[2020] Family Portrait [Jimmy Sissfer]

Quand Viktor avait été retrouvé pendant sa fugue, il avait été affreusement frustré. Lui qui avait voulut échapper à sa famille et avoir un nouveau départ, le voilà de nouveau prit au piège. Pendant sa condamnation, il avait fulminé de colère. Il s’était juré de trouver un moyen de filer à nouveau.
Pourtant, à présent qu’il était à Indarë, il avait révisé son jugement. Ce n’était pas si mal. Certes, il ne pouvait pas sortir librement, il devait respecter un couvre-feu et n’avait pas le droit de fumer – ce dernier point était plutôt contraignant, il savait que le manque allait rapidement lui faire vivre un enfer s’il ne trouvait pas une solution. Mais au moins, il en tirait quelque chose de positif : On ne l’avait pas renvoyé chez sa famille. Son nouveau départ était toujours possible. Quelque part, il était même plus facile. Plus besoin de s’associer à des personnes peu fréquentables pour gagner de l’argent.

En sommes, il n’avait pas à se plaindre de sa vie à Indarë.
Mis à part deux choses.
Ses rendez-vous hebdomadaire avec le psychologue qui semblait convaincu que sa famille l’aimait. Et les sms que sa famille lui envoyait régulièrement.

Ce jour là justement, il venait d’en recevoir un nouveau.
Comme le temps était un peu moins frais et surtout, venteux, que ces derniers jours, Viktor s’était installé dans le parc pour réviser. Certes, il faisait encore peu froid, mais il tenait à profiter autant qu’il le pouvait de passer un peu de temps dehors. Il préférait donc réviser dans le parc plutôt qu’enfermé dans la bibliothèque ou dans sa résidence. De toute façon, il s’y retrouvera enfermé bien assez tôt. A le voir mener sa vie étudiante aussi paisiblement, respectant les règles qui lui avaient été imposée sans sourciller, il était difficile d’imaginer qu’il avait été condamné pour homicide.
Soudain, la sonnerie des notifications de son portable avait retentit. L’élève avait aussitôt froncé les sourcils. Les seules personnes qui le contactaient étaient les membres de sa famille. Il savait donc avait de le sortir qu’il s’agirait de l’un d’eux. Continuer à réviser ? Regarder le sms maintenant ? Il hésita un instant avant de finalement décider de jeter un œil.
Non pas qu’au fond, avoir des nouvelles de sa famille comptait toujours à ses yeux. Bien sûr que non ! Mais peut-être que c’était un sms important. Voilà-tout !
Mais à peine commença-t-il à lire le message que son visage s’assombrit. C’était son père.
Bonjour Viktor. J’espère que tu vas bien. Je sais que tu refuses de nous répondre, ce n’est pas grave. Je voulais juste te dire que si jamais tu as un problème, tu ne dois pas hésiter à me prévenir, d’accord ? Je t’aime.

Etrangement, ce message sembla mettre l’adolescent hors de lui. Il fusilla son téléphone du regard comme s’il s’agissait de son père en personne, et qu’il venait de lui annoncer qu’il espérait ne plus jamais le revoir.

« Je n’arrive pas à y croire ! Il ne s’est jamais soucié que je puisse exister, et il essaye de me faire croire qu’il se soucie de moi d’un coup ? Comme si j’allais y croire ! Il n’a commencé à m’adresser la parole que parce que j’avais disparu… Préviens-moi si tu as un problème… Mon œil,  ça sonne tellement faux venant de lui ! Il a juste peur que je ruine sa réputation si je fais des conneries. Comme si j’allais lui répondre. Il ne réalise pas que je suis très bien ici ? Loin de cette stupide famille où je n’ai pas ma place ?

Viktor rangea rageusement son portable dans sa poche et baissa de nouveau ses yeux sur ses révisions. Mais il était tellement furieux qu’il n’arrivait plus à se concentrer dessus. Il referma son cahier d’un geste sec en soupirant de frustration.

