monde. Ca devait être une bonne chose non ? Personne n’allait essayer de l’agresser avec tant de témoins à portée de vue. Pas vrai ? Pourtant, cette perspective ne le rassurait pas. Chaque fois que quelqu’un marchait trop près de lui, il sentait son cœur s’emballer. De plus, il était complètement perdu et n’avait aucune idée d’où aller, de comment trouver des indications, et commençait à se demander s’il y avait seulement une librairie ici de toute façon. Et hors de question de demander des renseignements. La dernière fois que quelqu’un l’avait « aidé », ça avait bien trop mal tourné.

Affolé, paniqué, ne sachant ni quoi faire, ni où aller, Theophile jeta des regards paniqués autour de lui, cherchant une échappatoire, comme si cette foule était devenue une menace. Il essaya de s’en écarter en allant s’écraser contre un mur, se faisant le plus petit possible. Peut-être qu’on ne le remarquerait pas ainsi ?
Finalement, le centre commercial était peut-être trop ambitieux pour commencer…

Soudain, quelqu’un sembla se détacher de la foule pour se diriger vers Theophile. Le cœur du garçon sembla s’emballer plus encore, et il jeta un regard paniqué autour de lui, se demandant s’il ferait mieux de s’enfuir. Ou peut-être était-il déjà en train de chercher la meilleure direction pour partir en courant. Mais avant qu’il n’ait eu le temps d’esquisser le moindre mouvement supplémentaire, la personne s’arrêta et lui montra un insigne. Theophile se figea pour l’observer. Il s’agissait d’un insigne de police. Il ne devait pas lui vouloir de mal, n’est-ce pas ? La police était censé protéger les citoyens, pas vrai ?
L’homme se présenta, lui demandant si tout allait bien, notant qu’il avait l’air terrorisé. Il ne s’approcha pas plus. Tant mieux. S’il essayait de s’approcher, le garçon comptait bien détaler. Même si ça signifiait se perdre plus encore. Quand Ryan lui demanda si quelqu’un lui voulait du mal, il réprima un rire nerveux. Est-ce que quelqu’un lui voulait du mal ? Il ne savait pas… Peut-être que le policier était celui qui lui voulait du mal. Il n’en avait pas l’air… Mais qu’est-ce que Theophile savait de ses véritables intentions ?

« Je ne pense pas. Je ne sais pas. Je n’espère pas.

Il avala sa salive avec difficulté, essayant de calmer sa respiration. Il n’avait pas l’habitude d’être aussi terrifié et ne savait pas du tout comment se calmer. A toujours rester chez lui, il n’avait jamais été exposé à de si vives émotions. Et le peu qu’il ressentait, il les réprimait aussitôt. Il était donc complètement prit au dépourvu par cette panique sur laquelle il n’avait aucun contrôle.

- Il y a juste… Tellement de monde. Et l’endroit est si grand. Je crois… Je crois que je suis perdu.

Est-ce qu’il y allait avoir autant de monde à Indarë ? Est-ce ce serait aussi grand ? Il allait sans cesse se perdre si c’était grand…

- Je ne sais pas si quelqu’un voudrait s’en prendre à moi. Je ne sait pas quoi faire si ça arrive. »

Basiquement, il avait peur qu’on veuille l’agresser, mais il ne le dirait jamais. Il n’avouerait jamais être animé d’une de ces émotions qu’il s’interdit.

Rentrer chez lui… Oui. Theophile mourrait d’envie de rentrer, se réfugier dans sa chambre, ne plus jamais sortir. Il voulait abandonner cette sotte idée d’étudier à Indarë. Il n’était pas fait pour sortir. Il était mieux quand il restait enfermé chez lui…
Mais bien sûr, il pourrait faire ça. Mais il savait, au fond de lui, que ce n’était pas la bonne décision. Il ne pouvait pas passer sa vie à fuir le monde extérieur.

« Je ne peux pas rentrer. Enfin. Si. Mais ce serait abandonner. Je veux progresser.

Il lui était arrivé, en étudiant, de tomber sur des sujets qu’il avait plus de mal à comprendre que d’autres. Quand ça arrivait, il s’accrochait, il se plongeait dedans en redoublant d’ardeur jusqu’à enfin maîtriser le domaine. Il lui suffisait sûrement de reproduire la même chose ici. Il n’y avait pas de raison que ça marche différemment.

- Il faut juste que je m’éloigne de la foule. Il y a tant de monde. Je n’ai pas l’habitude. J’aurais dut choisir un endroit moins animé. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde.

Comme le policier se présenta à nouveau, le garçon songea qu’il serait impoli de ne pas se présenter à son tour. Il avala sa salive avant de répondre :

- Je m’appelle Theophile Attendio. Mais… On m’appelle généralement juste Theo.

