« J’ai mal, quelqu’un j’ai mal, mais personne ne fait rien, c’est simple il n’y a personne, il n’y a que toi petit carnet, que toi et Grand-pa...J’ai chaud, pourquoi j’ai aussi chaud ? Grand-pa dit que j’ai de la fièvre, que c’est normal, qu’il revient vite avec un médicament. Je pleure, j’aime pas pleurer mais je me sens trop faible et surtout j’ai peur, peur pour Grand-pa. Grand-pa il dit que là haut c’est fini, qu’il n’y a plus que des fantômes. J’ai mal, rentre vite Grand-pa. Mes mains tremblent, je suis fatiguée. Je vais te laisser petit carnet, ça commence à faire mal aussi à ma main, elle est petite ma main. Je n’ai que 6 ans, Grand-pa dit que personne n’est aussi intelligent que moi. Mais en même temps s’il n’y a que nous deux de vivants cela n’est pas vraiment un compliment.
J’entends la porte de la cave, Grand-pa revient. Je vais avoir moins mal ! Je suis épuisée tant pis petit carnet je vais laisser le feutre pour aujourd’hui. Je m’endors...Grand-pa ne pourra pas me faire entendre une histoire, une histoire du monde d’en haut quand il y avait encore des vivants à part nous. J’aime bien mais ça me rend un peu triste aussi. »
« Aujourd’hui, Grand-pa est revenu avec un cadeau et quel cadeau ! Un nouveau membre de la famille il a dit. Il a dit que j’avais sept ans et que je pouvais donc prendre soin de lui. Je sais que j’ai sept ans car on le marque sur le poteau en bois avec ma taille chaque année. Grand-pa a expliqué que c’était un rescapé comme nous en fait, qu’il avait eu de la chance de ne pas être tué par les monstres là haut, qu’il en avait juste perdu l’ouïe, je l’ai appelé Persil, car Grand-pa quand il est furieux dit sans arrêt « Saleté de Persils ! » Je ne sais pas trop de quoi il parle mais ce n’est pas grave, Grand-pa boude toujours un peu quand il est de mauvaise humeur, c’est mignon comme son cadeau, un chaton il dit Grand-pa comme sur mon livre d’images d’avant. Persil n’entend pas mais moi je n’ai jamais prononcé un mot. Je vais lui dessiner les sons, je vais lui dessiner le monde, petit carnet, pas celui qui existait mais les petits bruits quotidiens de notre refuge, Grand-pa qui se rase, mes habits préférés et surtout des nuages : Je rêve d’un jour emmener Grand-pa loin d’ici et de lui montrer les étoiles. Ça doit être beau les étoiles...Et surtout on n’y court aucun danger comme à la surface. Dans le ciel, Grand-pa dit que personne ne peut être en danger. Alors on partira Persil mais c’est un secret hein ! Ne le dis pas à Grand-pa surtout pas. Il serait triste si je n’y arrive pas. »
« Persil a bien grandi, il n’entend toujours pas, moi je ne parle toujours pas. Grand-pa est inquiet. « Les petites filles de 8 ans devraient parler de temps en temps ! » affirme parfois Grand-pa. Je souris pour le consoler, mais il prend alors un air triste, je glisse sous son bras et lui fait des chatouilles et il rit enfin. Moi ça me rassure de le voir rire car je me sens un peu coupable d’être aussi silencieuse. Est ce que c’est mal ? Je veux dire de ne produire aucun son...Est ce que c’est une punition ? J’ai toujours vécu ainsi du plus loin que je me souvienne. Cela ne me pèse pas. Mais Grand-pa...lui ça le rend triste. Parfois j’essaye de parler mais les mots restent coincés dans la gorge comme si un mur les bloquaient dedans. Parfois, quand je tente trop fort et que ça me fatigue j’explose en larmes silencieuses. »
« Grand-pa est préoccupé aujourd’hui. Il reste au lit. Je lui demande sur le carnet s’il a de la fièvre mais il ne me répond que par « Viens Ma petite Grâce, viens Grand-pa est juste fatigué. » Alors je fais comme quand j’étais petite, toute petite à 6 ans, je me glisse sous son bras. Et je le chatouille. Mais il ne rit pas. Il ne rit plus. Je crois que Grand-pa est malade.
