Expose-moi ton intelligence [Evan]

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Soyons clair sur des points simple : la géographie était un cours ennuyeux à mourir, comme tous les autres. Roxanna étouffa un bâillement avant même d'être entrée dans la salle. Les jours comme celui-là, elle regrettait de n'avoir pas sauté une classe de plus. Ou deux. Mais son refus avait été pris par tout le monde comme un refus définitif et, dans le fond, elle savait que ça n'aurait rien changé. Même si elle était entrée à l'université cette année - et sans se mentir, elle s'en savait capable - elle ne se serait pas moins ennuyée. Soupirant, elle s'installa sur sa chaise comme d'habitude, ignora ses camarades comme d'habitude et posa le cahier qu'elle n'ouvrait jamais sur sa table comme d'habitude. Cette école était aussi ennuyeuse que les autres, finalement. Seul le temps qu'elle passait avec Davian attisait un semblant d'intérêt.

Mais ça aurait pu être un cours ennuyeux parmi tant d'autres si le prof n'avait pas décidé de leur faire rendre des devoirs et de les accompagner de cette aberration qu'on appelait "exposés". Evidemment, elle avait tout préparé, mais ça ne l'empêchait pas d'espérer que quelqu'un d'autre qu'elle serait appelé, qu'il déciderait de faire ça par ordre alphabétique pour qu'elle passe beaucoup, beaucoup plus tard. Mais non. Quand elle entendit son nom, elle poussa un soupir, se redressa en posant ses deux mains sur la table et attrapa son cahier avant de marcher vers le devant de la classe. Est-ce qu'elle était vraiment obligée de faire ça ? Il avait lu son devoir, il savait déjà ce qu'elle allait raconter, et elle savait que tout le monde s'en fichait royalement. Qui écoutait vraiment les exposés des autres ? Pas elle, déjà - principalement parce qu'elle savait déjà tout ce qu'ils racontaient.

Pour tout dire, Roxanna ne se rappelait même plus de son propre sujet, tellement elle l'avait fait en mode automatique. Ça lui revint à l'esprit quand elle sortit les feuilles rangées dans son cahier. Ah, les Inuits. Elle n'avait limite même pas besoin des papiers dans ses mains, mais il fallait faire bonne figure, pas vrai ? Ça ne l'empêcha pas de soupirer en écrivant le titre de son exposé au tableau. Elle ne s'était pas embêtée à faire un truc très compliqué, elle avait juste appelé ça "Inuits". Ensuite de quoi, adossée au tableau et avec son air désintéressé habituel, elle commença à lire son texte, en essayant d'y mettre un semblant d'intonation. Pas évident, parce qu'elle en avait déjà très peu quand elle parlait en temps normal.

Elle avait réussi à réunir des informations sur la culture inuit et sur le territoire où ils vivaient, et à faire un semblant de truc cohérent pour que les gens qui écoutaient un minimum apprennent des choses, mais elle n'avait pas pu pousser ses recherches assez loin. Ou, pour être exacte, elle avait emmagasiné plein d'informations et elle avait fat le tri pour n'en garder qu'une vague quantité superficielle et garder tout le reste dans sa tête. Ou peut-être, plus tard, pour écrire un truc et avoir son nom sur un bouquin.

- En somme, les Inuits ont été chassés de leurs terres pendant longtemps et ont perdu une partie de leurs traditions à cause de la civilisation occidentale, mais ils ont récemment pu récupérer une partie de leurs terres quand le Canada leur a cédé le Nunavut.

Elle reposa ses feuille sur le bureau du professeur qui lui lançait un regard mi-impressionné, mi-blasé, comme s'il avait envie de lui reprocher des choses mais qu'il n'osait pas devant le contenu de son travail, et elle croisa les bras, en attendant de voir si quelqu'un l'avait écouté assez pour avoir des questions. Ou des commentaires. Ou n'importe quoi, en fait ; quitte à être là, autant servir à quelque chose.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Les bras croisés, adossée contre le tableau, Roxanna observait sa classe. La moitié avait l'air de n'avoir rien écouté. Même plus que ça, en fait. Malgré tout, le professeur demanda quand même aux autres élèves s'ils avaient des questions, et elle vit très bien qu'une grosse partie d'entre eux se regardaient sans vraiment lever la tête vers elle. Quoi qu'ils aient été en train de faire, ils n'avait visiblement pas envie de l'interrompre pour demander quelque chose. Elle ne pouvait pas leur en vouloir et ça l'arrangeait : ne pas avoir à répondre à des questions, ça lui permettrait de retourner s'asseoir rapidement et de reprendre ses bâillements habituels.

