Erika Garcia

(tw auto-mutilation / harcèlement scolaire / tentative de suicide)

Faith Garcia connaît Anthony Young depuis sa plus tendre enfance. Ils ont fait les quatre cent coups ensembles, se sont disputés à cause de la dernière part de pizza, ont une série de victoire surpassant toutes les autres au laser game et ont campé devant le magasin de jeu vidéo un jour avant la sortie de leur jeu préféré. Faith Garcia et Anthony Young se sont aimés comme tous les adolescents le feraient, mais ils ne se sont pas aimés comme Faith le voulait.

Lorsqu’elle n’a que dix-sept ans, Faith tombe enceinte. Malgré son jeune âge, elle ne peut s’empêcher de sauter de joie, car son futur enfant scelle le reste de sa vie avec son amour de jeunesse. Anthony n’est pas de cet avis. Il n’a que seize ans et ne veut pas rester coincé avec un enfant alors qu’un futur brillant l’attend dans l’université prestigieuse d’Oxford. Il tente de convaincre Faith d’avorter, mais elle refuse. Elle est sûre de ce qu’elle pense : oui, Anthony et Faith sont liés par le fil rouge du destin, et rien ne peut les séparer. Pas même ces saletés d’études dont son amant rêve depuis sa plus tendre enfance.

Anthony refuse. Faith l’appelle. Encore et encore. Elle lui envoie des centaines de SMS, et lorsqu’elle réalise que l’amour de sa vie a définitivement coupé les liens, il est déjà trop tard. Erika grandit tranquillement dans le ventre de sa génitrice, qui tombe en dépression peu après sa naissance. Ses parents l’aident comme elle peut, mais ils ne sont pas riches. Lorsqu’elle atteint la majorité, sa vie est ruinée. Trop occupée à s’occuper de son bambin ayant hérité des yeux azur de son père, elle ne peut pas continuer ses études. Trop pauvre pour pouvoir s’offrir une nounou, elle n’a même pas pu obtenir son diplôme. Faith n’a rien, si ce n’est un enfant de deux ans qui ne peut pas s’occuper d’elle.

Les premières années d’Erika pourraient presque être normales. Malgré la dépression dont sa mère fait preuve, son instinct maternel la pousse à apprendre sa progéniture à marcher, parler, et manger. Il n’est pas rare, cependant, de la voir fondre en larmes en revoyant les yeux de sa fille, lui rappelant l’homme qui a ruiné sa vie. Lorsqu’elle rentre à l’école primaire et qu’Erika peut désormais développer un minimum d’indépendance, Faith se détache peu à peu d’elle. Plus besoin de lui apprendre à parler. Plus besoin de lui apprendre à marcher. La petite fille peut sûrement se débrouiller toute seule maintenant. Et elle ne veut sûrement pas revoir ses yeux bleus pétillants qui ont cette étincelle qu’Anthony n’a pas eu, la dernière fois qu’il lui a adressé la parole, alors que c’est ces yeux étincelants qui l’ont fait tombé éperdument amoureuse de son ami d’enfance.

Les signatures des parents sont trafiquées, les réunions parentales sont évitées et Erika ne peut pas se vanter que sa mère est la meilleure maman du monde parce qu’elle est trop occupée à picoler dans la cuisine, réchauffant des restes périmés au micro-onde qui suffisent à nourrir ce qu’elle surnommera plus tard comme une malédiction—celle qui a ruiné sa vie.

Quatorze ans.

« Est-ce que tu m’aimes ?
– Oui.
– Dis-moi que tu m’aimes.
– Je t’aime, Erika. »

Tu regardes Kyle dans les yeux. Tes ongles colorés parcourent ses cheveux courts alors qu’il ne semble pas détacher son regard du tien. Tu ne sens pas ton cœur s’emballer. Tu ne te sens pas aux anges. Tu ne sens pas ces palpitations que les autres filles disent vivre lorsqu’un garçon leur avoue ses sentiments. Pourquoi? Tu as attendu ces mots toute ta vie, et maintenant qu’ils sont là, tu n’arrives pas à les attraper. Pourquoi ?! Ton cœur s’emballe mais cette fois-ci c’est la colère qui te vient. Sans faire exprès, tes yeux commencent à laisser couler quelques perles qui tombent sur ton coussin. La panique commence à prendre possession de ton amant qui essaies de te rassurer mais tu es complètement sourde à ses mots supposément calmant.

