À droite, l'école et ses élèves normaux, comme tout le monde.À gauche, le centre de redressement pour jeunes dangereux.Maintenant réunis, pour le pire.
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Avec l'été qui déclinait rapidement, les gens commençaient rapidement à parler des évènements de l'automne, et de l'hiver à venir. Comme toujours, à ce moment là, ils se départageaient en deux clans: ceux qui préféraient l'hiver et ses températures estivales, qui détestaient le froid, et ceux qui attendaient avec impatience le retour du froid et de la neige, et haïssaient le chaud.
Comme toujours, Chris arriva en petites foulées au coeur du campus, et s'immobilisa devant la fontaine, où il but de nombreuses gorgées d'eau afin de se désaltérer. Cependant, ce jour là, une lycéenne vint l'aborder alors qu'il reprenait son souffle tranquillement. - Tu es Raven, n'est ce pas ? Lui demanda -t-elle directement, d'une voix malgré tout un peu hésitante. - Oui, répondit le brun, un peu surpris mais habitué à présent à être abordé par les jeunes filles sur les deux campus. - Une amie souhaite te voir derrière le bâtiment de l'ISS. Tu sais... Là où... - Là où les gens déclarent leur flamme, c'est ça ? Acheva Chris. - C'est ça, approuva la fille avec un sourire un gêné avant de disparaître en courant.
Le Corbeau la regarda s'enfuir en plissant les yeux. Il n'aimait pas ça. La dernière fois qu'il s'était rendu derrière ce bâtiment, c'était pour menacer une fille qui menaçait elle même une amie à lui. Et ce n'était pas un bon souvenir... Il soupira avant de se mettre en marche, tout en s'allumant une cigarette. Finalement, lorsqu'il arriva derrière le bâtiment de l'ISS, une fille l'attendait effectivement. Elle se tenait de dos, si bien qu'il ne pouvait pas reconnaître son visage.
Soudain, cinq élèves sortirent de nulle part, pour la plupart dans le dos du jeune universitaire, et l'ambiance changea, et se fit beaucoup plus malaisante. C'est alors que la lycéenne se retourna: Summers ! La fille qu'il avait menacé un an plus tôt ! Elle était tenace, c'était le moins qu'on puisse dire... Il tourna sur lui même, notant qu'ils étaient tous armés de battes de baseball, avant de s'immobiliser à nouveau face à la reine du bal: - Qu'est ce que tu veux, Summers ? - C'est simple. Je veux que tu te prosternes devant moi, et que tu implores mon pardon ! Et je veux que tu reconnaisses que je suis mieux que cette pute de Cullen ! - Bien sûr... Tu veux pas un orgasme et une glace, aussi ? Rétorqua aussitôt le Corbeau d'un ton sarcastique.
Aussitôt, l'un de ses chiens de garde tenta de frapper Chris, qui esquiva le coup à l'aide d'une roulade avant. Lorsqu'il se releva, il tournait le dos à Summers, et ses poings étaient relevés. Il reconnaissait certaines têtes parmi les gars qu'elle avait fait venir. Il avait déjà étalé au sol certains d'entre eux lors d'échanges musclés sur le campus. A trop se faire d'ennemis, on finit par en assumer les conséquences... Et aujourd'hui, Chris avait beaucoup d'ennemis... - Ne faites pas ça, les gars ! Vous savez ce que vous risquez en vous frottant à moi... Je ne sais pas ce qu'elle vous a promis, mais ça ne vaut pas le coup de perdre quelques dents ou de vous faire péter le nez, juste pour qu'elle écarte les cuisses, croyez moi... - Espèce de... ! Hurla alors Summers en se jetant sur Raven sans prévenir.
Malheureusement, ce dernier s'y attendait: il se retourna brusquement et la saisît par la gorge avant de la projeter à terre sans ménagement. Dans le même temps, un des défenseurs de la demoiselle en détresse se précipita sur le Corbeau et tenta de lui mettre plusieurs coups de batte, que ce dernier esquiva sans difficulté. Il effectua un pas de côté, et envoya le type au sol à l'aide d'une droite magistrale. - Vous n'apprendrez donc jamais... murmura -t-il avec mépris. Il se baissa, et ramassa la batte qui était au sol, avant de se redresser. - Vous êtes certains de vouloir vous mesure à moi ? Pourtant, dans son dos, un sixième lycéen, que Chris n'avait pas vu ni entendu, approchait d'un pas particulièrement furtif. Baissé, il avançait tout doucement depuis tout à l'heure. Mais soudain, il marcha sur une brindille qui craqua, et l'assassin fit violemment volteface. - Bon sang, mais vous êtes combien ?! Lança -t-il alors.