Alors j’ai tenu une réunion secrète avec Persil. Persil il n’entend toujours pas, moi je ne parle toujours pas. Mais cela ne nous gêne pas. J’ai fait beaucoup de progrès en dessin. Alors c’est comme ça que je lui parle à Persil. Je le dessine en commandant d’un engin pour le ciel.
On vole au dessus des nuages de mon livre d’images et même de la mer et des arbres de mes illustrations, je ne sais pas si tout ça c’est vraiment encore là mais Grand-pa a parlé de vivants humains ou animaux pas végétal, peut-être d’ailleurs que c’est grâce à leur survie que Grand-pa a soigné mes petits bobos. La nature elle est gentille c’est Grand-pa qui l’a dit. Grand-pa sait tout. »
« Grand-pa dort. Cela fait bien deux jours qu’il dort. j’ai tenté de le réveiller mais il n’ouvre pas les yeux, il doit être très fatigué. Ou hiberner. J’ai lu que les ours de l’ancien temps, dormaient des mois et des mois, que ça s’appelait hiberner. Les ours n’aiment pas le froid. Grand-pa est un peu un ours, je veux dire, il n’aime jamais que je m’inquiète pour lui, il dit sans arrêt « Je suis fort comme un ours ! » Alors je le crois, Grand-pa est le dernier ours et le seul dans mon cœur avec Persil.
Persil me griffe un peu, il doit avoir faim. Je regarde la boite de croquettes tout en haut tout en haut de l’armoire. C’est trop haut pour mes 8 ans et demi. Et Persil qui pleure...Je cours vers le lit, Grand-père est glacé, cela doit être pour ça qu’il dort. Je craque une allumette et la met dans ce que Grand-pa appelle le « poêle », il dit aussi de ne jamais y toucher avant d’être grande. Est ce que je suis grande ? Je regarde furtivement mon visage dans le miroir. On va dire qu’aujourd’hui je le suis… Grand-pa je vais te réveiller ! Persil pleure, je craque une autre allumette car le feu n’est pas assez fort mais elle m’échappe des mains, le tapis le beau tapis de Grand-pa. Je tape sur le feu pour l’éteindre. Mes mains deviennent aussi rouges que le tapis tant j’ai mal. Il y a plein de fumée, plein plein. Persil pleure. Grand-pa dort. Je m’endors. »
« Quand je me réveille, je suis dans un lit. Alors tout ça n’était que cauchemar ? Je tente de sentir les moustaches de Persil sur mon visage, d’entendre le ronflement de Grand-pa. Mais rien de tout cela. J’ouvre les yeux en silence. Pas de mur plein de dessins en revanche des gens parlent.
_ Elle a été là dedans tout ce temps ?
_ Il paraît…
_ C’est la petite enlevée il y a 2 ans ?
- Oui, bientôt 2 ans et demi.
_Qu’est ce qui lui est passé par la tête à ce vieux fou ?
_ Il avait tout perdu certes.
_Écoute perdre ses enfants et petits enfants est une chose mais kidnapper
une gamine de 6 ans...
_Il est mort comme eux dans un incendie.
_ Tant mieux, si les éboueurs n’avaient pas prévenu la police.
_Elle a eu de la chance la petiote.
_ J’espère au moins qu’il n’a pas...
L’infirmier se reçut une chaussure dans la tête. Il se retourna vers moi et je m’enfuis à travers les couloirs de l’hôpital, petite frimousse en larmes, les monstres de là haut, les monstres ils ont capturé Grand-pa et Persil ! Je ne peux pas rester là ou comme Grand-pa disait les zombies me mangeront.
On me rattrapa assez vite. Je voulais hurler à la place je mordis, je voulus crier à l’aide à la place je griffais. J’étais un petit animal prise au piège. Je sentis quelque chose piquer mon bras, c’était désagréable, encore plus que l’huile de foie de morue, une cuillère par jour...pour la santé...Grand-pa disait.
Grand-pa...où es-tu ? »
« Quelques mois plus tard, on me déclara « apte à sortir », j’étais sage et discrète et physiquement tout allait bien. Je ne parlais toujours pas mais j’avais 9 ans et les médecins ne pouvaient pas me garder en vain. Le physique était réparé, je n’étais plus violente, je sortis donc.
J’avais vite appris que les monstres ressemblaient à Grand-pa sans pour autant leur faire confiance. C’était, j’en étais sûre un déguisement, ils parlaient forts et même parfois s’énervaient quand on ne leur obéissait pas en me disant « Ne fais pas l’enfant ! Grâce ! » Pourtant Grand-pa disait que j’en étais une d’enfant…
Une femme (enfin un zombie déguisée) me reçut chez elle. Elle disait être ma maman. Et que mon papa était mort dans un incident. Je faillis lui dire sur mon carnet que mentir était mal, même pour un zombie. Et qu’elle aussi était morte.
