Ailis Neil

>
"Tu ne parlerais pas un peu trop ?"

C'était le soir d'une journée d'hiver. Comme d'habitude, il faisait froid en Ireland et la neige tombait doucement du ciel d'un air calme et poétique. A cette douce époque, Ailis n'avait que 10 ans, une enfant en somme. Mais une enfant qui parlait. Mais qui parlait. Tout le temps. Elle avait toujours un avis sur tout. Un avis assez enfantin et optimiste sur le monde. Elle était plutôt aimé par les gens autours d'elle. Elle avait des amis, une famille, bref la rousse était heureuse. C'était une bonne élève, polie et son seul défaut était sa fréquence d'élocution. Ce n'était pas vraiment grave en soit, on lui lançait des piques de temps à autre mais c'est tout. Jusqu'à ce qu'un jour, un nouvel élève arrive dans sa classe. La jeune femme n'a jamais vraiment su son passé, pourquoi il était comme ça, pourquoi sa peau était marquée d'autant de bleus et de cicatrices. Les professeurs lui avaient posé la question, ils avaient même envoyé une équipe chez la famille mais rien. Ce gosse disait qu'il tombait souvent, qu'il était maladroit et petit à petit, les interrogations diminuèrent. Parce que, finalement, cet enfant était plutôt gentil, il était généreux, il donnait, il aimait. Un peu comme notre Ailis. A la différence qu'il ne semblait pas l'apprécier elle. L'enfant était plutôt calme et ne parlait pas souvent. Il sembla développer un dégoût pour la voix de la jeune femme. Avait-il eu des problèmes lui-même avec cela ? Dans tous les cas, il commença à lui faire du mal. Quand elle disait un mot, il la rabaissait presque de suite en rigolant. "C'était pour rigoler", disait-il. Et cela marchait. Cela marchait car tout le monde l'aimait et son air appauvrit donnait une certaine confiance. Et puis voir la rouquine se taire un peu n'était pas désagréable finalement. Finalement, n'evervait-elle pas tout le monde ?

Les deux premiers mois, elle se calma juste un peu, pour moins se faire remarquer. Mais sa situation devint de pire en pire. On la bousculait, la frappait, la traitant de menteuse pour n'importe qu'elle raison. Elle était inutile, mal-aimée, elle se détestait doucement. Comme un feu qui la brûlait.

Et donc, ce jour-là, elle se présenta à ses parents. Elle était couverte de boue. Pour la première fois, elle éclata en sanglots. Elle cria qu'on lui faisait du mal, que personne ne l'aimait, qu'on la détestait sans aucune raison. Alors qu'elle, elle faisait tout pour être gentille, aimable comme lui. Mais lui il était mieux et elle ne comprenait pas pourquoi. Les deux regardaient la télévision, la mère fut la seule à répondre:

-Tu es fatiguante. Va te laver et arrête de parler un peu.  

Ce fut certainement ce moment précis où elle se brisa. Où sa voix s'envola. Il fallait comprendre sa famille. Depuis enfant, elle n'avait eu cesse de hurler au loup. Pour se faire remarquer, se faire aimer. Elle avait inventé des gens qui lui faisait du mal alors que c'était faux. On n'avait du mal à la croire par rapport à toutes les histoires qu'elle avait pu conter. Mais là, elle comprit le problème. Elle comprit que sa parole posait problème. Qu'elle n'embêterait plus jamais personne en s'oubliant un peu, en ne donnant plus son avis. Elle rentra dans la zone confortable. Ce traumatisme fit que, dès le lendemain, elle ne pu plus rien dire. Et elle ne paniqua pas, elle l'accepta presque de suite. Seulement un peu de surprise. Bien évidement, sa famille ne la cru pas. Ni ses professeurs. Mais avec le collège, ils virent qu'elle persistait mais qu'elle ne cherchait aucune aide. Ce n'était donc pas une manière de se faire remarquer. On lui donna un psychologue, elle ne lui adressa jamais la parole. Ils firent des examens, tout allait bien. Au bout de deux ans, ils en conclurent à un traumatisme. Sa mère et son père furent détruits. Ils culpabilisaient de n'avoir rien vu. Ils lui proposèrent un bâtiment spécialisé. Mais elle sourit et nota sur son ardoise:

-Je suis très bien comme ça. Laissez-moi juste vivre.

Le collège se passa plutôt bien malgré quelques moqueries. Elle se fit quelques amies. Mais le lycée fut autre chose. Les deux premières années, les parents furent convoqués pour cause de blagues, de moqueries répétés sur leur fille. Mais elle ne se plaignait pas.

-Ecoutez Mr et Mme Neil, il y a une Institution en Angleterre qui peut s'occuper des enfants comme elle.
-Ma fille refuse tout établissement spécialisé, elle ne voudra jamais. Et nous ne voulons pas trop la contredire. Elle est déjà si distante, dit le père
-C'est pour cela que vous pourriez simplement l'emmener là-bas dans une classe normale. Les professeurs seront peut-être plus expérimenté que les autres pour la gérer, elle rencontrera des élèves dans le même cas qu'elle et du coup, des gens plus tolérants. Et cela en suivant une classe traditionnelle.
-Mais ils vont savoir que c'est psychologique son problème, ils vont peut-être vouloir la mettre dans une classe spécialisée...

Le directeur les avait regardé dans les yeux un moment:

-Je peux falsifier les documents pour faire croire à une pathologie de naissance.
-Comment ?
-Vous allez avoir besoins de temps pour y réfléchir mais je connais quelqu'un qui peut faire ça. Votre fille me fait beaucoup de peine. Je la connais bien, elle vient souvent me voir vu qu'elle est seule. Je veux qu'elle soit dans un environnement qu'elle aimera. Je peux même lui trouver un protecteur.
-Vous n'êtes pas rassurant sur ce point. Vous vous intéressez un peu trop à elle...
-J'ai perdu ma fille à cause de harcèlement. Personne ne mérite de subir ça.

Après une longue réflexion, les parents acceptèrent, demandant une permission d'inclure une muette de naissance dans le programme traditionnel, cela par l'appui de ses excellents résultats comme preuve qu'elle s'intègre bien dans la société et quelques attestations de professeurs.