Trop tard pour se reconcentrer. Tandis qu'il faisait face à cette nouvelle menace, un de ses adversaires, dans son dos, en profita pour l'approcher. Chris compris alors qu'il était foutu, pris entre deux feux. Mais le temps de prendre une décision, ce fut trop tard. Il se prit un coup de batte en pleine tempe, et il s'effondra au sol, inconscient. Le groupe de lycéens s'apprêtaient à s'amuser avec son corps inerte, mais heureusement, Nia Calaway les fit fuir en les menaçant de les balancer. Après quoi, elle amena Chris à l'infirmerie...
Le mois de Septembre avait débuté. L’été touchait à sa fin mais il faisait encore bon à cette période de l’année, malgré la météo plutôt changeante. Aujourd’hui, en ce mardi 8, je commençais mon nouveau travail, celui d’infirmier en établissement scolaire. Je ne savais pas dire si je me sentais réellement prêt ou si j’étais stressé. Peut-être un peu des deux. Il fallait dire que, quelques années auparavant, je ne me serais pas du tout vu à ce poste. Passer de Thanatopracteur à Infirmier en hôpital pour finir dans une école, c’était un cas plutôt rare. Des morts aux malades et blessés graves, jusqu’aux ados à problèmes… Je me demandais si j’avais pris la bonne décision, si je n’aurais pas dû continuer à exercer à l’hôpital. Non… c’était trop dur, je ne pouvais pas y rester. Il y avait trop de souvenirs.
- … pa…
De toute façon, j’avais fait mon choix. Je ne pouvais plus revenir en arrière.
- Papa !
Je secouai la tête, baissai les yeux sur Janna qui tirait la poche de mon jean.
- On va être en retard à l’école,dit-elle avec une voix paniquée.
Je regardai ma montre, lui tapotai le haut du crâne d’un geste rassurant.
- T’inquiète pas, Schatz*. Ça ira.
J’ajustai le col de ma chemise, aidai la petite fille à mettre ses chaussures, son gilet et son cartable, et nous voilà sortis de l’appartement. Une fois dehors, Janna prit ma main et marcha à mes côtés en balançant l’autre bras au rythme de nos pas. J’avais encore tenté, sans grand succès, d’attacher sa chevelure blonde en deux couettes mais l’une d'elles était un peu plus basse que l’autre et rassemblait plus de cheveux. Je n’étais vraiment pas doué pour ça… même après plusieurs mois d’entraînement. Je devais peut-être y mettre d’avantage d’enthousiasme, d’autant plus que Janna aimait bien quand je la coiffais. Bref, même ratées, ses couettes lui plaisaient. Du moment qu’elle ne venait pas me voir le soir pour me raconter qu’on se moquait d’elle à cause de ça, ça allait. Les premiers rayons du soleil pointaient timidement le bout de leur lueur par-dessus les bâtiments les plus bas de la ville. Londres était déjà bien agitée ce matin. La rentrée des classes avait eu lieu un peu de partout une semaine auparavant. Désormais, la vie scolaire commençait vraiment, ainsi que mon travail parmi les centaines d’étudiants qui fréquentaient l’école et l’université d’Indarë. Mais d’abord, je devais emmener Janna à l’école. Au début, je m’étais dit que je la changerais d’établissement pour ne pas m’imposer le fait douloureux de devoir ressasser le passé en m’aventurant dans des rues emplies de souvenirs. Puis, en y réfléchissant bien, Janna avait ses amis, elle était habituée aux lieux et à ses professeurs. Je ne pouvais décemment pas perturber son rythme scolaire pour cette raison. Ce qui était vraiment dérangeant, c’était le regard empli de pitié des autres parents et du corps enseignant quand ils nous voyaient arriver tous les matins. Ça ne nous aidait pas du tout à faire face au drame. Au contraire, ça m’énervait. Je préférais qu’ils s’occupent tous de leurs affaires et qu’ils nous