[2017] Les roses sont rouges, les violettes sont bleues

Droite, Gauche, Gauche, Haut, Droi… Mon téléphone vibre soudainement, signant instantanément ma mort virtuelle offerte par la perforation de mon lobe frontale par une flèche cinglante. Je soupirs, insatisfait de l’affront que l’on venait de faire à ma tentative de performance, ruinant mes efforts avec un simple message qui tenant apparemment sur une ligne. Je ferme l’application avec amertume pour en ouvrir une seconde afin de retourner chercher le message auquel je devais ce désagrément. Signalé par un point bleu, le nom de « Gordy » s’affiche en haut de l’écran, surplombant le reste des conversations relativement datées. J’admets être interpellé par les raisons d’une telle initiative puisque je ne me souviens pas lui avoir envoyé de message auparavant et je le suis d’autant plus après la lecture de cette brève interlocution. Une invitation à déjeuner ? Et dans l’amphi qui plus est ? Bien que ça excuse partiellement mon décès prématuré, ça reste louche... C’est le début du printemps et il fait un temps magnifique, tout le monde se précipite dehors pour déjeuner au soleil alors pourquoi vouloir manger dans l’amphi ? Et avec moi ? Il compte encore sur mon présumé talent musical pour lui sortir quelque chose d’exploitable ? J’espère faire fausse route car la chaleur ne fait que réduire davantage ma motivation et il faut dire qu'elle n’était déjà pas bien élevé auparavant. Je jette un bref regard à l’heure pour constater que je ne suis déjà pas en avance. Par politesse et aussi car il est question de manger, je me décide à prendre la route du lycée… un samedi matin… action que je trouve déjà pénible malgré que ce soit seulement la seconde fois que j’ai à l’exécuter.

Quelques résidents, probablement fraîchement sortie de leur dortoir appâter par la chaleur, se promène tranquillement dans la cour, certainement dans l’optique de sortir du lycée pour aller faire je ne sais quelle activité de plein air en ville. Activités que je trouvais inintéressante par le passé mais que je regrette tout de même maintenant qu’elles me sont  interdites, l’habituel « tu comprends la valeur des choses uniquement lorsque tu les perds » je présume.
De toute façon il est 12h00, j’ai faim et « Gordy » m’attend pour manger alors ces réflexions stériles pourront attendre.

Une affiche placée sur la porte de la fameuse salle de rendez-vous me signale que l’endroit est réservé jusque 14h00 et je suppose qu’il serait stupide d’envisager l’éventualité que ce ne soit pas le musicien qui est réquisitionné cette pièce durant les deux prochaines heures. Je suis perplexe, a-t-il sérieusement fait une requête à l’administration juste pour un déjeuner improvisé ? Et même si, dans un premier temps, j’étais persuadé qu’il ne s’agissait que d’une blague, la signature ornant le bas de la feuille me fis rapidement comprendre que l’ISS prenait se déjeuner très au sérieux, sans doute même un peu trop. Je pose une main sur la porte lorsqu’un son étouffé s’échappe faiblement de celle-ci. Ce n’est pas un simple son, c’est de la musique et une musique qui ne me semble pas inconnu. Cependant, cela n’explique en rien les raisons d’une bande sonore à l’intérieur d’une salle réservée pour un déjeuner. Trop de questions s’accumule et j’ai besoin de réponses, je pousse la porte pour enfin découvrir ce que me cachait cette invitation et…. Je pense que ça dépasse toutes mes capacités d’imagination.

Du rose et du blanc, une lumière tamisée, des fleurs, des bougies, de la musique langoureuse voir mielleuse et au milieu de tout ça, Gordy, bel et bien présent mais trop bien apprêter pour un déjeuner que j’imaginais des plus banals. Il se tourne dans ma direction dans un geste presque hollywoodien, un sourire sincère et fier sur le visage qu’il doit certainement imaginé accueillant. Je bloque complètement, je le savais un peu bizarre mais là ça dépasse tous mes a priori. Je détaille la pièce qu’il a décorée avec soin mais qui ressemble beaucoup trop aux décors surchargé de saint-valentin qu’on retrouve dans les magasins de meubles durant la première partie du mois de février. Je remarque enfin la table qui ne fait que confirmer mes soupçons sur les intentions de l'ISS : champagne, service haut de gamme… c’est une parade de séduction. Même si j’envisage un moment la possibilité que cette situation soit le fruit d’un malentendu sur le destinataire de son message, l’interpellation qui suit mon entrée ne fait que me confirmer que j’étais bien la personne qu’il avait prévue de charmer ce midi.

« Hey. Viens t’assoir, tout est prêt à être dégusté. »

Je feinte de ne pas avoir relevé le sous-entendu beaucoup trop tendancieux dans cette situation et regarde silencieusement mon hôte d’un regard las qui devait au moins avoir le mérite de dissimuler particulièrement bien le fou rire que je contenais en moi. Le long silence qui occupe la pièce depuis mon entrée doit déjà le mettre suffisamment mal à l’aise, inutile d’en rajouter avec ce qu’il interpréterait certainement comme une moquerie malvenue.

« Je pense qu’il y a eu mépris sur les intentions de ma lettre Gordon. »

En réalité, je doute que ce soit les raisons de cette invitation mais je trouve difficilement d’autre explication valable à une telle mise en scène. C’est le printemps et son célibat qui l’on mit dans cet état-là ?  Enfin, il y a de la nourriture probablement loin d’être dégueulasse et une bouteille de champagne alors comment pourrais-je refuser de partager ce repas avec lui malgré l’ambiance certainement trop romantique pour être innocente. Je tire la chaise dans la direction de l’exchange, m’installe sur cette dernière et tente de comprendre les intentions du, semblerait-il, séducteur.

« Je suis désolé si c’est une technique de séduction mais je ne suis pas du genre « sensible » à ce genre d’attention. »

Je marque soigneusement les guillemets là où ils ont le mérite de souligner le mieux mon scepticisme face à la situation tout en affichant un sourire un peu narquois sur mon visage qui, pour une fois, sort un peu de sa frigidité habituelle.  Il serait inutile de lui poser une question trop directe, la réponse serait soit trop terre à terre, trop brutal soit trop vague pour que je saisisse vraiment les intérêts de son invitation, je préfère le voir mettre en œuvre son plan, comprendre ce qu’il tente d’accomplir en ce samedi midi avec l’aide indirecte de ma personne.

« Bon on mange ou tu à un planning à respecter du genre : me jouer une musique avant le repas pour me montrer l’étendue de ton talent ? »

Bon, ça commence vraiment à ressembler à un jeu de séduction mais je préfère remettre la faute sur mon imagination indécente plutôt que sur Gordy lui-même. Alors oui, la situation prête à confusion mais c’est parce que c’est Gordon non ?