Mais finalement, quelqu'un lui posa une question. Ah, on l'avait écoutée, finalement ? Eh bien, ça en faisait au moins un qui gagnait des points dans son estime. Un garçon assez intéressé pour avoir une question à poser, et qui en prime osait le faire. Restait à savoir s'il dirait quelque chose d'intelligent. Elle l'écouta hésiter un peu, nota inconsciemment son accent, puis enregistra sa question. Les Inuits face au changement climatique ?

Des dizaines d'articles qu'elle avait lu dans ses recherches défilèrent sous son crâne et elle fit un tri le plus clair possible dans toutes les informations, histoire d'en retirer une réponse simple à sa question sans partir dans des explications qui auraient mangé toute l'heure.

(français) - Pour eux, le froid est essentiel à la vie. Le réchauffement climatique leur fait peur et...

Un regard du prof la fit réaliser qu'elle s'était exprimée en français, avec son léger accent anglais habituel, et elle soupira, secouant doucement la tête. Oui, forcément, elle avait capté qu'il était français, elle s'était adaptée automatiquement. Sauf qu'autant lui pourrait comprendre sa réponse et apprécierait sûrement de ne pas avoir à essayer de traduire dans sa tête, autant le reste de la classe risquait d'avoir du mal. Alors elle s’éclaircit la gorge et recommença sa réponse en anglais

(anglais) - ... comme leur quotidien dépend du froid, ils ont plus peur de perdre leurs traditions et leur nourriture que leurs terres. Il y en a qui pensent que c'est la planète qui vieillit, parce que la chaleur signifie la maladie chez les Inuits.

Elle s'interrompit sur un regard du professeur même si elle mourrait d'envie de lui expliquer la totalité des traditions Inuit liées au froid, les mythologies et croyances pour les esprits de la toundra et les dieux qui pour eux y vivaient. C'était fascinant, mais elle savait que le prof ne la laisserait pas faire et qu'en plus, vu qu'elle était obligé de parler en anglais, il en raterait la moitié.

- Il y a plein de choses intéressantes sur ça. j'ai des articles, si tu veux. Ils doivent être en français aussi.

Ça, c'était pour compenser le fait qu'elle ne pouvait pas tout lui expliquer. Il n'était peut-être pas vraiment intéressé par le sujet et si ça se trouve il ne posait la question que pour les points de participation ou pour qu'elle ne se sente pas seule, mais ça n'effleura son esprit que quelques secondes. Après tout, il pouvait bien vouloir s'instruire, non ?

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Elle aurait aimé s'étendre plus sur le sujet. C'était déjà assez rare qu'elle trouve quelqu'un qui s'intéresse un tant soit peu à ce qu'elle disait, et elle vit à son expression qu'il aurait aussi préféré qu'elle continue. Parce qu'il voulait entendre la suite ou juste parce qu'il voulait retarder son heure de passage ? Peut-être les deux, après tout ils n'étaient pas incompatibles. Après avoir indiqué qu'elle avait sûrement de quoi étancher sa curiosité, elle resta plantée près du tableau devant le silence totale de sa classe, levant les yeux au ciel devant leur absence d'intérêt. Et après on venait la critiquer parce qu'elle était blasé, mais n'était-ce pas le cas de tout le monde, finalement ? Elle n'était pas la seule à avoir l'implication et la participation d'un bulot pendant les cours.

Roxanna retourna s'asseoir à sa place, croisant les bras sous son menton posé sur la table. Elle fit au moins l'effort d'écouter même si, pour la plupart, elle connaissait déjà la totalité des informations. Allez, elle pouvait leur accorder qu'il y avait une petite anecdote qu'elle avait pu rajouter à sa liste de connaissance. Enfin sur le nombre d'exposés, c'était assez insignifiant. Elle soupira. Heureusement qu'elle était au fond de la classe, sinon elle en aurait encore été quitte pour un autre regard noir du prof. Est-ce que c'était sa faute, si elle s'ennuyait ? Elle n'avait pas demandé à naître avec ce cerveau, merci bien. Ce n'était pas un cadeau.