Viktor sursauta quand une voix l’interpella. Il leva la tête et aperçut un élève perché sur une branche avec un livre. Quel drôle d’idée. Après la tempête, il ne viendrait pas à l’idée de l’adolescent de faire confiance aux branches pour soutenir son poids. Pourquoi prendre le risque de se percher là-haut ? Apparemment, lui aussi avait des problèmes familiaux, et son père essayait de le faire rentrer en usant l’ouragan comme prétexte. Le jeune homme frissonna à la mention de l’ouragan, se remémorant son calvaire, seul dans les rues. Depuis le temps qu’il pensait à fuguer, pourquoi avait-il fallut que l’ouragan tombe pendant cette période ? Son père aussi lui avait envoyé un message pendant l’ouragan. Juste avant que le réseau ne saute.

«  On a beau essayer de leur faire comprendre qu’ils sont indésirable, et mettre le plus de distance possible entre eux et nous, ils refusent de comprendre. J’hésite entre stupides ou têtu. Dans les deux cas ils sont pénibles.

Répondit-il quand l’autre conclu qu’un océan n’était pas suffisant à se débarrasser de sa famille. Parler à quelqu’un perché dans un arbre était… Chiant, disons-le. Viktor devait maintenir le nez en l’air pour regarder l’autre, il savait que s’il restait longtemps comme ça, il aurait mal à la nuque.

- Cependant, mon père ne fais pas semblant de me laisser le choix.

Viktor leva la jambe de son pantalon d’uniforme pour révéler son bracelet électronique. Ça ne le gênait pas de le montrer. Ça ne lui viendrait même pas à l’idée de pouvoir être gêné. Après tout, il ne considérait pas son crime comme étant quelque chose de mal. Si on le regardait de travers pour ça, il s’en moquait, il n’avait que faire des jugements basés sur des valeurs morales auxquelles il ne croyait pas :

- C’est lui qui n’a pas le choix. Je suis ici pour un moment. Sans ça, il voudrait que je sois à la maison, il aurait trop peur que je salisse plus encore sa réputation.

L’adolescent relâcha le vêtement pour hausser les épaules dans un faux désintérêt, un rictus amer barrant son visage :

- Il aura au moins fallut ça pour qu’il réalise que j’existe. Ce n’est même pas satisfaisant… Et encore que… Envoyer des sms de temps en temps pour faire semblant, ce n’est pas si compliqué, ça ne l’empêche pas de continuer à mener son rythme habituel le reste du temps.

Il secoua la tête avant de fixer l’autre élève :

- Si j’étais toi, je profiterais d’avoir un océan qui nous sépare pour que ma famille perde ma trace. Il pourrait vouloir te ramener à lui autant qu’il le désire, il faudrait d’abord qu’il te retrouve pour ça.

C’est vrai après tout. Il avait fugué certes, mais il était resté à Londres. S’il avait put fuguer dans un autre pays…

Oui. Il était un Forge. Il aurait put trouver cette situation injuste, étant donné qu’il ne voyait aucun mal dans son crime. Heureusement pour lui, il avait réalisé qu’il appréciait cette situation. Il avait obtenu exactement ce qu’il avait voulu en fuguant. Il ne lui restait plus qu’a réussir à avoir l’attention des gens… Comme l’autre élève lui tendait la main en se présentant, Viktor la serra, en se demandant s’il devait se présenter sous sa véritable identité ou celle qu’il avait choisit :

« Je m’appelle Viktor Attendio. Viktor avec un K. Mais je préfère qu’on m’appelle juste Dio. C’est le nom que je me suis choisit, pour me détacher de ma famille. Je suis en effet nouveau ici, je suis arrivé ce mois-ci, après avoir reçu ma condamnation.

Jimmy lui montra ensuite deux personnes, lui expliquant qu’elles étaient venues pour le surveiller. Puis, il expliqua que, s’il fuguait, son père réussirait à le retrouver, qu’il avait de quoi mobiliser assez de gens pour, et qu’un jour, il viendrait le chercher. Viktor plissa les yeux :

- Un drame qu’il en ait la possibilité. Je dois dire que je suis plutôt satisfait de ma condition de Forge, j’ai l’excuse rêvée pour rester loin de ma famille, et ils ne peuvent pas se permettre de me forcer à partir d’ici. Ils peuvent juste m’envoyer des sms auxquels je ne répondrais jamais.

