[Saint-valentin 2021] Sentiments illusoires

Adossé contre un mur, Damen ferme les yeux et respire l'odeur de la ville aux lueurs de l'aube. La possibilité de ne pas rentrer chez lui sans avoir forcément besoin de squatter chez quelqu'un d'autre a un effet apaisant, grisant même. Il se tourne une dernière fois vers les vitrines éteintes, s'assure que tout est verrouillé, et il s'éloigne en sautillant et en comptant les billets qu'il a subtilisés dans la réserve de pourboires. De l'argent facile, qu'il n'a pas besoin de déclarer et qui ne manquera à personne : ses danseurs ont largement de quoi faire avec ce qu'il leur laisse dans la quantité de pourboires. À croire que l'idée de provoquer un scandale avec le maire plaît à beaucoup de monde, ou peut-être que c'est seulement la pub gratuite offerte par les paparazzis. Décidément ses meilleurs amis.

L'adolescent replie les billets d'un geste souple avant de les ranger dans la poche intérieure de sa veste. S'il est du genre à jouer avec le feu, il a l'intention d'utiliser cet argent aujourd'hui et se faire agresser au milieu de la rue l'en empêcherait. Inutile d'attirer plus d'attention que nécessaire, pour une fois. Il y a déjà suffisamment de regard qui se posent sur lui sans qu'il agite, en plus, de l'argent frais et intraçable sous leur nez. Même si toute personne un tant soit peu renseignée sait qu'il a, de toute façon, toujours du liquide sur lui.

Bref, sa matinée commençait de façon totalement normale jusqu'à ce que quelqu'un lui donne un coup d'épaule en passant trop vite. Quelqu'un qui se contente de lui jeter un regard un peu agressif avant de partir sans un mot d'excuse. D'accord, donc soit c'est une personne qui le déteste en connaissance de cause ou par principe, soit c'est un de ces gens qui estiment les autres responsables de leurs erreurs. Franchement, est-ce la faute de Damen si ce gars ne regardait pas où il allait ? Non. Voilà.

Il époussette sa veste avec une expression désabusée quand son regard se pose sur une enveloppe tombée au sol. Un oubli de son ami bulldozer ? Eh bien dommage pour lui. Avec un peu de chance, ce truc contient de l'argent - ou encore mieux, une carte de crédit neuve - qui lui permettra d'allonger encore sa soirée. Son petit espoir est rapidement déçu quand il découvre une lettre anonyme. Il tourne la tête mais, bien évidemment, le gars est déjà loin. Bah, tant pis. Poussé par la curiosité et l'ennui, Damen déplie la feuille.

» Mais c'est que c'est bien écrit, en plus.

Les merveilles pompeuses de la haute société. Est-ce que le gars débraillé qui l'a cogné l'a vraiment écrite ? Ou même, vraiment reçue ? Il a pas franchement le genre de dégaine qui va avec un petit mot d'amour de ce style.

Question : qu'est-ce qui est le plus vexant entre être reconnu comme un type détestable ou ne pas être reconnu du tout ? La réponse, qui aurait pu lui paraître totalement rhétorique, s'impose d'elle-même quand cette fille totalement inconnue l'appelle par un prénom tout aussi inconnu. Non, juste non. Qu'il oublie le nom des gens est une chose, qu'on oublie le sien au point de le confondre avec quelqu'un en est une autre. Quand même.

» Je vais essayer de pas trop me sentir insulté par le fait que tu m'aies confondu avec un type au nom aussi banal.

Sans compter ce "je te manquais ?" assez triste, surtout vu l'état dans lequel elle se trouve. une peine de cœur noyée dans l'alcool ? C'est si classique. Pourquoi tous les gens autour de lui persistent-ils à être classiques, en ce moment. Sa crise de jalousie, par contre, lui fait froncer les sourcils. Puis il sourit. Qui sait, peut-être qu'elle voudra se venger de ce type un jour en se jetant dans les bras d'un inconnu, autant rester dans ses bonnes grâces.

» Oh, tu crois que cette lettre est pour ton... c'était quoi son nom, déjà ? Bref, le gars pour qui tu as descendu tous ces verres. C'est pas moi, d'ailleurs. Maiiiis, si tu veux, on peut retrouver ton vrai blondinet et voir si une garce lui a bel et bien écrit cette lettre d'amour.

