[L'Ouragan] Dans le poste de sécurité

Il y a des jeux dangereux dans la vie, comme celui-là : jouer à chat avec un ouragan. Il ne sait même pas pourquoi il fait ça. Parce que c'est drôle, parce que c'est dangereux, parce que c'est stupide ? Probablement un mélange des trois. On le connaît pour la stupidité et l'incohérence de la majorité de ses actes, pourquoi aurait-il changé maintenant ? Le spectacle doit continuer, et il ne déléguera pas son rôle de star. La porte du poste de sécurité se referme derrière lui mais le vent est toujours là, agitant les mèches folles de ses cheveux. Le regard de la personne venue le chercher brille d'une lueur d'angoisse apaisante. En même temps, il se plaît à imaginer la villa de son père secouée par l'ouragan, sa piscine se chargeant de boue, ses chaises longues volant autour du jardin... Oui, vraiment, et si l'autre pouffiasse pouvait s'en prendre une en pleine tronche, ça serait encore mieux.

Au moment où les lumières s'éteignent, Damen entre dans le poste de sécurité. Il y a un petit nombre de personnes, ici, serrés dans leur petite pièce éclairée à la bougie. Idée douteuse, des bougies en plein ouragan, avec les risques de fuite de gaz... enfin, dans le poste de sécurité, il n'y a sûrement pas d'équipement pouvant poser ce genre de danger. Appuyé contre un mur près de la porte, il voit une petite blonde se lever et commencer à tourner en rond. Ah, eh bien lui qui cherchait une personne à convaincre de fuir, on dirait qu'il n'aura pas à se donner cette peine, elle semble s'offrir sur un plateau. Il délaisse les élèves qui paniquent – ils auraient fait de bonnes cibles, mais vu qu'elle est déjà en train de sortir, pourquoi se compliquer la vie.

Du coin de l'œil, il remarque qu'un des surveillant tourne la tête dans la direction de la porte. Donc, dans quelques secondes, il va repérer la fuyarde et ruiner tous ses plans. Non, ça serait dommage. Feignant la maladresse, Damen laisse glisser son pied, qui percute une des bougies. Quelques flammes commencent à naître sur le sol : rien de dangereux, mais juste de quoi retenir l'attention de tout le monde le temps de l'éteindre. Assez pour qu'elle s'échappe.

Et quand le micro-incendie est contenu et tout le monde calmé, Damen fronce les sourcils.

» Il y avait pas une petite blonde, avec nous ? Elle est partie ?

Et avant qu'on n'ait le temps de l'arrêter, il ouvre la porte à son tour.

» Je vais la chercher ! Elle ne doit pas être loin.

Probablement pas, en effet. Après tout, il n'est même pas encore 17h10, elle doit encore être dans la pièce voisine. D'ailleurs, dès qu'il la voie, il pose un doigt sur ses lèvres avec un clin d'œil, pour lui signifier qu'il n'a pas l'intention de la dénoncer ni de la traîner de force à l'intérieur.

» Alors, on fugue ? chuchote-t-il avec un sourire en s'avançant vers elle.

Le monde est un terrain de jeu géant, et chaque action est un lancer de dé. Créer cette diversion, sortir de la pièce, accompagner la blondinette dans son épopée suicidaire. L'empêcher de se poser des questions ou de protester, aussi. Pourquoi s'est-il senti autorisé à poser son doigt sur es lèvres pour lui couper la parole ? Pourquoi pas. Une fois qu'il est sûr qu'elle ne va pas s'énerver et croire qu'il veut la ramener de force à l'intérieur, il retire sa main et la remet dans sa poche. Puis il hausse les épaules.

» Aucune idée. Je suis bien, dehors, et t'avais l'air pressé de sortir. Cet endroit n'est pas sûr, de toute façon.

Trop de fenêtres, trop de possibilités d'entrée de vent : trop dangereux. Enfin comparé à l'extérieur, c'est rien, mais au final son but c'était de voir si quelqu'un s'en sortirait dehors. Et rien ne les empêchera d'aller se réfugier dans le parking s'ils ne peuvent pas tenir debout. Le vent dans la pièce est chaotique, il fait voler autour d'eux les objets de la pièce, et ce n'est qu'une question de temps avant que le verre de la pièce suive le même chemin.

Le bruit devant la porte le dispense de répondre au commentaire de la blonde sur la météo. C'est une évidence, de toute façon, le temps est monstrueux, mais c'est justement ce qui le rend intéressant. Par contre, ce bruit, ça ne lui plaît pas. D'instinct, il sent que ça va contrarier ses plans. Elle le confirme bien vite en essayant d'ouvrir la porte. Bloquée. Merde.

Leur seule sortie semble donc être la fenêtre qu'il a brisée avant d'entrer. Bon, ça en fait au moins une. Curieux, Damen regarde autour de lui. La branche supposée avoir cassé la vitre d'elle-même est toujours là, trop lourde pour s'envoler à cause des vents qui s'infiltrent. Malheureusement, elle est aussi trop couverte de verre pour qu'il se risque à l'empoigner. Il a une seconde d'absence, le regard fixé sur la main avec laquelle il a brisé une autre vitre, il y a bien longtemps de ça, puis il secoue la tête. Reprend ses esprits. Il a dit qu'il sortirait une personne d'ici pour la confronter à la tempête, il le fera. Et pour ça, il faut qu'ils sortent.

Il fouille la pièce, ouvre les tiroirs, balance des dossiers qui s'envolent sans demander leur reste, jusqu'à trouver un truc relativement lisse et lourd qui ressemble à un presse-papier. Ça devrait faire l'affaire. Alors après s'être assurée qu'elle reste éloignée de la fenêtre, il s'en approche lui-même et entreprend de suivre méticuleusement les bords pour retirer tous les bouts de verre et ne laisser qu'un cadre lisse par lequel il peuvent passer sans risquer de s'écorcher. Il utilise une dernière fois son presse-papier pour écarter le verre sur la table puis il grimpe sur la surface.

» Les Dames d'abord, murmure-t-il à voix très basse, principalement pour lui-même.

Vu le vent, de toute façon, peu de chances qu'elle l'entende. En se contorsionnant un peu, Damen se glisse à l'extérieur. Le vent le frappe de plein fouet dès que sa main puis son visage s'y fraient un chemin, mais il continue jusqu'à poser les pieds par terre. Puis il s'adosse au mur en attendant que la blondinette fasse de même. Il doit être un peu plus de 17h30. 35, peut-être ? Et bientôt, ils seront tous les deux dehors.