« Désolée, je me sens pas très bien, c’est un peu soudain pour moi. On se reverra demain ? Envoie moi un message quand tu es chez toi. »

Vous vous rhabillez tous les deux et tu ne peux pas t’empêcher de gratter une croûte sur ton bras, pour t’empêcher d’ouvrir une nouvelle entaille. Kyle part silencieusement, toujours un peu inquiet. Lorsqu’il ferme la porte, tu continues de pleurer toute seule un petit moment, comme pour te remettre de tes émotions.

Tu regardes l’heure : bientôt vingt heures. Faith doit être dans la cuisine, en train de mélanger des restes au fond de la dernière bouteille d’alcool achetée il y a deux jours seulement. Après avoir vérifié que ton mascara n’ait pas coulé, tu sors de ta chambre en ayant changé ta tenue.

« Faith.
– Quoi ?
– J’ai 14 ans et je viens de perdre ma virginité. Ça te fait rien ?
– Si tu tombes enceinte, je te fous dehors. »

Bien évidemment que ça te fait rien, tu es trop occupée à chercher la dernière goutte pour satisfaire ton addiction. Pour lâcher ta frustration, tu décides de prendre sa bouteille pour la faire exploser contre le sol. Ton rythme cardiaque augmente, Faith s’énerve et t’ordonne de retourner dans ta chambre, mais ta rage a été canalisée dans quelque chose alors tu te sens mieux, ignorant les menaces de ta génitrice.

Une semaine plus tard.

Garcia.
Tu entends ton nom au loin.
Garcia.
La voix te dit quelque chose, mais tu décides de l’ignorer.
Garcia ?
Peut-être que tu devrais tourner la tête.
« Garcia ! Tu m’écoutes quand je te parle ?! »

Tu as oublié que tu es en cours, trop occupée à regarder par la fenêtre. Tu pourrais bien sauter par dessus mais vous n’êtes qu’au deuxième étage, une chute d’ici n’est probablement pas mortelle. Dommage.

« Non. Désolée, je m’en branle de ton cours. »

Un silence pesant s’installe dans la classe, tout bavardage cessant en t’écoutant.

« T’inquiète pas, je suis pas la seule. Si c’était le cas, Julie ne serait pas en train de me traiter de pute en pensant que j’entends rien. Tu sais quoi en fait ? Je m’en branle tellement que je me casse. »

Tu passes devant Kyle que tu ignores parfaitement. Comme tous les messages qu’il t’a envoyée. Le seul moment où tu te souviens de lui, c’est lorsqu’il te demande s’il a fait quelque chose de mal la semaine dernière—tu ne peux plus juste t’empêcher d’entendre ses mots en le regardant, alors tu as décidé de ne plus le voir. Du tout. Lorsque tu claques la porte de la salle, toute ta classe devient d’un seul coup bien plus bruyante.

Deux jours plus tard.

« Tu peux répéter ça plus fort ?
– De ?
– Ce que tu viens de dire. Je suis sûre que les autres aussi, ont hâte de t’entendre parler. »

Pourquoi est-ce que Julie est si silencieuse soudainement ? Il y a deux jours aussi, je la sentais bien embarrassée en réalisant que je l’entendais me chier dessus. Bizarrement, sa personnalité de merde disparaît dès qu’elle se sent en danger. Tu commences à la plaquer contre le mur en la prenant par les cheveux.

« S-Si tu continues tu vas te faire virer !
– C’est pas ce que t’as dit, si ? »

Ton ton se fait froid, dur, violent, ton regard presque aussi perçant que le bout de verre que tu utilises pour abîmer ta peau de porcelaine. Une petite dizaine de personnes se sont regroupées devant vous, une d’entre elles téléphone à la main en train de filmer. Tu sais très bien que tu vas te faire virer. Ton conseil de discipline a lieu dans une petite semaine et tu sais très bien que Faith n’y assistera pas, ton sort étant déjà scellé.

