[2017] Essayer de comprendre

Les arbres, la verdure et quelques fois les maisons défilaient devant les yeux noisettes du garçon brun accoudé tout contre la fenêtre de la voiture dont les vitres avaient été teintées de l'extérieur par mesure de précaution. De là où il était, le pré-adulte voyait tout ce qui se passait sans que personne ne puisse imaginer qui se trouvait assis à l'arrière de ce véhicule à l'apparence banale. Ce dernier rêvassait de tout, de rien, de n'importe quoi. Que se serait-il produit s'il n'avait pas connu cette chance inouïe d'être reconnu en tant qu'artiste ? S'il n'avait pas hérité de cet incroyable talent ? Le sourire de la starlette effaça toute interrogation qui ne servait désormais plus à rien puisque les dés du destin avaient été lancés et sa carrière était en plein vol vers la célébrité sur le long terme.

D'ailleurs, ce sourire de petite peste qui avait une idée derrière la tête interpella le chauffeur qui se mis à fixer son passager par le biais du rétroviseur. Il le questionna, il osa tenter l'approche avec le chanteur quelque peu explosif et lui demanda ce à quoi il pensait. Jun ne répondit pas de suite, puis il regarda, à son tour et dans les yeux, l'homme âgé d'une trentaine d'année qui le conduisait vers son nouvel établissement scolaire, avec un regard qui vous transperce les orbites. Une voix assez rauque et chaude s'éleva dans un certain élan de sensualité, entrant ainsi en contact avec le conducteur.

- Et bien... Je pense à mon passé, à mon présent, à mon futur.  Bien évidemment à l'endroit vers lequel je me dirige ! De quoi sera-t-il fait ? J'espère m'y plaire, qu'il n'y aura pas de trop de rats qui rôderont autour de moi puisque j'ai entendu dire que celui-ci était divisé en plusieurs sections dont deux principales qui rassembleraient les "normaux" et les... "tarés". Pourvu qu'on ne m'en colle pas un dans le dortoir, déjà que j'accepte de me soumettre aux règles de "convivialités" et de communauté.

Un autre sourire vint orner son visage avant qu'il ne décroche son regard de celui du plus âgé, plaçant un coude sur le rebord interne de la voiture, posant son menton sur le creux de sa main, reprenant son analyse portant sur ce qui l'entourait. A quoi rimait cette discussion ? Était-il triste ou en plein sentiment de réticence quant à son intégration face à sa nouvelle école ? Même lui ne le savait pas. Disons que tant qu'il se sentait heureux du point de vue de ce qui lui paraissait important, tout allait bien. La plupart du temps le reste lui était quasi indifférent. La machine de fer arriva à sa destination, une grande enceinte trônait devant Jun qui s'était enfin décidé de sortir du bolide, des lunettes teintées posées sur son nez.

Le petit brun s'avança et pénétra dans cette "cour de récréation", assez grande pour le nombre d'élèves que devaient maintenir ces murs. Lorsqu'il se dirigea vers l'accueil quelques élèves et enseignants se mirent à fixer cet inconnu qui venait d'entrer dans la pièce. Il est certain que rien que cette paire de lunettes, ne permettant ainsi pas la vue de ses yeux, apportait une certaine interrogation à son égard. Le jeune patienta presque calmement dans la file jusqu'à ce qu'on prenne son dossier en main.

Toute la paperasse faite, il fut invité à être directement plongé dans le bain par une visite des salles les plus importantes, l'explication des plusieurs règles mises en application ainsi que d'autres détails moins intéressants. Une fois ces événements terminés, la pose de midi arriva à grands pas, signifiant ainsi qu'il allait être confronté à l'arrivée peut-être massive d'élèves sortant de toutes parts. Le chanteur avait eu toute sa matinée pour se la couler douce puisqu'une fois que le ravitaillement sera fait et que les cours reprendront il sera temps pour lui de découvrir sa nouvelle classe, ses nouveaux professeurs et ses nouveaux "camarades".

C'est donc sans aucune timidité, mais avec tout de même une certaine discrétion qu'il se dirigea vers la cantine. Toujours décoré de sa paire de lunettes il sentit une main se déposer sur son épaule, l'obligeant donc de se retourner vers celui ou celle qui avait apparemment déjà bien pris ses aises envers Jun. Il se mis, en un silence presque inquiétant, à fixer la créature qui était venue à sa rencontre, lui demandant stupidement au passage s'il était nouveau et si celui-ci chantait. Un léger rire nerveux qui se transforma en un sourire forcé illumina le visage presque anonyme de l'artiste.

- Bonjour. Et bien oui je suis nouveau, je pense que cela se remarque assez facilement, non ? Pour répondre à ton autre question, je suis bel et bien un chanteur... Pourquoi cet interrogatoire soudain ? Je t'interpelle ?

Le chanteur regarda avec insistance, droit dans les yeux, son interlocuteur qui n’arrêtait pas de jacasser pour n'émettre que du vent. Une situation qui énervait légèrement la diva arrêtée dans sa marche par un pauvre élève qui tentait on ne sait quoi par une approche voulant le placer sous les projecteurs. Jun s'en fichait d'être connu dans l'établissement puisque lui il avait déjà sa place réservée aux prochaines cérémonies des American Music Awards et d'autres où seuls les plus grands étaient invités.

A quoi bon se forger une réputation qui d'ici quelques années, plus ou moins un an pour ce dernier, sera totalement effacée de la mémoire des autres élèves et enseignants ? Une célébrité rapide et éphémère, si c'est ce que ce "Nahm machin chouette" voulait, tant bien que ça lui fasse, le brun n'allait pas perdre son temps à batailler pour un trône fait en mousse.