Grand sourire aux lèvres, il agite la feuille. Cette fille est totalement bourrée, de toute façon, il n'est déjà même pas sûr qu'elle acceptera qu'il n'est pas celui qu'elle pense. Pas grave, il est de bonne humeur, du genre qui le rend capable de traîner un poids mort à travers toute la ville pour courir après ses sentiments désespérés. Une activité comme une autre pour un dimanche matin.

Mais c'est qu'elle persiste, en plus. Les bras croisés, Damen fait la moue. Il n'est pas passé assez de fois à la télé et n'a pas fini dans sassez de magazines pour qu'on arrête de le confondre avec d'autres personnes ? Et il est persuadé que ce type a quand même moins de classe et moins de charme que lui. Avec un petit soupir, il repousse une mèche qui persistait à se placer devant ses yeux.

» Je te l'ai dit, je suis pas ton... machin. Je m'appelle Damen. Damen Irridval, tu sais, le fils du maire, je dirige un strip club sur Victoria Street. Non ?

Il soupire à nouveau en fouillant ses poches jusqu'à trouver une carte d'identité.

» Tiens reg... ah non c'est pas la bonne attends. Voilà, là.

Il lui plante la carte sous le nez pour qu'elle essaye de lire. Mais vu son état, c'est franchement peu probable qu'elle y parvienne alors il hausse les épaules de manière théâtrale en remettant la carte dans sa poche.

» Non, tu sais quoi, on va faire ça autrement.

Alors, posant ses mains de chaque côté de son visage, il vient purement et simplement l'embrasser sans lui donner son avis.

» Là, j'embrasse mieux que lui, non ?

Puis il ricane en lui assénant une pichenette sur le front. Ce n'est pas la première fois qu'il croise quelqu'un dans cet état, et il est conscient qu'il alimente sûrement plus son délire qu'autre chose, mais peu importe, c'est un événement pour agrémenter une journée qui serait probablement la définition même de l'ennui sans ça. Après avoir réajusté sa tenue, Damen passe un bras autour des épaules de sa rencontre du jour.

» Allons-y, dans ce cas. Avec un peu de chance on croisera ton cher et tendre. Sinon... bah, je suis toujours dispo si tu veux noyer ta peine ailleurs que dans l'alcool.

Alors, la place la plus proche, c'est parti. Direction la fameuse "garce". Qui sait, peut-être qu'elle est mignonne. Si son blondinet l'a trompée avec la fille en question, elle doit au minimum valoir le coup d'œil, non ? À moins qu'il n'ait des goûts aussi banals que son prénom.

Ah, là ils parlent la même langue ! Du genre à vouloir casser la gueule aux dirigeants et aux gouvernements ? Mais c'est qu'elle commence à lui plaire, cette fille. Dommage qu'elle ait ce petit côté obsessionnel qui gâche un peu le tableau. Rien qui ne se soigne pas, il y a toujours moyen de résoudre ce genre de fixation. Enfin, ce n'est pas vraiment son problème... il l'embrasse quand même, pour la forme, pour la convaincre, pourquoi pas ? Sa réaction lui tire un rire.

» Je te le déconseille. T'amouracher de moi serait bien la pire idée de ta vie.

Le meilleur moyen de finir ladite vie au fond des bouteilles qu'elle a déjà bien entamé, à voir sa tête. Soudainement de bonne humeur malgré, ou peut-être à cause de, la bizarrerie de la situation, il marche avec sa nouvelle rencontre, le bras toujours passé autour de ses épaules, jusqu'à cette fameuse fille. Bien roulée, en effet, peut-être que le blondinet banal qu'elle cherchait a bon goût, finalement. Sans chercher à se cacher, et aussi ostensiblement qu'à son habitude, Damen prend le temps de détailler chaque courbe de sa silhouette avant de véritablement se tourner vers l'étrange type en costard qui l'entraîne à l'écart. Oh ? Une affaire de kidnapping ? De corruption ? Ça peut être drôle dans les deux cas. Et en prime, si ça tourne mal, ça fera un risque de scandale en plus à imposer à son père.

» Allons voir, ma belle. On va peut-être apprendre des trucs intéressants. De quoi lui faire de chantage pour récupérer ton p'tit blond, par exemple... ou des rumeurs croustillantes à faire tourner sur toutes les lèvres...

Quoiqu'il y a des choses plus intéressantes à faire passer de lèvres en lèvres, les rumeurs restent une distraction comme une autre, et il fuit l'ennui comme la peste en ce moment. Toujours accroché à sa mignonne petite trouvaille, il s'approche de la direction où sont partis les deux autres. Il préférerait ne pas se faire repérer trop vite, histoire d'avoir plus de choses à se mettre sous la dent. Au pire, s'il se fait kidnapper, son père aura de quoi payer.