« J-J’ai dit que t’étais une fille de pute et que… t-telle mère telle fille… »

Sa voix se fait toute petite. Pourtant, c’est un fait bien établi que tu es violente, non ? Quel intérêt de te traiter de pute ? Elle pensait que tu ne l’entendrais pas ? Ah oui—parce que tu n’as pas d’amis, que tout ce que tu as c’est des bites sur pattes qui veulent se taper la ‘nana trop rebelle du collège’. Tu vois des élèves se précipiter vers la vie scolaire, alors tu te dépêches de lâcher ses cheveux pour lui donner un coup de coude dans la mâchoire, la faisant tomber par terre. Tu donnes un coup de pied dans son diaphragme, l’empêchant de respirer un moment. Tu prends ton sac et décides de rentrer chez toi lorsqu’une surveillante arrive sur les lieux.

« Faith.
– Quoi ?
– J’ai été virée parce que j’ai tabassé une fille, elle va sûrement porter plainte.
– T’es grande maintenant, occupe-toi de la paperasse. »

Encore une fois, tu décides de prendre sa dernière bouteille—pratiquement pleine cette fois—et la fracasse contre le sol.

« … Elle m’a traitée de fille de pute. C’est tellement criant de vérité, on dirait presque qu’elle te connaît personnellement. »

Deux mois plus tard.

« Est-ce que tu m’aimes ?
– Oui.
– Dis-moi que tu m’aimes.
– Je t’aime, Erika. »

Tu regardes Lucy dans les yeux. Tes ongles colorés parcourent ses cheveux longs alors qu’elle ne semble pas détacher son regard du tien. Tu ne sens toujours pas ton cœur s’emballer. Tu ne te sens toujours pas aux anges. Tu ne sens toujours pas ces palpitations que les autres filles disent vivre lorsqu’une fille leur avoue ses sentiments. Toujours pas. Elle regarde l’heure et te dit qu’elle doit se dépêcher de rentrer chez elle, en espérant que tu la rappelles. Tu réponds avec un ‘peut-être’, tout en sachant que ce ne sera pas le cas. Tu te rhabilles en la regardant partir, caressant tes cicatrices en même temps. Tu te diriges à nouveau vers Faith.

« Faith.
– Quoi encore ?
– Je viens de coucher avec une fille. Et j’ai aimé ça.
– Au moins tu tomberas pas enceinte. »

Tu fermes les yeux et décides de prendre l’air pour ne pas qu’une colère noire prenne possession de toi. Tu sais que si ça continue comme ça, tu risques de la tuer. Le jugement vient de tomber, tu vas être envoyée dans une maison de redressement pour avoir tabasser une fille de ton collège et lui avoir cassé la mâchoire. Tu prétends gratter une cicatrice pour finalement te jeter devant une voiture roulant un peu trop vite, à côté du fast-food du coin.

Peu surprenant que tu finisses par te réveiller, sûrement à cause du bruit insupportable de l’ambulance. Plutôt que d’être triste, soulagée, en colère, tu ne fais que soupirer. Bien sûr que ça ne peut pas s’arrêter maintenant. Quatorze ans ce n’est pas assez. Tu aurais dû te pendre dans ta chambre, personne n’aurait remarqué ta mort, sûrement découverte par Faith en se plaignant d’une odeur répugnante venant de ta chambre.

Tu as la ‘chance’ de t’en sortir avec juste une fracture qui t’immobilise quelques temps. Peut-être qu’inconsciemment, tu t’es donnée une chance de t’en sortir.

« Faith. »

Aucune réponse.

« J’ai fait une tentative de suicide. J’ai une jambe cassée. »

Aucune réponse.

Tu fonds en larmes dans ta chambre, réalisant que tu es un cas perdu, et que tu n’auras jamais l’amour de ta mère dont tu rêves depuis ta naissance.

Quelques mois plus tard.

Tu as de la ‘chance’, tu n’es enfermée que cinq ans. Un institut que tu ne connais pas t’a récupérée pour des raisons que tu ignores. Apparemment, ils aident les cas sociaux comme toi, mélangés avec d’autres enfants de ton âge qui eux ont eu la chance d’avoir des parents aimant. Quelle idée de merde. Apparemment, il faut que tu arrêtes de t’énerver, et il va y avoir des gens qui vont t’aider avec ça. T’aider à surpasser ta colère et tes tendances suicidaires. Tu n’y crois pas une seconde, à des inconnus qui ont décidé que tu avais les capacités d’aller mieux. Non, tu n’y crois pas – parce que cela fait quatorze ans que tu essaies d’aller mieux.