laissent tranquilles. Conséquemment, chaque jour, j’évitais de regarder tout le monde en face et ne me concentrais que sur ma fille, sur son bisou et son câlin, son sourire et sa petite voix qui me disait « A ce soir ». Et je repartais, silencieux, telle une âme errante fuyant les jugements. Dès que je tournais à l’angle de la rue, je sortais mon paquet de cigarettes et commençais à fumer. Peu importe le nombre de cigarettes, je fumais jusqu’à ce que j’arrive à l’hôpital où je travaillais. Aujourd’hui, je ne dérogeai pas à la règle et écrasai ma troisième cigarette au moment où j’arrivais devant le grand portail d’Indarë. Je pouvais m’y rendre à pieds, nous n’habitions pas très loin. Par contre, il me faudrait prendre la voiture pour me rendre à l’Université. Maintenant, il fallait trouver l’infirmerie dans tout cet amas de bâtiments. Ce devait bien être indiqué quelque part. J’entrai dans le bâtiment A qui me faisait face, me rendis d’abord au secrétariat pour annoncer mon arrivée. On me donna une clé mais aucun document car, apparemment, je trouverais tout ce dont j’avais besoin dans mon futur bureau. Bon… je retournai dans le hall d’entrée et repérai un plan de l’école. L’infirmerie se trouvait au deuxième étage, avec les salles de classe réservées aux cours d’art et de sciences humaines, de santé… Je m’y rendis immédiatement sans chercher à visiter. J’aurais le temps plus tard, si j’en avais l’envie aussi… L’entrée commençait par une sorte de salle d’attente ouverte à tous. En face, une porte donnait sur une salle de classe, certainement celle du cours de santé. A droite, une autre porte donnait au bureau. Je la déverrouillai et entrai. C’était assez spacieux et plutôt sobre, bien éclairé, que ce soit par la fenêtre ou les lumières. Deux étagères ouvertes étaient remplies de livres sur la santé et de prospectus quelconques. Elles encadraient la fenêtre ainsi qu’un meuble bas sur lequel reposait une plante verte à feuilles longues et fines. Derrière le bureau, je trouvai un fauteuil et devant, une chaise simple. Un classeur attira mon attention sur le coin du plateau de bois gris. Il y était écrit « Confidentiel, à l’attention des infirmiers ». Je m’en emparai et l’ouvris. Il contenait une liste de tous les élèves présents dans cette école pour l’année scolaire en cours, et des notes, notamment concernant le comportement et les maladies connues de certains d’entre eux. Au moins, je saurais à quoi m’attendre. Je ne m’attardai cependant pas dessus et me rendis dans la salle d’à côté. C’était la partie soin et repos de l’infirmerie. Il y avait cinq lits, chacun séparé par un paravent à rideau pour préserver l’intimité des patients. Comme le reste de l’école, du moins le peu que j’avais vu pour le moment, l’endroit paraissait propre et en bon état. Restait à savoir si je m’y sentirais bien. Sinon, je ne voyais pas ce que je pouvais faire.
« Redeviens Thanato. »
Un frisson me parcourut le dos. Ihn, encore et toujours là… pour me donner de mauvais conseils, comme d’habitude. Non, je n’avais pas envie de redevenir Thanatopracteur. J’étais infirmier parce que Mary disait que cela m’aiderait à aller mieux et je la croyais.
« Pfff tu parles, tu l’as juste suivie pour lui faire plaisir. »
Côtoyer les morts me rendait plus maussade, moins enclin à aller vers les autres. Travailler avec les vivants, pour les vivants, pour leur venir en aide, c’était ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne retournerais pas dans un centre funéraire, un point c’est tout.
« C’est ça, on verra quand je me serai chargé de certains étudiants. »
- Schnauze*…soupirai-je agacé.
