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J'ai commencé à tourner dans ce nouveau film, In the Void, au milieu du mois de mars, et c'est parti pour durer encore un moment. Mais ça me fait du bien. En grand film, du genre qui prend trois mois minimum à être tourné, c'est exactement ce dont j'avais besoin. J'ai encore du mal à croire que j'ai décroché le rôle, pour être honnête. Je dirais un coup de bol, probablement : le réalisateur connaissait Crescent High, et il avait aussi vu Happily Married. Deux des meilleurs moment de ma carrière. Et du coup, me voilà encore à l'affiche. Enfin je le serais bientôt. Le film est prévu pour sortir cet été.
Mais aujourd'hui, tournage mis à part, j'ai pas mal de choses à penser. D'abord, Aidan - ma co-star - n'a pas pu venir pour le début de journée, donc une bonne partie de mes scènes est en suspens, je ne peux jouer que les passages en solo. Ensuite, l'équipe de tournage m'a expliqué que quelqu'un d'Indarë allait venir dans le cadre d'un de ses cours pour faire une interview, et que j'avais été choisie par son prof. En soi, ça ne m'étonne pas : pour travailler avec des élèves de l'école, le mieux est sûrement de prendre des anciens élèves. Je me demande pour quel cours c'est... et je me demande pourquoi je n'ai pas eu l'occasion de faire ça, moi. Aller interviewé un acteur ou une actrice, ça m'aurait rapporté des points facilement !
- Naomi, ta journaliste en herbe est arrivée.
Je tourne la tête vers l'assistante qui vient de m'adresser la parole. Son nom c'est... Cindy, je crois. Je lui souris doucement avant de la remercier. Je baisse un peu la tête. Jean noir, basket, brassière qui tient plus du soutien-gorge que du vêtement, veste en cuir qui s'arrête au niveau de mes côtes. Bon... Je sais que c'est mon rôle dans le film, mais je ne peux pas accueillir une adolescente dans cette tenue... enfin je peux, mais il paraît que c'est pas correct. Soit. Je remonte la fermeture pour au moins qu'elle ne se retrouve pas nez à nez avec un buste beaucoup trop dénudé. Elle verra toujours mon ventre, parce que je suis pas frileuse et que je n'ai de toute façon pas de quoi le couvrir là tout de suite, mais c'est mieux que de tout voir. Sur ce, je fais signe au réalisateur et je m'écarte un peu des caméras, au moment où les potes s'ouvrent.
La jeune fille qui entre, accompagnée de cette fille en tailleur qui n'adresse jamais la parole à personne, est une petite brune aux yeux bleus. Enfin "petite", elle est à peine moins grande que moi, donc à part la différence d'âge, ce n'est pas vraiment le mot. Enfin peu importe. Miss tailleur la conduit jusqu'à moi et je souris, de mon air avenant habituel. Je la salue d'un petit signe de la main.
- Bonjour.
Ouais, on a fait plus éloquent. Pour ma défense, je viens de jouer deux pages de scripts devant les caméras, il me faudra un petit moment pour retrouver mon débit habituel. Enfin "petit moment", je vous rassure, ça prendra pas deux heures.
Elle a l'air nerveuse. Rien de surprenant à ça, c'est pas tous les jours qu'on rencontre une actrice et, même si je suis quand même vachement moins connue que beaucoup, ça doit rester assez perturbant. Ou impressionnant. Je suis impressionnante, moi ? J'ai pas l'impression mais bon, je vis avec moi tous les jours, je m'en rends pas forcément compte. Je la vois triturer son sac. Je sais que je n'étais pas comme ça à son âge, mais elle me fait penser à certaines de mes camarades de classe. A Melody, aussi, quand on était encore au lycée. Aucun doute, c'est une adolescente. Sa nervosité se ressent aussi dans sa façon de s'exprimer. Je ne peux m'empêcher de sourire, d'un air plus attendrit qu'amusé, devant ses tentatives visiblement compliquées de me vouvoyer. Je ne dirais rien : je tutoyais la moitié de mes profs, si ce n'est plus, et j'ai toujours eu un peu de mal avec le côté formel. Autant commencer par la débarrasser d'une difficulté, alors.
- Merci, ça me fait plaisir. Et tu peux me tutoyer, à moins que les profs aient spécifié que l'interview devait être faite en vouvoyant..
De toute manière, les gens d'Indarë étaient censés me connaître assez pour ça, à moins que ce ne soit un nouvel employé qui soit en charge de son cours. A vrai dire, on m'avait juste dit qu'elle venait de l'Institution, personne n'avait pris soin de me préciser de quel côté de la barrière. Si elle était de l'ISS, c'était probablement le cours d'étude du cinéma. Sinon... Eh bien sinon c'était une nouvelle matière que je ne connaissais pas, ou un nouveau prof avec des méthodes que j'aurais bien aimé avoir à mon époque. A sa question, je regarde autour de moi. La présence de miss tailleur en train de nous coller comme une sangsue m'agace légèrement. Il faudrait que je trouve un moyen logique et poli de la faire partir. Déjà... c'est quoi, son nom ? Je n'en sais rien, à vrai dire, elle ne s'adresse jamais aux gens alors j'ai oublié.
- Vous pouvez aller voir en coulisses ? Je crois qu'Owen avait quelque chose à vous demander.
Invoquer le réalisateur, ou comment convaincre même la plus récalcitrante et coincée des employées de me laisser tranquille. Elle ne se fait pas prier, d'ailleurs, et file à une vitesse impressionnante pour une femme qui marche avec des escarpins. Pour une femme qui marche tout court, déjà.
- Ça serait plus simple, comme ça. Tu veux visiter un peu le plateau ?
Je vous ai dit que mon débit habituel ne tarderait pas à se repointer.
- Je sais que tu es là pour une interview, mais la commencer en faisant un peu le tour des lieux ça ne peut pas faire de mal.
Et ça permet de briser la glace beaucoup plus facilement que d'être assises toutes les deux dans une loge à ses regarder dans le blanc des yeux. Si, je vous assure.