Mais Grand-pa disait souvent : « Tu sais Grâce , les gens du monde d’avant s’il croient très fort quelque chose c’est comme leur parler à des centaines de kilomètres, ils n’entendent jamais », « C’est pour ça qu’ils sont morts Grand-pa ? » avait-je écrit sur mon carnet. A ce moment là, le visage de Grand-pa était devenu tout triste, tout étrange à son quotidien . Je pris une moue sincèrement honteuse, sûre, sans savoir laquelle, d’avoir fait une bêtise. J’avais 6 ans à l’époque, je n’ai plus jamais reposé la question. Et ce en me voyant soucieuse Grand-pa a ri dans un « Brave Petite » en m’ébouriffant les cheveux.
Ne me voyant pas répondre sur le cahier, la dame-zombie s’inquiéta : « Tu sais Grâce ce n’est pas de ta faute ce n’était qu’un « incident ». » J’avais envie de pleurer mais je ne le fis pas, aucun vivant ne pourrait plus me consoler, intérieurement je me grondais de m’apitoyer sur mon sort. Grand-pa disait toujours : « L’autruche est un méchant animal, elle ne sort pas la tête du sol, elle a peur, la peur c’est la plus grave des erreurs, il ne faut jamais baisser les bras devant le danger Grâce, jamais ! » Alors je ravalais mes larmes et décidais de survivre coûte que coûte.
La dame continuait de parler mais je ne l’entendis plus et une fois sortie de ma rêverie, je m’aperçus qu’elle était sortie de la chambre. Je levais la tête à l’horloge murale, 12 heures, elle m’avait parlé deux heures d’affilé, donc pas la peine de la contrarier. Elle ne m’entendrait pas.
Une voix appela pour manger, je n’en avais pas envie, et m’endormis épuisée, le lendemain ma couette était sur moi et j’avais un paquet près de mon oreiller. Je l’ouvris et trouvais une ours en peluche avec un mot : « Rebienvenue à la maison, Maman ». Je faillis le lancer par terre de rage puis des brides, des cris effrayants incompréhensibles me revinrent en mémoire. Je frissonnais et lâchais l’ours en peluche avant de courir manger en bas. Tant pis pour la sieste. »
« Ce ne fut que un mois plus tard que les choses commencèrent à se gâter entre la dame-zombie et moi. Elle faisait des efforts je le voyais bien : J’avais toute une chambre à moi, chez Grand-pa on devait tout se partager. J’avais de bon repas, et parfois j’acceptais même une histoire et endurais les câlins sans broncher, même si ces deux derniers éléments me rappelaient Grand-pa et que j’avais du mal à ne pas en pleurer, parfois ça sortait et elle me caressait la tête en chantant. J’aimais sa voix. Ce zombie se prétendant ma maman je crois même que je commençais à l’aimer. Elle me faisait l’école à la maison.