Je secouai la tête pour le chasser de mon esprit et me levai du lit sur lequel je m’étais assis sans m’en être rendu compte. Comme il me restait un peu de temps avant de commencer, je décidai de sortir pour aller voir l’autre infirmerie. Car autrefois scindée en deux écoles bien distinctes, l’ISS et l’IRS, Indarë devait forcément avoir une infirmerie – ainsi que d’autres services – pour chaque établissement. J’eus un peu plus de mal à la trouver mais ne fus pas dépaysé par rapport à la première. Les deux endroits se ressemblaient, à quelques détails près. Après avoir rapidement fait connaissance avec mes collègues infirmiers, je retournai dans le bureau que j’occuperais tous les matins de la semaine, du lundi au vendredi. Je ne m’attendais pas à être débordé de travail, surtout en début d’année scolaire. Mais il ne fallait pas oublier que je me trouvais dans une école peu ordinaire. L’institution d’Indarë regroupait les étudiants de deux écoles différentes : l’ISS (Indarë Secondary School) conçue pour les élèves « classiques » et l’IRS (Indarë Reformatory School) faite pour les jeunes ayant commis des délits ou des crimes, ainsi que pour ceux présentant des problèmes psychiatriques. Conséquemment, je me dis que je trouverais bientôt à ma porte des adolescents victimes de bagarres ou d’accidents, ou faux accidents, auteurs de scarifications et j’en passais. Toutefois, la matinée fut assez calme. Je ne reçus que deux étudiants : un que je fis se reposer une heure pour cause de stress intense, et un autre qui s’était cogné la tête dans une fenêtre.
« Autant à l’hôpital, les gens venaient pour des raisons plutôt valables,commenta Ihn quand je laissai partir la deuxième personne.Autant là, on va avoir droit au festival d’idiots pas doués… »
Je ne l’écoutai pas et regardai ma montre. Il était midi, l’heure de ma pause. Comme je n’habitais pas très loin et que j’avais deux bonnes heures devant moi, je décidai de rentrer manger à la maison. Je retournai à Indarë avec quelques minutes d’avance, en marchant tranquillement, et en fumant, bien évidemment. Je savais que ce n’était pas du tout bon pour ma santé mais je ressentais le besoin de surconsommer du tabac pour ralentir les élans malfaisants de Ihn. Quand je fumais, il ne disait rien et se tenait tranquille. Quand je ne fumais pas, il mettait son grain de sel partout et, selon mon humeur, c’était plus ou moins dangereux. J’avançais vers le bâtiment principal au moment où deux personnes s’en approchaient : une jeune femme et un jeune homme. Les cheveux longs et rouges, des yeux d’un noir profond, plutôt grande, l’air à la fois agacé et inquiet, elle soutenait son camarade inconscient dont les cheveux de jais cachaient le visage. A peine eut-elle demandé de l’aide que je soutenais déjà mon futur patient pour l’emmener à l’infirmerie. Normalement, je devais travailler à celle de l’IRS l’après-midi mais là, il y avait urgence, celle de l’ISS était plus proche. En plus, mes collègues étaient encore en pause, il n’y avait personne d’autre. Nous déposâmes l’étudiant sur un lit. Je m’enquis de la situation, elle me raconta de manière brève une bagarre qui avait mal tourné. Son ami qui se prénommait Chris venait d’être victime d’un coup de batte dans la tempe, raison pour laquelle il avait perdu connaissance.
« Ça y est, le défilé des abrutis qui commence, »soupira Ihn que j’imaginais lever les yeux au ciel.
Je ne relevai pas, surtout en présence d’autres personnes, et commençai à m’occuper de Chris. J’allai chercher une poche de glace et demandai à sa camarade de la lui appliquer sur la tempe pendant que je fouillais dans les classeurs à la recherche de son dossier. Elle me donna son nom complet mais je ne le trouvai pas. Peut-être n’avait-il aucun antécédent. La demoiselle précisa que tous deux faisaient partie de l’Université. C’était donc pour cela. S’il existait, son dossier devait être là-bas. Je ne demandai pas pourquoi des étudiants de l’Université se trouvaient ici pour venir se battre, ce n’étaient pas mes affaires. A la place, j’examinai Chris pour voir s’il n’avait pas d’autre trace de coup ou blessures. A part les jointures de la main droite légèrement rouges, sûrement dues à un coup de poing donné, je ne voyais rien de spécial. J’invitai la jeune femme à s’asseoir près de lui, et pris le relai. Je retirai la poche de glace pour observer sa tempe. Pour le moment, je ne voyais rien d’alarmant. La perte de connaissance n’était pas forcément bon signe mais s’il ne présentait pas d’autres symptômes, ça irait pour lui. Il fallait juste attendre qu’il se réveille afin d’analyser son état plus précisément.