Le garçon qui lui avait posé une question finit par être appelé à son tour. Evan, donc. Il se présenta devant le tableau, souriant, avenant, fit quelque blagues, semblant réveiller la moitié de la classe. Le pouvoir de l'humour, tiens. Au fond, il avait l'air à l'aise avec son sujet. Ce n'était pourtant pas tout le monde qui pouvait se tenir devant toute une classe avec de l’assurance, ni qui connaissait assez bien son propre pays pour en parler pendant dix minutes sans hésiter. Elle était à peu près sûre que la totalité des gens dans cette classe n'auraient même pas été capable de nommer le type de climat de l'Angleterre, même ceux qui y avaient passé leur vie. Bon, évidemment, c'était un exposé, il avait dû réviser et faire des recherches de son côté, si ça se trouve il n'y connaissait rien avant de devoir choisir un sujet et passer devant la classe mais, au moins, il avait fait l'effort de chercher.

Son exposé semblait avoir redonné vie à la classe, juste à temps pour que le prof, après deux ou trois miraculeuses questions considérant que jusque là, Evan avait été parmi les seuls à en poser, se lève et annonce quelques devoirs et la fin du cours. La sonnerie lui coupa d'ailleurs la parole sur ce dernier point et les élèves se levèrent presque trop vite. Roxanna en vie deux venir près d'Evan, visiblement le complimenter sur son exposé, puis ils quittèrent la classe à leur tour. Elle se leva parmi les derniers, comme à son habitude, rangeant sans trop faire gaffe ses feuilles et ses stylos dans son cartables avant de s'étirer. Bon, maintenant que cet énième cours était passé, elle avait une heure à tuer. Les autres iraient sûrement manger, mais c'était quelque chose qu'elle ne faisait plus depuis longtemps, le midi. Alors il lui fallait de quoi s'occuper l'esprit pendant ce temps. Elle s'approcha d'Evan à son tour.

- Toujours intéressé par les articles ?

Sa voix contenait globalement aussi peu d'intonation que lorsqu'elle avait fait son exposé, en dehors du ton habituel d'une question. Au fond, maintenant que le cours était terminé, elle pouvait parler la langue qu'elle voulait, mais le fait d'être dans la classe l'avait naturellement poussée vers l'anglais, surtout que le prof était encore là à la regarder. Au moins, personne ne pourrait lui dire qu'elle ne faisait pas un semblant d'effort vers la sociabilité. Depuis qu'elle avait rencontré Timaé, elle était un peu moins... distante, avec les gens. Bon, elle n'était pas devenue l'adolescente hypersociable et hyper enthousiaste, mais elle avait réalisé que la communication n'était pas son fort, et savoir qu'il y avait quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas lui avait fait un bien fou.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Les exposés se terminaient. Un cours de moins sur sa liste, mais il en restait toujours beaucoup trop. De toute manière, la différence n'aurait pas été immense : cours ou non, elle s'ennuyait ferme. Quand elle aurait fini le lycée, elle rejoindrait l'université, et ça serait un éternel recommencement. Au moins, aujourd'hui, elle avait un semblant de distraction avec ce gars qui semblait intéressé par ses articles sur les inuits. À défaut de pouvoir apprendre quelque chose, elle, elle pourrait au moins enseigner à quelqu'un d'autre. C'était mieux que rien.
Et elle l'enviait, un peu, d'être capable de s'intéresser honnêtement à quelque chose.

C'est sans doute pour ça qu'elle le rejoignit vraiment à l'extérieur après le cours, et qu'elle fit un effort de sociabilité. Ça ne lui ressemblait pas, auraient dit la plupart des gens qui la côtoyaient au quotidien, mais pourquoi pas, après tout ? Elle ne demandait à personne d'être intéressant, elle s'efforçait juste de l'être. C'était déjà largement suffisant.

Roxanna retrouva donc son camarade pour lui demander s'il était toujours intéressé par les articles qu'elle lui avait proposés. Ce à quoi il lui répondit par un sourire qu'elle aurait aussi pu lui envier. Sourire... c'était quelque chose qu'elle avait toujours eu du mal à faire. Ça implquait un état émotionnel qu'elle était tout bonnement incapable de connaître. Elle n'essaya pas vraiment : quand il prit son téléphone, elle se contenta d'attendre qu'il soit prêt à noter. Ensuie de quoi, il lui donna le titre et l'auteur des articles qu'elle avait utilisés, et aussi de ceux qu'elle n'avait pas pu utiliser à cause de la limite de temps.