En effet, le monde me faisait peur, les plantes, les véhicules tout était si...énormes et semblait si vivants. Je me sentais perdue. Une fois elle a voulu aller au parc avec moi...je tremblais en sortant et je me suis arrêtée non loin de chez elle, trop de monde, trop de bruits, trop de présences, ma respiration s’est accélérée. Cela ne pouvait pas être vrai, je devais cauchemarder. Une voiture a vivement klaxonnée, la dame-zombie a hurlé mon prénom, et j’ai eu la force de reculer de trois pas, trois petits pas qui m’ont sauvée la vie, j’ai éclaté en sanglots et suis tombée à genoux en larmes, respiration saccadée et difficile, ventre nouée, pleine de tremblements, et pensant très fort à Grand-pa et Persil. Puis j’ai eu quelques vertiges et plus rien. »
« La dame-zombie s’est occupée de moi encore 11 mois. Mais ce n’était plus pareil, son regard était vide, elle ne faisait plus de repas, elle avait l’air très triste, absente, comme ne me voyant plus. Je faisais des efforts pourtant, une fois je lui ai même montré mon carnet secret, à elle, oui, à un zombie, mais à un zombie que j’aimais beaucoup. Un soir elle ne faisait que pleurer en respirant mal comme moi lors de ma panique, elle était recroquevillée sur le sol et soudain...on sonna à la porte, un frisson glaciale me parcourut le dos. La porte. Grand-pa n’aimait pas les portes. Il disait que les ouvrir mène au monde des morts, cela résonna à nouveau, La dame-zombie pleurait...Je voulais crier à l’aide mais les mots ne sortaient pas. Par contre les larmes continuaient. La panique grimpait j’en avais mal au ventre, j’en avais chaud bien que nous fûmes en hiver. Cela sonna bien une dizaine de fois de plus en plus fort, de manière de plus en plus pressante. Et brusquement une voix forte et inquiète : « POLICE OUVREZ ! » Je poussais un grand cri et la porte s’ouvrit violemment, à mes cris la terreur se mêlait. Je pensais à Grand-pa, je pensais à Persil, je pensais aux étoiles, peut-être que là bas on se retrouvera... »
« J’avais à peine 10 ans et je veillais à nouveau près d’un lit d’Hôpital. Près de ce lit tout me revenait. Je compris enfin pourquoi les mots restaient coincés dans ma gorge. Papa...papa...était mort et l’incident c’était ma faute. Ma faute...J’avais 6 ans à l’époque et je voulais absolument aller à ce spectacle de la comédie musicale des Misérables, mais il neigeait drue, papa et maman voulaient annuler mais j’ai piqué une colère alors ils ont cédé. Il neigeait neigeait et il y a eu cette voiture. Je me recroquevillais sur la chaise et me mis à pleurer en silence, si je ne disais rien je pourrais rester seule, si je restais seule tout irait bien.
Je pensais à Grand-pa, avait-il menti. Je passais plusieurs heures accroupie sur ma chaise voulant effacer, me persuader que non, il ne mentait pas, que je n’étais coupable de rien. Et je finis par y croire à nouveau.
Le sommeil me prit je m’endormis. Par la suite je fus placée dans une famille « en attendant » que la dame-zombie aille mieux. Cela se passa ni bien ni mal avec cette famille, j’étais leur invité je le faisais savoir par ma distance et mon mutisme permanent, mais il n’y eu pas de drame.
Il y eut même du progrès en un an , malgré la terreur, je sortais dehors, peu à peu, pas à pas. Je prenais sur moi. Un médecin me suivait et je dessinais, lui au moins n’attendait pas de moi que je parle, c’était reposant, je l’aimas bien même si lui aussi probablement était un zombie. Et puis, le silence me protégeait et étrangement ce sang, ce sang qui coulait chaque nuit me soulageait.
C’était des blessures que je me faisais avec une lame de rasoir bien cachée dans la poche secrète de mon sac d’école, trouvée dans la salle de bain. Ça me calmait, j’oubliais Grand-pa, j’oubliais Persil, j’oubliais avant, j’oubliais même que j’étais coincée dans ce monde de zombies et surtout dans mon propre silence, mais surtout j’oubliais que Grand-pa m’avait menti, ça je le laissais s’engouffrer dans les tréfonds de mon âme. »
«La femme qui s’occupait de moi sortit de l’hôpital un an plus tard, elle allait mieux, elle avait un traitement et arrivait à sourire. Cependant son regard s’assombrit en me voyant, le mien aussi. Nous devions nous séparer pour aller mieux.
Moi du haut des mes 11 ans, je l’écoutais me dire qu’elle ne pouvait pas me garder, que je devais aller dans une autre famille. Qu’elle avait fait son possible mais qu’elle ne savait pas comment m’aider.
Qu’elle ne pouvait que m’envoyer dans une école avec son argent de coté, que je devais partir, « pour mon bien ». Beaucoup d’adultes aiment ces mots, même Grand-pa mais Grand-pa lui, je le croyais, une confiance tacite nous unissait, avec la dame je n’y arrivais pas, j’eus soudain un peu de peine pour elle. Peut-être que le monde des zombies et celui de Grand-pa étaient trop différents pour se comprendre ?
Elle s’est mise à pleurer. Je lui caressais doucement la tête avec un sourire compatissant tout en restant méfiante sans comprendre vraiment pourquoi, pour ne pas me souvenir à nouveau sans doute, mais tout irait bien le silence me protégeait alors je n’y pensais même pas.
La dame-zombie ? Elle n’arrêtait pas de me demander pourquoi. Elle pleurait. Alors même les morts pleurent ? Cette question aurait dû me venir bien avant mais ces derniers mois avaient été agités dans mon crâne.