___________________________ *Schatz : Ma chérie *Schnauze : Ta gueule
- Où veux tu en venir ? - Où je veux en venir, c'est qu'à cet instant précis, personne ne viendra nous déranger. - Et alors ? - Alors, je veux que tu prennes quelques secondes pour réfléchir. Réfléchir à tous ces instants où tu n'es pas la reine du bal. Tous ces moments où le troupeau de gens qui te suivent ne sont pas là pour te protéger... - Eh bien, quoi ?! - Eh bien, moi je serai là !
Le Corbeau se réveilla en sursaut, et se redressa dans un lit et dans une pièce qu'il ne connaissait pas, avec un mal de tête qui lui donna l'impression que son crâne allait exploser. Il lui fallut plusieurs secondes pour que la lumière cesse de l'aveugler. La première chose qu'il vit distinctement fut une tête de rouquine, qu'il finit par identifier comme étant Nia, la jeune femme avec qui il s'était retrouvé en cellule quelques heures en 2019. - Nia ? Bon sang, mais... Qu'est ce que... ? Qu'est ce que tu fais ici ? Lui demanda -t-il encore un pataud, et perdu.
Sa main gauche caressant sa tempe, il patienta les yeux fermés le temps que la rouquine lui explique grossièrement où il était, et ce qui s'était passé après qu'il se soit effondré. - Summers... marmonna -t-il brièvement alors que ses idées commençaient à se remettre en place. Elle lui rendit alors une poche de glace qu'il avait fait tomber à son réveil, et qu'il plaqua doucement sur sa tempe avant de s'allonger à nouveau. - Merci, Nia... Heureusement que t'étais dans le coin... Sinon je pense que ma tempe n'aurait pas été la seule à encaisser...
Elle se décida finalement à le laisser, lui annonçant de toute façon que le médecin était là pour s'occuper de lui. Après quoi, elle laissa les deux hommes seuls. A cet instant, le brun remarqua Meyer pour la première fois. Il le jaugea un instant, sans mot dire. Il en avait trop croisés dans son enfance. Il n'aimait ni les médecins, ni les infirmeries. Immédiatement et instinctivement, il se mit sur la défensive. - Doc'... Marmonna -t-il en hochant la tête en guise de salut. Je ne vous ai jamais vu sur le campus. Nouveau ? Tenta -t-il alors. En réalité, il n'essayait rien du tout. Il avait vu sur les fichiers internes piratés de l'école le transfert d'un nouveau à l'infirmerie. Mais il voulait voir un peu comment s'en tirait celui là quand on lui posait quelques questions de front. Malheureusement, son hostilité naturelle envers les membres du corps médical lui faisait oublier qu'il n'était supposé être que Chris Raven, un étudiant modèle ayant de bonnes notes et étant propre sur soi. Et déjà, son comportement pouvait sembler étrange, à plus d'un titre. Et cela risquait de ne pas s'améliorer s'il n'y prenait pas gare...
Il ne tarda pas à ouvrir les yeux et à se redresser brusquement, comme s’il venait de faire un cauchemar. Je restai à l’affût, au cas où il lui viendrait l’envie de s’agiter ou de partir en courant. Mais il se contenta d’essayer de s’habituer à la lumière, et de regarder sa camarade avec un air complètement perdu.
- Nia ? Bon sang, mais... Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais ici ?demanda-t-il en se frottant la tempe.
Tandis que je me levais pour aller me laver les mains, elle lui expliqua les événements à partir du moment où il s’était effondré. Il l’écouta, les yeux fermés, l’air d’essayer de se remémorer de quelque chose.
- Summers...marmonna-t-il enfin.
Je ne savais pas qui était Summers mais l’amertume dans sa voix me laissait deviner qu’il ne portait pas cette personne dans son cœur. La dénommée Nia ramassa la poche de glace qui était tombée par terre et la lui tendit. Il la prit, la colla contre sa tempe et se recoucha.