Il avait besoin de divertissement, et la vie semble avoir décidé de le lui fournir sur un plateau. Cette fille plantureuse a définitivement quelque chose de louche, et le gars qui l'accompagne aussi. À ce stade, il trouverait presque amusant de véritablement se faire kidnapper, juste pour voir combien de temps cela prendrait de le faire libérer et quel genre de traitement on subissait vraiment dans ce genre de situation. Mais pour l'instant, il semble surtout que cette inconnu avait sa propre manière de se faire de l'argent. Hm. C'est une occupation comme une autre.

» Gros calibre c'est encore à vérifier. À toi l'honneur ?

Il ricane, absolument pas sérieux, en observant l'échange de leurs deux cibles. De la prostitution ? peut-être bien. Ou alors elle a d'autres choses en tête. C'est quand même triste d'en arriver à devoir payer quelqu'un pour ça. Mais est-ce vraiment différent de ce qu'il fait de son argent ? Chacun ses goûts, sans doute. Il préfère payer l'alcool et les drogues qui lui permettent d'attirer des personnes peu regardantes plutôt que de payer des personnes encore moins regardantes. C'est moins amusant si on achète le résultat directement.

» Oh, toutes les nymphomanes ne sont pas comme ça.

Il est plutôt bien placé pour le savoir, vu qu'il en a fréquenté une pendant assez longtemps. Mais là n'est pas la question.

» Qu'elle soit désespérément en manque d'argent ou désespérément en manque de sexe, si tu la suis maintenant et que tu arrives à avoir une photo, tu pourras peut-être récupérer ton blondinet. Et sans avoir besoin de paparazzis ou de détective privé, en plus.

Payer des gens pour une photo compromettante est une perte de temps quand on peut le faire soi-même. Après une petite révérence théâtrale, il indique donc la direction du fameux hôtel.

» Après vous, mademoiselle.

Pour une fois qu'il est dans la peau des paparazzis et pas de l'autre côté de l'objectif...

Suivre quelqu'un est étonnamment facile, surtout quand la personne en question ne se doute de rien. Pourtant, vu la nature clairement suspecte de leurs activités, on aurait pu penser qu'ils seraient plus prudents mais non, aucun des deux n'a même la présence d'esprit de se retourner. ils entrent donc facilement dans l'hôtel à leur suite, arrêté par un minuscule contretemps : la porte qui mène aux étage est bloquée par un code. Rien de bien compliqué. Damen s'approche du comptoir de la réception avec un sourire.

» Bonjour, je vais vous prendre une chambre.

Il dépose des billets sans se départir de son air sûr de lui, récupère le code rapidement et entraîne sa compagne du jour avec lui jusqu'à l'intérieur, juste à temps pour voir la porte de la chambre 102 se refermer sur leurs deux suspects. Bien, ils ont fait assez vite pour ne pas les perdre. Aussi calme qu'à son habitude, Damen lâche la main de la jeune fille pour poser son oreille contre le battant. Une conversation, des cris, rien de spécialement surprenant même si ce n'est pas le genre qu'il a l'habitude d'entendre. Chacun ses pratiques, après tout.

» J'ai bien une idée, mais ça dépend si tu as peur ou non.

Lui est passé au-dessus de ça depuis longtemps. Son idée est simple : déranger un peu leurs cheveux et leurs tenues pour donner l'impression qu'ils sortent d'un événement arrosé - par bien compliqué ni pour lui ni pour elle, vu leur allure - s'embrasser contre la porte et entrer à reculons en faisant semblant de se tromper de chambre, pour avoir un aperçu de l'intérieur. Un téléphone bien caché en main, et ça sera suffisant pour réussir à avoir une photo.
Et en prime, il gagne un contact physique privilégié dont il n'a aucune intention de se plaindre.

Ce dont je me souviens du post que tu as perdu, si ça peut t'aider:

Elle aime l'aventure et les défis, tiens donc. C'est tout à fait son genre de fille, ça : quelqu'un de pas trop regardant qui ne cherche pas à s'attacher plus que ça. Bon, en l'occurrence, elle s'est attachée, mais pas à lui, donc tant mieux pour elle.

» Ne me remercie pas trop vite. Je suis le genre de personne qu'on regrette d'avoir rencontré un peu trop tard.