Il hésitait encore. Pouvait-il accepter l’aide de cette personne ? Ryan était-il vraiment bien intentionné ? Il avait tout son temps… Cela pouvait aussi bien signifier qu’il avait le temps pour l’aider… Que cela pouvait signifier que personne ne se poserait de questions s’il était occupé pendant trop longtemps à s’en prendre à lui…
Mais quelque chose lui inspirait confiance. Peut-être était-ce le fait qu’il se tenait à distance. Qu’il n’avait pas tenté de l’approcher, de le toucher. Qu’il n’avait pas essayé de le forcer à accepter son aide. C’était une proposition sincère. Theophile restait maître de sa décision ; accepter ou refuser. Il inspira longuement avant de répondre :

- Je veux bien que vous m’aidiez à m’éloignez de la foule. Merci. »

Ryan s’éloigna en lui intimant de l’attendre. Theophile hocha la tête en songeant qu’il n’avait pas vraiment le choix de toute façon. Que pourrait-il bien faire d’autre ? Essayer de s’aventurer à l’aveugle, paniquer à nouveau, se perdre plus encore ? Non, sa meilleure option était d’attendre le policier, en espérant qu’il ne tarde pas trop, il détestait déjà attendre, mais la peur le rendait plus impatient encore. Qu’est-ce qu’il pouvait être partit faire d’abord ? Avec un peu de chance, chercher une carte pour qu’il puisse e repérer seul…
Quand l’homme revint un peu après, un balai en main, le jeune garçon cru déchanter. Il ne pouvait pas être sérieux… Etait-ce un genre de blague de mauvais goût ?

« Si c’est une plaisanterie, le moment me semble vraiment mal choisit.

Commenta-t-il, acerbe, et pourtant adoucit par la peur qui l’empêchait de se montrer aussi moralisateur qu’il pouvait en avoir coutume. Quand Ryan s’empressa de lui expliquer son idée, Theophile se détendit aussitôt. Bon, la scène serait complètement absurde et surréaliste, et tous les regards seraient sûrement braqués sur eux, mais peu importait ; au moins ne risquait il pas d’être emporté par la foule en essayant de suivre le policier. C’était le plus important. Il hocha donc la tête en répondant :

- C’est une idée… originale, mais elle doit pouvoir marcher. Et je n’en ai pas de meilleure. Alors ça marche pour moi.

Il respira profondément pour essayer d’apaiser ses nerfs avant de se lever. Il tremblait encore un peu, mais il devrait être capable de tenir debout et de marcher. Il inspira à fond, rassemblant son courage, avant de braquer son regard sur Ryan :

- Je suis prêt. »

Il prit le balais d’une main hésitante avant de raffermir sa prise dessus pour qu’elle ne glisse pas, d’autant que le stress rendait ses paumes moites. Il gardait les yeux vissés sur le policier, afin d’être sûr de ne pas le perdre de vu, mais aussi de réduire son monde à son objectif de le suivre, et oublier la foule autour de lui.

Les regards de travers que lui lançaient les passants furent en effet rapidement la dernière chose dont se souciait Theophile.  Certaines personnes ne semblaient pas juger nécessaire de s’écarter pour les laisser passer- sans doute la scène leur semblait trop surréaliste pour qu’ils comprennent qu’ils gênaient- forçant le policier à les contourner. Accroché à l’autre bout du balai comme si sa vie en dépendait, le garçon essayait de se faire tout petit en le suivant. Oh, si seulement les gens n’avaient pas conscience de sa présence… Il se sentait tellement menacé… Son guide semblait marcher indéfiniment devant lui, le temps sembler s’étirer, comme s’ils n’allaient jamais sortir, comme s’ils étaient condamnés à marcher au milieu de cette foule accrochés à ce balai.
Soudain, Ryan s’arrêta. Theo cligna des yeux en l’imitant pour regarder autour de lui. C’était finit ? Ils s’en étaient sortis ? Il était en sécurité. Non. Non bien sûr, il ne serait totalement en sécurité qu’une fois de retour dans sa chambre. Il avait hâte de rentrer, de s’enfermer, et d’à nouveau ne plus sortir pour les mois à venir. Pas avant les débuts des cours…
La voix de Ryan raisonna soudain, l’invitant à sortir prendre l’air. Theophile hocha la tête :

« Avec plaisir, ça me fera le plus grand bien.

Il franchit les portes vitrées et inspira à fond l’air frais de l’extérieur. La bonne blague, depuis quand l’ermite qu’il était s’enivrait de l’air extérieur ? Il se souvint que Ryan lui avait proposé de prendre un verre une fois sortis. Il hésita un instant. Plus qu’un verre, il voulait se réfugier dans sa chambre, s’isoler. Il n’avait pas hâte de devoir commencer les cours…
Mais prendre un verre tranquillement avec Ryan pour se remettre de ses émotions ne serait pas, par la même occasion, un meilleur entrainement que sa tentative catastrophique au centre commercial ? Il s’adressa alors au policier en s’inclinant poliment, encore rigide à cause de sa mauvaise expérience :

- Merci beaucoup. Je ne sais pas comment je m’en serais sortit sans votre aide, il se redressa pour ajouter, C’est la première fois que je viens ici, je ne sais pas vraiment quel est le meilleur endroit pour prendre un verre. Si vous avez une préférence, je vous laisse choisir. Je n’en ai pas vraiment personnellement, ce sera un peu une découverte pour moi. Tant qu’on peut y boire des boissons non-alcoolisées.