- Merci, Nia...dit-il soulagé.Heureusement que t'étais dans le coin... Sinon je pense que ma tempe n'aurait pas été la seule à encaisser...
La demoiselle annonça qu’elle le laissait à présent seul, que j’étais là pour m’occuper de lui. Ils se dirent au revoir et elle s’en alla. Je me rendis à nouveau au chevet de Chris.
- Doc...fit-il en inclinant la tête pour me saluer.Je ne vous ai jamais vu sur le campus. Nouveau ?
J’acquiesçai en préparant le tensiomètre. Ce n’était peut-être pas la peine de m’en servir mais puisque Chris était là, autant l’examiner comme il faut.
- Appelle-moi Meyer,me présentai-je en enfilant le tensiomètre autour de son bras.
Je précisai ensuite que je n’étais pas un fervent admirateur du vouvoiement mais qu’il pouvait faire comme il voulait pour m’adresser la parole.
- Et si ça peut te rassurer, comme je ne suis pas concierge ni psy, je ne vais pas te demander pourquoi tu t’es battu. Je veux juste savoir les choses suivantes : est-ce que tu as des nausées ? La vision trouble ? Peux-tu bouger tous tes membres normalement, sans difficulté ?
Je posais ces questions car, après un coup à la tête, une personne pouvait endurer ces symptômes, manquer de coordination, souffrir de troubles de la parole ou d’irritabilité. Et là, il valait mieux consulter un médecin.
De toute évidence habitué aux consultations médicales, le Corbeau allongea son bras pour que Constantine puisse mieux prendre sa tension. - Meyer, huh ? D'accord... Répondit il en le jaugeant du coin de l'oeil tandis qu'il prenait sa tension. Il sut aussitôt pourquoi il lui demandait ce qu'il lui demandait: le traumatisme crânien ! Un risque pouvant causer tous les symptômes qu'il venait de citer. L'assassin les avait déjà vécu, étant enfant. Il connaissait bien ce genre de déconvenues. - Non, je n'ai aucun des symptômes d'un trauma crânien, rassure toi... Lui dit il alors d'un ton un peu froid. Etrange, pour un élève modèle supposé comme lui.
Meyer lui retira le tensiomètre sans trouver quoi que ce soit d'alarmant, et après l'avoir "rassuré" sur le fait qu'il ne lui poserait aucune question concernant les circonstances ayant mené à la rixe. Cela fit sourire le brun intérieurement: il pourrait le rassurer en lui apprenant que n'importe quel objet de cette pièce pouvait lui servir à le tuer instantanément s'il le désirait. Mais il ne le ferait pas pour des tas de raisons. A commencer par le fait qu'il ne comptait pas briser sa couverture, sa planque, à Indarë. - Je vois très bien, reprit il finalement d'un ton un peu agacé. On peut cesser là les examens, c'est bon ?! J'ai pris un coup de batte dans la tête, je ne me suis pas fait rouler dessus par un char d'assaut ! Relativisa -t-il avec cynisme en plaquant à nouveau la poche de glace sur sa tempe. D'autant que l'assaillant n'était pas quarterback... ajouta -t-il avec un léger sourire cynique.
Sombre. Dur. Froid. Détaché. La présence du brun en ces lieux, et d'un personnel médical avait chassé le côté sombre de Chris pour ramener l'assassin qui était en lui. Il n'aimait pas ces lieux, et dès qu'il s'en sentirait capable, il quitterait cette infirmerie de malheur. Il avait déjà passé suffisamment de temps comme ça dans ce genre d'endroits quand il était plus jeune... Il fixa à nouveau le médecin, et le jaugea étrangement, une lueur suspicieuse flottant dans son regard de brume: il avait esquivé sa question précédente un peu plus tôt. Qui était il vraiment, en réalité ? - Alors... Je suis ton premier patient, aujourd'hui ? Le tutoya -t-il soudainement.
Chris répéta mon nom dans un murmure, puis il répondit qu’il n’avait aucun des symptômes d’un traumatisme crânien. Apparemment, il savait de quoi il parlait. Et mes questions ne semblèrent pas lui plaire à en juger par le ton froid qu’il employa. Mais je ne relevai pas, finis de prendre sa tension et retirai l’instrument de son bras.