Du bout de ses doigts on pouvait entendre le bruit régulier de ses ongles tapoter sur la matière de la rampe à laquelle il se tenait, signe d'un agacement en pleine évolution qui, on l'espère, ne se conclura pas par une crise de la starlette dès son premier jour dans l'établissement.

Un léger soupire vint accompagner l'orchestre alors que le regard, caché par les verres fumés du chanteur, changea de direction comme excuse afin de ne pas totalement dévisager sa nouvelle rencontre. Quoi qu'il en soit, Jun sentait bien que ce garçon n'allait pas si facilement lui lâcher les baskets, rendant la tâche un peu plus compliquée.

Ce n'est pas qu'il détestait qu'on lui apporte de l'attention, mais la situation et les idées elles-mêmes de l'étudiant apportaient une sorte d'ennui qui déplaisait le jeune de Sèze qui regardait à présent les ongles de son autre main.

Un long silence, bien que d'autres élèves passaient dans les couloirs, s'installa entre les deux hommes avant que le talent fasse à nouveau retentir ses cordes vocales, reprenant la discussion d'un ton presque mou.

- Bon, on ne va pas rester là à se faire chier, qu'en dis-tu ? Et si nous montions les escaliers pour pouvoir nous poser quelque part puisque j'ai la certitude que tu ne me lâcheras pas avant un bon moment...

Sans véritablement attendre une réponse ou un geste de la part de l'asiatique qui déterminerait un refus ou l'acquiescement de son idée, Jun tourna les talons et reprit sa marche tranquille tout en grimpant le reste des marches qui le séparait de l'étage supérieur. Il ne prit même pas la peine de se retourner pour voir si celui-ci le suivait puisqu'il s'en moquait royalement.

Un être désagréable ? Oui, ça pouvait lui arriver de ne pas être sous son bon jour comme n'importe quel individu possédant des sentiments et des états d'esprits. Aujourd'hui, Nahm était tombé sur le plus mauvais jour de la star qui, en plus, n'aimait pas trop cette aura hautaine qu'enfermait le petit corps du "danseur".

Mais qu'ai-je fait ? Qu'ai-je fait pour mériter, à peine arrivée dans cet endroit, loin de mon chez moi, loin de la population que j'ai l'habitude de fréquenter, loin de mes habitudes de starlette qui illuminent mes journées pour finalement me retrouver ici avec... ça ?! Honnêtement, en y réfléchissant quelques secondes, je ne me voyais pas du tout survivre et garder mon sang-froid plus de quelques heures, et encore... ça serait un véritable exploit.

Cependant il fallait bien que je joue au civilisé en me retenant de littéralement sauter au visage de ce misérable qui avait réussi, en l'espace d'une salutation, à me faire sortir de mes gonds. Que m'avait-il réellement fait ? Et bien, si je voulais passer de la pommade sur mes rougeurs je dirais rien, mais comme je ne peux pas me permettre d'être comme les autres, le simple fait qu'il ait osé venir me prendre de haut est un argument plus que nécessaire pour pouvoir le haïr.

Il m'était impossible de rester calme ou ne serait-ce qu'agréable avec ce "Nahm", un Coréen prétentieux qui se plaçait au-dessus des autres, pas si différent que moi si on y réfléchissait avec plus de profondeur, sauf que de lui ne se dégageait pas cette aura de classe que je possédais, moi. Et voilà qu'il continue de jacasser, de jacasser et de continuellement me casser les oreilles avec ses questions auxquelles il répond quand même lui-même...

C'est navrant de gâcher un tel talent dans une personne aussi peu intéressante... Peut-être suis-je trop cru dans mes mots ? Allez, soyons un peu optimiste, il a une bonne gueule, il n'est pas hypersensible ou trop timide ce qui pourrait presque faire de lui une personne charismatique ! Je l'avoue, il se rapproche plus de mon milieu que les autres, mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on deviendra de bons amis.

Alors que je continue à avancer je vois un banc où m'asseoir, ce dont je ne me prive absolument pas. Il est évident que je ne lui propose pas de se joindre à moi puisqu'il le fera très certainement dans les secondes qui suivront cette pensée. Suite à un énième soupire je retire mes lunettes de soleil ce qui lui dévoile mes yeux noisettes légèrement maquillées de noir ainsi qu'un regard quelque peu blasé.

Mes pupilles se tournent vers lui tandis que je reprends la parole, me décidant à tout de même devenir un chouia sympathique.

- Bon, monsieur foire aux questions, écoute donc ce dont tu voulais être au courant, car ça sera la seule et unique fois. Je suis chanteur, car j'ai un grain de voix assez spécial et j'essaye de percer dans la chanson. Voilà, content ?

Une de mes petites mains vient passer dans mes cheveux châtains clairs, une jambe se place par-dessus l'autre... je suis pensif... Durant quelques instants je quitte la réalité et m'imagine en plein concert. Tous crient mon nom, pleurent mon contact physique et chantent mes chefs-d’œuvres... que c'est bon de se sentir sous les projecteurs avec tous les regards tournés vers soi !

Je reviens doucement à la réalité avec un sourire rêveur sur les lèvres bien qu'il soit très rapidement rompu par la prise de conscience que l'asiatique était toujours là, près de moi. Mais que veut-il encore ? Il fait partie du journal de l'école ou ça se passe comment ?