La grande majorité était disponible en anglais et en français. Elle ne lui donna pas ceux qu'elle avait trouvés et qui étaient en allemand ou en espagnol uniquement, consciente qu'il y ait peu de chances qu'il parle ces deux langues, mais elle lui fournit par contre le titre de ceux qui étaient uniuement en anglais. Même s'il semblait avoir encore un peu de mal, ça lui permettrait peut-être d'améliorer son niveau en faisait quelque chose qui l'intéressait. Roxy ne savait pas à quoi ressemblaient les cours d'ALE, mais elles doutaient qu'ils y étudient des articles sur leur sujet de prédilection. C'étaient sûrement des cours de gramaire basique, ennuyeux à mourir. Pas de quoi franchement s'enthousiasmer.

Elle allait partir sans rien dire de plus, comme à son habitude, mais sa mémoire trop performante la rappela à l'ordre. Elle s'était promis de faire un effort sur le social, elle ne pouvait pas juste donner ses infos et partir, si ? Probablement pas. Sauf qu'elle n'avait pas la moindre idée de comment socialiser. Peut-être que lui saurait. Si elle restait assez longtemps, il trouverait un sujet de conversation ? Elle n'y connaissait pas grand chose en relations humaines.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Réfléchis, Roxy. Ou plutôt, arrête de réfléchir. Elle aurait adoré pouvoir obéir à cet ordre et discuter de tout et de rien comme elle voyait faire la majorité de ses camarades de classe. Pour eux, tout avait l'air tellement mieux. Ils surmontaient des difficultés, ils se faisaient des amis, ils appréciaient des choses au quotidien, ils découvraient des nouveautés, des concepts, ils avaient des passions. Et elle, elle n'avait que son éternel ennui.

La prise de parole providentielle de son camarade la tira de ses éternelles pensées moroses. Il la remerciait ? Euh... Une part d'elle aurait pu répondre qu'elle avait fait ça par réflexe en entendant son accent plus que pour vraiment lui faire plaisir, mais elle la retint. Même avec son peu de connaissances de la vie sociale, elle était consciente que dire ce genre de choses n'était pas vraiment approprié, et que ça n'était pas non plus agréable à entendre. Elle se contenta d'une vague tentative de sourire, elle qui avait totalement du mal avec ce type d'expression faciale.

- Dommage que le prof m'ait empêché de continuer.

Tout ça parce que les autres "n'auraient pas compris". Ça ne leur aurait pas fait de mal de faire chauffer un peu leur cerveau pour essayer de capter ne serait-ce qu'un tiers de ce qu'elle disait mais non, il fallait s'adapter au monde où elle vivait, et rester neutre, accessible et relativement moyenne, pour qu'on arrive à la suivre. Ça aussi, c'était épuisant. Elle aurait aimé rencontrer quelqu'un avec une intelligence ne serait-ce qu'un peu au-dessus de celle des autres, histoire d'avoir des conversations intéressantes, ou de pouvoir exprimer un peu plus de ses connaissances. À défaut de pouvoir apprendre de nouvelles choses, elle pourrait en faire découvrir aux autres... Peut-être était-ce pour ça qu'elle était restée après lui avoir donné les articles.

- Je parle espagnol, aussi. J'ai des cours de grec ancien... et allemand et italien, mais j'en suis qu'à ma première année.

Et elle avait déjà un niveau beaucoup trop élevé, au point qu'elle songeait à prendre deux autres langues pour l'année suivante. En cours, elle s'ennuyait déjà. Mme Calvelli discutait avec elle de temps en temps, donc elle pouvait améliorer son italien, mais ça ne faisait que la décaler davantage par rapport au reste de sa classe, sans compter qu'elle avait un peu appris de son côté. Elle rajusta son sac sur son épaule, et décida d'exprimer quelques paroles. C'était comme ça qu'on tenait une conversation, non ?

- Je pense que je vais en prendre deux autres, l'année prochaine.