- Je vois très bien,dit-il soudain, agacé.On peut cesser là les examens, c'est bon ? J'ai pris un coup de batte dans la tête, je ne me suis pas fait rouler dessus par un char d'assaut !
Il se plaqua de nouveau la poche de glace sur la tempe.
- D’autant que l’assaillant n’était pas quarterback,ajouta-t-il avec un sourire effronté.
Je ne dis rien, le laissai pester tout seul et rangeai mon matériel. Même si je lui tournais le dos, je me sentais observé. C’était assez gênant.
- Alors… je suis ton premier patient aujourd’hui ?demanda-t-il.
Et maintenant il parlait de banalités. A mon avis, il se fichait de la réponse mais je n’étais pas là pour disserter sur la façon dont chaque élève s’adressait à moi. Je savais bien que beaucoup d’entre eux détestaient passer à l’infirmerie. Ici, ce n’était pas un lieu très joyeux. Il était fait pour aider les gens blessés, moralement ou physiquement. Je comprenais que certains soient réticents à l’idée d’y mettre ne serait-ce qu’un pied. Enfin… ce n’était sûrement pas une raison pour être désagréable avec le personnel. Mais bon, je connaissais bien ça. Quand je travaillais à l’hôpital, je voyais de sacrés phénomènes. Un jour, je faillis casser le bras d’un type qui avait voulu balader ses mains sur Mary. Un autre jour, un adolescent suicidaire avait fait une crise d’hystérie parce que sa mère nous ordonnait de le garder à l’hôpital alors qu’il était majeur. Il n’arrêtait pas d’insulter quiconque s’approchait de lui. Enfin bref, tout ça pour dire que j’avais l’habitude des patients agités.
- Non,finis-je par répondre en revenant vers lui avec un bloc-notes.J’ai eu quelques visites.
Je m’assis sur un tabouret non loin du lit.
- Je travaille pour l’infirmerie de l’ISS le matin, et je rejoins celle de l’IRS l’après-midi. D’ailleurs, je ne suis pas censé me trouver ici,dis-je en regardant ma montre par réflexe.Mais apparemment, mes collègues ont allongé leur temps de pause…
Je haussai les épaules comme si ce n’était qu’un détail peu important. En fait, ça ne me dérangeait pas tant que ça, du moment qu’il y avait quelqu’un présent à l’infirmerie de l’IRS. Normalement oui, sinon on m’aurait déjà appelé pour savoir où j’étais.
- J’aurai besoin de ton nom complet et de ton âge,ajoutai-je en dégainant un stylo.Rien de plus, c’est seulement pour le dossier de l’Université, vu que j’y bosse aussi le samedi. Nous aurons sûrement l'occasion de nous y croiser puisqu’apparemment tu y étudies.
Difficile pour Chris d'agir autrement avec un membre du corps médical, compte tenu du fait qu'il passait une grande partie de son temps dans des pièces d'examen étant enfant. Pour savoir "si tout allait bien". Si le projet était une réussite. Si les Enfants Terribles seraient un jour ce qu'ils étaient destinés à être. Le brun n'avait jamais gardé qu'une rancune farouche et tenace à l'égard du personnel soignant, bien qu'il conscient, implicitement, que ce n'était pas très logique. Les seuls personnes du bunker dans lequel il avait grandi étaient probablement celles qui avaient veillé sur lui durant ces examens. Mais certaines, moins scrupuleuses que d'autres, n'avaient vu en ces enfants que des données scientifiques et les avaient laissés crever au fond de leurs cellules, "pour la science" dans le but de rassembler des données, et d'en apprendre davantage dans d'innombrables domaines.