Quand on se noie dans un caniveau, dans une overdose ou dans son propre sang, généralement, du moins s'il en croie son expérience... et sa vision pessimiste de lui-même. Enfin, ce n'est pas si important. Au lieu de ça, il lui explique tranquillement son plan. Elle ne se fait d'ailleurs pas attendre pour le mettre en pratique et il profite sans vergogne du coup alcoolisé de ses lèvres. Elle n'embrasse pas si mal - beaucoup de désir dans sa façon de faire, très sexy dans sa façon de se coller contre lui. Qu'importe si c'est juste un rôle, son contact reste malgré tout extrêmement plaisant. Quel dommage qu'il ne puisse pas en profiter plus longtemps ; la porte s'ouvre sur une scène qui ne lui laisse que peu l'occasion de faire durer le plaisir. il soupire, réarrange ses cheveux. Bon, ça sera plus compliqué qu'une simple photo.

Naturellement, son regard détaille le blondinet saucissonné. Il plisse les yeux.

» C'est avec lui que tu m'as confondu ?

D'accord, il est pas mal, il peut bien le reconnaître. C'est le genre de mec qu'il aurait probablement dragué s'il ne lui ressemblait pas autant. Quoique ça peut être amusant. Mais ce n'est pas le sujet. Beaucoup trop détendu pendant que les deux filles se crient dessus, il s'écarte du gars vers lequel il s'était penché et croise ses mains dans son dos juste au moment où le type sort sa matraque.

» On se calme. Qu'est-ce que vous lui voulez, à ce type ? De la thune ? J'en ai plus que lui. Vu avez dû voir ma tête à la télé assez souvent pour le savoir.

Il faut vraiment ne prêter attention à absolument rien de ce qui se passe à Londres pour ne pas connaître son visage et son père. C'est quand même le maire depuis presque un an maintenant.

Ils se disputent, maintenant. Avec un petit soupir, Damen glisse ses mains dans ses poches et esquisse un petit sourire moqueur.

» En fait, je suis assez facile à trouver, je suis sûr que tu peux me croiser à tous les coins de rue. Par contre, sortir avec moi, c'est un peu plus difficile, je suis pas très branché exclusivité.

Est-ce qu'il réalise la situation dans laquelle il se trouve ? Oui. Est-ce qu'il s'en fiche ? Totalement. Il étouffe un bâillement avant de regarder ses ongles pour s'assurer qu'ils ont un aspect présentable. Ah, celui de son petit doigts s'est cassé conte la porte, on dirait. Est-ce qu'il peut payer quelqu'un pour adapter les autres ?  Il a un peu la flemme de le faire lui-même et...

» Hm ? Me laisser faire ?

Le prendre et le jeter... bah, ça lui arrive toutes les nuits, quasiment. C'est une de ses activités les plus communes, de se faire embarquer dans le lit des autres. Et comme c'est généralement lui qui paye l'hôtel, les boissons et les drogues éventuelles qui vont avec, ça n'est pas si différent des plans de cette fille.

» Oh calmez-vous, vous criez trop fort, j'ai mal au crâne.

Moins que s'il avait la gueule de bois, vu qu'ils ont eu la gentillesse de faire ça un jour où il est resté -relativement - sobre la veille, mais ils sont quand même bruyants. Et cette pauvre fille n'a rien demandé, aussi. Toujours la violence, c'est fatiguant. Retenant un nouveau bâillement, il sort la liasse de billets récupérés le matin même de la poche de sa veste. Les pourboires de ses danseurs... qu'il a volé. Bon. Ça ne manquera à personne à part lui.

» Tiens, c'est mes pourboires de la soirée. J'en ai pas besoin. Elle, par contre, elle a besoin de son bras, alors lui pète pas, s'il te plaît. Sait-on jamais, il pourrait m'être utile.

Probablement pas, à moins qu'elle ne décide de vider encore tout un bar ce soir comme elle l'a visiblement fait la veille mais bon, les bras cassés, ça lui rappelle des souvenirs chiants.

» Après vous pouvez vous amuser à faire chanter mon père si ça vous dit, mais ça risque très vite de vous coller la police sur le dos, je vais pas vous mentir.

Enfin, peut-être. S'il prévient les flics, ça sera juste pour faire bonne figure et dorer un peu plus son image dans les médias. Si ça se trouve, il le laissera kidnappé pour se débarrasser de lui. Ça serait bien son genre, et s'il peut pleurer la disparition de son fils devant les caméras, il aura les bénéfices sans les inconvénients.