La personne qui avait perdu la vie dans le processus ne semblait être devenue qu’un genre de sacrifice humain. Si elle était morte, c’était de sa faute de toute façon, elle n’avait pas su l’empêcher de le tuer. C’était ainsi que fonctionnait le monde, les plus adaptés progressaient au profit des moins adaptés.

- Il y a toujours une solution pour obtenir ce que tu veux. Il faut juste trouver comme s’y prendre, et avoir les tripes de l’entreprendre. Si tu es trop faible pour poursuivre tes ambitions, tu te laisseras écraser par les autres. Rien de plus normal.

Commenta-t-il en croisant les bras.
Parfois, il n’est pas nécessairement bon d’écouter les conseils d’une personne qui vient d’être condamnée pour homicide.

- Si tu sais déjà qu'un jour ton père va venir te chercher lui-même, prépare toi. Confectionne des plans, comme ça, le jour où il arrivera en pensant pouvoir te récupérer, c'est toi qui sera le plus préparé, le plus fort, tu le prendras par surprise. Mais es-tu prêt à défendre ta liberté peu importe le prix? Ce monde est régit par la loi du plus adapté. Montre que tu es plus adapté à la survie que ton père. Tout problème a une solution, mais pour la trouver il faut commencer par ne pas abandonner la recherche.

Son regard se durcit:

- Tu dis que tu ne peux rien faire, je penses que tu as juste abandonné, que tu satisfait de cette situation déplaisante parce que tu n'as pas les tripes de lutter pour obtenir mieux.

La remarque de Jimmy à propos de son bracelet électronique ne blessa pas particulièrement Viktor. Il n’éprouvait ni colère, ni remord, si aucun sentiment particulier quant à sa situation. Il avait essuyé un échec. Voilà tout. Aussi, il se contenta de hausser les épaules :

« J’ai en effet manqué de préparation, et j’ai fait des erreurs qui m’ont amené à me faire prendre. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même pour avoir manqué de discernement. Ceci dit, je n’ai pas à me plaindre non plus. Pour l’instant, ma vie de Forge me convient parfaitement. En outre…

Il avait noté que la voix de Jimmy s’était durcie. Mais il ne pouvait y associer de raison particulière. Peut-être essayait-il de se montrer menaçant ? Ca ne faisait aucun sens dans ce contexte…

– Je ne crois pas en la loi du plus fort, tu déformes mes propos. La loi du plus fort ignore bien trop de critères. Celle qui régit notre monde est celle du plus adapté. La nuance ne saute peut-être pas aux yeux, mais elle existe.

Il écouta la longue tirade de son interlocuteur sans que son visage ne trahisse la moindre émotion. Probablement parce que ce que l’autre lui racontait n’en suscitait chez lui aucune. Pas une once d’empathie, ou de simple compréhension. Jimmy aurait put lui annoncer qu’il sortait fumer une clope qu’il aurait obtenu autant de réaction.
Quoi que non. Il aurait obtenu plus de réaction s’il avait annoncé sortir fumer une clope.

- En effet. J’ai tué quelqu’un. Est-ce que j’en suis fier ? Non. Est-ce que je regrette ? Non plus. Est-ce que je recommencerais ? Pas maintenant que j’ai un casier, ce ne serait pas rentable. Tu appelles ça « saloperie ». Pour moi c’était juste un moyen de gagner de l’argent pour me nourrir. C’était juste un choix logique.

Il haussa les épaules avec désintérêt, comme si le fait d’avoir tué quelqu’un pour de l’argent ne lui faisait ni chaud ni froid. Ce qui était sûrement le cas.

- Je te l’ai déjà dit, si ton héritage te déplaît tant, alors fuis-le. Si au contraire il te convient…

Il secoua la tête.

- Alors je ne comprends pas pourquoi tu m’en parles. »

Déclara-t-il avec franchise.