Depuis lors, le Corbeau avait nourri une haine tenace et puissante à l'égard de tous ceux qui portaient une blouse blanche, et ne leur faisait plus confiance, quels qu'ils soient. Meyer était l'un des premiers qu'il croisait depuis qu'il s'était enfui, et il encaissait malheureusement pour lui le retour de flamme de cette rancoeur. Sans la moindre autre raison que celle que le poste qu'il occupait... La glace toujours posée sur sa tempe, il tourna son oeil vif et aiguisé vers Constantine lorsque celui ci lui demanda davantage d'informations sur lui. Comme si subitement, il se sentait menacé. Comme une bête sauvage, dos au mur. Il le jaugea, l'espace d'un instant, alors qu'une lueur étrange passait dans son regard brumeux, puis répondit d'une voix neutre: - Chris Raven. J'ai vingt ans. Je suis en license de musique cette année. Le dossier du Corbeau comportait notamment la mention d'une blessure grave, qui s'était produite durant l'ouragan de 2019. L'os de son bras était sorti de son axe et il avait dû se faire opérer par la suite. Son bras avait dû être immobilisé pendant trois mois à cause de ça.
Le reste de son dossier était étrangement vide, pour celui d'un boxeur de sa trempe. Mais il est vrai qu'il ne boxait pas en tant que professionnel. Tout cela restait "un loisir", du moins selon ses dires. Mais il avait malgré tout eu très peu de blessures en dehors de ça si l'on en croyait son dossier, ce qui ne correspondait pas tout à fait à l'état de son corps, qui bien qu'étant en très bon état, dévoilait ça et là quelques cicatrices, certaines anciennes, d'autres plus récentes. - Si c'est tout, doc, j'aimerais y aller... Les salles d'exam me foutent les jetons ! Lui dit il en se levant sans attendre de réponse. Il s'avança jusqu'à la porte, qu'il ouvrit, puis s'immobilisa, et tourna une dernière fois la tête vers Meyer avant d'ajouter: - On se voit sur le campus. Et... Bienvenue à Indarë, ajouta -t-il avant de disparaître, et de fermer la porte derrière lui.
Le seul fait de lui demander ce genre d’information sembla l’agacer. Mais, après une espèce de réflexion durant laquelle il sembla essayer de se contenir, il répondit :
- Chris Raven. J'ai vingt ans. Je suis en License de musique cette année.
Au moins, il coopérait. Ce n’était pas grand-chose mais quand les patients refusaient de dire quoi que ce soit sur eux, m’empêchant ainsi d’avoir accès à des informations importantes, c’était…
« … carrément chiant, »termina Ihn.
Je me retins de lever les yeux au ciel. Je détestais ses interventions improvisées, juste pour faire la conversation. Pourtant, je n’avais pas d’autre mots pour « améliorer » les siens. Parfois, il fallait bien l’avouer, les patients désagréables me donnaient envie de leur taper sur la gueule pour leur faire comprendre qu’un peu d’amabilité ne les tuerait pas.
« Ouais enfin… c’est l’hôpital qui se fout de la charité,ricana Ihn.Dès fois, tu tires une tronche, tu donnes juste envie de fuir. »
A qui la faute ? Chassant ce parasite de mes pensées, je notai sur le bloc-notes et rangeai ce dernier dans la poche de ma blouse. Je ne savais pas si je trouverais d’autres informations le concernant mais je ne manquerais pas d’aller y jeter un coup d’œil.
- Si c'est tout, doc, j'aimerais y aller...dit Chris en se levant.Les salles d'exam me foutent les jetons !
Il n’était pas le premier et très loin d’être le dernier. Moi-même, bien qu’étant infirmier, je n’aimais pas du tout faire des examens. Quand je pouvais, je me soignais tout seul. Pourtant, quand Janna était malade, il fallait bien l’emmener chez le docteur. A chaque fois, je me battais – verbalement – avec les médecins qui voulaient absolument prescrire des tonnes de médicaments nocifs à ma fille. Personnellement, je préférais utiliser l’homéopathie. En général, c’était toujours efficace. Si jamais il arrivait que je ne puisse pas bien soigner Janna, ou moi-même, je faisais une exception. Mais dans l’ensemble, les médicaments n’étaient pas mes amis. Après avoir posé la poche de glace, Chris se dirigea vers la porte et l’ouvrit. Je me levai du tabouret et arrangeai les draps du lit sur lequel il était allongé auparavant. Je m’apprêtais à lui dire au revoir, histoire d’être un minimum poli, sans attendre de réponse puisqu’il partait. Mais il se retourna, la main sur la poignée.
The Wiesel Den 