Alors….
En silence je ne pouvais que lui caresser sa longue chevelure noire comme pour lui faire oublier que sous ma veste bleue ( ma couleur préférée) il y avait des marques, ces blessures.»
« Ma nouvelle école était un internat très peuplé. Je n’avais jamais vu autant d’enfants en même temps, il faut dire je n’étais jamais encore allée à l’école. Chez la dame, les médecins avaient pour ne pas me brusquer préconisés des cours à domicile et avant...avant c’était Grand-pa. A ma nouvelle école je voyais un médecin à cause de mes blessures. Je refusais cependant tout dialogue. On ne pactise pas avec un mort. Je ne communiquais pas plus avec mes camarades, ils n’étaient pas plus vivants, les seuls vivants c’était moi et….des larmes me montaient aux yeux quand j’y pensais. Je me frottais donc vite le museau pour ne pas pleurer. Je me sentais seule. Puis un jour je l’ai rencontré. »
« « Qu’est ce que ça peut vous faire, espèces d’enfoirés ? » Lila s’énervait, Lila était pourtant calme d’habitude. Lila les gens disaient que c’était une fille mais il combattait durement pour que la maîtresse accepte enfin de l’appeler Louis. Mais les zombies c’est bête, ça se moque, ça rit gorge déployée, juste car la maîtresse dit que c’est ridicule. Moi du haut de mes onze ans je ne parle toujours pas. Moi du haut de mes onze ans j’aimais bien le prénom Louis. « Qu’est ce que ça peut vous faire espèce d’enfoirés ? » répéta Louis en se mettant devant moi armé d’un rouleau de papier bien serré, Louis adore dessiner aussi et surtout les pliages, peut-être qu’un jour il m’apprendra. Un des enfoirés en question le traita de « Princesse en carton » Louis sourit malicieusement : « Je ne suis pas une princesse mais si vous l’emmerdez encore je vous ferai en effet bouffer du carton. » A l’école, on m’embêtait souvent, du sable dans les chaussures au chewing-gum dans les cheveux d’aujourd’hui.
« On veut simplement la faire causer du calme Princesse ! » Je sentis la discussion tourner au vinaigre, je pris le bras de Louis, moi qui ne touchait aucun zombie, je lui serrais très fort le bras presque en larmes pour lui signifier que ce n’était pas grave, que il n’avait pas à s’occuper de ça, de moi. Il soupira et m’entraîna dans le couloir dans un fort « Allez vous faire foutre ! » Une fois aux toilettes il sortit une paire de ciseau et un peigne et grimaça : « Je suis désolé Grâce je vais devoir couper... » Je hochais la tête pour signifier mon accord. « Tes cheveux, tes beaux cheveux... » se désola Louis. Pour la première fois je pleurais sans essayer de me retenir devant quelqu’un qui tout doucement tentait de réparer les dégâts des petits zombies. Louis n’était pas un zombie. » On entendait les pas de la maîtresse dans le couloir. « Encore une punition de l’imbécile ! » soupira Louis. Je hochais la tête honteusement. Il rit : « Bah au moins on sera ensemble ! En amis ! » De la chaleur dans sa voix, de la chaleur qui rassure, dis petit carnet, c’est ça un ami ? »
« « Je ne dois pas porter l’uniforme des garçons, Je dois communiquer avec les autres, Je ne dois pas porter l’uniforme des garçons, Je dois communiquer avec les autres, Je ne dois pas porter l’uniforme des garçons, Je dois communiquer avec les autres, etc » 300 fois c’était très long, peut-être plus long que l’âge de Grand-pa, en y repensant des larmes montèrent à ma gorge et mon stylo trembla. Louis le remarqua, Louis le remarque toujours, il se leva dans un : « Allez c’est fini pour aujourd’hui ! » Je le regardai inquiète et si la maîtresse zombie revenait. « Bah elle nous trouvera jamais dans notre cachette ! » Je souris toute heureuse, c’était vrai notre cachette comme la cave de Grand-pa c’était la meilleure du monde entier ! Il me tendit une main que je pris. Nous courûmes dans les escaliers vides à cette heure du soir, mon cœur battait très vite, c’est la première fois que nous allons de nuit dans notre cachette. Nous plongions contre la porte et nous engouffrâmes sur le toit de l’école, sous les étoiles, c’était ça notre cachette, le toit tout simplement, et ce soir il était plus beau que jamais. Louis se mit à chanter :