Certains la trouvaient prétentieuse, quand elle faisait ça. Mais s'il s'intéressait à ce qu'elle savait et ce qu'elle savait faire, ça ne serait pas son cas, si ? Elle pourrait peut-être exprimer une part naturelle d'elle-même. Il paraît que c'était plus facile de discuter quand on était plus "honnête". Les paroles de Victor lui revinrent en mémoire et elle grinça des dents. "Sois franche, pour une fois". Comme si elle était du genre à mentir.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Apprendre toujours plus de choses, plus de langue, essayer en permanence d'atteindre des limites qui lui semblaient jour après jour plus insurmontables. Pourquoi le monde était-il aussi simple ? Aussi assimilable ? Allait-elle un jour découvrir la moindre difficulté dans quelque chose ? Pouvait-on lui offrir une langue inconnue, un dialecte perdue, un défi, n'importe quoi ? L'année prochaine, elle arrêterait l'allemand – trop simple, elle pouvait continuer toute seule, elle n'avait de toute façon plus le niveau d'une deuxième année. Elle garderait peut-être l'italien un an de plus parce qu'elle appréciait Cordelia, mais c'est tout.

Roxanna afficha un sourire un peu amer à son exclamation impressionnée. Tu ne t'arrêtes pas là. Non, en effet. Elle ne s'arrêtait pas parce qu'elle ne voulait pas rester dans des choses qu'elle savait déjà, parce qu'elle ne voulait pas imploser. Mais la nouveauté et l'inconnu ne duraient jamais longtemps.

- Ça n'a rien d'impressionnant, tu sais... Je combats l'ennui comme je peux. La facilité devient vite lassante, alors j'essaye d'apprendre quelque chose d'autre, de prendre plus de temps... mais ça ne marche jamais.

C'est la phrase la plus longue qu'elle a prononcé depuis des mois. La plus personnelle aussi, sûrement. Et selon le point de vue, probablement une des plus prétentieuses. "Tout est facile", ce n'est pas forcément quelque chose que les gens normaux ont envie d'entendre.
Pour être tout à fait honnête, c'était plutôt elle qui admirait les personnes comme lui. Curieux, intéressé par l'idée d'apprendre des nouvelles choses, capable d'avoir et d'affronter des difficultés.

- Crois-moi, la persévérance est bien plus impressionnante que l'intelligence.

Pourquoi être impressionné par quelque chose avec lequel on est né ? Les gens étaient-ils impressionnés par la beauté des autres ? Par une couleur d'yeux incroyable, la symétrie d'un visage ? Non, ils étaient jaloux, attirés, indifférents, mais impressionnés... On réservait ça aux réussites.
On aurait dû le réserver aux efforts. C'est eux, qui étaient intéressants. Et c'est pour ça qu'elle ne l'était pas vraiment.

- Dis…tu veux qu’on mange ensemble ce midi ? Je voudrais continuer de parler avec toi.

Elle releva un peu la tête, réalisant au passage qu'elle l'avait légèrement baissée quand elle s'était perdue dans ses pensées. Manger ensemble ce midi... Eh bien, sa décision de tenter d'être un minimum sociable se disputait avec quelque chose de nettement plus ancré... Comment on trouvait un juste milieu, déjà ? Quelque chose comme ça...

- Je ne mange pas le midi, mais je veux bien rester avec toi.

C'était bien, non ? C'était comme ça qu'on acceptait une invitation à déjeuner même quand on avait arrêté de déjeuner depuis des années ? Probablement. Restait à savoir s'il faisait partie de ces personnes que ça dérangeait de manger devant quelqu'un qui ne le faisait pas. En tout cas, on ne pourrait plus lui dire qu'elle ne faisait pas d'effort vers la sociabilité. C'était son exercice mental du jour, autant y aller jusqu'au bout.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Pourquoi est-ce qu'elle racontait tout ça. C'était généralement le genre de choses qui la faisait passer pour une insupportable prétentieuse. Les gens ne comprenaient pas qu'elle les envie, qu'elle considère l'intelligence comme un défaut, une malédiction qui lui collait à la peau. Pour eux, c'était un objectif à atteindre, un rêve, et aussi quelque chose dont on ne parlait pas pour ne pas mettre les autres mal à l'aise. Comme l'argent, finalement. Sûrement que certains riches le vivaient mal, sinon il n'y aurait pas autant de suicides parmi les gens fortunés. Il n'y a rien de plus ennuyeux que de tout avoir... ou tout savoir. Il semblait comprendre, ou au moins essayer, ce qui faisait de lui quelqu'un d'un tout petit peu meilleur que beaucoup de ses autres camarades. La plupart des gens ne comprenaient pas à quel point la facilité pouvait être un fléau.

Heureusement pour lui, ou en tout cas pour ses intentions, Roxanna n'était pas douée pour lire les émotions humaines, pas assez pour noter la notion de compassion dans son sourire, ni dans ses yeux. Elle ne voyait et n'entendait que ce qui était en évidence sous ses yeux. Comme sa proposition, un peu après, d'aller manger ensemble ce midi. Proposition qu'elle ne pouvait accepter qu'à moitié, étant donné qu'elle n'avait pas pris de déjeuner depuis très longtemps.