Il réalisé après coup qu’il n’était sans doute pas nécessaire de rappeler à un policier qu’il était trop jeune pour boire de l’alcool. Mais il avait l’habitude de sa sœur qui ne se souciait pas de ce genre de détail et préférait prendre les précautions nécessaires.

Ryan désigna un pub à Theophile qui hocha la tête pour signifier qu’il lui convenait. Il le suivit ensuite, le pas un peu lourd maintenant que l’adrénaline l’avait quitté. En route, le policier lui demanda pourquoi il avait choisit de se rendre dans la galerie s’il était agoraphobe. Le jeune garçon fronça les sourcils :

«Je ne suis pas agoraphobe. Enfin. Pas vraiment. Je ne suis jamais vraiment sortit de chez moi, je n’en voyais pas l’intérêt. J’ai toujours du mal à en voir. Du coup j’ai tendance à surestimer ma capacité à… Non, ce n’est pas vraiment ça. C’est plutôt que j’ai sous-estimé le monde qu’il y aurait ici, et à quel point ce serait labyrinthique. Mais je dois m’entrainer, il faut que j’apprenne à être plus à l’aise, et à me débrouiller, sinon, ce sera une catastrophe quand je rentrerais à Indarë.

Arrivé au pub, Ryan demanda à Theophile ce qu’il voulait, et le garçon observa la carte avec de grands yeux. Il devait choisir parmi tout ça ? Il ne savait pas du tout ce qu’il voulait… Finalement, il se contenta de répondre :

- Je vais prendre pareil.

Ils s’installèrent ensuite en terrasse. Le garçon était reconnaissant envers Ryan d’avoir choisit cet endroit plutôt qu’en intérieur. Le seul endroit où il voulait encore être enfermé aujourd’hui était sa chambre.

- Oui, ça va mieux, merci beaucoup.

Ils n’étaient pas assis depuis longtemps que Theophile montrait déjà des signes d’impatience, regardant autour de lui pour voir si leurs boissons arrivaient bientôt, les sourcils froncés avec irritation. Ce n’était pas possible d’être aussi long à servir de simple soda ! Ils leur faisaient perdre du temps, du précieux temps ! Chaque seconde qu’il perdait à attendre était une seconde qu’il ne pourrait pas utiliser à étudier quand il serait rentré chez lui ! En plus, il été assoiffé après son accès de panique dans la galerie. Quand les boissons arrivèrent finalement, à peine quelques minutes plus tard, il maronna un « enfin » en prenant la sienne pour s’empresser de boire un peu. Puis, il reprit ses explications :

- Le truc, c’est que ma première tentative de sortie… Disons qu’elle s’est très mal passée. Alors je n’ai pas confiance quand des inconnus s’approchent trop de moi, même si c’est juste pour passer.

Afin de rassurer Theophile, Ryan lui affirma qu’il n’était pas du genre à utiliser son autorité à de mauvais escients. Le garçon hocha la tête avec grand sérieux :

« J’espère bien, autrement je serais contraint de vous dénoncer.

Il réfléchit un instant à la proposition du policier. Il serait rassurant d’avoir une escorte pour rentrer. Mais il ne pouvait pas compter sur les autres à chaque fois qu’il voudrait aller quelque part. Il ne connaissait pas encore la route, mais avec le gps de son téléphone, il devrait savoir se localiser sans soucis. Il avait échoué dans la galerie parce qu’elle s’était avérée bien plus grande et bondée qu’il ne s’y était attendu, mais il comptait bien réussir à au moins rentrer chez lui seul.

- Je vous exprime ma plus sincère gratitude pour votre offre. Toutefois, je pense que je vais la décliner. Je  vais tenter de rentrer chez moi seul, il faut au moins que je réussisse cela.

Puis, Ryan le prit au dépourvu en l’interrogeant sur sa scolarité. Theophile observa son verra un instant avant de boire une gorgée pour se donner le temps de réfléchir à sa réponse. Il s’agissait encore d’un sujet sensible pour lui, il avait tout juste accepté d’essayer d’étudier à Indarë, et n’était toujours pas sûr que cela lui réussirait. Cette perspective le terrifiait.

- En effet, je vais rentrer à Indarë. En… Comment la classe s’appelle-t-elle déjà ? Tradition ? Avoir une spécialité ne m’intéressait pas, je veux juste apprendre le plus de choses possibles. Ceci-dit, ce sera ma première fois dans une école, j’ai toujours étudié à la maison jusqu’ici, je ne sais pas trop comment les choses vont se passer. Je ne suis pas sûr d’être prêt.

Il gardait les yeux rivés sur son verre. Que ne donnerait-il pas pour s’enfermer dans l’apprentissage pour le restant de ses jours, c’était tout ce qui l’intéressait. Amasser des connaissance et apprendre à comprendre le monde dans lequel il vivait…