« There is a castle on a cloud,
I like to go there in my sleep,
Aren't any floors for me to sweep,
Not in my castle on a cloud. »
Sans comprendre pourquoi je le giflais pour la première fois depuis 1 an qu’il me connaissait, et quittais le toit en courant. Il resta choqué quelques secondes. Il ne connaissait pas ce coté de moi, cette douleur, il venait de la découvrir. Et mes larmes coulaient sur ma bouille de 12 ans entre enfance et adolescence. »
« Louis mit une semaine à me reparler pour la simple et bonne raison que je ne quittais plus mon lit d’infirmerie depuis….le toit… Puis un matin il entra dans la salle blanche et cria : « Bon c’est bon là toi tu te réveilles ! » Toi ? Je me désignais du doigt et il soupira : « Oui TOI ! » Je sursautais, le ton de Louis n’avait jamais été aussi violent. « Lila nous sommes dans une infirmerie ! » s’agaça l’infirmière. Mais l’infirmière était devenu invisible à Louis et moi, nous étions deux dans cette pièce, seulement deux pour nos têtes. Il me prit par le bras et me leva, je me débattis, mais Louis était plus fort que moi qui étais plutôt frêle pour mes douze ans. Il me traîna jusqu’au parc sans se préoccuper de l’infirmière furax et des autres regards d’incompréhension braqués sur nous. Une fois dans notre potager ( Louis et moi faisions pousser des fraises derrière un buisson du parc, je ne sais pas bien si on peut l’appeler ainsi.) Il me lâcha et je tombais au sol. Il porta la main à son visage fortement irrité. Puis...il m’engouffra une fraise bien mûre dans la bouche, elle était délicieuse. Si délicieuse qu j’en souris. Louis rit et moi aussi. Il m’avait pardonnée sans chercher le pourquoi du comment, il m’avait relevée avec la douceur d’une fraise, il venait de me prouver que dans ce monde de zombies parfois il y a toujours du vivant. Et que j’en faisais encore partie. »
« L’année qui suivit fut merveilleuse, enfin je me blessais toujours, j’étais toujours muette et les médecins scolaires s’en arrachaient les cheveux, je regrettais celui d’autrefois, hors de l’école, lui n’aurait rien attendu, il aurait juste été là, sincère dans sa présence. Un peu comme Louis en fait. Louis calmait mes angoisses et souvent il ne fallait pas grand-chose. Juste sa présence me suffisait, Louis est très bavard alors il parlait pour deux, de la pluie, du soleil, des fraises, de ses frères bien trop petits pour ne pas être chiants, de son chien Boulet car il ne faisait que des boulettes, des professeurs qu’il parodiait parfois et aussi de ses pliages, il me montrait toujours ses œuvres, pas moi, moi je gardais mon terrain d’exil, le carnet, secret de tous. Jusqu’à ce jour. »
« « Tout va bien ? » La tête de Louis passa par dessus mon épaule. Sans parole de ma part il me comprenait car on se connaissait, c’était mon meilleur (et seul) ami. Je savais que mentir ne servirait à rien alors je hochais la tête négativement et pour la première fois lui montrai mes écrits, mes dessins, ma vie. Il les regarda avec beaucoup d’attention et de sérieux comme on lit un parchemin sacré. Puis une fois l’ouvrage fini, il murmura simplement : « Alors...tu pars ? » Je ne pus lui répondre que par des larmes que j’essayais de cacher avec un smiley sur mon cahier. J’enlevais ma veste, il vit mes marques, il comprit et sans un mot il me prit dans ses bras. Les médecins ne savaient plus que faire pour moi, une école plus spécialisée me feraient du bien avait-dit le directeur d’ici. Je partais demain. Sans un mot Louis m’a serrée très doucement avant de glisser quelque chose dans ma poche puis de dire comme si rien n’était : « Table 6 comme d’hab ! » C’était une petite table de la cantine que nous adorions, un 6 avait été gravé au couteau par un ancien pensionnaire. Je sentais encore la douceur des mots de mon ami, dans ma poche une adresse, l’adresse de Louis ? Je souris, je n’étais pas seul. Je rangeais mes affaires et me dirigeais vers la cantine en serrant fort le bout de papier dans ma poche, j’avais 14 ans, je partirai demain mais aujourd’hui Louis et moi serions encore ensemble entre amis à la table 6. »