Et même sans savoir lire les expressions, elle comprend la surprise qui s'affiche sur son visage. Oui, ce n'est pas commun, surtout pour une adolescente en début de croissance. Au fond, elle sait que c'est mauvais pour sa santé. Trop de sucre, pas assez de vraie nourriture. Mais la nourriture normale lui semble légèrement fade, parfois.

- Je n'ai juste pas franchement faim le midi. Et puis j'ai perdu l'habitude, ça fait un moment que j'ai arrêté.

Pour remplacer ça par des boissons énergétiques si elle se sent trop faible, ou par une trop grande consommation de sucre le reste de la journée. L'une de ses pires décisions mais, très honnêtement, ça lui fait du bien d'avoir au moins un choix stupide dans sa vie. Ça lui enlèverait presque de la tête la peur de ne jamais pouvoir se tromper.

- Quand j'étais gamine, ça me laissait plus de temps pour essayer de trouver un sujet difficile à étudier.

Oui, c'était pour ça qu'elle avait commencé. Elle s'ennuyait, elle n'aimait pas les autres, elle avait commencé à sortir ses livres de cours à la cantine, puis des livres de cours de niveau supérieur au sien piochés dans la bibliothèque du quartier, jusqu'à ce qu'elle arrête de manger. Et jusqu'à ce qu'elle arrête d'essayer. Maintenant, le temps du midi n'étais qu'une heure d'ennui de plus, parce qu'elle ne trouvait rien qui stimule assez son cerveau. Rien d'assez difficile.

22 Mars
2019

Expose-moi ton intelligence

Evan Debury

Vraiment ? Il faisait comme elle quand il était plus jeune ? Bon,, ce n'était probablement pas pour les mêmes raisons qu'elle, pour chercher un défi. Il ne tarda d'ailleurs pas à confirmer cette hypothèse : il faisait ça pour s'avancer sur le cours suivant. C'était tout à son honneur, au moins il avait fait des efforts pour être plus cultivé que la moyenne. Dans un sens, elle l'enviait : il avait étudié par envie d'apprendre, par intérêt, parce que découvrir de nouvelles choses lui plaisait. Elle... elle était allée jusqu'à se priver de repas pour essayer de découvrir cette sensation... sans succès.

Elle retint un soupir. Depuis quelques temps, elle commençait à comprendre que sa manie de soupirer en permanence à cause de l'ennui et de ses réflexions internes était l'une des choses qui l'empêchaient de discuter plus de quelques minutes avec les gens. Et même si la plupart du temps elle s'en fichait, aujourd'hui elle avait décidé d'être au moins un peu sociable.

- Tu as de la chance, dit-elle à la place.

Dee pouvoir apprendre. De vouloir apprendre. D'avoir des difficultés à affronter et à surmonter. Elle ne sourit pas, parce qu'elle n'était pas très douée pour ça, mais l'intention y était : elle parlait. Et avec des intonations dans sa voix - légères, mais présentes. C'était déjà mieux qu'avec la grande majorité des gens. Ils arrivèrent finalement au réfectoire et Roxanna fouilla distraitement dans son sac à dos pour y récupérer sa boisson énergétique, tout en gardant le regard levé vers lui.

- Les casse-têtes aussi, oui... J'en résolvais des bien trop compliqués pour mon âge.

Là encore, aucune fierté ni dans sa voix, ni dans son attitude, ni sur son visage. Elle l'accompagna pour qu'il récupère son plateau et son déjeuner, malgré un regard à la fois surpris et suspicieux de la responsable du self. Il faut dire qu'elle ne la voyait d'habitude que le soir, et qu'elle devait se demander pourquoi elle se pointait subitement à midi. Roxanna se contenta de hausser les épaules et de se poser à côté d'Evan, les mains dans les poches, pendant qu'il récupérait son repas. Pour l'instant, ça se passait relativement bien, même si elle n'était pas sûre de pouvoir maintenir une conversation.

- Ça ne va pas te faire trop bizarre, de manger avec quelqu'un qui ne le fait pas ?

Et si ça le mettait mal à l'aise ? Ça avait tendance à faire ça, non ? Elle n'en savait rien. le social n'était pas vraiment sa passion ni son talent premier.